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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Flotte, Paul de
Article mis en ligne le 28 mai 2012
dernière modification le 11 mars 2013

par Guengant, Jean-Yves

Né le 1er février 1817 à Landerneau (Finistère), mort le 22 août 1860 à Solano (Italie). Phalanstérien finistérien, explorateur et ingénieur, député démocrate-socialiste, commandant de la brigade anglo-française lors de l’expédition des Mille de Giuseppe Garibaldi.

De la Bretagne à Paris

Paul de Flotte naît le 1er février 1817 à Landerneau dans une famille de très ancienne noblesse. Son père, artilleur de marine, fut gravement blessé à Trafalgar ; il meurt en 1820. Sa mère, née de Boulainvilliers, est fille d’officier de marine. Paul est scolarisé à l’école mutuelle de Landerneau, créée par un groupe de notables et d’industriels libéraux. A un moment où la réaction s’amplifie, et où les adversaires de l’école mutuelle essaient de la mettre à bas, confier l’éducation de son enfant à ce réseau d’écoles montre une grande force de conviction et la volonté affirmée d’échapper à l’emprise du clergé. Cela forge sans doute le caractère de l’enfant. Entré à l’école militaire de La Flèche en 1828, il est admis à l’école navale en 1832. Élève de seconde classe en octobre 1833, il embarque pour les Antilles. En 1835 il participe à la campagne de Dupetit-Thouars autour du monde puis avec Dumont d’Urville. Sur la Zélée, il rencontre Félix Huon de Kermadec, un futur condisciple. Pendant cinq ans, il parcourt tout l’hémisphère Sud.

Paul de Flotte vers 1843
Huile, archives familiales

Il participe à la création du groupe phalanstérien brestois, dont il est désigné président en décembre 1844 [1].

Lettre des Brestois à Considerant, 7 décembre 1844
Archives nationales, Fonds Fourier et Considerant, 10AS30-681Mi49.

Il correspond avec La Démocratie pacifique. Il s’associe aux efforts d’organisation des ouvriers ébénistes brestois menés par René-Henri Cuzent (mars 1845) : « Les ouvriers ébénistes de Brest voudraient fonder une association de secours mutuels en cas de maladie ou d’accident », il lui faudrait statuts et informations sur ce qui se fait ailleurs [2], affirme-t-il à Cantagrel. L’Association de bienfaisance mutuelle [3] est alors fondée - c’est la première association mutualiste brestoise. Auprès de l’École sociétaire il insiste sur le rôle des fouriéristes brestois au sein de la société d’émulation. Une chorale est créée selon les méthodes musicales de Chevé et chante à l’occasion pour la société d’émulation.

Ingénieur, il est partisan convaincu de la marine à vapeur. En 1845, il fait breveter un système de transmission de l’énergie créée par la vapeur à une hélice, « par connexion directe ». Lieutenant de vaisseau, il est appelé à Paris pour perfectionner son invention. Il est autorisé à y séjourner toute l’année 1847.

Leconte de Lisle, qu’il connaît depuis 1845, travaille à La Démocratie pacifique et publie ses poèmes dans La Phalange [4]. De Flotte devient un propagandiste du mouvement. Introduit dans les cercles littéraires par son ami Jules Guesdon, artiste peintre, il y rencontre Louis Ménard, historien spécialiste de la Grèce et passionné d’ésotérisme. Leconte de Lisle et de Flotte partagent le même goût pour la Révolution française et Robespierre ; Leconte affirme qu’ils sont « frères en religion ultra-jacobine ». Louis Ménard permet la rencontre de Paul de Flotte et Baudelaire. Les deux hommes s’entendent et s’apprécient. En quelques mois, Paul se trouve au cœur des débats et des controverses qui agitent l’opposition au régime. César Daly, proche de Blanqui, favorise leur rapprochement.

La Révolution de 1848

Il est en permission illégale quand éclate la révolution fin février. Membre du club de Blanqui, il écrit dans L’Accusateur public. En avril, il est interpellé lors d’une manifestation. Le 15 mai, à l’occasion d’une manifestation en faveur de la Pologne, il envahit l’Assemblée nationale. Il est arrêté le lendemain et relâché début juin.

Le 21 juin, l’Assemblée fait fermer les ateliers nationaux. La mesure provoque des réactions violentes dans les quartiers populaires de Paris. L’état de siège est proclamé et les forces de l’ordre mettent trois jours pour écraser l’insurrection. La répression à peine terminée, l’Assemblée nationale décide la transportation de tous les insurgés pris les armes à la main, les chefs de la révolte risquant le conseil de guerre. Les 21 et 22 juin Paul de Flotte se trouve aux séances de clubs qu’il fréquente. On lui reproche d’avoir appelé aux armes le 21. En fait il a participé à une réunion qui avait pour but la création d’une association mutuelle en vue de la fondation d’une maison d’épicerie [5]. Les 23 et 24 il essaie de jouer un rôle de conciliateur. Ennemi de toute violence, persuadé d’avoir le charisme suffisant pour changer le destin, il est allé plaider la modération auprès du gouvernement et des insurgés, n’étant écouté ni de l’un, ni des autres.

De Flotte aux barricades vu par Hugo, 1848 et 1851
Victor Hugo, Histoire d’un crime, 1877-1878

Le 28, il est arrêté et condamné à la transportation le 9 septembre. Lamartine, dans une adresse en août 1848, donne de lui une autre image que celle d’un agitateur révolutionnaire :

De Flotte et plusieurs de ses amis avaient de l’action sur les clubs. On cherchait alors à s’emparer de la puissance de ces réunions pour les faire protester contre la convocation de l’Assemblée nationale. Je convainquis les chefs que la nation seule pouvait donner de la force à la République. Je trouvai chez ces hommes plus de modération que je n’en attendais sur leurs noms [6]

Les transportés et l’enfermement

De Flotte fait partie du convoi qui transite par le Havre. Le 24 septembre, Le Républicain du Havre atteste de l’arrivée de plusieurs centaines de prisonniers. La Démocratie pacifique du 29 septembre signale la présence parmi eux de Paul de Flotte, « jeune homme d’une figure énergique et fortement caractérisée » ; c’est « un ancien officier de marine, fougueux et passionné, qui doit peut-être sa déportation à quelques paroles ardentes prononcées dans un club de Paris ». De Flotte est interné à Belle-Ile. Dès l’annonce des déportations, le comité démocrate-socialiste organise une souscription pour venir en aide aux familles des transportés ; la mobilisation se renforce au fil des mois ; au banquet phalanstérien de Paris, un millier de convives participent à une quête en faveur des enfants et des familles des déportés [7]. La mobilisation ne faiblit pas : début novembre, les femmes de transportés organisent une manifestation place de la Bastille, afin de demander à l’Assemblée nationale, l’amnistie et des subsides ; le 21 décembre, un grand concert est organisé lors de la « fête de l’égalité, au bénéfice des déportés et transportés politiques », aux salons du jardin d’hiver. Dans les banquets démocrates-socialistes et fouriéristes, des toasts sont portés aux proscrits et pour l’amnistie.
De Flotte se trouve à la citadelle de Belle-Ile ; il porte l’uniforme des détenus, marqué des initiales TF (travaux forcés) [8]. En décembre, il est emprisonné, sans jugement, au camp des transportés, créé pour la circonstance. Dans la nuit du 15 au 16 avril 1849, il s’évade, mais il est aussitôt repris. Il est alors condamné à un mois de prison, pour évasion. Ce sera le seul jugement prononcé contre lui. On ne trouve pas nécessaire de le reconduire à Belle-Ile. Fin 1849, de Flotte est libre, démissionnaire de la marine, et prêt à rejoindre les combats de la gauche démocratique.

La souveraineté du peuple (1850-1851)

L’élection de Paul de Flotte à l’Assemblée nationale, en mars 1850, lors d’une élection partielle du département de la Seine est provoquée par la destitution de trois députés, dont Considerant, le directeur de La Démocratie pacifique, condamnés pour l’affaire du 13 juin 1849, où la gauche tente vainement de s’opposer à l’intervention française contre la République romaine. Les démocrates-socialistes choisissent trois candidats : Paul de Flotte, « lieutenant de vaisseau démissionnaire », François Vidal, publiciste, Carnot, ancien ministre de l’Instruction publique [9]. L’« association démocratique des amis de la Constitution » présente de Flotte comme « le cri du peuple contre les mesures arbitraires et dictatoriales, contre la sanction définitive de ce qui n’eût dû être que l’expédiant temporaire d’un jour de tempête ; c’est la protestation contre tout ce qui s’écarte de la justice régulière et de l’ordre légal. ». Paul de Flotte définit sa candidature comme un gage de conciliation et de paix. Il veut appuyer son combat sur la liberté de conscience et le suffrage universel, sur la solidarité des intérêts, refusant l’usage de toute violence. Il souligne enfin que sa candidature est une candidature contre l’arbitraire [10]. Le 15 mars, les trois candidats sont élus, recueillant plus de la moitié des suffrages. La victoire inquiète les conservateurs, qui le 31 mai font voter une loi restreignant le corps électoral en multipliant les causes de non inscription des électeurs sur les listes. De Flotte voit se concentrer la haine des conservateurs sur sa personne ; ils contestent son élection, sous le prétexte qu’il aurait participé à l’insurrection de juin 1848.

Le représentant du peuple

Dès l’installation de Paul de Flotte dans ses fonction de représentant du peuple, le 21 mars, un député intervient pour rappeler qu’il fut un transporté, « reconnu avoir pris part à l’insurrection de juin ». Il est un insurgé, il n’a pas été gracié, il ne peut donc siéger. Le ministre de la Justice doit répondre que les droits civils et politiques du nouveau député n’ont pas été affectés par une mesure de prévention. De Flotte est confirmé dans sa fonction ; mais une partie de la droite ne participe pas au vote. Pourtant, de Flotte étonne ses amis et ses adversaires par la modération de ses propos. Plus tard, ses amis soulignent lors de son décès combien l’anxiété était extrême chez eux quand il monta pour la première fois à la tribune de l’Assemblée, s’attendant à l’entendre prononcer « un discours d’utopiste ». Il montre que « sans cesser de lever les yeux vers l’idéal qui était son rêve, il ne perdait pas du pied le réel, qui était son appui » [11]. Cependant, il reste profondément persuadé de son rôle de défense des libertés : en juin 1851, il déclare à l’Assemblée :

Quand nous avons défendu, quand nous avons soutenu la souveraineté du peuple, elle a toujours découlé pour nous de ce droit de libre discussion, de libre jugement inhérent à chaque homme et nous n’avons jamais pu penser, que d’une majorité, d’un vote quelconque, on ferait obstacle à ce droit de jugement, à ce droit d’examen qui appartient à tous (...). Si nos droits personnels sont attaqués, nous les défendrons, et sachez, nous sommes prêts sur ce terrain, tout prêts à recommencer les guerres du libre examen, les luttes de la liberté de conscience. C’est un noble terrain, il vous est connu comme à nous, et là, c’est par le nombre des combats que vous compter vos défaites, et que nous comptons nos victoires [12].

A l’été 1851, Paul de Flotte consigne ses principes dans un ouvrage, La Souveraineté du peuple, essais sur l’esprit de la Révolution, où il essaie de faire la synthèse entre les courants démocratiques du socialisme. Il place son livre sous le patronage de la philosophie de Fourier, qui préfigure une transformation de la société, ne se réduisant pas au seul domaine économique. Il rejette toute idée sectaire, qui amènerait à user de la violence et qui aboutirait immanquablement à la dictature. L’ouvrage connaît un réel intérêt dans le milieu politique de la gauche française, notamment dans le courant phalanstérien, dont de Flotte s’est de nouveau rapproché depuis son élection. Prêt à défendre jusqu’à la mort la liberté de conscience, son ouvrage laisse présager son attitude future.

1851 : La Souveraineté du peuple

Le 2 décembre 1851 et la proscription

Dans la nuit du 1er au 2 décembre 1851, le président Louis-Napoléon Bonaparte prend le pouvoir. Les troupes quadrillent la capitale, au matin du 2 décembre les arrestations débutent ; l’Assemblée nationale est dissoute, le peuple est appelé au référendum. Au premier soir, un comité chargé de coordonner la riposte se met en place et de Flotte en fait partie. Le lendemain, le comité décide de rejoindre le faubourg Saint-Antoine, cœur du monde ouvrier.

Proclamation du Comité de résistance

De Flotte, seul militaire du groupe des députés, incite à bâtir une barricade ; Victor Hugo affirme qu’il dit : « Engageons l’action. Ayons la gloire d’être les premiers tués ». Le groupe commence à renverser une charrette, des voitures de commerçants, un omnibus. C’est un simple barrage quand la troupe, alertée, arrive. Schœlcher et de Flotte se mettent devant la barricade ; le député Baudin grimpe sur l’omnibus. Les soldats essaient alors de repousser les députés à la baïonnette, mais s’arrêtent : un coup de feu part alors de la barricade et tue un soldat, juste devant Schœlcher et de Flotte. Les compagnies prennent la barricade d’assaut, laissant les députés derrière elles. Baudin est tué. Les manifestants se dispersent ; les représentants du peuple sont désormais des fugitifs. Le 4 décembre au matin, de Flotte inspecte sans cesse les barricades dressées dans les faubourgs ouvriers, courant partout où les combats ont lieu ; ce jour là commence le nettoyage de la capitale par les troupes. Le 6 décembre, toute résistance est terminée.

De Flotte doit quitter la capitale et il réussit à gagner la Belgique. Le 26 décembre, il retrouve Victor Hugo, réfugié à Bruxelles : Victor Hugo ne cache jamais la sympathie profonde qu’il a pour celui qu’il appelle un « vaillant et profond philosophe combattant de la Révolution ».

Dans la nuit du 26 décembre, j’étais rentré dans la petite chambre sans feu que j’occupais au deuxième étage de l’hôtel de la Porte-Verte, n° 9 ; il était minuit, je venais de me coucher, et je commençais à m’endormir quand on frappa à ma porte. Je m’éveillai. Je laissais toujours la clef en dehors. - Entrez, dis-je. Une servante entra avec une lumière et introduisit près de moi deux hommes que je ne connaissais pas. L’un était un avocat de Gand, M..., l’autre était de Flotte. Il me prit les deux mains et me les serra avec tendresse. - Quoi, lui dis-je, c’est vous ? - De Flotte à l’Assemblée avec son front proéminent et pensif, ses yeux profonds, ses cheveux tondus ras et sa longue barbe un peu recourbée, semblait un personnage de Sébastien del Piombo, errant hors du tableau de Lazare ; et j’avais devant les yeux un petit jeune homme maigre et blême avec des lunettes. Mais ce qu’il n’avait pu changer et ce que je retrouvai tout de suite, c’est le grand cœur, la pensée haute, l’esprit énergique, l’indomptable bravoure ; et si je ne le reconnus pas au visage, je le reconnus au serrement de main [13].

La situation des proscrits en Belgique est peu confortable ; la police les considère comme de dangereux révolutionnaires et le gouvernement français les surveille de près. Les proscrits ne s’attardent pas. Commence alors un épisode obscur de la vie du proscrit : il revient en France en août 1852. Il lui faut des papiers pour pouvoir travailler : sa famille l’aide, notamment le conseiller général du Finistère, Louis-Théodore Dein, son beau-frère. Bonapartiste convaincu, il lui procure de faux papiers : il devient Joseph Maillé (le château de Maillé, en Finistère-nord appartient à la famille Dein). Ce fait est connu de ses amis, et sûrement de la police, mais le proscrit s’est semble-t-il retiré de toute activité politique. Son beau-frère le protège toujours. Il travaille pour une compagnie de chemins de fer, proposant ses compétences d’ingénieur dans la construction d’ouvrages d’art. Lorsque l’amnistie est proclamée il ne reprend pas son identité, refusant de devoir quelque chose, fut-ce l’amnistie, à Napoléon III. On suit sa trace sur les différents chantiers du chemin de fer, jusqu’en juillet 1860, où il décide de rejoindre les troupes de Garibaldi à Gênes ; le dictateur des Deux-Siciles vient de prendre Palerme. Le journal L’Opinion nationale, dans son numéro du 10 juillet, note que le 5 juillet est partie de cette ville une petite escouade de volontaires français, commandée par de Flotte. Il est porteur d’une lettre de recommandation d’Etienne Arago, pour Garibaldi [14].

L’expédition des Mille

Le 6 juin, les troupes napolitaines capitulent et se retirent de Palerme. Un mois plus tard, le 14 juillet, le journaliste Lagarde de L’Opinion nationale, constate l’arrivée de 800 volontaires, dont une cinquantaine de français. De Flotte est désormais dans le cercle des officiers de l’état-major.
L’armée garibaldienne est un assemblage hétéroclite de régiments de diverses valeurs ; volontaires génois ou milanais, Vénitiens, Siciliens soulevés contre les napolitains, brigades de volontaires étrangers, parmi lesquels les Hongrois, les Anglais et les Français (une centaine). Elle ne possède pas d’artillerie de campagne ; pourtant, elle bouscule les Napolitains à Milazzo, dernière ville avant Messine. Paul de Flotte a en charge la flottille de vapeur qui permet le transfert des troupes. Le 20 juillet se déroule l’affrontement principal : le soir, l’armée napolitaine est bloquée dans la citadelle de Milazzo. La dernière étape vers le détroit est la prise de Messine, où règne une incroyable pagaille. Le 26 juillet, les Garibaldiens entrent dans la ville, quant les Napolitains se sont repliés dans la citadelle. Les Garibaldiens commencent à fortifier la presqu’île voisine du Faro. Le 29 juillet, une trêve définit une cohabitation originale : les forts périphériques passent aux Garibaldiens, la libre circulation dans la ville des soldats des deux camps est possible, l’embarquement sans obstacle de l’armée napolitaine est acceptée, la libre circulation du détroit et l’égalité des pavillons dans le port est reconnue.
Au Faro commencent aussitôt les préparatifs de débarquement en Calabre. Parmi les équipages, la compagnie de Paul de Flotte, composée de marins français, et connue sous le nom de Croque-poules, pour leur capacité à trouver de la nourriture et à faire bombance, le terme étant fortement exagéré. Les journaux français commencent à évoquer en juillet le nom de de Flotte [15]. Alexandre Dumas, qui vient de rallier la Sicile, le rencontre. Dans Les Garibaldiens, révolution de Sicile et de Naples, Dumas consigne sa visite. Il est frappé par l’improvisation qui règne dans le camp fortifié ; soldats éparpillés dans les champs et sur les plages, « émaillant le paysage de leurs chemises rouges, qui font, entre les arbres, l’effet de coquelicots dans un champ de blé ».
Dumas n’a pas revu de Flotte depuis 1848 ; il le trouve fatigué. Un volontaire, Ulric de Fonvielle, dans ses Souvenirs d’une chemise rouge, décrit un commandant, dépassé par la désorganisation de sa compagnie ; lui qui se rêvait corsaire, est réduit à commander une troupe indisciplinée, et qui plus est mal considérée [16]. Ses espoirs de libération sociale sont dissipés en ce début du mois d’août. Des mouvements de paysans qui ont commencé à occuper des domaines ont été réprimés par les troupes garibaldiennes.
De Flotte engloutit ses propres ressources à payer ses hommes. Dumas raconte l’anecdote suivante : à la fin de la rencontre entre les deux amis, de Flotte lui serre la main en lui disant - « Adieu ! » - « Au revoir », reprend Dumas, s’attirant cette réplique, « Ce n’est pas probable, adieu donc ! » [17]. Le 15 août se déroule une fête dans le camp français, où le drapeau français est hissé. Le 16, Dumas quitte Messine et regagne la France, pour acheter des armes. Le 20, il est en Corse, quand les opérations de débarquement en Calabre débutent. Il apprend la mort de son ami début septembre, « cette triste nouvelle me brisa le cœur ».

Solano, Calabre, le 22 août 1860

Une première tentative de traversée fut menée dans la nuit du 9 août. Deux cents hommes réussissent à débarquer et peuvent rejoindre la montagne pour préparer l’arrivée des troupes. Quelques heures plus tard, au petit matin, de Flotte part en reconnaissance. Il tombe sur les royaux ; son groupe doit rembarquer immédiatement. L’expédition a montré un homme déterminé et blessé dans son orgueil : un témoin français raconte que pendant la traversée, l’officier français était debout « la tête haute et fière, tenant ferme le gouvernail malgré la fusillade » et « avait dû menacer de son revolver les rameurs intimidés qui voulaient se cacher sous leurs bancs ». Les préparatifs s’accélèrent et dans la nuit du 19 août, deux vapeurs, débarquent deux brigades au sud de la Calabre. En 24 heures, les brigades garibaldiennes sont aux portes de Reggio, bousculant le dispositif des soldats royaux.
Le plan de Garibaldi est de les prendre à revers, grâce à un second débarquement et au contrôle des hauts plateaux. La brigade Cosenz et la compagnie franco-anglaise traversent le détroit. De Flotte commande l’un des canots munis d’une pièce d’artillerie, qui couvre le débarquement. Fonvielle se souvient de son embarquement, vêtu de blanc, sa barbe flottant sur la poitrine. Enthousiaste à l’idée de l’action, il observe, muet et impassible, les rivages de Calabre. Le contact avec les royaux est immédiat ; les troupes se séparent. Elles ont pour mission de prendre le village de Solano, situé à 3 kilomètres du lieu de débarquement et qui culmine à 700 mètres. Les troupes garibaldiennes investissent les abords du village. Vers deux heures de l’après-midi, dans la confusion de la prise du village, de Flotte est touché à la tête :

De Flotte était habillé presque tout en blanc, burnous blanc, casquette en drap blanc, pantalon blanc, grandes bottes jaunes. Il portait sa jumelle marine en sautoir, son sabre et son revolver pendaient à sa ceinture. Il fut frappé à la tête du côté droit, et la balle avait enlevé une portion notable du crâne. La cervelle couvrait la terre. De Flotte avait été tué au milieu de la route [18].
La mort de Paul de Flotte, vue par Emile Maison
Emile Maison, Journal d’un volontaire de Garibaldi, 1861

A cinq heures, les Français font une pause pour enterrer leur chef dans l’église du village. Le 24 août, il est cité à l’ordre de l’armée par Garibaldi, qui lui rend les honneurs militaires et exige qu’on lui érige un monument.

Ordre du jour du 24 août 1860
« Nous avons perdu de Flotte
« Les épithètes de brave, d’honnête, de vrai démocrate, sont impuissantes à rendre tout l’héroïsme de cette âme incomparable. De Flotte, noble enfant de la France, était un de ces êtres privilégiés qu’un seul pays n’a pas le droit de s’approprier. Non de Flotte appartient à l’humanité entière, car pour lui la patrie était là où le peuple souffrant se levait pour la liberté. De Flotte, mort pour l’Italie, a combattu pour elle comme il aurait combattu pour la France. Cet homme illustre est un précieux exemple de la fraternité des peuples que l’avenir de l’humanité se propose. Mort dans les rangs des chasseurs des Alpes, il était, avec quelques-uns de ses braves concitoyens, le représentant de la généreuse nation qu’on peut arrêter un moment, mais qui est destinée par la Providence à marcher à l’avant-garde de l’humanité pour l’émancipation des peuples et la civilisation du monde ».
G. Garibaldi

La nouvelle est connue en France le 31. Le lendemain, le journal Le Siècle publie sa nécrologie. A Paris, le comité de soutien à la cause garibaldienne décide de lancer une souscription pour l’érection d’un monument à Solano. Cependant la souscription est interrompue par ordre du régime. Après la prise de Naples, Garibaldi rend à nouveau hommage à Paul de Flotte ; le 15 septembre, une compagnie commandée par un officier français, secondé par un hongrois prend le nom de compagnie de Flotte [19].