Né le 7 mars 1814 à Évreux (Eure), décédé le 17 avril 1905 à Évreux. Sous-directeur de l’École normale de l’Eure, inspecteur primaire dans le département de la Marne puis de l’Eure, fondateur et directeur d’une École professionnelle à Évreux de 1849 aux années 1860. Conseiller municipal, adjoint et maire d’Évreux. Vice-président du conseil général de l’Eure. Libre penseur. Abonné à La Phalange, lecteur de La Rénovation.
Charles Corbeau est issu d’un milieu populaire. D’après l’acte de naissance, son père est cordonnier ; mais dans les nécrologies parues en 1905, ses parents sont jardiniers. Il fait d’abord de courtes études primaires avant d’aider ses parents.
Enseignant
Mais grâce à des cours du soir et à un principal de collège qui repère ses qualités et lui donne des leçons, il prolonge sa formation et devient bientôt enseignant et sous-directeur à l’école normale d’Évreux, dirigée par Arsène Meunier. Lorsque celui-ci est temporairement écarté de la direction de l’École normale pour ses opinons démocratiques et libre-penseuses, Corbeau quitte aussi l’établissement, en 1839. En 1840, il épouse la fille de Meunier et prend la direction de l’École supérieure privée fondée à Évreux par son beau-père – réintégré la même année à la tête de l’École normale primaire.
En juillet 1841, il s’abonne pour trois mois à La Phalange. Il renouvelle son abonnement pour un an en septembre [1]. Il s’installe en 1842 à Paris où il exerce en tant qu’instituteur privé, peut-être dans l’établissement fondé par son beau-père – définitivement exclu du personnel de l’École normale de l’Eure – dans le quartier du Palais-Royal. Puis, en 1845, il est nommé sous-inspecteur des écoles primaires dans la Marne. Début juin 1848, il écrit au ministre de l’Instruction publique pour demander sa mutation dans l’Eure :
Les services que j’ai rendus dans ce dernier département tant comme sous-directeur de l’École normale que comme chef d’une école industrielle m’engagent à vous demander l’inspection de l’Eure. Je suis connu de tous les instituteurs qui ont été presque tous mes élèves, et je suis persuadé qu’ils seraient heureux d’apprendre ma nomination. Mon attachement ardent et sincère à la République que je désirais depuis longtemps me feront coopérer de tout mon pouvoir à l’amélioration de l’instruction et à l’établissement des institutions nouvelles dont la République va doter la France [2].
Il est nommé dans l’Eure, non en tant qu’inspecteur comme il le désirait, mais en tant que sous-inspecteur. Mais après l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République et la nomination de Falloux au ministère de l’Instruction publique en décembre 1848, son comportement et ses opinions politiques sont surveillés. D’après une note adressée au ministre,
Il y a dans le département de l’Eure un ancien directeur d’école normale, M. Meunier, qui prêche dans trois journaux les plus détestables doctrines socialistes. M. Corbeau, gendre de M. Meunier, remplit les fonctions de sous-inspecteur primaire dans ce département et s’est fait le propagateur actif des doctrines de son beau-père. Son action auprès des instituteurs est fâcheuse au plus haut point. Son changement est urgent [3].
Falloux demande des informations complémentaires sur ce fonctionnaire qui « se ferait le propagateur actif des plus détestables doctrines socialistes » [4]. Le recteur, sans pouvoir « connaître de faits précis », a
la conviction que l’opinion publique regarde comme fondées les accusations dont M. Corbeau est l’objet. [...]
Il n’a pas les principes religieux, ni les idées d’ordre, ni les sentiments dont doivent être animés les hommes préposés à l’instruction publique [5].
Le recteur souhaite qu’on lui retire ses fonctions, tandis que le préfet demande son déplacement dans un autre département. En juillet 1849, il est muté dans le département de la Manche, mais proteste contre cette mesure. Falloux lui accorde un entretien et lui explique sa décision en s’appuyant sur les rapports qui lui sont parvenus :
On vous reproche d’avoir, peu de temps avant le 13 mai [date des élections à l’Assemblée législative], fait une tournée d’élection au lieu d’une tournée d’inspection, d’avoir provoqué des réunions électorales sur différents points du département, d’y avoir assisté en personne, d’avoir distribué des circulaires et des manifestes, enfin d’avoir fait de la propagande au profit d’opinions exaltées [6].
Corbeau répond au ministre qu’il s’agit « là d’infâmes calomnies » et nie s’être « mêlé d’élections dans [ses] tournées », ne voulant « fournir aucun prétexte à l’administration de [le] frapper ». Alors que Falloux maintient sa décision, il démissionne. Dans les colonnes de L’Écho des instituteurs, un périodique dirigé par son beau-père Arsène Meunier, il expose sa situation et reproduit la teneur de ses échanges avec le ministre sous le titre « Une exécution de M. de Falloux. Simple récit » [7].
Il fonde alors une École professionnelle à Évreux, qui se développe au fil des années et comprend Meunier parmi son personnel enseignant. Son épouse décède en 1856. En 1862, il associe à la gestion de son établissement son beau-frère Deslandes qui, quelques années plus tard, assume seul la direction de l’École.
Élu local
En 1869, il est élu au conseil municipal d’Évreux. Il est reconduit dans cette assemblée pendant trois décennies. À plusieurs reprises, il exerce les fonctions de maire ou d’adjoint.
En août 1877, alors que le maire Lepouzé vient d’être révoqué par le gouvernement pour ses opinions républicaines et pour avoir signé en mai 1877 le manifeste des 363 députés hostiles au chef de l’État, c’est lui qui, en tant que premier adjoint, est chargé d’accueillir Mac Mahon, président de la République et partisan d’une restauration de la monarchie, alors au début de son voyage en Normandie ; dans son allocution de bienvenue, s’exprimant au nom du conseil municipal et des habitants d’Évreux, il déclare :
Votre voyage, monsieur le Président, a pour but, nous le savons, de chercher à vous éclairer sur les besoins et les aspirations des populations de la France ; nous vous félicitons bien sincèrement de l’avoir entrepris.
Nous sommes, monsieur le Président, la première ville que vous rencontrez sur votre passage, permettez-nous d’être sincères et de vous dire que la population que nous représentons est profondément attachée au gouvernement républicain, et que tout ce que vous ferez pour son maintien et sa consolidation vous assurera ses vives sympathies.
La suite de votre voyage vous fera reconnaître que tel est bien le vœu de toutes nos sages populations normandes, qui aspirent ardemment à voir cesser la crise actuelle pour se livrer en toute sécurité à leurs travaux et à leurs affaires [8].
Le Temps approuve « le langage le plus courtois, mais en même temps le plus franc et le plus viril » tenu par Corbeau, dont les propos sont largement repris et commentés dans la presse nationale [9]. Le fouriériste Poujade, l’un des « 363 », en reprend un extrait dans le discours qu’il prononce en ouverture de la session du conseil général du Vaucluse dont il est le président [10].
Mais à la suite de son discours, Corbeau est à son tour destitué, tandis qu’une commission nommée par le gouvernement remplace le conseil municipal élu [11]. Cependant, la victoire républicaine aux élections législatives d’octobre 1877 entraîne la formation d’un nouveau gouvernement qui nomme une nouvelle commission municipale ; Corbeau y figure en tant qu’adjoint.
La même année, il est élu au conseil général de l’Eure (il avait échoué lors de sa première tentative en 1871). Il représente le canton d’Évreux-sud jusqu’à la fin de sa vie. Pendant plusieurs années, il fait partie de la commission départementale qui, entre les sessions, assure la permanence de l’assemblée départementale. Il est aussi élu par ses collègues vice-président du Conseil général et préside à plusieurs reprises l’assemblée en l’absence du titulaire. Son activité décline un peu à la fin des années 1890 et après 1900 en raison de ses problèmes de santé qui l’empêchent d’assister à certaines réunions.
Cet engagement républicain lui vaut la Légion d’honneur, attribuée sur le rapport du ministère de l’Intérieur en 1880. Quand, dans les années suivantes, les républicains se divisent nettement entre les opportunistes et les radicaux, Corbeau se rallie au second groupe. Il met nettement en avant les termes de « démocratie » et de « solidarité », cette seconde notion pouvant renvoyer à la fois au livre du radical Léon Bourgeois (Solidarité, 1896) et à celui du fouriériste Hippolyte Renaud, (Solidarité. Vue synthétique de Fourier, 1842). Chez Corbeau, république, démocratie et fouriérisme forment un tout.
Fouriériste
Il est abonné au Devoir, le périodique créé par Jean-Baptiste-André Godin, le fondateur du Familistère de Guise, qu’il visite dans l’été 1887 ; sur le « registre des visiteurs », il « exprime [sa] profonde sympathie pour l’œuvre véritablement fondée par M. Godin » [12]. À la fin des années 1890, il publie deux brochures dans lesquelles il se réfère explicitement à Fourier dont il interprète parfois la doctrine avec une certaine liberté.
Dans la première (Ma foi humanitaire, 1898), il critique les religions révélées et dit ne pas croire « plus à Dieu qu’au Diable ». D’ailleurs, toutes les croyances (christianisme, judaïsme, islam, bouddhisme) « seront, dans l’avenir, remplacées par la religion naturelle », fondée « sur la conscience et la raison » [13]. Il croit en l’immortalité : la naissance, la vie et la mort « ne sont que des états successifs de l’être, qui progresse dans l’éternité » [14]. Les perfectionnements de l’humanité « nous conduiront à la fraternité universelle, à cette société harmonienne prédite par Fourier » [15]. En attendant, Corbeau dénonce l’état de la société présente :
Nous sommes tombés dans le bourbier de la corruption la plus écœurante qui se puisse concevoir ; et si un effort de la démocratie – qui commence à s’affirmer par un principe nouveau : la solidarité – ne nous retire de cette fange, nous nous y enliserons, entraînant avec nous les nations dites civilisées » [16].
Il appelle donc à lutter contre l’égoïsme et le matérialisme, à cause duquel « nous sacrifions beaucoup aux sens, peu à l’esprit ».
Laissons-nous conduire par nos attractions, nous rappelant la loi de Fourier : les attractions sont proportionnelles aux destinées. Laissons-nous guider par la véracité, la droiture, l’honnêteté, la justice, qui sont au fond de chaque conscience éclairée. Donnons à nos passions, c’est-à-dire à nos forces vitales, le développement qu’elles comportent, sans les exagérer, comme aussi sans les comprimer.
Cette façon de vivre en conformité des lois naturelles, nous mènerait assez vite à une société harmonique où la vie deviendrait un plaisir perpétuel.
Est-ce que cette façon de concevoir l’existence, pour en arriver à la formation d’êtres de plus en plus parfaits, et, à vivre dans une société adéquate à ces principes ne vaudrait pas bien ces piètres paradis des religions révélés : le Nirvana des Indous, les grossières félicités du Mahométisme, ou les énervantes monotonies du Catholicisme ?
Quant à moi, […] je préfère l’existence dans les sociétés perfectionnées que j’entrevois dans l’avenir, où le travail devenu attrayant, exécuté – le génie humain aidant – par les forces de la Nature, à jamais conquises ; c’est-à-dire l’éternelle activité de la vie, qui, constamment se renouvelle comme les modes qu’elle anime et donc chaque étape rapproche le MOI de l’idéal humain désiré de charme et poursuivi par tous : le bonheur [17].
Deux ans plus tard, il fait paraître dans Le Progrès de l’Eure deux articles signés « Un Philosophe » et repris dans une brochure Autour du problème social. Le texte est constitué d’un dialogue entre « un riche financier » et « un modeste artisan », dans lequel le second dénonce les inégalités sociales et l’injuste répartition des profits au bénéfice du capital. Tandis que le « financier » critique les « utopies » présentées par son interlocuteur, l’artisan propose :
Associons-nous et une grande injustice sociale aura disparu, entraînant avec elle la plaie du paupérisme [18].
Dans L’Émancipation, la revue des coopérateurs de « l’École de Nîmes » notamment animée par Charles Gide, il publie un article sur l’association du capital et du travail, ajoutant que « Fourier y ajoutait, non sans raison, le talent » [19].
Malgré le silence des archives sociétaires, sans doute est-il abonné à La Rénovation ; en tout cas, en 1900, il écrit au périodique pour exprimer son désaccord avec les articles signés « Sylvestre », de tonalité antisémite et xénophobe. Adolphe Alhaiza, directeur de la publication, présente ainsi sa lettre et son auteur.
M. Charles Corbeau, conseiller général de l’Eure, vieux phalanstérien de 87 ans […] n’aime pas à lire les articles de M. Sylvestre pour son antidreyfusisme. Laissons cela, de grâce, nous écrit-il [20].
Il reste cependant en relation avec la direction de La Rénovation et, quand Alhaiza soumet à ses lecteurs, en association avec l’École colinsienne, un projet de « nationalisation du sol », Charles Corbeau y adhère [21].
Favoriser l’instruction du peuple
Même si, sans doute dès le milieu ou la fin des années 1860, Corbeau renonce à l’enseignement et ne dirige plus d’établissement scolaire, il continue à s’intéresser aux questions éducatives. Dans les années 1880, il fonde la Ligue ébroïcienne de l’enseignement avec une bibliothèque : son but est « l’éducation de la classe ouvrière, mais le bourgeois [peut] également profiter de cette fondation » [22]. En novembre 1881, quelques mois après le vote par le conseil municipal de la construction d’un nouveau lycée de garçons (août 1881), il propose – il est alors premier adjoint – un vaste plan concernant « l’enseignement populaire », des écoles maternelles aux primaires supérieures et professionnelles. Il accorde une importance particulière à ces dernières, qui constituent « la création la plus utile, la plus désirable, la plus démocratique entre toutes », il pense que leurs meilleurs élèves « pourraient entrer de droit et gratuitement » dans la section de l’enseignement spécial du lycée d’Évreux, voire « être proposés, comme boursiers, à l’admission des écoles de l’État » [23]. La volonté d’améliorer la formation de la jeunesse se double d’une préoccupation de justice sociale :
Républicains, nous devons pratiquer, quoi qu’il arrive, les principes de justice sans distinction aucune ; si nos devanciers ont plus fait pour les classes dirigeantes ou privilégiées auxquelles ils appartenaient, nous devons, nous, réparer leur manque d’équité, et, tout en conservant nos principes, il est de notre devoir de rendre aux déshérités du passé la part qui jusqu’alors leur a été refusée, pour, autant que possible, rétablir cet équilibre social qui a toujours fait défaut dans les monarchies [24].
Devenu maire en mai 1882, il fait adopter une grande partie de ce plan par le conseil municipal qui décide également la création d’un lycée de jeunes filles en 1882 [25].
De même, au Conseil général, il participe activement aux commissions et aux débats concernant l’instruction ; il y présente en avril 1878 un projet prévoyant l’organisation de « conférences populaires » dans chaque chef-lieu de canton. Lors du débat qui suit, et alors que ses collègues manifestent des réticences envers ces manifestations et souhaitent les encadrer afin qu’elles ne coûtent pas trop cher et que les thèmes abordés soient très nettement circonscrits, il déclare :
Il y a, dans le peuple, des intelligences qui ne demanderaient pas mieux que de s’élever, mais qui ne le peuvent pas parce que l’enseignement supérieur leur est fermé. Il s’agit de donner un aliment à ces intelligences. Vous dépensez, par an, 54 millions pour l’instruction publique, dont 24 environ pour l’enseignement supérieur [en fait, secondaire] et à peu près autant pour l’enseignement élémentaire. Mais remarquez que le premier profite à 100 000 élèves à peine, quand le second s’adresse à plus de 4 millions d’individus. Il n’y a pas égalité. Qu’avez-vous, pour les enfants du peuple, à mettre en regard des collèges et des lycées ? Rien. À quatorze ans, notez-le bien, l’éducation de ces enfants est entièrement terminée, que voulez-vous que devienne ensuite leur intelligence ? » [26].
À l’un de ses collègues qui lui répond qu’« il y a les cours d’adultes » pour cultiver l’intelligence des milieux populaires, il rétorque :
Ce n’est pas là de l’enseignement supérieur. Dans les cours d’adultes, on n’apprend qu’à lire, à écrire, à compter. Les intelligences dont je parle ont besoin d’un enseignement plus élevé. Tant que vous ne créerez que des écoles primaires, le niveau intellectuel des habitants de la campagne restera le même, puisqu’à partir de l’âge de puberté, c’est-à-dire au moment où l’intelligence est formée et a le plus besoin d’être développée, ils ne trouvent aucun enseignement qui puisse augmenter la dose de leurs connaissances intellectuelles.
Ce que je demande pour rétablir un peu d’égalité entre les classes pauvres et les classes aisées, c’est un petit sacrifice de votre part, c’est la création d’une ou deux places de conférenciers, chargés par le département d’aller tour à tour dans les chefs-lieux de canton, aux jours et heures les plus propices, le dimanche, par exemple, après les offices, faire des leçons publiques [27].
Malgré le rejet de ce projet par la majorité du Conseil général, il continue dans les années suivantes à insister sur la question de l’égalité : en août 1881, il demande la création d’écoles supérieures et professionnelles pour les garçons et les filles dans les chefs-lieux d’arrondissement ; il souligne les différences entre les classes aisées dont les enfants vont dans les lycées et les facultés, et les « enfants des familles besogneuses » dont la scolarité s’arrête à l’école primaire.
Nous ne trouvons guère là, Messieurs, ce qu’on pourrait appeler la justice distributive […] On dépense des sommes importantes pour donner aux classes aisées une instruction supérieure, qui ne porte pas toujours tous ses fruits, et on ne songe pas à l’innombrable classe des producteurs, à cette classe qui crée nos richesses, et à laquelle on ne donne qu’une instruction tout-à-fait insuffisante. C’est cependant au même budget qu’on puise. Pourquoi cette inégalité ? » [28].
Dans les années suivantes, il continue à promouvoir l’enseignement primaire supérieur et professionnel, afin que la scolarité des enfants d’origine populaire aille au-delà de l’âge légal de 13 ans. Il oppose volontiers la générosité financière du département en faveur de l’enseignement secondaire à la faiblesse de ses efforts pour les classes populaires :
chez nous, la bourgeoisie a su s’octroyer une série complète d’établissements scolaires qui conduit ses enfants à une instruction véritablement supérieure ; je demande qu’on fasse aussi quelque chose pour la démocratie qui est par trop abandonnée [29].
En 1892, Il réclame de nouvelles bourses pour les garçons et les filles « de familles peu aisées » :
M. Corbeau a insisté sur la disproportion qu’il y avait de l’importance des encouragements conférés par le département en faveur de l’enseignement secondaire et la modicité de ceux consentis en faveur de l’enseignement primaire [30].
Deux ans plus tard, il propose « que le produit total des bourses secondaires et des bourses d’enseignement primaire soit totalisé pour être ensuite partagé par égale moitié entre les deux branches d’enseignement ». Ses collègues refusent ce calcul, mais votent deux bourses supplémentaires pour le primaire supérieur [31].
Il formule aussi des vœux pour l’amélioration de la situation des instituteurs et en particulier des institutrices [32].
Il représente le Conseil général au Conseil départemental de l’instruction publique, au conseil d’administration de l’École normale d’instituteurs et à celui de l’École normale d’institutrices de l’Eure. Il est aussi présent au conseil d’administration du lycée d’Évreux. En 1888, il est fait officier de l’instruction publique [33].
Il participe également à la vie associative locale ; il est membre de la Société des arts du département de l’Eure et siège à son comité d’administration de 1881 à 1883 [34]. Il fonde à Évreux au milieu des années 1890 un groupe de libre-pensée – « Science et raison » –, dont il prend la présidence avant d’en être nommé « président honoraire » [35].
Hommages
Le décès de Charles Corbeau suscite d’importantes nécrologies. Ses obsèques, civiles sont largement suivies par la population et relatées dans la presse. De nombreuses personnalités locales sont présentes, dont le préfet de l’Eure, le président du conseil général de l’Eure, le maire d’Évreux, l’inspecteur d’académie, etc. Sont aussi présents des parlementaires, des représentants de nombreuses associations d’Évreux, des délégations de la compagnie des sapeurs-pompiers et de sociétés de secours mutuels ; chaque école de la ville est représentée par des enfants. Différents discours sont prononcés, notamment par le préfet, un représentant du conseil général, un député, le maire d’Évreux, l’inspecteur d’académie, un représentant de la Ligue ébroïcienne de l’enseignement, etc. Les orateurs le présentent comme le « doyen de la démocratie » [36]. Parmi les discours prononcés sur la tombe, un retient particulièrement l’attention : le « testament » du défunt, lu à sa demande par l’un de ses anciens élèves. Selon Le Courrier de l’Eure, conservateur, il s’agit d’un texte « philosophique et religieux », dans lequel Corbeau expose longuement « ses rêveries humanitaires et ses idées sur l’au-delà » [37]. Il s’agit en fait de la reprise des opinions émises dans Ma foi humanitaire, telles que le refus de toute religion révélée, l’immortalité, les progrès de l’être humain, la société harmonieuse à venir grâce à la solidarité. Il se réclame d’un « socialisme évolutif » fondé sur la démocratie, l’association, la coopération et la solidarité, « quatrième vertu démocratique » qui devrait bientôt enrichir la devise républicaine. Ce « testament » est reproduit dans La Dépêche de Normandie. Dans les dernières phrases de son texte, Corbeau insiste sur l’importance du « travail devenu attrayant, comme l’a si bien indiqué Fourrier [sic] », en précisant : « dont j’étais un fervent disciple » [38].
Lors de la session du conseil général de l’Eure, le républicain modéré Victor Milliard, président de l’assemblée départementale, dresse le portrait de son ancien collègue :
Il jouissait de l’estime et du respect de tous. Il les devait non seulement à son grand âge, mais à l’unité et à la dignité de sa vie, à la sincérité de ses opinions politiques et philosophiques.
C’était une figure originale que celle de M. Corbeau, soit qu’on envisage en lui l’éducateur, l’homme politique ou le philosophe.
Éducateur, il l’était jusqu’aux moelles ; il l’a été jusqu’après sa mort, car le testament lu sur sa tombe d’après ses instructions par un de ses anciens élèves préférés était, comme il l’a dit lui-même, une leçon, sa dernière leçon.
[…] L’éducation était pour lui comme un apostolat : il ne se contentait pas d’instruire les élèves qui lui étaient confiés, et de développer leur intelligence. Il considérait aussi qu’il était de son devoir de former leur caractère et d’en faire de bons citoyens. […]
En politique, M. Corbeau n’était pas un combatif ; c’était le contraire d’un combatif, un contemplatif un peu rêveur.
Nous le savions démocrate, son testament nous l’a révélé socialiste.
Mais le socialisme de M. Corbeau n’était pas bien effrayant ; c’était un socialisme humanitaire et bienfaisant, n’ayant d’autre préoccupation que d’améliorer le sort des déshérités de ce monde par l’instruction, la moralisation et le vote de certaines lois d’assistance et de solidarité que nous serons tous prêts à voter le jour où nous pourrons le faire sans compromettre les finances de notre pays, c’est-à-dire sa puissance et son avenir.
Le socialisme de M. Corbeau ne ressemblait en rien à celui qui prêche la lutte et la haine des classes et qui veut conquérir les pouvoirs publics pour établir dans ce pays la pire des tyrannies : une société collectiviste.
C’était d’ailleurs un socialiste original que M. Corbeau : libéral et tolérant [39].
Le nom de Charles Corbeau est attribué à une rue d’Évreux en 1909.