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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Gallerand, Gabriel-Ernest
Article mis en ligne le 11 mars 2013
dernière modification le 22 mars 2013

par Guengant, Jean-Yves

Né le 21 février 1814, au Croisic, Loire-Inférieure (aujourd’hui Loire-Atlantique), décédé le 9 mars 1889 à Marseille, Bouches-du-Rhône. Professeur de lettres puis proviseur, ami de Jules Simon, fouriériste brestois.

Gabriel-Ernest Gallerand naît dans une famille de petits notables. Son père est percepteur et receveur communal. Licencié en lettres, il devient maître d’études au lycée de Pontivy (1832) puis de Rennes (1833-1834). Jules Simon fait la connaissance de Gallerand au collège de Vannes, où il est son condisciple. Jules Simon entretient avec lui une correspondance régulière [1]. Il estime que Gabriel Gallerand (seul le prénom Gabriel semble utilisé par les intimes) est l’un de ses deux meilleurs amis et il a hâte de le retrouver au lycée de Rennes :

Certes que je vous aime de cœur, j’ai besoin de vous donner cette assurance, car j’ai besoin d’espérer du retour. Il paraît que nous passerons l’année prochaine ensemble. Je bâtis mes rêves de bonheur sur le plaisir de notre intimité. J’espère trouver en votre commerce la sympathie, la douceur que je cherche en vain depuis longtemps. Nous essayerons au mois d’août puisque vous y consentez. Nous aurons tant de choses à nous dire. Les premiers moments s’écouleront vite. Je vous présenterai à vos futurs confrères. Ce sera pour moi, de toute l’année, le moment le plus agréable [2].

Leurs relations sont parfois ombrageuses, mais solides : Jules Simon est aussi excessif en amitié que Gallerand est taciturne et réservé, voire mélancolique :

Parlons de vous, mon chéri, mon bijou, mon petit mignon [3] (…) Qui ne vous aimerait pas, mon pauvre garçon, surtout quand vous n’avez pas de caprices et je dois dire, à votre grand honneur, que nous n’avons pas eu cette année le moindre reproche à vous adresser à ce sujet. Passez en paix et en repos la partie des vacances qui vous est laissée, donnez à votre famille et au travail les trois quarts de vos journées, gardez le dernier pour songer à Georges, et tâchez, dans les intervalles, de vous rappeler mon nom… Que je vous enjoigne de m’écrire sous peine d’encourir mon ressentiment et ne plaisantez pas avec moi, jeune homme. Qui ne veut pas mon amitié a ma haine. C’est beau et tragique et sentimental, c’est digne de moi. Je vous embrasse fort [4].

C’est à lui que Jules Simon confie ses impressions sur le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure, en 1833, puis décrit ses études parisiennes.

Gabriel, vous êtes le dernier ami que je me suis fait, nous sommes à chacun le dernier ami que nous nous sommes fait en entrant dans la vie sérieuse ; et croyons fermement, et disons maintenant avec conscience de ce que nous disons, que ce sera le seul sérieuse ; que les liaisons de la jeunesse, désillusionnées dès l’abord, et desséchées par un cérémonial, d’autant plus sot qu’il se croit le droit de mépriser et de traiter d’enfantillage l’enthousiasme si saint de l’amitié, que ces liaisons passagères ne seront pas pour nous un sentiment de toute la vie. On n’a qu’une fois un ami tel que vous l’êtes pour moi ; c’est à vous que je rattache maintenant tout ce qui m’est cher dans le passé, tous mes premiers rêves, toute la poésie de mon enfance ; et je voudrais que vous fussiez ici pour voir avec quelle confiance je le dis aussi, Gabriel vous n’aurez qu’une fois un ami tel que je le suis pour vous [5].

De 1833 à 1839, il exerce sa mission de professeur de littérature à Ajaccio et à Corte, en Corse. Il épouse à Ajaccio, Giovanna Maria Forcioli, le 30 avril 1836. En 1839, il est nommé professeur de rhétorique [6]. au collège municipal Joinville à Brest. Il y retrouve Jean-René Allanic [7], qu’avec Jules Simon, il avait croisé au collège de Vannes. Il occupe ce poste jusqu’à la rentrée scolaire 1848-1849 [8].

Le collège municipal Joinville ouvre en octobre 1839. Il est né des différentes pensions existant à Brest. Son personnel est donc hétéroclite : Gallerand fait partie des nouveaux professeurs issus des collèges municipaux. Au collège se constitue progressivement un groupe favorable aux idées fouriéristes, autour de Jean-René Allanic, le professeur de philosophie, et de Gallerand, professeur de rhétorique, Auguste Levot, professeur de lettres, l’économe Eugène-Aristide Contant, dont le frère, Etienne [9], est phalanstérien depuis 1836. En 1846, ils reçoivent le renfort de Thomas-Edward Balcam et Julien Chassevant [10]. Gallerand s’impose rapidement par la qualité de son enseignement. La Gazette de l’Instruction publique relate la première distribution des prix au collège en ces termes :

M. Cocagne, sous-préfet de Brest, présidait cette cérémonie, assisté de MM. Lettré, maire de Brest ; Boëlle, de Foullioy, membres de la commission administrative ; Alboise du Pujol, principal du Collège ; Lacrosse, député de Brest, et de presque toutes les autorités civiles, maritimes et militaires de la ville. M. Gallerand, professeur de rhétorique, a ouvert la séance par un discours sagement pensé et élégamment écrit [11].

Le journal L’Armoricain signale que lors de cette cérémonie « tous les éléments de la civilisation ont été représentés à cette solennité, excepté la religion, cette base première de toute éducation. Ses ministres, cédant à des scrupules que chacun comprendra, se sont abstenus de paraître sur le théâtre où, quelques heures auparavant, on jouait Les Trois Épiciers. si ce n’est toutefois l’aumônier du Collège, M. Cuzon, que nous félicitons d’avoir su concilier ses obligations de fonctionnaire public et ce qu’il devait à son caractère sacré, en n’y paraissant que revêtu d’un habit laïque » [12]. Le conflit entre laïcs et religieux est déjà au cœur du collège municipal. Ses professeurs sont particulièrement observés par l’abbé Cuzon, ancien vicaire de la paroisse de Brest et nouvel aumônier du collège, qui informe régulièrement l’évêque de Quimper des déviations possibles. Il a en charge l’instruction religieuse des élèves, mais s’octroie le contrôle des âmes de l’ensemble du collège. D’une orthodoxie sans faille dans une ville irréligieuse, Cuzon s’oppose violement aux enseignants issus de l’Université, Allanic et Gallerand, qui développent leurs thèses fouriéristes. Le conflit éclate dès 1841, et Cuzon s’empresse d’en informer l’évêque [13]. Catholique et fouriériste, Gallerand s’affirme partisan de Victor Considerant, écrit l’abbé Cuzon à l’évêque [14], en 1841. Au même moment, à Tréflez, Louis Rousseau vient d’abjurer le fouriérisme, et publie dans la revue L’Université catholique une attaque violente contre les dérives de la théorie de Fourier [15], qui a apporté, selon Rousseau « autant d’ivraie que de froment ».

Le débat entre l’aumônier du collège Joinville et les deux professeurs ne semble pas avoir porté ses fruits, car en janvier 1843, Cuzon attaque de nouveau Allanic, qui « prêche définitivement ses erreurs fouriéristes en classe » [16]. En septembre 1843, Cuzon note que les dérives fouriéristes semblent être désormais contenues [17] et cite un courrier du ministre qui appelle à la prudence et à la réserve les professeurs de philosophie, preuve d’une surveillance sans relâche. Il surveille également la bibliothèque du collège, qu’il croit « infestée d’ouvrages dangereux. Les élèves de philosophie et de rhétorique (ceux d’Allanic et de Gallerand) les emportent à la salle d’études [18], aux dires du bibliothécaire.

En mai 1844, le recteur d’académie séjourne plusieurs jours au collège, et en profite pour remettre de l’ordre parmi le corps professoral, ce dont se réjouit Cuzon [19] : « le professeur de rhétorique (Gallerand) m’a fait demander Saint Basile ». L’aumônier pense que les fouriéristes ont rejoint le giron du catholicisme. Malgré ce harcèlement quotidien, Cuzon n’arrive pas à empêcher les idées philosophiques nouvelles de se répandre parmi les élèves, reconnaissant « leur peu de piété » [20].

Gallerand semble alors ne pas participer à la structuration du groupe phalanstérien brestois. Il ne s’inscrit pas non plus à la Société d’émulation, lieu privilégié de l’action sociale et politique à Brest. En 1848, Gallerand accède au poste de censeur, au lycée de La Rochelle. Entré dans l’administration, il connaît de multiples postes : en février 1853, il revient à Brest, où le collège Joinville a été remplacé par un lycée d’Etat ; en 1855, il est censeur à Metz, 1857, et en 1857 proviseur à Angers. L’année suivante, il est à Nantes [21]. Il revient en Corse en 1862, comme vice-recteur. Ses deux derniers postes sont les lycées de Nice – actuel lycée Masséna – (1871) où il entre en conflit avec la municipalité, enfin Marseille – actuel lycée Thiers – (1880). Gallerand agit pour améliorer le sort des élèves et des maîtres, notamment des écoles primaires, annexées alors aux lycées, en diminuant leurs charges de travail. Il favorise l’éducation sportive, dont il veut étendre la pratique à tous les élèves, externes comme internes. Après sa retraite en 1883, il s’occupe activement du bureau de bienfaisance et du Mont-de-Piété de Marseille. C’est d’une pneumonie qu’il meurt le 9 mars 1889.