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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Blanchemain, Edmond (Léocade)
Article mis en ligne le 21 décembre 2011
dernière modification le 28 août 2012

par Desmars, Bernard

Né le 28 octobre 1804, à Rouen (Seine-Maritime), décédé à Avesnes-sur-Helpe (Nord), en février 1834. Officier du génie.

Edmond Blanchemain est le fils d’un négociant de Rouen. En 1824, il entre à l’Ecole polytechnique ; puis il rejoint l’Ecole du génie à Metz en 1827. En 1832, il est affecté à la garnison d’Avesnes-sur-Helpe (Nord), comme lieutenant.

Sans doute est-ce à l’Ecole polytechnique qu’il a connu Abel Transon, qu’il qualifie de « camarade » dans une lettre d’avril 1832, et auquel il parle de son abonnement au futur organe de l’Ecole, Le Phalanstère [1].

Lectures de Fourier : psychologie et mathématiques

En 1833, il écrit à Fourier pour lui demander des éclaircissements sur la théorie et sur certains passages du Traité de l’Association domestique agricole ou du Nouveau Monde Industriel, les livres qu’il cite dans son courrier. Ces précisions seront utiles « dans les conversations journalières que j’ai sur votre admirable découverte. Je suis encore à me demander comment il se fait qu’il y ait si peu de monde assez de bonne foi pour reconnaître la vérité de votre organisation sociale. [...] et quel tressaillement de plaisir n’éprouve-t-on pas quand, à mesure que l’on avance, on reconnaît de plus en plus que nous sommes actuellement dévoyés de notre destin et qu’infailliblement, nous devons être réhabilités d’ici à peu de temps » [2].

Sa correspondance permet d’examiner la façon dont il reçoit et s’approprie la théorie sociétaire. Tout d’abord, il utilise le système des analogies pour se livrer à une introspection psychologique et pour examiner ses goûts et ses plaisirs, ceux « pour l’exercice desquels la nature [lui] a donné un penchant irrésistible » dès son enfance ; « la cueillette, la pâture, l’insouciance et le vol extérieur [c’est-à-dire le chapardage dans les vignes] [...] la gourmandise » , et aussi son « antipathie profonde pour la chasse et la pêche » ; « ne dois-je inférer de là que j’avais au moins quatre dominantes : l’amitié l’amour, la papillonne et la composite, et que le famillisme, l’ambition et la cabaliste sont presque nulles chez moi » [3].

Ensuite, toujours d’après sa correspondance, Blanchemain lit Fourier à la lumière des connaissances en mathématiques et en géométrie qu’il a pu acquérir lors de ses études. « Vous ne sauriez croire quel plaisir me procurerait la science des analogies, car je me rappelle encore combien était délicieuse pour moi l’étude de la géométrie analytique, par cela même qu’elle reproduisait aux yeux de tous les beaux résultats de l’analyse algébrique et du calcul infinitésimal ; aussi ai-je relu plus de vingt fois le citer de vos cislégomènes qui traite de cette matière ; veuillez donc je vous prie m’initier un peu dans l’étude des comparaisons : par exemple, la passion amour a pour type l’ellipse ; toutes ses propriétés sont calquées sur celles de cette courbe ; d’après cela, que représentent les deux rayons vecteurs menés des foyers à un point quelconque de la courbe ? que représentent la tangente et la normale ? quelle est dans la passion la propriété analogue à celle dont jouissent les rayons vecteurs, dont la somme est constante et égale au grand axe, qui font avec la tangente des angles égaux ou l’angle d’incidence égal à l’angle de réflexion ? [...] Pourquoi l’amour, l’amitié et l’ambition sont-elles calquées sur des courbes à centre, tandis que le famillisme est calqué sur une courbe qui en est privée ou qui n’en a un qu’à l’infini ; la parabole est une courbe transitoire entre l’ellipse et l’hyperbole comme on peut s’en assurer sans calcul en coupant un cône droit par un plan et faisant pivoter ce plan de manière que la courbe d’intersection soit d’abord un cercle, puis une ellipse, puis une parabole, puis une hyperbole : l’ellipse est de même une courbe de transition entre le cercle et la parabole. Serait-il vrai d’après cela que l’amour peut être considéré comme passion de transition entre l’amitié et le famillisme et le famillisme comme passion de transition entre l’amour et l’ambition ? [...] » [4].

Polémique sur le suicide d’un phalanstérien

Le 15 février, Blanchemain écrit à Fourier : « Monsieur, je suis si profondément convaincu de la vérité de vos théories sur l’immortalité et je me trouve en même temps si malheureux en ce monde que je préfère aller dans l’autre partager les privations et l’inquiétude de ceux qui y sont ; ce qui m’y engage encore, c’est que je pense que les trois sociétés lymbiques et la sauvagerie approchent définitivement de leur temps et que même elles n’ont plus que très peu de temps à subsister. Je n’ai pas voulu faire cet acte important de ma vie sans en écrire quelques mots à celui qui m’a mis sur la voie de la lumière » [5]. Le 20 février, le Courrier du Nord relate « un événement tragique [qui] vient de mettre en émoi toute la petite ville d’Avesnes. Un jeune officier sorti récemment de l’Ecole polytechnique, et résidant à Avesnes, vient de s’y donner la mort. Il s’est rendu sur le rempart, y a étendu son manteau, s’est assis dessus et s’est placé un pistolet dans la bouche. Il avait un second pistolet près de lui. On a trouvé dans sa chambre un billet ainsi conçu : ‘’je désire que l’on écrive sur ma tombe : Ici repose la dépouille mortelle d’un phalanstérien’’ » [6].

Cette information est reprise par plusieurs organes qui attribuent le suicide de Blanchemain à « l’exaltation que paraît avoir causée Le Phalanstère, nouveau système d’économie politique, qui faisait partie de ses études et de ses méditations ».

Fourier proteste dans le journal Le Phalanstère contre ces articles ; il assure, en se référant à la lettre qu’il a reçue de Blanchemain, que celui-ci « s’est tué par suite d’une infirmité incurable qui, dans certains cas, devait lui rendre la vie à charge » [7]. Mais « comme la calomnie est toujours bienvenue en France, on s’autorise de ce fâcheux événement pour insinuer que ma doctrine de réforme industrielle excite au suicide » ; alors que, poursuit Fourier, « quelle doctrine est plus efficace pour prévenir le suicide que la mienne, démontrant que le genre humain peut, au bout de trois mois, passer tout entier à un grand bonheur, si l’on trouve un homme qui veuille faire l’essai démonstratif de la destinée sociétaire, ou mécanisme des passions et instincts appliqués à l’industrie combinée ? ».