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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Dorian, (Pierre,) Frédéric
Article mis en ligne le 9 septembre 2011
dernière modification le 10 septembre 2011

par Cordillot, Michel, Desmars, Bernard

Né à Montbéliard le 24 janvier 1814, mort à Paris le 14 avril 1873. Ingénieur-entrepreneur, fouriériste proche de Considerant, républicain laïque et non-violent. Conseiller général et député de la Loire, ministre des Travaux publics du gouvernement de la Défense nationale (1870-71).

Frédéric Dorian en 1870
Photo Reutlinger Paris, collection personnelle

Né à Montbéliard le 24 janvier 1814, Frédéric Dorian est issu d’une famille appartenant à la petite bourgeoisie protestante dont les ancêtres ont fui les Cévennes après la révocation de l’Édit de Nantes. Au début du XIXe siècle, ses parents possédent une forge et un martinet où sont fabriqués des outils agricoles. Son père étant mort prématurément, Frédéric Dorian connaît une scolarité agitée, d’abord au collège de Montbéliard, puis au lycée de Nancy, avant de faire une dernière année d’étude à l’école des mineurs de Saint-Étienne en 1831-1832. Sa mère lui achète alors en 1834 la petite usine des Balaires dans la vallée de Rochetaillée (commune de Valbenoîte, Loire). Mais le jeune Dorian a d’autres projets. Ayant découvert le fouriérisme, il noue avec Victor Considerant des liens d’amitié qui durent toute sa vie. C’est ainsi que durant l’été 1833, il est amené à participer aux côtés de celui-ci à la tentative de sauvetage de la première expérience phalanstérienne de Condé-sur-Vesgre (il s’y voit confier la conduite d’un attelage de bœufs). Mais il est déjà trop tard, et elle échoue rapidement. Cet échec n’affecte toutefois pas les convictions fouriéristes de Dorian : lorsque Considerant lance en 1836 le journal La Phalange, il est l’un de ses pricipaux bailleurs de fonds, lui versant 2 500 francs. La même année, pour ses débuts en politique, Considerant se présente à la députation à Montbéliard, dans la circonscription électorale de Dorian. En dépit du soutien de celui-ci, Considerant ne recueille que 21 voix, contre 103 au député sortant Silas Tourangin.
Parallèlement à son engagement en politique, Frédéric Dorian se lance dans une carrière d’ingénieur-entrepreneur. Remarqué par le propriétaire pour lequel il travaille comme commis aux forges de Montagney (Haute-Sône), il se voit proposer la direction des Forges de la Romaine, puis celle des aciéries de Fraisans (1841-1843). Il retourne cette même année à Saint-Étienne, où il s’associe à Paul Dumaine pour fonder une fabrique de faux et de faucilles. En juin 1846, la société en nom collectif se transforme en commandite simple sous la raison Dumaine, Dorian et cie. À son apogée dans les années 1860, elle emploie 80 ouvriers et reçoit une médaille d’argent à l’Exposition de 1867.
Patron entreprenant, Dorian se lie avec le patriciat industriel de Saint-Étienne, qui est souvent de confession protestante. C’était notamment le cas d’une famille de maîtres de forges d’Unieux, les Holtzer, dont il épouse la fille Caroline le 19 septembre 1849. Dorian entame alors une politique d’acquisition industrielle en partenariat avec son beau-père Jacob, si bien qu’il se trouve à la tête d’un petit empire industriel à la mort de celui-ci.
Pour autant Dorian n’a pas renoncé à ses convictions fouriéristes, et son ascension industrielle lui donne l’occasion de mettre en pratiques certaines de ses idées progressistes. Il construit des logements sociaux pour ses ouvriers (appelés « la Caserne »), ouvre une école gratuite pour le personnel ainsi qu’une bibliothèque, encourage la création d’une caisse de secours mutuels et même d’une fanfare. Il est par ailleurs membre de la Société Franklin, fondée en 1862 par « la fine fleur de la bourgeoisie éclairée », afin de stimuler le développement de bibliothèques populaires partout en France, et qui compte de nombreux fouriéristes pami ses membres. Il figure aussi, avec Pierre Joigneaux, Abel Davaud, Antoine Claude Favelier et quelques autres, au nombre des fondateurs de la société coopérative de consommation parisienne inspirée à la fois par le fouriérisme et les principes de Rochdale La Sincérité (qui succéde en 1866 à l’Association générale d’approvisionnement et de consommation, fondée en 1864 et dissoute en 1865 ou 1866).
Républicain de cœur, il exerce des fonctions municipales à Valbenoîte (1847-1851). Hostile au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, il se retire de la vie politique après le 2 décembre. Lorsque le régime entre dans une phase de libéralisation, il se résigne à prêter serment. Il est alors nommé maire d’Unieux (1860-1865) et élu conseiller général (1867-1873).
Il entame une carrière politique nationale en se présentant aux élections législatives de juin 1863 dans la 2e circonsciption de la Loire contre le candidat officiel. Contre toute attente il est élu, avec 7 232 voix sur 15 296 votants (51,8 %). Il a réalise notamment un bon score dans les cantons ouvriers, les mineurs, encouragés par Michel Rondet, ayant voté pour lui. Dorian rejoint donc la petite cohorte des députés républicains au Corps légistlatif (17 sur 263).
Lors des élections législatives de 1869, Dorian s’érige localement en porte-parole de l’opposition radicale en lançant un nouveau quotidien, L’Éclaireur, journal démocratique de Saint-Étienne et du département de la Loire, dont le programme affiché anticipe sur le programme de Belleville de Gambetta en exigeant le rétablissement des libertés fondamentales (liberté de la presse, droit de réunion...), la séparation de l’Église et de l’État, une refonte plus juste des impôts, la transformation des armées permanentes en milices nationales défensives, ainsi que la mise en place d’un système d’instruction primaire gratuit et obligatoire. Candidat de la gauche républicaine, Dorian l’emporte aisément, recueillant 11 239 voix (63 % des votants), contre 4 308 pour le marquis Vital de Rochetaillé, et 1797 voix pour le candidat d’extrême-gauche Antide Martin. De nombreuses manifestations de joie saluent la victoire de Dorian, seul élu républicain de la Loire. Peu après un mouvement de grève des mineurs éclate dans la circonscription voisine, où le candidat conservateur l’a emporté contre l’ancien Représentant de 1848 César Bertholon. Il se termine le 16 juin par une fusillade tragique à La Ricamarie au cours de laquelle 14 grévistes perdent la vie. Dorian et sa famille versent 500 francs à la collecte au profit des victimes.
Au Corps législatif, Dorian vote avec la gauche. Mais le parti républicain est traversé par des dissensions internes. Le 15 novembre 1869, Dorian signe le manifeste des 28 députés qui souhaitent se désolidariser de l’extrême-gauche révolutionnaire et radicale. Le 19 avril 1870, il signe pour la même raison le manifeste de la « gauche fermée ». Il se prononce pour le « non » au plébiscite de mai 1870, et il est sans doute entendu, puisque Saint-Étienne vote « non » à 77,2 %. Quelques semaines plus tard, il vote contre la déclaration de guerre.
Le 5 septembre, au lendemain de la proclamation de la République, Dorian devient ministre dans le Gouvernement de la Défense nationale. Il est chargé du portefeuille technique des Travaux publics. Il s’emploie énergiquement à développer les industries de guerre, et en particulier l’armement de la capitale assiégée, en se réclamant de la tradition de la Patrie en danger. Cela lui vaut une immense popularité dans les milieux populaires, tandis que la méfiance monte à l’égard des autres membres du gouvernement soupçonnés d’être prêts à capituler. Sollicité par Considerant qui, de retour à Paris depuis quelques mois après son long exil américain, a aussitôt renoué des liens d’amitié avec la famille Dorian, il lui offre la possibilité d’exposer le 19 septembre devant une délégation de membres du gouvernement son plan de paix immédiate.
Lors de la « journée » du 31 octobre, le nom de Dorian figure au centre de toutes les propositions de possibles futurs gouvernements soumis à l’approbation de la foule massée devant l’Hôtel de Ville. Dans la nuit, il est l’un des protagonistes du dénouement pacifique de l’événement, sortant le premier de l’Hôtel de Ville en donnant le bras à Charles Delescluze, suivi par son collègue fouriériste Tamisier, qui donne le bras à Auguste Blanqui. Dès le lendemain, Victor Considerant lui adresse une longue lettre dans laquelle il lui dit que pour conserver la confiance du peuple, il faut qu’il prenne personnellement en main la défense de Paris : « Ton nom est le seul qui inspirera en ce moment confiance quasi universelle. Conséquemment tu es pour le moment à toi tout seul, le gouvernement réel et légitime. »
Mais Considerant, qui est régulièrement invité à manger par les Dorian avec son épouse, se trompe sur la détermination de son ami à mener la lutte à outrance que réclament les éléments les plus radicaux. En dépit de son patriotisme résolu, Dorian partage le sentiment de la plupart de ses collègues du gouvernement qui pensent que la guerre est perdue, et qu’il faut y mettre un terme dans les meilleures conditions possibles pour éviter des désordres violents. Jules Favre, qui ne s’y trompe pas, utilise le prestige que Dorian a gardé dans les milieux populaires en l’associant aux négociations destinées à fixer les conditions de la capitulation de Paris entamées le 25 janvier 1871, au lendemain de l’ultime tentative manquée des révolutionnaires parisiens pour prendre le pouvoir (22 janvier). Il est alors très brièvement ministre de l’Instruction publique, puis du Commerce (1er et 2 février), et les supplications que lui adresse Considerant de se dissocier d’un accord jugé « ignoble » restent vaines.
Aux élections législatives de février, Dorian est élu dans deux départements, la Seine et la Loire. Dans celui-ci, il est le seul républicain à l’emporter (les 11 autres élus sont tous des conservateurs déclarés). Il a bénéficié du soutien des modérés regroupés autour de L’Éclaireur, mais aussi de celui du très révolutionnaire « Club de la Vierge ». À l’Assemblée, il s’oppose fermement à la majorité royaliste, votant contre le rétablissement des prières publiques et pour le retour des parlementaires à Paris.
Au lendemain du soulèvement parisien du 18 mars, alors que des tractations sont en cours entre les élus et le Comité central de la Garde nationale, l’assemblée des maires envisage un instant de le désigner comme Maire de Paris. Mais face à l’obstination de Thiers, les discussions échouent et la Commune est proclamée. Désabusé et pressentant le pire, Dorian se retire dans le département de la Loire, dont il présidait le Conseil général, se réfugiant dans le silence. Cela n’empêche pas Considerant de le solliciter pour intervenir en faveur de Gustave Courbet au moment du procès de celui-ci. La dernière action politique publique de Dorian est le lancement en 1872 d’une pétition pour exiger la dissolution d’une Assemblée nationale jugée trop royaliste. Son journal L’Éclaireur est alors saisi et doit cesser de paraître le 28 juin 1872. À cette date, il est toujours actionnaire de la Librairie des sciences sociales. Il est également actionnaire (à hauteur de 1000 francs) du Pensionnat sociétaire de jeunes filles du Petit-Château, à Monthiers (Aisne), dont Jean Macé est le directeur, et qui accueille ses premières élèves à l’automne 1872 ; il s’agit pour Jean Macé de continuer ce qu’il a fait à Beblenheim, désormais dans l’Alsace annexée.
Frédéric Dorian meurt à Paris le 14 avril 1873. Tandis que Le Mémorial de la Loire le qualifie de « chef ostensible du parti radical » (15 avril 1873), Victor Considerant lui rend un émouvant hommage dans une lettre tardive (1892) : « Je revois Dorian, cœur d’or entre tous, si constant, si dévoué, si sûr et en même temps si aimable et si gai : c’était le prince charmant de notre jeunesse. »
Un monument réalisé par Aimé Millet est élevé sur la tombe de Dorian au Père-Lachaise. Il est solennellement inauguré le 26 juin 1875. Deux autres statues lui sont élevées, l’une à Saint-Étienne (inaugurée le 16 juillet 1905), l’autre à Montbéliard.
Frédéric Dorian a quatre enfants avec son épouse Caroline : Berthe, morte à 15 ans, Aline, qui devient célèbre après avoir épousé Paul-François Ménard, Charles et Daniel, tous deux députés de la Loire.