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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Destrem, Hippolyte
Article mis en ligne le 8 décembre 2010
dernière modification le 12 décembre 2010

par Desmars, Bernard

Né le 20 janvier 1816 à Carcassonne (Aude). Décédé le 29 juin 1894 à Paris. Employé, puis directeur de banque. Garantiste, à la tête de l’Ecole sociétaire de la fin des années 1880 jusqu’en 1894.

Hippolyte Destrem, fils de Etienne-Marie Destrem, commis négociant et de Suzanne-Louis Gout, est le petit-fils d’Hugues Destrem, membre du Conseil des Cinq Cents exilé par Bonaparte après le coup d’Etat du 18 brumaire an VIII.
Travaillant dès l’âge de 17 ans dans une banque de province, il est ensuite employé à Paris pendant quelques années par la maison Laffitte, puis il exerce des responsabilités dans différents établissements financiers.

Un engagement fouriériste limité, à partir des années 1840

Dans les années 1840, il participe aux activités du mouvement sociétaire ; il est mentionné sur la liste des collaborateurs de La Démocratie pacifique en 1843, 1844 et 1847 ; il est notamment l’auteur d’articles traitant de questions économiques (« Situation financière », n°22, 23 et 64, en janvier et mars 1847 ; « Les banques », n°42, février 1848 ; « Les peureux et les habiles de bourse », n°63, mars 1848). Cette participation reste cependant modeste et il ne joue pas un rôle prépondérant au sein de l’Ecole. Partisan d’un fouriérisme garantiste, selon lequel le développement des coopératives et des mutuelles constitue la voie la plus sûre du changement social, il est défavorable aux essais phalanstériens et assez méfiant envers l’engagement de l’Ecole dans le champ politique.
Dès 1848, Destrem s’éloigne des milieux phalanstériens. Il reste à l’écart de la tentative d’installation au Texas et ne semble plus fréquenter ce qui subsiste de l’Ecole sociétaire dans les années 1850. Au début des années 1860, il collabore à L’Economiste français, un périodique fondé en 1861 par Jules Duval, son ancien condisciple ; il y publie des articles sur le budget, les impôts, le commerce, les banques. Destrem ne semble pas contribuer à la reconstitution du mouvement sociétaire, que Barrier tente de réaliser autour de 1865. Il participe certes à des réunions qui ont lieu le mercredi soir à la Librairie des sciences sociales, et y expose « l’action envahissante de la féodalité financière » [1]. Mais il ne figure ni parmi les actionnaires de la nouvelle société, ni parmi les orateurs des banquets du 7 avril, ni parmi les collaborateurs de la nouvelle revue, La Science sociale, sinon sous la forme d’une lettre ; il y évoque « le maître justement vénéré » dont l’Ecole procède « en droite ligne », tandis que lui-même adopte « comme démontrées beaucoup d’idées essentielles [de Fourier], en attendant que ses autres idées soient soumises au contrôle d’une expérience très désirable » [2].
Sous le Second Empire, il est à la tête d’un modeste établissement bancaire, la maison Destrem-Mallet [3] ; il s’occupe en particulier d’investissements en Espagne (pour le financement des chemins de fer, et en particulier de la ligne Lérida-Reuss-Tarragone) et au Mexique. Il publie plusieurs brochures sur ces questions financières, s’intéressant surtout aux institutions de crédit et à leur réforme : il est l’auteur dans les années 1860 d’un projet de « caisse générale de prêts sur titre » qu’il adresse notamment au gouvernement et à Isaac Péreire, l’un des rénovateurs du système bancaire sous le Second Empire. Ses investissements au Mexique et en Espagne, ont semble-t-il provoqué quelques revers financiers. Il cesse apparemment ses activités bancaires dans la seconde moitié des années 1860.

Un éloignement théorique et pratique du fouriérisme

Il devient à cette époque un publiciste, qui s’exprime dans des revues, brochures et livres. Il élabore sa propre doctrine, « le logico-juridisme », qui prétend réaliser une synthèse des grands penseurs (Fourier parmi beaucoup d’autres), synthèse dont on pourrait tirer quelques principes et objectifs consensuels parce que « logiques » ; en s’appuyant sur ces principes et en agissant par le droit (plutôt que par des mouvements révolutionnaires), on pourrait ainsi selon Destrem parvenir à des changements sociaux qui profiteraient à tous. Pour diffuser cette doctrine, il publie une revue, La Rénovation européenne par la logique et le droit, dont il est le principal rédacteur et qui ne paraît que d’avril à décembre 1869 [4]. Il prévoit aussi la création d’une « ligue ou association pacifique ayant pour but la transformation sociale par la légalité et la concorde », aussi éloignée du « Conservatorisme immobiliste » que du « Révolutonnarisme simpliste » [5].
Après la chute de l’Empire, l’instauration d’un gouvernement provisoire et la Commune, il essaie d’intervenir dans la vie politique, d’abord en publiant Perte ou salut de la France, puis en se présentant à une élection législative partielle, en juillet 1871 à Paris, comme « banquier, publiciste, candidat républicain » ; sa profession de foi est très vague (« Progrès régulier et continu », « Facilites à l’industrie et au commerce ») [6]. Il annonce en 1873 la publication d’un nouveau périodique, La Conscience publique, qui semble être demeuré à l’état de projet [7]. Il continue dans les années suivantes à publier des textes, rédigés généralement dans un style très emphatique. En 1881, dans La Future constitution de la France ou les lois morales de l’ordre politique, il propose une révision constitutionnelle (thème repris dans deux brochures publiées en 1884). Si, dans ces ouvrages, il lui arrive d’évoquer des idées de Fourier, celui-ci ne constitue qu’une référence parmi d’autres. On ne le voit d’ailleurs pas, pendant ces années 1870 et le début des années 1880 participer aux activités fouriéristes (le congrès phalanstérien de 1872, Le Bulletin du mouvement social, La Revue du mouvement social, les banquets du 7 avril...)
Dans les années 1880, Destrem participe par ailleurs au mouvement pacifiste ; il est membre de la Société française d’arbitrage entre les nations de Frédéric Passy, préside le comité de Paris de la Fédération pour la paix et l’arbitrage, dirige un moment le périodique L’Arbitre, où il travaille avec le pacifiste anglais Hodgson Pratt. Il est également lié dans les années 1880 au projet « synarchique » de Saint-Yves d’Alveydre, qui a pour but la rénovation du système institutionnel français et l’unité de l’Europe ; il préside alors le bureau du Syndicat de la presse économique et professionnelle, constitué en groupe de pression afin d’intervenir auprès des élites dirigeantes, politiques, économiques, intellectuelles. Cette association disparaît en 1888 [8].

A la tête de la dernière revue fouriériste, vers 1890

Au milieu des années 1880, alors que le mouvement fouriériste semble être épuisé et voué à une prochaine disparition, quelques disciples persistent dans leur volonté de réaliser un essai phalanstérien. L’un d’entre eux, Etienne Barat, est à l’origine d’une Ligue du progrès social, qui a pour objectif la formation d’une association agricole et domestique et son installation dans un domaine foncier. Barat est à la recherche de personnalités pouvant élargir l’audience de ce projet. Il a apparemment travaillé dans un établissement bancaire avec Destrem. Ce dernier, pourtant sceptique envers tout ce qui peut ressembler à une ébauche de phalanstère rejoint la Ligue. Il en devient immédiatement le principal animateur, présidant ses réunions et surtout réorientant son activité, non plus vers la réalisation d’un « essai agricole », mais vers la propagande et en faveur d’un fouriérisme garantiste. Il crée une revue mensuelle, La Rénovation. Organe de la conciliation sociale et des doctrines d’association, qui paraît à partir de 1888 et qu’il complète bientôt par deux suppléments, d’une part un organe pacifiste, L’Unité humaine, et d’autre part La Femme dans les temps nouveaux, périodiques dont il est le propriétaire, directeur et principal rédacteur ; il organise des conférences, publie des brochures (par exemple, La Rénovation politique mise à la portée de tous. Résumé synthétique par demandes et réponses, 1893), crée plusieurs associations (Société de la paix perpétuelle par la justice internationale, Association pour la solution pacifique des conflits sociaux), toutes destinées à diffuser des idées d’inspiration plus ou moins fouriéristes. Il intervient auprès de députés afin d’obtenir la discussion de plusieurs projets de loi, dont l’un sur la législation du travail. De façon générale, il aime à mettre en avant ses relations avec le monde politique et intellectuel (par exemple le philosophe Adolphe Franck).
Cependant, Destrem ne réussit pas à élargir l’audience de la Ligue du progrès social, qui reprend bientôt le nom d’École sociétaire. Tout d’abord, les fouriéristes survivants sont peu nombreux à le rejoindre ; il se prévaut certes de sa collaboration à La Démocratie pacifique et de relations avec Considerant (notamment dans le discours qu’il prononce lors de ses obsèques en 1893) ; mais celui-ci, ainsi que d’autres anciens disciples de Fourier ne s’associent à aucune des manifestations organisées par l’Ecole sociétaire de Destrem, ni n’écrivent dans La Rénovation ou l’un de ses suppléments. Même si Destrem évoque régulièrement son adhésion au fouriérisme dès la monarchie de Juillet, son parcours ultérieur et l’orientation qu’il donne au mouvement sociétaire semblent l’avoir éloigné de plusieurs anciens fouriéristes. D’autre part, il ne parvient pas renouveler les effectifs de l’Ecole (Alhaiza, son successeur à la tête de La Rénovation est l’un des seuls nouveaux adhérents, et sa présence est très discutée par ses condisciples), ni à établir des liens avec d’autres composantes du mouvement social. Au fil des ans, sans véritables perspectives et constituée de vieux militants, l’Ecole perd ses forces. Destrem lui-même meurt le 29 juin 1894.
Adolphe Alhaiza, à qui il a légué La Rénovation, malgré les contestations de certains disciples, lui attribue - indûment - un rôle très important dans l’histoire de l’Ecole sociétaire, puisque dans les colonnes de la revue ou lors des banquets du 7 avril, il associe régulièrement le nom de Destrem à ceux de Fourier et Considerant, le premier apparaissant presqu’aussi important que les deux suivants dans ses propos.

Portrait de Destrem
La Rénovation, 30 juin 1897