On ne peut parler pour le Jura d’un fouriérisme bien vivant au tournant des XIXe et XXe siècles, mais plutôt d’une mémoire entretenue, de références, d’une influence diffuse via le syndicalisme paysan naissant ou les fruitières fromagères et viticoles. Deux députés du Jura entretiennent la flamme. Victor Poupin (1838-1906) lié à la ligue de l’enseignement, proche de Wladimir Gagneur, publie en 1892 dans La démocratie jurassienne un dernier texte de Considerant intitulé « le problème social ». Georges Trouillot (1851-1916), rapporteur de la loi sur les associations de 1901, patronne l’association pour l’édification d’une sculpture à la mémoire de Considerant à Salins. Militants laïques, ils trouvent peut-être dans cette référence une dimension morale et sociale dont la République laïque en construction a besoin.
Il existe une vue un peu sommaire voulant qu’en 1849 le fouriérisme ait sombré définitivement avec armes et bagages. Il nous semble toutefois qu’une piste intéressante est d’essayer de voir comment ce mouvement d’idées s’est prolongé de manière diffuse, comment il a pu nourrir une pensée politique, voire des actions, ou tout au moins servir de référence, longtemps encore après l’épisode dramatique de juin 1849. De ce point de vue, le Jura forme certainement un observatoire privilégié. Nous prendrons garde au fait que le particularisme jurassien est peut-être aussi un peu déformant. En tout cas, dans le Jura, dont Considerant et un certain nombre de personnalités qui l’ont suivi étaient originaires, il existe une actualité fouriériste bien vivante au tournant des XIXe et XXe siècles. C’est ce que nous voudrions montrer. En somme, nous souhaitons essayer de reconstituer la chaîne de transmission de l’idée fouriériste entre générations militantes. Nous verrons ici que la mémoire de celui qui a été le chef de l’école sociétaire est entretenue.
L’idée associative n’est pas morte
Deux personnalités jurassiennes ont contribué à nourrir la flamme associative. L’une et l’autre ont d’ailleurs été formées à la source même du fouriérisme ; l’une et l’autre ont connu Fourier et Considerant. De plus, ces deux personnalités se connaissent et se côtoient au sein d’une société érudite, la Société d’agriculture, des sciences et des arts de Poligny [1].
Wladimir Gagneur (1807-1889), est une personnalité connue. On sait qu’il a très tôt tenté d’illustrer l’idée associative. Dès 1839, il publiait une brochure intitulée Des fruitières, ou Associations domestiques pour la fabrication du fromage de gruyère. Mais ce qui nous intéresse ici est l’action de cette personnalité à la fin de sa vie, et la manière dont il prolonge son engagement de jeunesse. Il n’a pas renoncé à l’idée associative et continue à s’en faire le propagandiste dans une perspective de modernisation de l’agriculture. Il est donc un des maillons essentiels de la transmission. En 1881, il publie une brochure de 14 pages, Réforme de la Fruitière, Association pour la fabrication, la conserve et la vente du gruyère. Il y préconise une réforme de l’antique fruitière en s’appuyant sur la coopération [2]. Dans des articles parus en 1886 dans le Bulletin de la Société d’agriculture de Poligny, il énumère les transformations à mettre en œuvre non seulement dans les fruitières, mais également dans la viticulture. En substance, il déclare qu’il est temps que les agriculteurs mettent fin à leurs pratiques défectueuses « en substituant le progrès à l’immobilisme et la science à l’empirisme ». Il défend l’idée du regroupement des fruitières de plusieurs village en une fruitière unique. Cette fusion se ferait par l’intermédiaire d’associations syndicales. Le chalet commun vendrait les fromages pour le compte de tous, et les bénéfices seraient répartis en fonction de la quantité de lait fournie par chaque sociétaire. Jusqu’à la fin de sa vie il se fait le défenseur de l’idée coopérative à la fois sur le plan de la fromagerie [3], mais aussi, ce qui est moins connu, sur le plan de la viticulture. Finalement, il est clair que ses derniers écrits représentent un des maillons importants de la chaîne des transmissions.
L’autre personnalité qui n’a pas renoncé, elle non plus, à ses engagements de jeunesse, est Charles Sauria ( 1812-1895). Il vit modestement comme officier de santé à Saint-Lothain, à proximité de Poligny. Entre 1849 et 1858, il a tenté à plusieurs reprises, comme on le sait, des expériences communautaires avec son frère Edmond, entreprises qui ont été toutes les trois été un échec. Mais ce fervent républicain reste attaché à l’idée associative. En 1892, dans le Bulletin de la société d’agriculture, des sciences et des arts de Poligny, il fait paraître un article [4] où il présente un projet d’association agricole dans une commune rurale. Il préside d’ailleurs de 1881 à 1893, cette société, qui a eu un rayonnement certain. Il s’efforce d’y promouvoir le progrès agricole. Dans son projet, qu’il développe dans cet article, il part de l’idée que la plupart des difficultés des agriculteurs viennent d’un individualisme poussé, d’un manque d’argent pour mécaniser le travail de la terre, et du fait que l’agriculture jurassienne souffre d’un trop grand morcellement des champs. Avant de présenter les avantages de l’association, il reconnaît « les difficultés de parvenir à changer les pensées et les habitudes de chacun pour contribuer à l’adhésion du plus grand nombre ». Il espère cependant convaincre, écrit- il, les paysans les plus réticents. Ce projet repose sur la constitution d’un syndicat communal.
Le 17 novembre 1884, un premier syndicat agricole (le premier de France) avait été créé par des notables, le syndicat agricole de l’arrondissement de Poligny. Or, le 21 juin 1887, un syndicat départemental est fondé à Lons-le-Saunier sous l’impulsion du préfet [5]. Dans les réunions préparatoires qui ont lieu à la préfecture, on trouve Charles Sauria et Wladimir Gagneur, ainsi que tout un réseau de républicains actifs passionnés de l’idée associative. Dans cette création, on repère donc un lien étroit entre l’idée associative quarante-huitarde et le syndicalisme moderne qui se met en place. Les deux anciens amis de Considerant ont été ainsi les intermédiaires passionnés et actifs entre les deux mondes [6]. Par leur influence, l’un et l’autre ont en quelque sorte transmis le relais à la génération suivante des hommes politiques.
Victor Poupin et le fouriérisme
Victor Poupin (1838-1906), avocat, député radical du Jura de 1885 à 1898, a multiplié les références au fouriérisme dans ses différentes publications. La sensibilité sociale qu’il y développe vient en grande partie de là : Victor Poupin a sans doute rencontré le fouriérisme en militant dans la Ligue de l’enseignement de Jean Macé, lui-même fouriériste. Rappelons que Poupin a été le créateur de la Bibliothèque démocratique qu’il fonde en 1871. Il s’agit d’une collection de livres édités en petit format et à bon marché. L’intention vulgarisatrice est évidente. Or, dans cette collection, il publie un texte de Charles Fourier en 1873, texte qui était paru précédemment dans la revue du Nouveau Monde. Ce petit volume in-16 broché de 191 p. est intitulé L’Association et le travail attrayant. Il paraît à Paris en 1873. Poupin en a rédigé lui-même l’introduction, que nous reproduisons en grande partie :
Ils [ces innovateurs sociaux] appartiennent à la démocratie, pour les tendances de leur esprit et par l’objet de leurs spéculations, les grands penseurs qui, dans le but d’améliorer le sort et d’élever la condition des masses populaires, ont appliqué leur génie à la recherche de nouvelles combinaisons sociales.
Le résumé de leurs méditations mérite à ce titre une place dans la bibliothèque démocratique.
Entre les novateurs socialistes du XIXe siècle, l’inventeur du phalanstère, Charles Fourier, se distingue par le grandiose de sa conception d’ensemble, par l’originalité, la fécondité, l’ingéniosité de ses vues de détail, ainsi que l’enchaînement logique de ses déductions.
Ce qui le caractérise encore, c’est la passion du bonheur général, du bonheur étendu à tous les âges, à toutes les classes, à toutes les races de l’humanité. Cette passion, unie à une soif ardente de justice et d’unité, devint l’obsession constante de sa pensée. En ce sens, on peut dire de Fourier qu’il fut un monomane, mis à bon droit au rang des fous sublimes que chante Béranger.
La doctrine fouriériste ou phalanstérienne se trouve exposée dans des ouvrages d’assez longue haleine, qui ne sont pas à la portée de toutes les bourses. Il m’a paru bon d’en publier la substance dans un de nos petits volumes. Le titre que nous lui donnons : l’Association et le Travail attrayant répond aux deux idées capitales de la Théorie sociétaire.
Le texte est tout entier de Fourier et se compose d’extraits du plus méthodique de ses ouvrages : Le Nouveau monde industriel. Ces divers fragments coordonnés par le docteur Charles Pellarin, forment suite et donnent un aperçu des points fondamentaux de la doctrine. Ils offrent en outre un spécimen de la manière de Fourier, soit de la critique de l’état actuel, soit de le l’exposition de ses vues organiques.
Charles Fourier naquit à Besançon le 7 avril 1772.
Ses parents tenaient un magasin de draps. Un jour, à sept ans, il reçut le fouet pour avoir naïvement trahi l’un de ces mensonges de boutique trop familiers à certains commerçants. Il en conçut pour les pratiques mercantiles une haine implacable, qui s’accroît encore lorsque, vingt ans plus tard, à Marseille, il fut chargé de faire jeter de nuit à la mer une cargaison de riz que ses patrons, au cours d’une disette et dans l’espoir d’une nouvelle hausse, avaient laissé s’avarier, plutôt que la livrer, avec un bénéfice déjà considérable, aux besoins de la population.
Là fut le point de départ des recherches et des découvertes de Fourier en matière sociale. Son mode d’investigation consiste dans l’emploi méthodique de la série pour l’étude et la solution des questions de tout ordre. Le mode de réalisation qu’il propose, c’est l’expérience locale et en petit des solutions trouvées, ce qui évite les périls des expériences en grand sur toute une nation.
Réduit pour vivre à exercer les fonctions de commis ou teneur de livres dans des maisons de commerce, il n’en poursuivit pas moins sans repos ni trêve, en dépit de mille déboires, sa tâche ardue de novateur, si mal appréciée de ses contemporains.
Charles Fourier mourut le 10 octobre 1837.
Deux hommes illustres et d’une grande autorité dans la démocratie, Victor Hugo et Michelet, ont porté sur Fourier des témoignages qu’il convient de rappeler.
Le premier a écrit dans les Misérables : « Il y avait (c’était sous Louis XVIII) à l’Académie des Sciences, un Fourier célèbre, que la postérité a oublié, et dans je ne sais quel grenier, un Fourier obscur, dont l’avenir se souviendra... »
Michelet, dans la préface de son livre du Peuple, s’exprime ainsi : « Ce livre du peuple, particulièrement fondé sur l’idée de patrie, c’est-à-dire de dévouement, du sacrifice, n’a rien à voir avec la doctrine de l’attraction passionnelle. Je saisis néanmoins cette occasion d’exprimer mon admiration pour tant de vues de détail ingénieuses, profondes, quelquefois très applicables - ma tendre admiration pour un génie méconnu, pour une vie occupée tout entière de bonheur du genre humain - J’en parlerai un jour selon mon cœur !...
Cette longue citation montre au moins que Poupin avait une connaissance précise de l’œuvre de Fourier. Ajoutons que Poupin offrait en cadeau aux bibliothèques populaires du Jura qui se créaient les petits livres de sa collection [7]. Parmi ces derniers figuraient non seulement celui consacré à Fourier, mais aussi plusieurs autres rédigés par des auteurs fouriéristes, comme Jean-Baptiste Godin (quatre titre publiés, formant, toujours selon Poupin « un cours d’études politiques et sociales nouveau par la forme et le fond [8] », ou encore Marie-Louise Gagneur (2 volumes) et Eugène Bonnemère (1 volume).
Dans sa volonté propagandiste, le député du Jura avait également fondé en 1873 un almanach, L’Almanach du Bon citoyen diffusé dans tout le département. Il y donne parfois des pensées de Fourier dans les maximes républicaines dont il truffe en grand nombre les pages de cette publication, laquelle paraît encore en 1901.
Mais surtout, il publie le 27 novembre 1892, dans le journal La Démocratie jurassienne, dont il est le fondateur, un article de Victor Considerant. Il s’agit sans doute du dernier texte publié du vivant de l’ancien chef de l’école sociétaire, lequel meurt quelques semaines après cette parution. Ce texte est intitulé « Le problème social ». Nous le reproduisons ci-dessous.
Dès le commencement du siècle et déjà même sur la fin du siècle précédent, des précurseurs annonçaient l’avenir, les uns avec le pressentiment des choses ou avec l’instinct logique de l’histoire ; l’un d’entre eux, avec cet œil perçant du génie supérieur qui plane à la hauteur de l’aigle et dont la vue s’étend par de là les limites de l’horizon vulgaire ; ces quelques hommes dis-je avaient compris leur temps.
Ils annonçaient que l’époque était venue d’un complet renouvellement des choses et des rapports sociaux du vieux monde.
Ils comprenaient que les privilèges nobiliaires détruits, l’ordre féodal renversé, l’égalité des droits écrite dans les lois, rien n’était fait encore pour l’organisation de l’Ordre nouveau et que la première Révolution, en renversant les iniquités politiques et légales de l’Ordre ancien, n’avait été qu’un terrible et douloureux préambule.
Écoutez-moi et suivez bien ceci : la première féodalité, celle qui sortait de la conquête militaire, avait donné le sol aux chefs militaires, aux nobles, et attaché les populations conquises à la personne des conquérants par le servage et la glèbe.
La guerre industrielle et commerciale succédant à la guerre militaire sous les formes de cette concurrence où le capital et la spéculation sont forcément maîtres du travail pauvre ; la guerre industrielle tendait à constituer et constituait chaque jour de fait, par ses conquêtes un nouveau servage, non plus le servage personnel et direct, mais le servage indirecte et collectif, la domination en masse de la classe des possesseurs des capitaux, des machines et des instruments de travail sur les classes déshéritées.
Les prolétaires des villes et des campagnes, en effet, pris collectivement sont sous la dépendance absolue de la classe qui détient les instruments de travail.
Ce grand fait économique et politique se traduit par cette formule de la vie pratique : « Pour avoir de quoi manger, tout prolétaire est obligé de trouver un maître... » (Je sais bien que vous dites aujourd’hui patron, mais dans sa naïveté crue la langue s’obstine à dire maître, et elle aura raison jusqu’au Nouvel Ordre, c’est-à-dire jusqu’à ce que les conditions économiques de l’Ordre féodal actuel, de la Féodalité financière, industrielle et commerciale, dans lequel nous vivons aient fait place à d’autres).
Dès le commencement du siècle, donc, il s’était trouvé des penseurs qui avaient compris que la Révolution n’était pas accomplie par l’affranchissement politique des fils aînés du travail de la science et de l’industrie par ce dogme métaphysique de l’égalité devant la loi et par la liberté pure et simple c’est-à-dire la concurrence, par la lutte entre les classes armées et les classes désarmées, entre le capital, maître absolu de tout et le travail esclave du besoin quotidien.
Une suite était annoncée ; elle n’a, semble-t-il, jamais été publiée. En tout cas, nous ne l’avons pas retrouvée.
Georges Trouillot et la loi de 1901 sur les associations
Député radical du Jura, Georges Trouillot (1851-1916) a rempli diverses fonctions ministérielles entre 1898 et 1905. Il est surtout connu comme rapporteur de la loi sur les associations de juillet 1901. Et ce n’est sans doute pas un hasard s’il est devenu un spécialiste du droit associatif. Pour la discussion de la loi, il avait d’ailleurs conduit une recherche sur l’état du mouvement associatif dans le monde. Sa fonction de rapporteur, il la doit à son amitié avec Waldeck-Rousseau et à sa renommée politique. Mais une autre raison a très certainement joué en ce sens. Trouillot est originaire d’une région où les pratiques communautaires et la tradition associative sont anciennes, ce qui explique sans aucun doute son intérêt pour cette question. Au même moment d’ailleurs, Georges Trouillot patronne en 1901 l’association pour l’édification d’une sculpture à la mémoire de Considerant à Salins ; Victor
Poupin, alors ancien député, assure quant à lui la trésorerie de l’association. L’Union républicaine, journal dont Trouillot est le directeur, écrit le 14 avril 1901 :
En fêtant Victor Considerant, les Franc-comtois, les Jurassiens, les Salinois en particulier ne vont pas seulement honorer un de leurs compatriotes les plus éminents, le plus digne d’un tel hommage, ils rendront justice à l’un des apôtres les plus convaincus, les plus éloquents de l’émancipation, du bien-être et de la dignité du peuple.
Dans sa séance du 17 avril 1901, le Conseil général du Jura, à majorité radicale, vote une subvention de 50 francs pour le « monument de Victor Considerant ». Le rapporteur de la commission, Renaud [9], déclare prudemment à ce propos :
Nous n’avons pas l’intention de justifier notre souscription par de longues considérations. Pour apprécier le mérite du grand écrivain, nous n’avons pas à éplucher l’idéal du grand philosophe, de peser les arguments de l’ardent sociologue que fut Considerant ; nous n’avons pas à éplucher ses ouvrages, mais seulement à constater que sa vie entière fut une belle œuvre de dignité morale, de probité parfaite, d’apostolat démocratique, de travail et de dévouement à la chose publique...
Le 4 août 1901, L’Union républicaine fait l’annonce d’un ouvrage intitulé Le Droit au bonheur, qui résume la doctrine de Fourier. Cet ouvrage est à nouveau présenté élogieusement le 18 août dans le même journal :
À l’idée, Considerant a tout sacrifié : position, avenir, il a donné sans compter son temps et ses peines ; il est mort pauvre comme était mort son maître Fourrier [sic], et à peu près oublié.
Le monument Considerant, un buste, est finalement inauguré à Salins le 4 août 1901 [10]. L’Union républicaine écrit ce même jour sur un ton ironique :
Depuis quinze jours les chapelles de Salins étaient occupées à des neuvaines qui avaient pour but de demander à la providence de noyer la fête sous la pluie [...]. Ces prières ont produit leurs effets accoutumés. Les réserves célestes qui se vidaient sur nos têtes depuis une semaine se sont brusquement fermées, et c’est sous un soleil radieux qu’ont eu lieu les cérémonies.
Les républicains radicaux dans le Jura n’hésitent donc pas alors à se référer au fouriérisme en général, et à Considerant en particulier.
Conclusion
Que reste-t-il du fouriérisme politique à travers l’action de ces hommes qui ont été tous de fervents républicains ? C’est tout d’abord, nous semble- t-il, un souci général du bien commun. On retrouve d’ailleurs également cette préoccupation chez un Tamisier [11], qui s’est éloigné plus nettement de ses engagements de jeunesse que Gagneur ou Sauria. Ce qui reste, c’est surtout un attachement très marqué à l’idée associative et coopérative. N’est pas à écarter l’idée que ces républicains, radicaux, notamment à l’époque de Georges Trouillot, trouvaient dans le fouriérisme une morale sociale leur permettant de faire pièce à un courant socialiste qui se développait, et qui devenait un concurrent sérieux. Cette tradition fouriériste sur le plan local a certainement favorisé l’essor des fruitières, et plus largement celui du syndicalisme agricole. Est-ce un hasard si le premier syndicat agricole de France est né dans ce secteur (Salins-Arbois-Poligny) en 1884, et si le Crédit Agricole est né à Salins (1885), si les fruitières vinicoles sont nées dans le même secteur (1905), si le mouvement des mutuelles prend alors son essor ? Ce mouvement général ne peut être porté au seul crédit du fouriérisme, bien entendu, mais il est certain que celui-ci a contribué à créer un climat favorable à travers une longue chaîne propagandiste qu’il n’est pas toujours aisé de reconstituer.