Né le 8 avril 1819 à Saint-Girons (Ariège), mort le 30 mai 1878 à Versailles (Seine-et-Oise). Avocat, militant « chrétien social », représentant du peuple à l’Assemblée constituante de 1848 et à l’Assemblée législative de 1849, maire du VIIe arrondissement de Paris en 1870, sénateur de l’Ariège en 1876. Proche des milieux fouriéristes et collaborateur occasionnel de La Démocratie pacifique à la fin de la monarchie de Juillet, il propose en 1848 des idées sur l’éducation qui ont de l’écho sur certains fouriéristes.
Frédéric Arnaud est issu d’une famille de petite bourgeoisie. Après des études au collège de sa ville natale, il fait son droit à Toulouse puis part pour Paris. Il s’inscrit au barreau et, en 1845, devient secrétaire de la Conférence des avocats stagiaires à la cour d’appel. Son cabinet d’avocat lui laissant des loisirs, il se penche sur les questions économiques et sociales. Il fréquente les milieux fouriéristes, et plus particulièrement Jules Duval, rédacteur à La Démocratie pacifique et Perreymond, autre phalanstérien notoire. En avril 1846, il assiste à un banquet fouriériste, puis quelques jours plus tard publie dans La Démocratie pacifique (n° 119, 30 avril 1846) un article intitulé « Mouvement social », en réponse à L’Univers, qui tourne en ridicule les banquets phalanstériens. En fait, l’article n’est qu’un appel lancé aux catholiques pour qu’ils s’associent aux réformateurs sociaux. Arnaud, catholique fervent depuis qu’il est revenu à une foi perdue dans l’adolescence, éprouve alors sans doute de vives sympathies pour les fouriéristes, mais il leur reproche de ne pas avoir de doctrine religieuse et morale. À la même époque, il subit également l’influence de Buchez et de L’Atelier qui, à ses yeux, possèdent la dose de morale et de religion qui manque aux disciples de Fourier.
En 1846, il retourne pour de longs mois à Saint-Girons. Il entre alors en relations avec la « Société des Ouvriers » de la ville, qui est probablement une société de secours mutuel. Devant ces ouvriers, ou plutôt ces artisans, il porte un « toast aux travailleurs » le jour de la proclamation de la République, et prononce un discours sur l’émancipation du travail, et peu de temps après, un discours sur la réhabilitation du travail, en avril ou mai 1849. Il a fondé, dans sa ville, le 27 décembre 1847, une conférence de Saint-Vincent-de-Paul qui compte 14 membres appartenant tous à des milieux modestes. Ces contacts directs avec les artisans de Saint-Girons, comme ceux qu’il a eus ou aura avec ceux de Paris, lui donnent, à la fois, une claire compréhension des souffrances du prolétariat et la confiance la plus absolue en la raison des classes populaires.
L’Ariège l’envoie siéger à la Constituante de 1848. Son nom figure à la fois sur la liste du comité électoral républicain et populaire et sur une liste modérée patronnée par le clergé. Dans sa profession de foi, il se prononce nettement contre le communisme, pour la République avec la liberté, et naturellement pour la « liberté de l’Église » et de « l’enseignement ». Il réclame, en outre, la réduction du nombre des fonctionnaires publics, une répartition nouvelle des impôts, la révision de la législation forestière, l’abolition de l’impôt sur le sel. Sa double investiture lui vaut d’être élu, le 23 avril 1848, quatrième sur sept, par 29 515 suffrages (inscrits : 71 717 ; votants : 65 072).
Il siège avec la gauche, ce qui ne l’empêche pas de s’associer à la politique de Cavaignac, et, le 25 novembre 1848, de voter l’ordre du jour en son honneur. Le Moniteur le porte absent lors des votes concernant les poursuites à engager contre Louis Blanc et Caussidière (26 août 1848) et l’amnistie aux transportés de juin (2 juin 1849). Il est vrai que, par ailleurs, il vote contre le rétablissement de la contrainte par corps, pour l’abolition de la peine de mort, pour l’abolition de l’impôt sur le sel, contre l’interdiction des clubs (intervention à la tribune, le 27 juillet 1848), contre l’expédition de Rome (intervention à la tribune). Toutefois, il ne s’associe pas à la proposition Ledru-Rollin de mise en accusation du président et de ses ministres. Le 13 septembre 1848, à la tribune, à la différence de tous les députés catholiques, il défend le droit au travail en invoquant l’autorité de Robespierre. Ce discours montre au surplus qu’Arnaud ne croit pas à la lutte des classes ; pour lui, le véritable combat se déroule entre le « privilège » et le principe chrétien de justice.
Lors de sa campagne en vue des élections à la Législative, il estime qu’il faut à la fois défendre la République et toutes « les libertés ». Au scrutin du 13 mai 1849, alors que tous les conservateurs de l’Ariège sont battus, il est réélu deuxième sur six, avec 22 161 voix, soit 7 000 de moins qu’en 1848 (inscrits : 77 191, votants : 45 357). À la nouvelle assemblée, il joue un rôle assez effacé. Il combat la politique de l’Élysée, sans pour autant adhérer à la Montagne. Il vote avec la gauche contre les lois restrictives des libertés et du suffrage universel. Le 5 février 1850, lors d’un débat sur l’instruction publique, il stigmatise la peur des bien-pensants.
En réalité, c’est hors du Palais-Bourbon que, de la fin de 1848 au coup d’État de décembre 1851, Arnaud apparaît comme le véritable chef et le porte-drapeau du catholicisme social. En septembre 1848, l’abbé Maret l’a introduit au conseil de rédaction de L’Ère nouvelle qui, du 15 avril 1848 au 1e avril 1849, date à laquelle ce journal devient légitimiste, doit être l’organe de la jeune démocratie chrétienne et le centre de ralliement de tous les catholiques sociaux et démocrates. À vrai dire, Arnaud est un journaliste peu assidu. Toutefois, il donne, le 11 novembre 1848, un article : « L’École du passé et l’école de l’avenir » qui, au même titre que son discours du 13 septembre, a un profond retentissement. Il reçoit de nombreuses adhésions aux principes qu’il défend, tout d’abord celles de quatre députés à la Constituante : Pierre Pradié de l’Aveyron (membre du comité des cultes, collaborateur de L’Ère nouvelle, et qui devient directeur de La République universelle), Jean Rigal du Tarn, Joseph Delavalade de la Creuse, Hippolyte Detours du Tarn-et-Garonne. Des travailleurs, aussi se rallient à lui : le sellier Delahaye, des groupes d’ouvriers démocrates de Nîmes et de Paris. Naturellement c’est parmi les intellectuels chrétiens et socialistes qu’il rencontre le plus de succès : Eugène Rendu, adversaire de Montalembert, Abel Transon et Désiré Laverdant, l’un et l’autre anciens fouriéristes, Hippolyte de la Morvonnais, catholique phalanstérien (dont Arnaud soutient l’expérience de communauté chrétienne tentée en Bretagne), l’abbé Chantôme, fouriériste, directeur de la Revue des réformes et du progrès, qui accueille, à partir de juin 1849, les catholiques qui quittent L’Ère nouvelle et où Arnaud publie « L’École de l’Avenir ou de la Démocratie catholique », charte de la démocratie chrétienne. Parmi ceux qui combattent avec Arnaud, on ne saurait oublier non plus l’avocat lyonnais Émile Martin, Frédéric Morin et Jérôme Morin, buchéziens notoires.
Frédéric Arnaud et Désiré Laverdant sont les principaux fondateurs du « Cercle de la Démocratie catholique », autorisé le 12 avril 1850. Un prospectus du 15 octobre diffusé par ce cercle rappelle que l’Église a toujours préconisé le crédit gratuit et l’association. L’abbé Maret n’ose pas adhérer au cercle pas plus que l’abbé Deguerry, autre prêtre socialisant, qui se rallie à l’Empire et est fusillé comme otage par la Commune. Ce cercle a probablement une activité sociale, mais il ne peut recruter que quelques ouvriers. Dès avant le coup d’État, semble-t-il, il échoue car les adhérents ne paient pas leur cotisation. Jamais ne paraissent les brochures et l’organe périodique qui auraient dû constituer sa raison d’être. Au même moment, Chevé et Arnaud échouent également dans un projet de journal paraissant trois fois par semaine avec un abonnement fixé à 20 francs.
Les positions défendues par Arnaud durant cette période ne manquent pas d’originalité. Dans une note manuscrite, antérieure à 1848, il affirme déjà que « l’esprit social du christianisme est de rétablir l’égalité entre les hommes en détruisant peu à peu toutes les inégalités sociales ». Ce sont ses lectures, autant sans doute que les contacts directs qu’il a voulus à Paris ou à Saint-Girons, avec le monde du travail qui lui ont permis de se forger une doctrine. Il a longuement pratiqué Fourier, mais il ne croit pas, comme lui, que l’origine du mal contemporain soit dans la société, il la recherche dans l’individu lui-même. Il a lu également Buchez (à qui il reproche sa conception d’une religion d’État), Proudhon, Auguste Comte. Il a connu plus ou moins directement l’œuvre de certains économistes : Ricardo, Malthus ; de précurseurs du socialisme : Campanella, Morelly, etc. De toutes ces influences, il fait une synthèse personnelle : seul le christianisme assure la liberté, l’égalité, la souveraineté du peuple et s’identifie avec la démocratie. Les principes de 1789 sont, pour lui, une émanation directe du catholicisme.
Arnaud n’est nullement un économiste, et ses théories sociales se bornent, le plus souvent à des principes généraux. Il affirme, que si les peuples protestants sont en avance sur les peuples catholiques pour ce qui est de la prospérité, cela ne durera pas, parce qu’ils ont développé leur industrie en réduisant les salaires des ouvriers. Il croit que les catholiques doivent préconiser l’accroissement des salaires.
L’aspect le plus original de sa pensée réside, sans doute, dans la place qu’il assigne respectivement à l’État et aux associations de travailleurs dans l’amélioration de la condition ouvrière. Le 9 juillet 1848, Augustin Cochin le conduit devant la Société Saint-François-Xavier du faubourg Saint-Antoine. Arnaud, après avoir qualifié de déplorable l’insurrection de Juin, ajoute : « Le mal vient de ce qu’on a faussé les idées sur le rôle, sur la mission de l’État vis-à-vis des ouvriers ». Pour lui, c’est une erreur d’avoir proclamé que l’État doit organiser le travail, qui ne peut l’être que par la liberté, c’est-à-dire par l’association, laquelle affranchira le prolétariat du patronat. Il était aussi hostile à l’omnipotence de l’État qu’à l’insurrection populaire en régime républicain. Au nom de l’égalité, il exige l’obligation universelle du travail. Il est favorable à la liberté économique, mais ne l’envisage que corrigée par l’association, panacée du temps.
L’association lui semble un moyen de progrès contre la libre concurrence, comme la libre concurrence l’a été contre le travail servile : « Je ne veux du socialisme que par la liberté ». L’association doit, selon lui, permettre aux ouvriers de devenir collectivement les patrons. Est-ce à dire qu’il va jusqu’à nier la nécessité de l’État ? Non, car Arnaud ne croit pas en la bonté naturelle et infinie de l’homme et c’est pourquoi l’intervention de l’État lui apparaît comme indispensable pour lutter contre les mauvais penchants de l’humanité. S’il voit dans la communauté des biens un idéal, il croit que la propriété sert de garantie à la liberté, mais il se refuse à lui attribuer un caractère sacré. Finalement, on peut dire qu’il considère la libre association comme le moyen idéal et l’intervention de l’État comme un mal nécessaire à cause de l’égoïsme humain, mal dont il faudrait se dégager progressivement. Il ne s’affirme donc ni comme un économiste, ni comme un statisticien, mais plutôt comme un moraliste de la même lignée que Proudhon. Il veut assurer à ses idées un minimum d’application, d’où ses interventions dans les assemblées, son activité de journaliste, ses relations avec les militants de la démocratie chrétienne.
Le coup d’État de 1851 marque une coupure dans la vie d’Arnaud comme dans celle du catholicisme démocratique et social dont il entraîne la disparition momentanée. Il participe alors honorablement à la résistance et Victor Hugo ne manque pas de le rappeler dans Histoire d’un crime. À la demande d’un ouvrier catholique, Arnaud écrit à Mgr Sibour pour solliciter son intervention au nom du christianisme. La lettre est portée par Mme Arnaud dans les langes de leur fille âgée de six mois. Elle est reçue à l’archevêché par les abbés Maret et Deguerry. Le premier veut agir, le second s’y refuse. Quant à Mgr Sibour, il assure qu’il est trop tard. Victor Hugo raconte que l’abbé Deguerry refuse de cacher Arnaud qui trouve un asile chez l’abbé Maret. Le 18 décembre 1851, Arnaud quitte Paris. Le 22, il est en Belgique. Entre le 1e avril et le 1e juin 1852, il rentre en France et s’installe à Jouancy près de Joigny (Yonne), chez son beau-père. Il publie alors différents ouvrages sur l’Italie et sur la papauté. Dans l’un d’eux, on relève cette phrase : « Sans la complicité à la fois servile et dominatrice du prêtre, nous ne craignons pas de l’affirmer, tous les autres despotismes seraient impossibles » (L’indépendance du pape et le droit des peuples, 1860, p. 18). En 1864, lorsque Béluze, gendre de Cabet, crée une banque populaire inspirée de la Banque du Peuple de Proudhon, le Crédit au Travail, il figure parmi les premiers sociétaires. Lors des élections de 1857, on le voit dans un comité d’opposants, aux côtés de Buchez, Cavaignac, Corbon, Jean Reynaud. Il publie deux ouvrages politiques : La Révolution et l’Église (1869), où il préconise la séparation absolue de l’Église et de l’État, La Révolution de 1869, où il étudie les problèmes posés par les élections de la même année. Mais depuis décembre 1851, il est devenu complètement silencieux sur toutes les questions sociales. Il est battu aux élections législatives du 24 mai 1869 ; il ne recueille que 7 308 voix contre 21 181 au candidat officiel.
Après le 4 septembre 1870, vient un peu pour lui le temps des honneurs. Il n’est plus qu’une relique vénérable de la démocratie de 1848. Les problèmes sociaux ne semblent plus retenir son attention. Le 12 novembre 1870, il devient maire du VIIe arrondissement. Aux élections à l’Assemblée nationale du 8 février 1871, il est candidat des républicains modérés et de certains conservateurs, à la fois dans l’Ariège, où il est battu, et dans la Seine où il est élu. À Bordeaux, il vote contre les préliminaires de paix. Le 18 mars 1871, avec les autres maires de Paris réunis à Versailles, il demande de « s’unir de cœur avec Paris et ne former avec lui qu’une âme nationale et républicaine », ce qui déclenche le tumulte de la droite. Il est élu sénateur républicain de l’Ariège le 30 janvier 1876. Le 16 mai 1877, il vote contre la dissolution de la Chambre. Le salon de sa femme, une des égéries de la IIIe République à ses débuts, est un des foyers de résistance à la politique de Mac-Mahon.
Arnaud s’éteint le 30 mai 1878. Jean-Baptiste Duroselle explique qu’il échoue dans ses entreprises par indolence, par timidité, parce qu’il n’a ni l’étoffe d’un chef, ni celle d’un organisateur. Quant à Georges Bourgin, il écrit de lui : « C’est le contraire d’un martyr, à peine un apôtre. Ce n’est pas un homme d’action. »