par Perrier, Florent
Née à Paris (17e arrondissement) le 29 mai 1919. Décédée à Paris (14e arrondissement) le 10 décembre 2020. Professeure de philosophie. Chercheuse au CNRS. Éditrice et interprète des œuvres de Charles Fourier. Vice-présidente de l’association Les Amis de Charles Fourier.
Simone, Jeanne, Cécile Devouassoux naît à Paris, dans le 17e arrondissement, le 29 mai 1919. Elle meurt dans le 14e arrondissement de cette même ville, dans l’appartement du 14 rue Cassini où elle vivait depuis les années 70, le 10 décembre 2020, à l’âge de 101 ans. Elle est enterrée à Saint Jean de Vaulx, non loin de Grenoble, ville où elle accomplit une grande partie de sa carrière de chercheuse au CNRS et où elle connut, auparavant, un parcours remarquable dans la Résistance.
Issue d’une famille bourgeoise [1], elle est régulièrement confiée par ses parents [2], avec sa sœur cadette, à ses grands-parents qui demeurent en forêt de Fontainebleau, expérience dont elle gardait un vif souvenir, préférant alors la proximité de la nature aux bancs de l’école dont une constitution fragile l’avait un temps éloignée.
Le 12 septembre 1947, elle se marie à Ascona, en Suisse, avec Ludwig Oleszkiewicz [3] qui avait pris auparavant le nom de Debout dans la Résistance. Deux enfants naissent : Antoine et Étienne [4].
À la suite de son passage dans la Résistance et après son mariage, Simone Devouassoux signe aussi bien Simone Debout que Simone Debout-Oleszkiewicz. Pour le dernier ouvrage publié de son vivant, elle avait choisi de s’en tenir à Simone Debout [5].
Formation et Résistance
Simone Debout passe son baccalauréat en 1937-1938 et amorce ensuite, à la Sorbonne, des études de philosophie qui s’achèvent, en 1941, par un Diplôme d’études supérieures de Philosophie [6]. Cette période de formation universitaire est aussi celle de son engagement dans la Résistance.
Dès la dernière année du lycée, en 1938, Simone Debout adhère aux Jeunesses communistes et au Parti communiste, formations qu’elle quitte toutefois un an après, à l’annonce du pacte germano-soviétique. Mais c’est à partir d’octobre 1940, alors qu’elle va régulièrement écouter, aux côtés de François Cuzin, les cours de Maurice Merleau-Ponty à l’École normale [7], qu’elle participe à des activités clandestines : l’écriture et la diffusion de journaux interdits, de tracts, la transmission d’informations [8].
Dans une lettre au Président de la République du 2 décembre 1993 dans laquelle Simone Debout demande une prolongation d’activité de six mois au CNRS au vu de ses « services dans la Résistance », elle revient de manière synthétique sur ce parcours dans la Résistance : « Depuis octobre 1940, j’avais été constamment active, d’abord dans le groupe Sous la Botte puis au Comité Directeur de Socialisme et Liberté (avec Jean-Paul Sartre, Maurice Merleau-Ponty, Simone de Beauvoir, Jean-Toussaint Desanti), enfin et surtout au Front National à Paris et à Grenoble, en liaison avec les maquis de six départements Rhône-Alpes, jusqu’à la Libération où je pris la direction des Allobroges — journal auquel je participais depuis sa création clandestine en 1942. [9] »
Simone Debout réintègre le Parti communiste fin 1941 — début 1942 et dirige alors, avec Yvonne Picard, les Étudiants communistes de la Sorbonne, avant de quitter définitivement le Parti communiste en 1945, sur fond de lourdes désillusions idéologiques qui éclairent, par contraste, l’enthousiasme ressenti peu de temps après avec la découverte de l’œuvre et de la pensée de Charles Fourier.
En parallèle à ses activités dans la Résistance, Simone Debout devient professeure pour l’enseignement de la philosophie au lycée de jeunes filles de Grenoble entre 1942 et 1944. Après un congé demandé afin de lui permettre d’assurer, avec son mari, la direction des Allobroges, en septembre 1944, elle enseigne la philosophie à l’École normale de jeunes filles de Caen entre 1947 et 1948 puis, entre 1961 et 1963, au lycée de jeunes filles d’Annecy et au lycée Stendhal de Grenoble. À l’issue de cette dernière année, elle est détachée au CNRS en qualité d’Attachée de recherche, section Philosophie, position qu’elle ne quitte plus jusqu’à sa retraite [10].
Découverte de Charles Fourier et rencontre avec André Breton
C’est par la voie de l’amitié, mais aussi celle de l’engagement politique et de la Résistance que Simone Debout découvre l’œuvre et la pensée de Charles Fourier dans le courant des années 50 : « Un ami historien, Fernand Rude [11], me donna un beau jour des années 50 la Théorie des quatre mouvements : “Cela t’intéressera sans doute”, dit-il. Or, ce fut tel un enchantement, le retour au pays d’enfance, au pays des fées, un retour du sensible affectif qui rendait présent et à venir ce qui n’était plus qu’absence, les grandes espérances révolutionnaires, despotiquement piégées derrière un mur, un rideau de fer. [12] »
Comme elle le précise dans un des films qui lui sont consacrés à la fin de sa vie, si cette lecture est la cause d’un grand enthousiasme, c’est qu’elle y trouve en effet « tout à coup ce qui manque aux théories de l’émancipation telles qu’elles ont été pensées à travers le XIXe siècle et à travers, en particulier, la pensée marxiste [13] ». À cet égard, et sans avoir encore lu l’Ode à Charles Fourier publiée par André Breton en 1947 [14], elle rencontre là, par une forme de coïncidence heureuse, les mêmes préoccupations politiques que l’auteur de Nadja, et sa rencontre avec lui s’impose dès lors.
Cette rencontre n’est toutefois pas séparable d’un projet de thèse consacrée à Charles Fourier, une thèse restée inachevée et inédite, mais dont les modifications constantes, les évolutions, accompagnent tout le travail de Simone Debout sur Charles Fourier au fil des ans, telle une armature qu’elle s’efforce aussi bien de renforcer par moments que de fragiliser, à d’autres périodes, par des publications parcellaires régulièrement arrachées à cet opus magnum en cours.
L’inscription de Simone Debout sur les registres des thèses, à la Faculté des lettres de l’université de Paris, date du 10 juillet 1958. Le sujet de sa thèse principale, en vue d’un doctorat ès-lettres, s’intitule alors « Le système de Fourier » et son rapporteur en est le Professeur Henri Gouhier [15].
Or, la première lettre d’André Breton à Simone Debout, qui revient sur leur rencontre toute récente dans l’atelier de la rue Fontaine où vit l’écrivain à Paris, date quant à elle du 30 juillet 1958 et mentionne déjà la thèse de Simone Debout dont elle lui a soumis les grandes lignes et dont il souhaite aussitôt publier quelques extraits dans le Surréalisme, même. De fait, au printemps 1959, paraît le numéro 5 de cette revue surréaliste avec, au sommaire, le tout premier article jamais publié par Simone Debout et intitulé « La psycho-sociologie de Fourier [16] ».
Le travail de thèse amorcé par Simone Debout à l’été 1958 n’est donc pas séparable de sa relation privilégiée avec André Breton qui lui permet de publier très vite et à plusieurs reprises, notamment dans les catalogues des Expositions internationales du surréalisme de 1959-1960 et de 1965 dont, symptomatiquement, l’intitulé est, pour cette dernière, L’écart absolu.
Un « projet de travail » pour cette thèse principale [17] expose à ce stade sa construction suivant trois grandes parties :
1) La théorie des passions selon Fourier
2) L’éducation en harmonie
3) La cosmogonie [et la métaphysique]
Ce « projet de travail » mentionne comme référence récente l’ouvrage sur les cahiers manuscrits de Charles Fourier publié en 1957 par Émile Poulat avec Henri Desroche [18]. Simone Debout cite en outre « la thèse de M. Bourgin » comme étant la plus complète sur Charles Fourier [19], elle évoque également les travaux de Charles Gide [20] tout en précisant que « Fourier ne vise pas seulement à transformer le monde mais à changer la vie ». Surtout, Simone Debout se réclame plus directement de « deux articles et des notes de Charles Renouvier » qui « mettent en évidence la cohérence d’une pensée souvent méconnue » [21] », le nom de Renouvier marquant assurément ici son ancrage philosophique dans l’approche de la pensée de Charles Fourier.
Ses travaux pour « Le système de Fourier » supposent également, comme l’indique la lettre du 6 septembre 1958 à André Breton, la lecture des manuscrits inédits de Charles Fourier. Ces manuscrits viennent d’être très précisément décrits par Émile Poulat dans son ouvrage, mais André Breton lui-même n’est ignorant ni de leur existence, ni de leur intérêt et nourrit à leur endroit une véritable curiosité et même le désir de les publier. Il sait en effet, depuis 1947 et par l’intermédiaire de Pierre Naville [22], qu’existent à la bibliothèque de l’École normale supérieure « des manuscrits érotiques et obscènes de Fourier, du plus haut intérêt, Fourier y apparaissant comme une sorte de continuateur éthéré de Sade [23] ». Dans son Anthologie de l’humour noir, il indique pourtant, en note à sa présentation de Fourier : « Aux dernières nouvelles, ces cahiers auraient disparu lors de la récente guerre, au cours du transfert clandestin de la bibliothèque de l’École normale supérieure, répondant à l’intention de mettre en sécurité les documents les plus précieux qu’elle abritait. [24] »
En vérité, ces manuscrits n’ont pas disparu et la chance de Simone Debout est d’habiter, à Grenoble, juste au-dessus du bâtiment des Archives et d’obtenir l’autorisation de faire venir de Paris, par malles, les manuscrits originaux de Charles Fourier afin de travailler à sa thèse, puis surtout à l’édition des Œuvres complètes de Fourier dès lors qu’elle met pleinement au jour et établit le texte de ce qui devient, en 1967, la toute première édition du Nouveau Monde amoureux.
Aux fils de la découverte de l’œuvre et de la pensée de Charles Fourier, mêlés à ceux de la rencontre avec André Breton et le surréalisme, doivent donc s’ajouter ceux qui entrecroisent le travail de thèse mené par Simone Debout sur le « Système de Fourier » à son travail d’éditrice des Œuvres complètes de l’utopiste.
Une thèse sur Charles Fourier et l’édition de ses Œuvres complètes
La découverte par Simone Debout [25] et l’édition du manuscrit inédit du Nouveau Monde amoureux bousculent non seulement radicalement la réception de l’œuvre de Charles Fourier dans la seconde moitié du XXe siècle, mais elles modifient aussi considérablement la perspective des études amorcées avec « Le système de Fourier », leur donnant notamment une coloration psychanalytique qui n’est pas sans rapport avec les relations étroites nouées par Simone Debout, au long de son parcours, avec Sylvia Lacan, François Perrier ou encore Piera Aulagnier [26]. Cette dernière approche se constitue toutefois progressivement même si, dans le choix des extraits de textes de Simone Debout destinés au Surréalisme, même, André Breton hésite d’abord entre deux parties, l’une justement intitulée « Fourier et la psychanalyse » (lettre du 15 septembre 1958).
Avant toutefois que Le nouveau Monde amoureux ne soit publié, André Breton, qui ne reçut de l’ouvrage inédit paru juste après sa mort que des extraits, avait eu, dans cette même lettre du 15 septembre 1958, des mots presque prophétiques à l’endroit de Simone Debout et des bouleversements appelés à se produire dans la réception de l’œuvre de Charles Fourier : « Je suis absolument persuadé que vous seule, de par la structure affective qui vous est propre, êtes à même de provoquer, en faveur de Fourier, un vaste courant attractif que la sécheresse, la pusillanimité de ses commentateurs n’a fait jusqu’ici que contrarier. Si Fourier doit être — enfin ! — interrogé passionnément, comme il l’exige, et non plus du bout des lèvres […], c’est à vous qu’il le devra — et vous savez que, lorsque je vous dis cela, il y va, à mes yeux, de l’avenir du monde. »
Le centenaire de la mort de Charles Fourier en 1937 a certes permis la publication de nombreuses études destinées à remettre en lumière sa pensée, mais leurs auteurs, au sortir de la guerre, sont pour beaucoup discrédités du fait de leurs positions politiques respectives parfois antagonistes [27]. Qu’à la suite de la publication par André Breton de son Ode à Charles Fourier, les commentateurs passionnés de son œuvre s’avèrent tous être de grands résistants — citons, outre Simone Debout, Jean Gaulmier et Jacques Debû-Bridel —, cela marque une orientation de leur lecture vers l’émancipation, vers la question de la liberté, qui importe grandement à l’auteur d’Arcane 17 tant et si bien qu’il s’emploie sans réserve à soutenir leurs efforts — singulièrement ceux de Jean Gaulmier et de Simone Debout — pour qu’une autre image de Fourier se dessine à l’avenir dans les esprits.
Une lettre d’André Breton à un autre jeune chercheur qu’il souhaite également encourager, Émile Lehouck [28], éclaire le paysage qui se recompose alors au début des années 60 : « Depuis l’ouvrage de Bourgin (de 1905), les études fouriéristes n’avaient guère progressé mais votre lettre achève de me convaincre qu’une réparation s’amorce et qu’elle peut être éclatante. Madame Simone Debout, à Grenoble, doit avoir mis la dernière main à une thèse de doctorat sur Fourier qu’elle m’a fait lire et je sais qu’elle travaille maintenant à sa thèse complémentaire sur “les sources de Fourier” dont j’ai, comme vous, grande impatience qu’elles soient dévoilées. Par ailleurs, M. Jean Gaulmier, professeur à la Faculté des Lettres de Strasbourg, tient, je crois, prête à paraître une édition critique de mon poème : Ode à Charles Fourier, dont le plus grand attrait sera de comporter d’abondants extraits de la Théorie des quatre mouvements, introuvable en librairie. La richesse de l’œuvre de Fourier nous est garante de la parfaite autonomie des trois études considérées et j’attends un grand bonheur de leur conjugaison. [29] »
La recomposition de ce paysage se traduit aussi, sur le plan éditorial, par l’intervention vigoureuse de Jean-Jacques Pauvert qui, sur les instances d’André Breton, souhaite rééditer Charles Fourier. À cette fin, et toujours sur la recommandation d’André Breton, il écrit en juillet 1961 la même lettre à Simone Debout et à Jean Gaulmier pour leur proposer la conduite de ce travail : « Madame, je dois votre adresse à André Breton avec qui j’ai parlé récemment de Charles Fourier dont je me propose de rééditer la Théorie des quatre mouvements. André Breton me dit qu’à son avis les deux personnes les plus qualifiées en France pour présenter et commenter la Théorie des quatre mouvements sont d’une part vous-même, d’autre part Monsieur Jean Gaulmier que vous connaissez peut-être. [30] »
Dans une lettre à Jean Gaulmier, qui vient juste de rééditer et de commenter, avec la complicité d’André Breton, l’Ode à Charles Fourier, Jean-Jacques Pauvert indique avoir finalement « rencontré Madame Debout » à Paris et s’être entendu avec elle pour ce projet de réédition [31], ce que Simone Debout signifie par ailleurs à André Breton dès le 24 juillet 1961. Jean Gaulmier avait auparavant pris contact avec Simone Debout, « sur la recommandation d’André Breton », par une lettre du 21 février 1960 où, évoquant la thèse en cours de Simone Debout, il indique souhaiter « que des efforts comme le vôtre arrivent à créer autour de Fourier le mouvement d’études et de curiosité qui aboutiraient à ramener la lumière qu’il mérite sur ce grand inconnu ». Dans les échanges qui suivent, Simone Debout précise que l’Ode à Charles Fourier est le seul texte « qui ait donné à voir Fourier avec amour et dans sa vérité poétique » quand Jean Gaulmier indique, en retour, l’ambition de son commentaire au poème d’André Breton et notamment sa volonté de montrer que « de Balzac et Hugo jusqu’à André Breton, en passant par Leconte de Lisle, Barrès, etc. […] Fourier a constamment retenu l’attention de poètes et d’artistes et que ceux-ci lui doivent parfois le meilleur de leur inspiration. [32] »
Sans doute la conjugaison espérée par André Breton entre ces jeunes chercheurs n’advint-elle pas, Simone Debout vit à Grenoble, Jean Gaulmier est en poste à Strasbourg et Émile Lehouck poursuit sa thèse à Bruxelles ; tous sont en outre, vis-à-vis d’André Breton, placés dans une forme de concurrence, mais il n’empêche qu’en un peu plus de cinq années et comme l’espérait ardemment André Breton, leurs publications respectives bouleversent de fait le paysage des études fouriéristes et surtout, durablement, la manière d’appréhender la pensée de l’utopiste.
L’édition de l’Ode à Charles Fourier d’André Breton commentée par Jean Gaulmier date de 1961, l’année suivante paraît un numéro thématique de la Revue internationale de philosophie consacré à Charles Fourier, numéro ouvert par Simone Debout [33], l’ouvrage sur Fourier aujourd’hui par Émile Lehouck est publié en 1966 tout comme les premiers volumes des Œuvres complètes de Charles Fourier édités par Simone Debout chez Anthropos et c’est encore l’année suivante, en 1967, que paraissent, toujours éditées par Simone Debout, l’édition intégrale du Nouveau Monde amoureux (tome VII des Œuvres complètes chez Anthropos) et, aux éditions Jean-Jacques Pauvert, quelques semaines plus tard, une nouvelle édition de la Théorie des quatre mouvements et des destinées générales augmentée d’extraits du Nouveau Monde amoureux. Si l’on ajoute la parution, toujours en 1967 chez Pauvert, dans la collection « Libertés » dirigée par Jean-François Revel, d’un Charles Fourier, L’attraction passionnée édité et présenté par René Schérer [34], on ne peut s’empêcher de voir collectivement réalisé le vœu exprimé par Simone Debout dans une lettre à André Breton du 26 août 1959 : « Je souhaiterais donner faim de connaître cet étrange génie, qui voulut augmenter le bonheur et qui détint sans doute “la formule”. [35] »
En moins de dix ans, entre juillet 1958 et mars 1968, outre une dizaine d’articles importants dont la double page publiée dans Le Monde, le 18 mai 1967, sous le titre « Charles Fourier : notre contemporain » ou « La Terre permise de Charles Fourier » publié dans Les Temps modernes en juillet 1966 — vaste étude attentivement lue par André Breton à Saint Cirq-Lapopie peu de temps avant sa mort —, Simone Debout édite, indépendamment de la Théorie des quatre mouvements publié par Jean-Jacques Pauvert, douze volumes des Œuvres complètes de Charles Fourier.
À lire les rapports annuels qu’elle doit au CNRS [36] et qui détaillent précisément ses activités de recherche, cette activité éditoriale conséquente n’est certes pas sans inconvénients. Voici ce qu’elle indique dans un rapport du 15 décembre 1976 et alors qu’elle prépare l’édition de manuscrits inédits de Charles Fourier restés nombreux dans ses archives : « j’ai fait allusion au travail d’édition des manuscrits encore inédits que j’ai commencé. Mais j’ajouterais ici que je souhaite lier la préparation de ces textes pour l’impression à une mise en ordre et une analyse critique des livres et manuscrits déjà publiés. L’édition des Œuvres complètes publiée par les éditions Anthropos n’est en effet ni complète, ni bien raisonnée. Elle a été faite trop hâtivement et devrait être reprise entièrement. Ce qui ne signifie pas que l’on ne puisse utiliser et reproduire même directement de très longs fragments ou des livres entiers, mais l’ordre des manuscrits en particulier devrait être repensé. Et le texte des éditions originales (par exemple de La Théorie des quatre mouvements) rétabli à côté des variantes postérieures. J’avais fait ce travail pour l’édition J.-J. Pauvert de la Théorie et il est d’autant plus regrettable qu’il n’ait pas été utilisé pour l’édition dite complète des œuvres de Fourier. Il en va de même d’ailleurs pour le Nouveau Monde industriel et sociétaire qui n’a été corrigé et complété que sur mes instances réitérées et dans une édition publiée à part. Je serais prête à diriger une telle réédition critique, si toutefois j’étais certaine que l’éditeur respectera cette fois mes exigences. Cependant, tout en continuant mes recherches sur Fourier, son temps et ses sources, comme en témoigne mon présent rapport, je prépare à toutes fins utiles les matériaux et l’organisation d’une telle édition. »
L’ampleur de la tâche est considérable et l’on comprend, dans ces conditions, la nécessité, pour Simone Debout, de se concentrer progressivement sur des études plus personnelles, celle de solliciter, dans le même temps, des plumes contemporaines pour accompagner la diffusion de la pensée de Charles Fourier que la révolution de mai 68 a par ailleurs permis de décupler, celle enfin de répondre à d’autres lectures de l’œuvre désormais encouragées par la mise au jour des textes inédits.
Du révolutionnaire brut au penseur de l’éducation
Le 8 mars 1970, le directeur de thèse de Simone Debout, Henri Gouhier, lui écrit pour lui dire combien son travail sur l’œuvre de Charles Fourier est important et pour la féliciter « très vivement de ces pages » avant de conclure : « cette bonne thèse sera aussi un bon livre. » Les éditions Anthropos se sont déjà engagées à publier l’ouvrage à la suite des Œuvres complètes de Charles Fourier et sa composition est prévue pour l’été 70. Le nouveau plan fait apparaître une longue introduction appelée « L’illusion réelle » et l’on note, parmi les chapitres envisagés, celui intitulé « Un révolutionnaire brut », titre déjà donné à un article paru en juin 1968 dans la revue Coopération [37].
Dans la nouvelle mouture de son travail, l’ambition de Simone Debout est de « reprendre les idées à leur origine », c’est-à-dire de reprendre « les idées de Fourier à partir des événements de sa vie et de leur retentissement intérieur » en s’appuyant « sur tous les documents ou témoignages connus, susceptibles d’éclairer les circonstances de la découverte et sur les notes autobiographiques dispersées dans les livres et manuscrits de Fourier. » Dans le même rapport du CNRS, elle indique en outre que pour « compléter l’information nécessaire » à sa thèse, elle a « également recours, tout en poursuivant la rédaction, aux manuscrits et aux archives sociétaires » qu’elle souhaite pouvoir publier « pour compléter l’édition des œuvres complètes de Fourier. » L’influence des approches bien plus contextualisées de Jean Gaulmier et d’Émile Lehouck est ici perceptible, l’ancrage dans l’histoire se fait plus prégnant et l’importance de mai 1968 n’est sans doute pas à négliger dans ce changement de perspective quand le premier plan de la thèse, en 1958, se limitait à une vision plus strictement philosophique de l’œuvre.
En octobre 1970, ce n’est pourtant pas la thèse annoncée qui est publiée mais, sous la direction de Simone Debout, un double numéro spécial de la revue freudienne Topique [38], numéro consacré à Charles Fourier et dont l’article d’ouverture s’intitule précisément « L’illusion réelle ». Au sommaire, certains noms relèvent d’une proximité amicale avec Simone Debout (le surréaliste Philippe Audoin, Fernand Rude, Dominique Desanti, François Perrier), mais on relève aussi les noms plus inattendus de Maurice Blanchot, Michel Butor ou encore Pierre Klossowski. Ce même mois d’octobre 1970 paraît également, dans la revue Critique, sous le titre « Vivre avec Fourier », une recension des Œuvres complètes de Charles Fourier signée par Roland Barthes. Or, à s’en tenir à ces derniers noms (à l’exclusion de Maurice Blanchot), tous ces auteurs publient rapidement des ouvrages importants et novateurs sur l’œuvre de Charles Fourier : en 1970 La Monnaie vivante de Pierre Klossowski, La Rose des vents. 32 rhumbs pour Charles Fourier de Michel Butor auxquels doit être ajouté le Charles Fourier ou la contestation globale de René Schérer puis, en 1971, le Sade Fourier Loyola de Roland Barthes suivi notamment, en 1975, par le recueil de textes de Fourier Vers la liberté en amour présenté par Daniel Guérin [39].
Si ces publications saluent à leur manière l’importance du travail de Simone Debout pour faire connaître la pensée de Charles Fourier à travers l’édition de ses Œuvres complètes et surtout du manuscrit inédit du Nouveau Monde amoureux, elles l’enjoignent du même geste à marquer sa singularité d’interprète de l’œuvre par la publication d’un ouvrage susceptible d’interpeller lui aussi les esprits. L’immensité de la thèse encore inachevée tout comme son éclatement ne lui permettant pas d’accomplir cela dans des délais raisonnables, Simone Debout s’intéresse alors à une lettre de Charles Fourier d’abord mise en valeur par Émile Lehouck dans la revue surréaliste La Brèche en février 1963 [40], et donne à son étude l’ampleur d’un volume [41] qu’elle signe de manière symptomatique, et même si l’ouvrage ne paraît en réalité qu’au début de l’année 1974 : « Grenoble, 1972 ». Aux côtés de La Monnaie vivante, de La Rose des vents ou du Sade Fourier Loyola, l’ouvrage sur une « écriture inconnue de Charles Fourier » que Simone Debout publie sous le titre “Griffe au nez” ou donner “have ou art”, contribue à faire d’elle non plus seulement l’éditrice « historique » des œuvres de Charles Fourier dans la seconde moitié du XXe siècle, mais une de ses interprètes les plus importantes [42].
Les différentes orientations du travail de Simone Debout sur l’œuvre de Charles Fourier indiquées dans les rapports du CNRS confirment d’ailleurs, à côté de pistes poursuivies tout au long de son parcours pour des raisons strictement intellectuelles, que certaines approches relèvent d’enjeux stratégiques destinés à maintenir une pluralité de lectures de l’œuvre et à ne pas céder au risque d’une hégémonie interprétative toujours possible. Une lettre à Henri Desroche du 1er décembre 1975 l’indique sans détours : « Certes, je sais bien que je devrais clore mes recherches. Je suis décidée à trancher cette année, mais le renouveau d’intérêt pour l’utopie et pour Fourier spécialement, m’oblige néanmoins à situer mon interprétation par rapport à celles des commentateurs actuels, soit M. R. Barthes, d’une part, qui voit dans le discours de Fourier une systématisation infinie, “sans aucune prétention référentielle” et R. Schérer qui à l’inverse voit en Fourier la libération des feux du désir, au large des règles ou des lois. »
Simone Debout signifie très tôt la nécessité pour elle de tenir compte du bouleversement du paysage interprétatif autour de l’œuvre de Charles Fourier [43], mais c’est surtout à l’occasion d’un colloque de Cerisy-la-Salle consacré au Discours utopique, en juillet 1975, que se cristallisent ces oppositions qu’elle ne souhaite pas minimiser comme l’indique un rapport de décembre 1975 : « c’est au cours du colloque de Cerisy-la-Salle, tout particulièrement, que j’ai pu constater la convergence entre des travaux, en apparence fort éloignés [44], et mes propres recherches, et les divergences, par contre, de mon interprétation et de celles de commentateurs actuels de Fourier. J’indiquerai brièvement ces accords et désaccords, dans la mesure où ils orientent la dernière mise en forme de ma thèse et mes projets de recherches futures. » Et elle précise, au sujet des « commentateurs de Fourier » : « M. R. Schérer participait au colloque et les textes de M. R. Barthes furent évoqués. Or, le premier, sensible à l’audace de Fourier qui se libère de la culture et des règles imposées pour mieux déceler, à l’écart absolu, les pouvoirs originels de “production”, oublie que l’apôtre des passions est néanmoins convaincu de la puissance du langage, de la langue ou du langage mathématique ; et de la nécessité des médiations pour toute actualisation du désir. Fourier ne donne en effet droit de cité à l’informe qu’en tant que réserve de formes inconnues, et pour ne pas fausser ce qui se cherche et appelle un nouveau développement des raisons. M. R. Barthes, d’autre part, ayant mis en évidence, par opposition au système “dogmatique, fermé, monosémique”, les caractères de la systématique de Fourier, qui établit des “circulations, disséminations, pulvérisations” indéfinies des signifiants, affirme qu’elle n’a aucune prétention référentielle. Mais c’est faire bon marché de l’ardeur militante de Fourier, indigné du malheur réel des masses, et ignorer les pouvoirs sensibles, ouverts aux choses et à autrui, qu’il met en œuvre. C’est négliger l’ouverture des images d’Harmonie, en prise sur les deux pôles inépuisés du réel, les passions et les choses (matérielles et humaines). Or c’est le mouvement de va-et-vient ininterrompu entre la systématique et le référent passionnel, qui donne son véritable sens et son originalité, à l’entreprise de Fourier. [45] »
À travers ces passes d’armes, peuvent être relevées au moins deux directions de recherche prépondérantes dans le travail déployé par Simone Debout sur l’œuvre de Charles Fourier, des directions qu’elle prolonge jusqu’à la fin de sa vie et à l’interface desquelles se place une troisième thématique plus discrète et cependant fondamentale, plus singulière aussi et qui a à voir avec la place donnée aux exceptions dans les écrits de l’utopiste.
La première de ces directions est celle qui, en écho notamment aux surréalistes (mais déjà Marx et Engels l’avaient soulignée), s’intéresse de près à la question du langage chez l’utopiste, le livre“Griffe au nez” ou donner “have ou art” en étant le marqueur par excellence. Dans ce cadre, Simone Debout mentionne également les relations entretenues, plusieurs années durant, avec l’université de Grenoble [46] pour étudier, « par ordinateur », le langage de Fourier et voir ce qui, chez lui, résiste à la rationalisation scientifique systématique. Ainsi, note-t-elle non sans relation avec les études contemporaines de Michel Butor [47], Fourier forge « à même le langage, les êtres subversifs d’utopie. Mais la transgression, pour être médiatisée par l’écriture, ne renvoie pas moins à la manière dont Fourier appréhende la différence des sexes. » Ailleurs, elle indique combien les mots ont chez lui « une certaine chair substantielle et elle correspond à la chair réelle, au corps propre et aux corps du monde. Fourier pervertit la langue en utilisant exclusivement ce qui en elle résiste à la raison ; cette part du diable ou du sensible qui, malgré le sens convenu et les limites du dictionnaire, changent encore les éléments sonores du langage et les apparentent aux désirs inéluctables et au réel bouleversant qui s’articule avec eux. » Dès lors, « Fourier mettant l’accent sur cette sorcellerie irréductible défait l’ossature grammaticale, mais révèle le noyau résistant du langage. »
Une autre direction de recherche, pas moins influencée par le surréalisme mais avec une orientation psychanalytique également importante, est celle de l’exploration conjointe des œuvres de Sade et de Fourier, exploration dont le fruit est plusieurs fois annoncé sous forme de livre à paraître aux éditions Payot sous le titre « Sade et Fourier. Légitime défense, légitime entente » [48]. Ici, les compagnonnages avec Claude Lefort [49], Cornelius Castoriadis ou encore Miguel Abensour [50] et leur intérêt pour la question des totalitarismes valent autant que la complicité avec Jean Benoit et surtout avec Annie Le Brun et le désir, malheureusement jamais abouti, d’avoir avec cette dernière, sur la question « Sade et Fourier », un débat approfondi [51].
À l’interface de ces deux directions de recherche principales et les articulant, Simone Debout place de manière beaucoup plus singulière la question des exceptions, des écarts ou encore des ambigus chez Fourier, autant de transitions qui lui semblent nécessaires à l’unité harmonienne. Avec sa « théorie des exceptions » qui sont les véritables « chevilles de l’édifice » sociétaire explique-t-elle, « l’utopiste élabore une véritable pensée du mouvement. Les exceptions en effet ne surgissent pas sans disjoindre les règles ou les suites sérielles et si elles sont pourtant elles-mêmes “jointures”, c’est qu’elles reforment dans les brèches ouvertes de nouvelles organisations. Non principe de dissolution mais de recomposition, leurs vérités transitoires ne sont pas seulement absence de mensonge mais création risquée, et leur portée critique, destructrice, dépend elle-même des accords neufs qu’elles suscitent. » Ce que Simone Debout nomme les « exceptions bizarres » provoque ainsi dans les séries autant de « fissures » et les flux « encore incoordonnés du désir » n’agissent alors pas seulement « comme des puissances explosives, qui feraient partout éclater les cadres et les institutions établies », mais « ils assurent de nouveaux “passages” et, par la même, une organisation plus souple » : « Fourier étudiant “les ressorts de notre âme” et les mouvements naturels, anticipe des idées actuelles. L’ordre prépondérant, en quelque domaine que ce soit, ne doit pas faire négliger ou rejeter le désordre, ou le “bruit”, les exceptions ou les êtres marginaux, car ils sont capables d’inventions. Si le système est assez ouvert pour les accueillir, ils s’y intègrent, suscitant une organisation nouvelle, plus différenciée et plus englobante. » À cet égard, Fourier « ne cherche pas à colmater les brèches inopinées, il les favorise, il les creuse, sans renoncer à les circonscrire, voire à les investir rationnellement. »
Le développement dans de nombreux articles de ces trois directions de recherches principales — la question du langage chez l’utopiste, la confrontation Sade Fourier et la place des exceptions et des ambigus dans l’harmonie sociétaire — s’accompagne de projets d’édition toujours ambitieux, mais qui ne virent malheureusement jamais le jour : celui d’un volume de la Pléiade consacré à Fourier « qui comprendrait les textes publiés par l’auteur et les manuscrits inédits les plus importants, ainsi que des notes critiques et des introductions diversifiées », la refonte des Œuvres complètes de Charles Fourier envisagée la même année, soit en 1979, avec les éditions Slatkine à Genève, ce même éditeur qui annonce, en 1981, la publication à venir de 22 volumes des Œuvres complètes de Louis-Claude de Saint-Martin sous la direction de Simone Debout, projet pour lequel ne subsiste qu’une préface dans laquelle Simone Debout renouvelle son intérêt pour les sources occultes et ésotériques de Charles Fourier.
Mais, sans pouvoir revenir de manière exhaustive sur le contenu intellectuel d’un parcours d’écriture long de plus de soixante années de publications, c’est un ultime revirement du contenu de la thèse qui doit pouvoir retenir l’attention. En décembre 1977, Simone Debout indique achever, pour les éditions Payot — chez qui elle fait paraître l’année suivante un recueil de ses articles sous le titre L’Utopie de Charles Fourier —, « un volume sur l’éducation selon Fourier : De l’Émile à l’éducation sociétaire » et elle précise : « J’utilise pour ce faire une rédaction existante mais je la complète actuellement car je retrouve dans les vues de Fourier sur l’éducation les problèmes soulevés par la théorie des exceptions. Il s’agit en effet de constituer une théorie de l’éducation […] et de libérer chaque enfant des maîtres, des institutions ou des choses qui les forment ou les déforment, de leur permettre donc de trouver et d’inventer leurs chemins singuliers — et leurs formes propres. » Si ce projet n’est pas dénué d’intentions stratégiques [52], il indique aussi un infléchissement, même si cette question de l’éducation en harmonie figurait déjà dans le « projet de travail » de 1958. Simone Debout s’en explique dans un rapport de décembre 1979 : « J’ai envisagé un temps de soutenir ma thèse sur travaux en faisant état des livres publiés et de ceux que je prépare. Mais j’ai accumulé trop de matériaux pour ne pas souhaiter les utiliser immédiatement et constituer une étude d’ensemble. Afin cependant de ne pas me répéter et de m’appuyer néanmoins sur mes travaux antérieurs, j’ai décidé de repartir d’ailleurs — d’examiner l’œuvre de Fourier à la lumière de ce qui la couronne et représente la fonction propre de l’utopie sociétaire : l’éducation. Je prolongerai donc le livre projeté sur l’éducation stricto sensu, selon toutes les directions indiquées par l’auteur, en dégageant par là même la signification essentielle de la théorie. […] Je prends ainsi quelque distance par rapport aux travaux que j’ai déjà publiés, je relis autour d’un thème essentiel les différents textes pour les comprendre ensemble et dégager la fonction propre, éducative, de l’utopie sociétaire. » Deux années plus tard, l’ensemble de ce travail, désormais intitulé « L’Éducation en Harmonie », « forme un gros livre » que Simone Debout s’engage à réduire « avant de soutenir [sa] thèse », livre dont elle procure un plan détaillé [53] et qu’elle indique vouloir faire paraître rapidement ce qui, malheureusement, n’arriva pas.
Des statuts de l’Association à la statue de Charles Fourier
Lors de la création de l’Association d’Études fouriéristes en 1989 à Besançon et de la publication du premier des Cahiers Charles Fourier en mai 1990, Simone Debout, âgée de 70 ans, est proche de la retraite. Elle ne vit plus à Grenoble mais désormais à Paris et ne figure pas, contrairement à Émile Lehouck ou René Schérer, parmi les membres du premier Comité scientifique de l’Association. Cette absence reflète assurément une forme de condescendance qu’elle a trop longtemps entretenue vis-à-vis d’une association qu’elle jugeait parfois hâtivement. Le numéro 4 des Cahiers Charles Fourier (1993) mentionne son nom parmi les participants au colloque international « Fourier, Fouriérisme(s), Fouriéristes » avec une communication intitulée « Sade et Fourier, analyse des contraires », le numéro 7 (1996) propose une recension de son édition du texte de Charles Fourier Citerlogue chez Fata Morgana, le numéro 10 (1999) deux recensions d’ouvrages réédités et augmentés (Griffe au nez et L’Utopie de Charles Fourier), mais il faut attendre l’année suivante pour voir Simone Debout livrer un article aux Cahiers Charles Fourier et le numéro 13, en 2002, pour voir son nom apparaître parmi les membres du Comité scientifique, place qu’elle ne quitte plus jusqu’à sa disparition, étant dès lors régulièrement présente aux sommaires et cela jusqu’en 2020 (n° 31) et son dernier article publié par les Cahiers Charles Fourier intitulé « Charles Fourier et l’écologie » [54].
Cette forme de participation à une vie associative destinée à mieux faire connaître les œuvres et la pensée de Charles Fourier n’est pas inédite pour elle. En octobre 1971, est organisée, par Nicolaus Sombart et Jean-Pierre Faye notamment, dans les locaux des éditions Anthropos à Paris, une réunion préparatoire au « Bicentenaire Charles Fourier ». Simone Debout n’est pas présente ce jour [55], mais c’est à partir de cette initiative [56] que fut organisé le colloque Actualité de Fourier d’Arc-et-Senans, en septembre 1972, colloque publié ensuite chez Anthropos sous la direction de Henri Lefebvre et auquel elle participe [57].
À partir de 1986, c’est l’association Les Amis de Charles Fourier qui requiert Simone Debout : elle en est la vice-présidente, René Schérer en est le président et Guy Hocquenghem le directeur artistique [58]. Son objectif principal « est de restituer sur son socle resté vide une nouvelle statue de Fourier », ce qui passe par la réalisation d’un bulletin semestriel [59] ainsi que par l’organisation d’un colloque international de deux jours à la Sorbonne, « Modernité et utopie : Charles Fourier », en janvier 1988 [60]. Dans une lettre commune signée René Schérer et Simone Debout, ces derniers indiquent songer ainsi « au Fourier vivant, plus complet, mieux connu, dont la pensée s’est diffusée dans le monde entier. Nous désirons rendre visible, non seulement l’inventeur du Phalanstère et de l’association industrielle, mais le prophète, le poète d’une nouvelle manière de vivre, celui qui a aiguillonné le monde dans toutes ses conventions. »
Avec le rêveur sublime, rendre conjointement visible le révolutionnaire brut, tel fut sans doute le désir porté par Simone Debout sa vie durant, à travers ses activités d’éditrice des Œuvres complètes de Charles Fourier comme par ses recherches toujours relancées, ses interprétations qu’elle ne cessait de revisiter pour mieux les déployer autant que les déplacer, mieux les faire vivre au rythme d’un mouvement qu’elle aura identifié comme au cœur de l’harmonie passionnelle.