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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Parution de l’"Utopie" de Thomas Bouchet
Article mis en ligne le 27 janvier 2021

Vient de paraître, publié par la formidable maison d’édition Anamosa, un livre de Thomas Bouchet, bien connu de notre association. Il s’agit d’un petit ouvrage de la collection "Le mot est faible" qui, parce que les mots sont déformés et instrumentalisés par les pouvoirs dominants, se donne pour but de leur redonner du sens, de leur rendre leur force et leur pouvoir d’action.
Alors que le mot « utopie » est au mieux paré des vertus du doux rêve, au pire rangé pour certains non loin des totalitarismes, Thomas Bouchet s’en empare, dans un voyage au sein de la littérature et de la théorie politique, afin de le recharger. Ci-joint un petit extrait du début du livre.

« Les six lettres d’utopie nous sont assez familières. Pourtant, il est difficile de déterminer quelle place le mot tient dans nos vies. Il paraît à la fois proche et lointain. Il est déroutant en lui-même car si en grec « topos » signifie « lieu », le « u » initial peut être l’équivalent d’un « ou » et l’utopie serait alors le non-lieu (le lieu de nulle part), ou bien l’équivalent d’un « eu » et l’utopie serait alors le bon lieu (le lieu du bonheur). Il déroute aussi parce qu’il est environné d’une petite nébuleuse de mots dérivés, de qualificatifs, d’expressions apparentées. Utopie, mais aussi utopiste ou utopique. Utopie, pure utopie, belle utopie, folle utopie. Ceci est une utopie, cela n’est pas une utopie ou n’est qu’une utopie. Il y a aussi anti-utopie ou contre-utopie (mais quel lien entre ces deux-là ?), qui peuvent aussi accompagner utopie, ou s’y confronter, ou s’y substituer. Accommodée à toutes les sauces, l’utopie a été parée dans l’histoire de couleurs diverses voire inconciliables. Cela reste le cas aujourd’hui – on peut s’en convaincre en faisant le test auprès de proches ou de passants. Orange sur le mur de la Croix-Rousse, mais aussi rose ou rouge ou brune ou noire, verte comme l’écologie, jaune comme l’opposition populaire au président Macron et à son gouvernement. Ou arc-en-ciel. Certains la voient transparente, d’autres opaque. Ici claire, sombre là.

Elle peut être désirée ou bien dénigrée, prisée ou bien méprisée. Elle peut s’employer avec le U majuscule de l’admiration ou de la peur, ou avec un u minuscule motivé par la confiance, l’attendrissement, la moquerie. Elle donne lieu à toutes sortes de parallèles, rapprochements, télescopages, mises à distance : avec idéologie (Karl Mannheim, Paul Ricoeur), rêve, mythe, réalité, fiction et aussi science-fiction, et même totalitarisme. Car utopie est aussi – et peut-être même surtout – ce qu’en font celles et ceux qui s’en saisissent. Ce mot-caméléon prend les teintes de ce qui l’entoure. « Vive l’utopie » pour les un·es, « à bas l’utopie » pour les autres : le mot est davantage polémique que descriptif et l’effet de brouillage n’en est que plus marqué. En bref : utopie est un mot vif et vivant, un mot qui ne tient pas en place et qui pour cette raison même nous est précieux. »
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