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109-112
RIOT-SARCEY Michèle (dir.) : L’Utopie en questions (2001)

Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, coll. " La philosophie hors de soi", 2001, 256 p.

Article mis en ligne le décembre 2001
dernière modification le 3 avril 2007

par Bouchet, Thomas

L’Utopie en questions est le résultat de plusieurs années de recherche, menées par une douzaine de chercheurs autour de Michèle Riot-Sarcey. Trois ans de séminaire sont à l’origine de l’essentiel des contributions ; l’ouvrage se nourrit aussi de réflexions plus anciennes : les articles de Jacques Rancière (« sens et usages de l’utopie ») et de Miguel Abensour (« utopie et démocratie ») figuraient déjà dans un numéro de Raison présente (1e trimestre 1997) ; et l’idée directrice repose en partie sur les analyses et les propositions de Michèle Riot-Sarcey, dans La Démocratie à l’épreuve des femmes (1994) et dans Le Réel de l’utopie (1998). Quant aux Presses universitaires de Vincennes, qui accueillent L’Utopie en questions, elles ont l’habitude, depuis de nombreuses années, de publier d’importantes réflexions sur l’utopie, et notamment sur le fouriérisme : c’est déjà dans la collection « La philosophie hors de soi » que Pari sur l’impossible, études fouriéristes, de René Schérer, est paru en 1989.

Cette longue maturation explique probablement l’originalité du livre, qui ne cherche pas la synthèse, ne propose pas un bilan, et encore moins une vulgate sur l’utopie. Il exprime plutôt une diversité, une hétérogénéité parfois déconcertantes au premier abord. Il consiste en une série de regards, sans qu’il ait été question de les réduire à un dénominateur commun. À ce titre, l’une de ses grandes qualités est de laisser une impression d’inachèvement, donc d’ouverture sur des perspectives de recherche à venir. Les douze articles sont rassemblés en trois parties : « figures de l’utopie, entre chimères et émancipation » ; « traversées de l’utopie, entre science et critique sociales » ; « enjeux et pratiques de l’utopie ». Chacun de ces intitulés signale qu’à une illusoire interprétation globale est préféré un travail dans l’« entre-deux ». Historiens, philosophes ou encore spécialistes de littérature y confrontent leurs hypothèses.

De fait, comme le souligne Michèle Riot-Sarcey dans son introduction, la notion d’utopie est polysémique, « l’utopie se dérobe à toute tentative de catégorisation générique ». Son histoire est chaotique, ses traditions conflictuelles, ses modes d’écriture et d’expression divers (du discours au pamphlet, du journal au roman, du traité au récit...) Une bonne partie de ceux qui sont aujourd’hui qualifiés d’utopistes (les membres de l’École sociétaire, mais aussi les hommes de 1789 ou les saint-simoniens) rejetaient vigoureusement cette appellation, l’appliquant à leurs détracteurs. En outre, - et cette analyse est fréquemment reprise dans l’ouvrage -, l’utopie a fait l’objet d’interprétations qui l’ont travestie, dénaturée, niée dans ses principes mêmes ; il est malaisé d’en ressaisir le mouvement propre tant le filtre est puissant (Jean-Jacques Goblot le montre bien en réfléchissant sur les écrits disqualifiants de Louis Reybaud). Enfin, l’histoire de l’utopie est tout sauf linéaire. Elle s’exprime dans des interstices, des aspérités, à la faveur de décrochages qui sont autant de points de vue privilégiés. D’où, à lire l’ouvrage, l’impression que l’utopie se caractérise en particulier par son pouvoir de déstabilisation, par ses audaces théoriques (fort bien signalées, par exemple, dans l’article d’Antoine Picon sur une science saint-simonienne).

Quelques axes importants se dégagent progressivement, au fil des pages. Une partie des auteurs s’appliquent à restituer sa dimension politique à l’utopie, trop souvent cantonnée dans le social. L’enjeu est d’importance, car la place de l’utopie dans l’histoire et dans le présent en dépend. En majeure, c’est la question de la démocratie qui sans cesse revient. En mineure, celle du totalitarisme n’est pas esquivée, ne serait-ce qu’en raison des procès actuels faits à l’utopie. Miguel Abensour, reprenant à son compte les démonstrations de Claude Lefort, montre bien à ce propos l’abîme qui sépare la démarche utopiste du totalitarisme, « entreprise historique qui prétend créer l’humain ou l’organiser comme s’il s’agissait là d’un matériau malléable à volonté ».

L’ouvrage ouvre nombre d’autres pistes, sur les rapports entre utopie, mythe, mythologie ; sur la différence d’horizons entre pensée de la communauté et pensée de l’association ; sur les relations qui se tissent entre l’utopie et le temps (Guy Rosa replace son propos dans un XIXe siècle « chrono-centriste » et considère que l’utopie romantique peut se décliner au « futur antérieur » ; Michael Löwy montre que, selon Walter Benjamin, « l’objectif n’est pas un retour au passé, mais un détour par celui-ci vers un avenir nouveau ») ; ou encore sur les rapports entre l’utopie et son temps, qu’il s’agisse de la formuler dans le présent de l’énonciation par des mots qui ne soient plus vides de sens (Jacques Rancière) ou de l’expérimenter dans les vastes étendues texanes (Michel Cordillot).

Le XIXe siècle, on l’aura compris, est omniprésent dans L’Utopie en questions. Le saint-simonisme y tient une place privilégiée, qui reflète les spécialisations d’une partie des auteurs. Mais il est aussi beaucoup question de fouriérisme, soit directement, soit en arrière-plan. Le regard porté par Marx (et par Engels) sur Considerant est analysé avec pénétration par Solange Mercier-Josas, au-delà de schémas à l’évidence réducteurs (ainsi, dans La Sainte Famille, ces phrases sur « la théorie sociale » de la Démocratie pacifique qualifiée de « fouriérisme frelaté », et de « doctrine sociale d’une partie de la bourgeoisie philanthrope »), dans l’articulation entre question politique et question sociale. Michel Cordillot livre pour sa part une présentation fine et vigoureuse de l’expérience de Réunion, dans le sillage du numéro 4 des Cahiers Charles Fourier qu’il a coordonné en 1993 (« Autour de la colonie de Réunion, Texas »). Michael Löwy, dans « L’utopie Benjamin », rappelle l’influence exercée par Fourier sur l’auteur de Paris, capitale du XIXe siècle. Antoine Picon signale la place tenue par les « spéculations astronomiques de Fourier » dans la pensée saint-simonienne, et cite à l’appui de ses analyses ce jugement de Lambert, au début des années 1830 : « Je ne crois pas aux harmonies sidérales de Charles Fourier. Mais en vérité, je suis enchanté de sa critique hardie et vigoureuse contre la science desséchée qui se traîne, de nos jours, sur les pas de Newton. [...] Il est beau de fouler aux pieds les axiomes d’une science étroite, d’en montrer la vanité et le néant, et de se lancer audacieusement dans un nouvel univers. » Nul doute enfin que, dans la conclusion de l’ouvrage, c’est à Fourier que songe Miguel Abensour lorsqu’il met en relief « une forme de pensée qui se donne comme boussole ‘l’écart absolu’ ».

Au total, voilà donc un ouvrage très d’un grand intérêt, qui aide à saisir des aspects importants de la pensée de Fourier et de l’action des fouriéristes, qui soulève aussi un certain nombre de questions centrales à propos de l’utopie, bien au-delà du seul XIXe siècle.


Aphorisme du jour :

Les attractions sont proportionnelles aux destinées

La série distribue les harmonies

Le bonheur c’est d’avoir beaucoup de passions et beaucoup de moyens de les satisfaire

La couronne boréale est liée au bonheur

Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions

Les passions doivent toujours se combiner entre elles

L’équilibre des passions ne peut s’établir que par un choc régulier des contraires

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