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Belgiojoso, Cristina Trivulzio (princesse de)
Article mis en ligne le 16 mai 2017
dernière modification le 26 juin 2022

par Desmars, Bernard

Née le 28 juin 1808 à Milan (alors capitale du royaume d’Italie napoléonien), décédée le 5 juillet 1871 à Milan (royaume d’Italie). Aristocrate italienne, engagée dans le combat pour l’unification italienne. En relation avec Victor Considerant dans les années 1840. Contribue au financement de l’École sociétaire et de La Démocratie pacifique  ; y publie plusieurs articles. Réalise une « expérimentation sociale » à Locate (Lombardie).

Née dans une famille de la noblesse italienne, Cristina Trivulzio épouse en 1824 le prince Emilio Barbiano di Belgiojoso. Après quelques années de vie commune, les deux époux se séparent. Cristina, à la fin des années 1820, est proche des partisans de l’unité italienne et donc hostile à la domination autrichienne sur la Lombardie. Pour assurer sa sécurité, elle s’enfuit vers la France. À Paris, elle tient un salon où elle reçoit notamment des exilés italiens ainsi que des écrivains et des artistes de différents pays européens (Heinrich Heine, Franz Liszt, Mignet, Alfred de Vigny).

Cristina di Belgiojoso et le socialisme

Elle s’intéresse d’abord au saint-simonisme qui contribue à la rendre sensible à la question sociale. Elle entre ensuite en contact avec Victor Considerant, qui vient à son salon en 1844. Elle prend deux abonnements à La Démocratie pacifique [1]. Elle aide l’École sociétaire en prenant des actions dans les sociétés du mouvement phalanstérien et en sollicitant le concours financier de ses amis. C’est sans doute aussi grâce à elle que la collaboration d’Honoré de Balzac à La Démocratie pacifique est un moment envisagée. De son côté, Victor Considerant l’aide en 1845 à sauver une partie de ses biens de la confiscation par les autorités autrichiennes, en organisant leur rachat [2].

La Démocratie pacifique publie en novembre 1844, sur la première page, un long article de Cristina di Belgiojoso sur « les paysans de Lombardie » [3]. Elle y décrit les activités agricoles et les conditions de vie des habitants ; elle y critique aussi la domination autrichienne, qui se traduit notamment par la perception de lourds impôts et l’appauvrissement de la province. En mai 1845, le quotidien fouriériste reproduit la traduction d’une lettre d’abord parue dans la Gazetta privilegiata di Milano  ; le texte relate les initiatives de Cristina di Belgiojoso dans ses propriétés en Lombardie [4].

En effet, de 1840 à 1848, elle passe une grande partie de l’année à Locate, près de Milan. Elle y crée tout d’abord une salle d’asile en 1840, située dans une partie de son château. Puis, elle soutient le développement d’écoles élémentaires communales – une pour les garçons et une pour les filles. Elle fait ouvrir des cours en 1843 pour les enfants un peu plus âgés ; tout en prolongeant la formation des élèves avec l’écriture et le calcul, ils préparent les filles aux activités ménagères et proposent aux garçons quelques éléments de formation professionnelle. Par ailleurs, des cours de chant sont donnés à quelques jeunes gens, au moins dans l’hiver 1845. À côté de ces initiatives concernant la scolarisation de l’enfance et de la jeunesse, elle s’efforce également d’améliorer la vie des adultes : un chauffoir est ouvert à partir de 1845, du matin au soir pendant l’hiver, afin de permettre aux pauvres de trouver gratuitement un asile chauffé et salubre. La même année, une cuisine distribue des repas pour un prix modeste. Le bilan proposé par la princesse Belgiojoso est favorable : au-delà des secours qu’elles ont apportés aux habitants pauvres de Locate, ces initiatives les ont habitués à l’innovation et à l’idée de progrès.

Certains ont cru reconnaître dans les réalisations de Locate une inspiration fouriériste [5]. La Démocratie pacifique veut y voir la manifestation des « progrès du principe d’association en Lombardie » [6]. Cristina di Belgiojoso écrit elle-même à Augustin Thierry en 1845 que son domaine « a bien l’air, à présent, d’être sorti des mains fouriéristes » [7]. Cependant l’étude de Marianne Bauer sur « l’expérimentation sociale de Locate » suggère qu’il s’agit plutôt d’une œuvre philanthropique, de la part d’une aristocrate qui considère que les grands propriétaires ont des responsabilités envers leurs paysans. Il n’est pas question de favoriser une transformation des rapports sociaux et une émancipation des habitants. Les établissements scolaires, le chauffoir et la cuisine sont issus de la volonté de Cristina di Belgiojoso qui craint d’ailleurs que son absence prolongée n’entraîne la disparition de son œuvre [8].

Du reste, son intérêt pour les idées véhiculées par Considerant et l’École sociétaire ne concerne guère que leur dimension économique et sociale (accroissement de la production ; amélioration du sort des travailleurs) ; elle laisse de côté les fondements théoriques – et notamment le système passionnel – du fouriérisme [9].

En 1845, Cristina di Belgiojoso lance son propre périodique, La Gazetta Italiana, bientôt suivie de L’Ausonio [10]. Cependant, elle continue à entretenir des relations avec Victor Considerant. Ses deux journaux sont mentionnés dans la liste des « échanges » de La Démocratie pacifique [11]. Et en 1847, l’administration de La Démocratie pacifique lui ayant réclamé une somme d’argent supérieure à ce qu’elle affirme devoir, Victor Considerant intervient en sa faveur et annule la dette en la faisant passer aux « profits et pertes » de la société.

Je ne veux d’ailleurs pour rien au monde que l’on prolonge un moment de plus cette discussion d’argent avec vous. […]

La petite perte dont vous aurez été l’occasion pour nous sera plus que compensée encore par le concours que vous aviez apporté spontanément à notre oeuvre en nous adressant dans une lettre que nous conservons précieusement un billet de mille francs en 1845 [12].

En 1848 et 1849, la Revue de l’éducation nouvelle, dirigée par le fouriériste Jules Delbrück insère une série de textes de la princesse di Belgiojoso ; ces articles font le récit, sous la forme d’un dialogue entre une mère et ses deux fils, d’une visite au Musée d’histoire naturelle et plus précisément à sa section ornithologique. Le texte fait voisiner la description des oiseaux et des réflexions générales sur l’existence [13].

Les « Lettres sur l’Italie » (1849)

Le principal combat de Cristina di Belgiojoso demeure l’unité et la liberté de l’Italie. De janvier à juin 1849, elle envoie à la rédaction de La Démocratie pacifique dix « Lettres sur l’Italie » dont neuf paraissent dans le quotidien fouriériste [14]. Les premières sont écrites depuis Paris et ont pour but d’expliquer la situation de Rome et de la péninsule italienne, de contrer les fausses informations qui paraissent dans différents journaux et, sans doute, d’influencer la politique italienne de la France dans un sens favorable à l’unité italienne [15]. Fin février, elle quitte Paris et, après un passage à Florence, elle rejoint Rome où la République, proclamée le 9 février 1849, est bientôt menacée par l’expédition de troupes françaises. D’avril à juin, elle analyse la position de Rome, décrit les déplacements des soldats et commente la politique extérieure de la France. Une dernière lettre est rédigée le 17 juin et envoyée depuis Gênes à la rédaction de La Démocratie pacifique  ; la princesse Belgiojoso y dénonce la trahison des idéaux républicains – droit des nationalités ; liberté, égalité, fraternité – par le gouvernement français. Mais à ce moment, à la suite de la manifestation du 13 juin 1849 – qui a justement pour but de dénoncer l’intervention française contre la république romaine - La Démocratie pacifique a cessé de paraître [16].

Parallèlement à ces activités journalistiques, Cristina di Belgiojoso est chargée à partir du 28 avril de la direction générale des « Ambulanze Militari ». Elle a ainsi la responsabilité des hôpitaux militaires de Rome lors des combats entre le corps expéditionnaire français et les républicains romains, en juin-juillet 1849 [17]. Après la défaite des seconds, elle quitte l’Italie afin d’échapper à une arrestation. En mars 1850, elle reprend contact depuis Athènes avec l’École sociétaire ; elle demande aux fouriéristes de la rue de Beaune de transmettre une lettre à « Mr Brysbane [sic] d’Amérique » [18]. Il s’agit probablement pour elle d’obtenir une intervention de Brisbane auprès de la rédaction du New York Daily Tribune dont elle souhaite devenir une correspondante ; sans doute la démarche est-elle efficace, puisqu’elle collabore avec ce périodique américain de juillet 1850 à 1854 [19].

Elle rentre ensuite en Lombardie, bientôt rattachée au royaume de Piémont-Sardaigne (1859), avant la constitution du royaume d’Italie (1861). Elle abandonne alors la politique, vivant entre Milan, Locate et Blévio, à proximité du lac de Côme.


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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