Né le 27 décembre 1793 à Billy-sur-Aisne (Aisne), décédé le 15 octobre 1868 à Alger (Algérie). Docteur en médecine, hygiéniste, professeur d’anatomie, directeur de l’École de médecine d’Alger. Abonné au Phalanstère, en relation avec l’École sociétaire.
Fils d’un cultivateur, tonnelier et juge de paix, Noël Innocent Patin reçoit sa formation initiale dans son village de Billy, de la part d’une femme qui lui apprend à lire et à écrire, et du curé qui lui enseigne les premiers rudiments de latin ; il élargit sa culture grâce aux livres. Son père l’oriente vers les études de médecine ; il suit les cours
gratuits d’anatomie dispensés à Soissons par un professeur dont il devient le répétiteur ; parallèlement, il fréquente l’hôpital de Soissons pour approfondir ses connaissances. Lors des guerres de 1814-1815, il sert en tant que sous-aide major à l’hôpital militaire de Soissons. Il s’inscrit à l’École de médecine de Paris où il suit les cours du professeur François Chaussier, très réputé en particulier pour ses enseignements d’anatomie et de physiologie [1]. Il obtient son doctorat en 1823 avec une thèse intitulée Dissertation sur la péritonite. Il exerce quelque temps à Chaumont (Haute-Marne) ; il épouse Félicie Desgroux à Saint-Eustache à Paris en 1825 [2] ; le couple s’installe à Troyes l’année suivante. Un enfant naît en 1829, Eugène, futur médecin militaire. Les deux époux se séparent dans les années 1840. Félicité Desgroux quitte le domicile conjugal en qualifiant son mari de « monstre » ; puis, à son retour, elle accuse son mari « des imputations les plus graves » que rien dans l’enquête ne vient étayer : elle le soupçonne de vouloir l’empoisonner et affirme qu’il vit « en concubinage avec sa domestique ». Enfin, « elle s’est livrée en différentes circonstances à des actes de violence et d’emportement ». La justice prononce en 1846 la séparation de corps et de biens du Dr Patin et de son épouse, la garde de l’enfant étant confiée au père [3]. Félicie Desgroux n’est plus au foyer familial lors du recensement de 1846 [4].
Cours d’hygiène et « parti jacobino-libéral »
Le docteur Patin exerce la médecine avec la volonté de diffuser les principes hygiénistes dans le peuple ; d’une part, cela permettrait d’améliorer la situation sanitaire des milieux populaires ; d’autre part,
on en pourrait espérer pour la morale individuelle et la morale publique d’importantes améliorations. Les habitudes d’ordre que contracte l’homme qui se soumet aux règles hygiéniques, doivent avoir une influence toute puissante sur ses actes intellectuels et moraux […] Le peuple qui serait le plus fidèle observateur des lois de l’hygiène serait aussi le plus vertueux [5].
Aussi aimerait-il voir
l’hygiène et la médecine populaire devenir une partie de l’instruction générale. Si ces sciences étaient enseignées dans chacun de nos collèges, si les instituteurs primaires de nos villes et de nos campagnes étaient mis en état d’en donner quelques notions à leurs élèves, une population plus nombreuse, plus robuste, plus intelligente et plus morale en serait infailliblement le résultat.
En attendant que cela se réalise, il obtient du ministre de l’Instruction publique l’autorisation d’ouvrir un cours pendant l’hiver 1828-1829, qui est annoncé par des affiches placardées sur les murs de Troyes :
Cours gratuit et public d’hygiène (Art de conserver la santé) à l’usage des personnes étrangères à la médecine, par M. le docteur Patin. [6]
Ce cours est dispensé à l’hôtel de ville ; il est censé s’adresser à un public populaire, aux ouvriers de Troyes :
L’hygiène, ou la science qui a pour objet la conservation de la santé et le perfectionnement de l’organisation, est une des branches de nos connaissances qu’il importe le plus de populariser. Notre ville est d’ailleurs celle où il est le plus pressant de répandre des notions hygiéniques. Un sol humide, des rues étroites, des travaux malsins [sic] dont la plupart s’exécutent dans des caves obscures […] Les scrophuleux y abondent, la phtisie y fait de nombreuses victimes. Des soins hygiéniques bien entendus peuvent sans doute modifier avantageusement ces effets ; mais quel autre moyen de prouver la nécessité de leur emploi qu’un cours d’hygiène populaire ? [7]
Cette initiative rencontre un grand succès – mais plutôt auprès de la jeunesse aisée, d’après les témoignages d’auditeurs et les rapports des autorités – et sa leçon inaugurale est reproduite dans le Journal de l’Aube (vendredi 26 janvier 1829). Le même périodique annonce plus de 300 auditeurs [8]. Plusieurs décennies plus tard, un homme ayant assisté à ces cours se souvient :
J’ai toujours présente à la mémoire l’affluence des auditeurs attirés à ces cours d’hygiène par la parole limpide du docteur […] ; cette foule était telle que la grande salle de l’hôtel de ville était à peine suffisante pour la contenir ; bientôt ce cours fut interdit subitement par ordre du Maire [9].
Ce cours suscite en effet des oppositions dans le corps médical et parmi les élites locales pour des raisons à la fois scientifiques, morales et politiques ; une brochure publiée de façon anonyme en mars 1829, mais due à l’un de ses confrères, le docteur Blampignon, ironise sur le discours et les prétentions de ce jeune médecin [10], qui est également la cible d’une chanson satirique due au docteur Bedor [11]. Surtout, à l’automne 1829, alors que Patin prévoit de reconduire son enseignement pendant l’hiver suivant, Blampignon, envoie une lettre au préfet de l’Aube, dans laquelle il dénonce tout d’abord les orientations du cours public, dont l’auteur
au lieu de s’occuper des matières ayant un rapport essentiel et direct à l’hygiène, aurait pris à tâche d’égarer son auditoire dans le labyrinthe physiologique des sensations publiques et morales de l’homme [12].
Il reproche en particulier à Patin d’avoir exposé la théorie phrénologique, ou
le système de Gall, qui attribue à des protubérances du crâne la cause immédiate de toutes les facultés intellectuelles des passions soit physiques, soit morales de l’homme, en sorte qu’à l’aide de ce dangereux système, tous les vices et tous les crimes pourraient être excusés, justifiés même, puisqu’ils seraient l’effet inévitable de l’organisation physique individuelle.
Patin a en plus enseigné
Le système de la génération avec la description des parties génitales de l’un et l’autre sexe, jusqu’à faire rougir de pudeur son auditoire composé en grande partie de l’élite des jeunes gens de la ville, de l’âge de 17 à 18 ans et au-dessus.
De façon générale, le cours est donc dangereux pour le public, « en obscurcissant son esprit par l’exposé des absurdes et pernicieuses doctrines du matérialisme ».
Mais Blampignon affirme également que Patin a « formé dans son domicile une réunion clandestine de ces mêmes jeunes gens au nombre de près de 40 », pour « un cours privé gratuit d’hygiène leçons particulières » consacré « à l’exposition des matières qu’il serait peu convenable de traiter dans son cours public ». Blampignon s’inquiète de ce que peut dire dans
ses leçons particulières données à huis-clos ce professeur qui, en séance publique, bravait et outrageait la morale. Mais ce qu’il enseignait chez lui à ses disciples est son secret et le leur.
Enfin, la dénonciation porte aussi sur les opinions politiques de Patin et de ceux qui le soutiennent, comme « le Journal politique de l’Aube, feuille très dévouée au parti jacobino-libéral, l’ennemi de toute institution monarchique et religieuse » et le « Comité libéral troyen ».
Aussi Blampignon demande-t-il l’interdiction du cours public et « la dissolution de la société illégale » qui se réunit chez Patin pour le cours particulier.
Ces cours sont à n’en pas douter, l’œuvre et sous le patronage du comité libéral, ayant un but caché sous le voile spécieux d’utilité publique ; celui de pervertir, corrompre et dépraver l’esprit et le cœur d’une jeunesse intéressante par sa naissance et son éducation.
Cette dénonciation provoque un échange de lettres entre la préfecture de l’Aube, la mairie de Troyes et le ministère de l’Instruction publique. Le maire, qui a rapidement refusé d’accorder la salle de l’hôtel de ville utilisée l’année précédente, conforte les accusations de Blampignon et affirme que Patin a trahi sa confiance, en traitant en public des questions qui devaient l’être dans le cadre de cours privé ; cela aurait conduit « quelques élèves appartenant à des parents honnêtes [à] se retirer de leur propre mouvement » tandis que « des parents bien informés de ce qui se passait, retirèrent prudemment leurs enfants d’un enseignement qui n’a d’autre but que celui de conduire la jeunesse au matérialisme » [13].
Quant aux cours privés, qui se tiennent chez Patin :
les jeunes gens qui les suivent ont le plus grand soin de ne rien laisser pénétrer dans le public. Ce mystère fait croire que si le professeur a pu fronder publiquement il peut le faire impunément dans le particulier. Au résumé, c’est un homme dangereux et d’autant plus dangereux qu’il n’est pas sans moyens et qu’il débite avec facilité.
De surcroît, Patin s’est livré publiquement à la critique de l’enseignement secondaire, affirmant que
l’enseignement des collèges n’était plus de notre siècle, que les langues anciennes, [le] latin, le grec, les belles lettres et la philosophie devaient être remplacés par l’enseignement des sciences naturelles et exactes, les seules, ajoutait-il, qui fussent nécessaires à l’homme.
Le préfet se demande si la dénonciation n’est pas liée à « un esprit de rivalité et peut-être de singularité de M. Blampignon » et le ministère envisage « une jalousie de métier » [14]. Néanmoins, en janvier 1830, le Conseil royal de l’Instruction publique refuse d’accorder l’autorisation nécessaire à la tenue du cours. Peu de temps après, Patin annonce vouloir continuer son enseignement, mais de façon privée et pour un public limité [15]. En 1833, le Conseil royal de l’Instruction publique autorise à nouveau le cours, qui peut reprendre début février 1834 [16].
Activités savantes
Les préoccupations sanitaires de Patin s’observent aussi dans le cadre des différentes sociétés savantes dont il est membre. En avril 1828, il est admis au sein de la Société académique d’agriculture, des sciences, arts et belles-lettres du département de l’Aube. En juin suivant, il lit un « mémoire sur l’emploi de l’acétate d’ammoniaque dans les maladies de l’utérus » qui est reproduit dans les Mémoires de l’association [17]. Peu après, il insère dans la même revue un article sur les « premiers secours à administrer dans les cas d’empoisonnement et de plaies envenimées » [18]. Il fournit plusieurs rapports et comptes rendus bibliographiques à la société qu’il préside en 1840.
Avec d’autres membres de la section des sciences de la Société d’agriculture, il procède à la reconstitution d’un musée de sciences naturelles, dont les collections avaient été dispersées en 1814-1815, lui-même s’occupant plus particulièrement de la zoologie [19]. Ce musée est aussi un lieu d’enseignement, et Patin y dispense des cours d’anatomie et de zoologie vers 1838 et 1839. Un auditeur, futur médecin, souligne la « facilité d’élocution prodigieuse », son « remarquable talent de parole ».
Ces leçons furent suivies avec le plus grand empressement, et elles déterminèrent chez plusieurs des élèves de l’ancien collège de Troyes […] la résolution d’embrasser la carrière médicale [20].
De 1848 à 1852, il fait des cours gratuits d’anatomie aux élèves internes de l’Hôtel Dieu de Troyes [21].
Il est également membre correspondant de la Société d’agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne [22], selon l’un de ses confrères, il est « en relation avec les premiers savans [sic] de l’Europe » [23] ; « son zèle infatigable, son ardent amour de la science et les éminents services qu’il rend à notre département » suscitent les éloges de ses concitoyens aubois [24].
Améliorer la salubrité et diffuser l’éducation
Comme d’autres médecins de son temps, Patin attache une grande importance aux conditions de vie de la population et aux moyens qui pourraient être employés afin d’améliorer la salubrité publique. Cette préoccupation, on l’a vu, s’est d’abord manifestée à travers son cours public. Puis, quand, en 1830, les autorités créent un Conseil d’hygiène et de salubrité à Troyes, elles appellent Patin à en faire partie. Quelques années plus tard, l’institution est réorganisée avec deux niveaux, l’arrondissement et le département ; Patin préside à la fois le conseil de salubrité de l’arrondissement de Troyes et le comité central pour le département de l’Aube ; s’il est relégué à la place de vice-président en 1850, c’est que désormais la présidence est statutairement exercée par le préfet. Il est particulièrement actif dans la lutte contre les épidémies de choléra de 1832 et 1849, lors desquelles il prodigue à la population des conseils pour éviter d’être atteint par l’épidémie. Son dévouement lui vaut une médaille en 1849.
Dans le cadre des comités d’hygiène ou dans celui de la société savante, il se livre à différents travaux afin de mieux connaître l’état sanitaire de Troyes et des environs ; en 1835, il présente une étude sur la mortalité du chef-lieu de département de 1820 à 1830, qui est ensuite publiée dans l’Annuaire de l’Aube ; surtout, comme le font alors nombre de ses confrères français, il réalise une topographie médicale, travail où les auteurs s’efforcent de mettre en relations les conditions naturelles (géologiques, climatiques, hydrologiques), les modes de vie, les activités économiques et la situation sanitaire d’une zone en général peu étendue. Patin choisit Villemaur-sur-Vanne, une commune située à environ 30 kilomètres de Troyes. Précédé de quelques pages sur la géologie et la botanique rédigées par deux autres membres de la Société d’agriculture, son texte présente sur plus de soixante pages le territoire communal, la population, son alimentation, son habitat, ses comportements, l’éducation donnée aux enfants, les cultures pratiquées, les animaux élevés, etc. L’ensemble se conclut sur les mesures qu’il faudrait prendre pour améliorer les conditions sanitaires du lieu :
Dessécher le marais de la Vannes, assainir les habitations des Bordes, vivre sobrement, améliorer l’état des mœurs, soigner mieux l’éducation physique, intellectuelle et morale des enfans [sic] : tels sont les principaux conseils que nous adressons aux habitants de Villemaur ; telles sont les conditions essentielles qui, bien remplies, amélioreront notablement l’état sanitaire de la commune, y augmenteront la durée de la vie, ainsi que la vigueur des constitutions ; en feront, en un mot, un des villages les plus aisés, les plus salubres et des agréables du département [25].
Dans cette étude sur Villemaur, Patin insiste beaucoup sur la nécessité d’améliorer l’éducation des enfants. Lui-même, à Troyes, fait partie du comité local de surveillance de l’instruction primaire pendant de longues années (il est mentionné parmi les membres de ce comité dans l’Annuaire de l’Aube de 1835 et il y figure encore en 1855, à la veille de son départ) ; il préside, au moins à partir de 1835, une Société de propagation de l’enseignement mutuel – un mode d’enseignement alors promu par les milieux libéraux – mentionnée pour la dernière fois dans l’Annuaire de 1850 ; cette association, grâce aux fonds qu’elle réunit par souscription, établit la gratuité dans plusieurs écoles auboises (dont trois écoles communales de Troyes) mettant en pratique l’enseignement mutuel ; elle accorde des indemnités à des instituteurs afin de compléter leur médiocre traitement ; elle introduit le chant et le dessin linéaire dans certaines classes et contribue à l’ouverture de cours d’adultes. Le Dr Patin est par ailleurs le médecin du collège royal (le lycée à partir de 1848) de Troyes [26].
Engagements sociaux et politiques
De façon générale, le Dr Patin s’intéresse à l’éducation du peuple, à ses conditions de vie et aux solutions qui permettraient de les améliorer. Il est présenté au sein de la Société d’agriculture comme un homme « ardent […] à se vouer à tout ce qui intéresse l’humanité » [27], sans que l’on sache bien si cette phrase concerne ses seules activités médicales et scientifiques, ou s’il faut y voir une allusion à ses convictions socialistes.
Connu pour ses idées libérales à la fin des années 1820, il adhère d’abord aux idées de Saint-Simon au début de la décennie suivante. En janvier 1832, il écrit une longue lettre à Michel Chevalier, le directeur de l’organe saint-simonien Le Globe ; il déclare adhérer à la doctrine saint-simonienne depuis un moment, mais l’avoir tu :
Depuis quinze mois au moins je partage toutes vos convictions. Pourquoi ai-je tant tardé à me manifester directement à vous ? Ne l’attribuez, je vous prie, qu’à des causes entièrement étrangères à ma foi saint-simonienne, et spécialement à ce que je [...] n’ai d’autres moyens d’existence que ma profession de médecin. Je ne pouvais ainsi être que d’un bien faible secours pour la propagation de notre foi. Car il faut bien l’avouer, l’argent est le grand moralisateur de notre époque. Il m’était dur de vous offrir seulement quelques faibles facultés intellectuelles et morales, mon amour propre en était froissé [28].
C’est, écrit-il, « la persécution » dont est victime le mouvement saint-simonien qui le conduit à rompre son silence. Cependant, ajoute-t-il, il a déjà commencé le travail de propagation dans son entourage. Il fait circuler Le Globe, son « pain quotidien » parmi « quatre ou cinq personnes instruites » dont deux lui « paraissent déjà parfaitement convertis à la foi saint-simonienne ». Il commande également des livres qu’il distribue autour de lui. Il signale à Chevalier les adresses de quelques personnes à qui l’on ferait bien d’envoyer Le Globe et annonce une seconde lettre dans laquelle il se fera « connaître plus entièrement » et donnera des « détails sur l’état [de] notre religion » à Troyes [29].
D’ailleurs, comme d’autres saint-simoniens, Patin évolue vers le fouriérisme ; en juillet 1833, il s’abonne pour six mois à l’organe fouriériste Le Phalanstère [30]. Il n’apparaît plus beaucoup ensuite dans la documentation sociétaire. Probablement reste-il cependant en relation avec l’École ; en 1849, François Cantagrel qui, depuis la Belgique où il est en exil, s’efforce de renouer des liens avec ses condisciples français, réclame à ses amis du Centre parisien « l’adresse de Patin à Troyes » [31].
Républicain de la première heure, il est pendant quelques semaines, en mars 1848, l’un des vice-présidents du Comité républicain départemental de l’Aube [32] ; il occupe encore cette fonction lors de la séance du 28 mars 1848, mais n’est plus mentionné en avril parmi les dirigeants du comité, sans que l’on connaisse les raisons de ce retrait [33]. En juillet suivant, le Comité républicain, radical et central de l’Aube le fait figurer sur une liste de candidats pour les élections municipales [34] ; mais il refuse cette candidature en mettant en avant « [ses] occupations, [son] ignorance de l’administration et d’autres motifs sérieux » qui le « portent éloigné des fonctions publiques auxquelles […] il est nécessaire de consacrer un temps considérable, quand on veut les remplir dignement ». La rédaction du Progrès de l’Aube déclare regretter cette décision du docteur Patin : « Ses lumières, sa haute capacité et les principes démocratiques qu’il professe étaient autant de gages précieux pour un candidat au conseil municipal » [35].
Si Patin semble se montrer assez discret dans le domaine politique, il étend son activité dans d’autres directions : il entre dans un comité créé en 1849 pour l’extinction de la mendicité ; une société d’horticulture est fondée en 1850 et Patin fait aussitôt partie de son conseil d’administration [36].
Rouen, puis Alger
Une grave maladie l’oblige à cesser toutes ses activités publiques et professionnelles pendant plus d’un an [37]. En 1855, il quitte Troyes pour occuper le poste de professeur d’anatomie et de physiologie à l’École secondaire de médecine de Rouen. Il y est d’abord très froidement accueilli par ses nouveaux collègues, qui comptaient sur un recrutement local [38]. Puis, ses relations avec les autres professeurs s’améliorent tandis que sa réputation auprès des étudiants.
Un décret du 4 août 1857 crée l’École préparatoire de médecine et de pharmacie à Alger. L’une des sept chaires est consacrée à l’anatomie et à la physiologie. Son premier titulaire est le Dr Patin qui commence son enseignement en janvier 1859 par un cours d’anatomie descriptive. Dans le même établissement, il peut rencontrer Gaetano Durando, bibliothécaire de l’École, mais aussi naturaliste et fouriériste. Il y retrouve un autre Troyen, Napoléon-Ambroise Cottet, son ancien préparateur du cours d’hygiène dispensé en 1828-1829 [39], républicain, condamné par le régime impérial à vivre une seconde fois en Algérie en 1858, après y avoir été déjà « transporté » après le coup d’État de 1851. Cottet, dans une lettre à son fils, membre d’une colonie icarienne aux États-Unis et confronté à la question à l’esclavage et de son abolition, y raconte la façon dont l’attitude de Patin envers les Noirs a changé sur le sol algérien :
Le Docteur Patin me disait un jour, avec enthousiasme, qu’il venait de perdre un préjugé. Malgré sa haute intelligence, il avait toujours considéré la race noire comme de beaucoup inférieure à la nôtre, ce qui, disait-il, ne justifiait nullement la manière dont on traite les noirs. Mais il venait d’assister à la distribution des prix du lycée d’Alger, et, à son grand étonnement, il avait vu adjuger tous les premiers prix y compris le grand prix d’honneur et celui de mathématiques à un jeune nègre aux grands applaudissements de toute l’assemblée, et surtout des jeunes élèves blancs, ses concurrents. [40]
En 1863, Patin est nommé directeur de l’École préparatoire [41]. Selon l’auteur de sa nécrologie, il aurait obtenu « du gouvernement l’autorisation de faire subir les examens du doctorat à une jeune femme », un médecin de sexe féminin entrant selon lui plus facilement dans les familles arabes qu’un homme, et pouvant ainsi contribuer à diffuser la « civilisation » dans les populations indigènes [42]. Cette jeune femme, Jenny Rengguer de la Lime, fille de fouriéristes et nièce de Virginie Griess-Traut, s’inscrit bien à l’École de médecine d’Alger ; mais elle interrompt ses études sans atteindre le doctorat [43].
Ses activités dans la médecine et dans l’enseignement valent à Patin le titre d’officier de l’instruction publique [44], puis en 1867, la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Devenu paraplégique dans ses dernières années [45]. Il reste à la tête de l’École de médecine, jusqu’à sa mort, provoquée par une angine de poitrine [46]. Son ami Durando est l’une des deux personnes déclarant le décès à la mairie d’Alger [47].