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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Boucherot Prosper (-François)
Article mis en ligne le 13 février 2012
dernière modification le 1er février 2015

par Desmars, Bernard

Né le 28 octobre 1806, à Gaille-Fontaine (Seine-Maritime), décédé le 25 octobre 1871, à Rochefort-en-Terre (Morbihan). Marchand quincaillier, puis conducteur des ponts-et-chaussées. Inventeur.

Prosper Boucherot est le fils d’un marchand quincaillier à Gaille-Fontaine (Seine-Maritime). Au début des années 1830, et après avoir été commis dans un magasin et ouvrier dans une serrurerie, il tient lui-même un commerce de quincaillerie dans une commune voisine, Neufchatel-en-Bray ; c’est alors qu’il commence son activité de propagandiste fouriériste, comme en témoignent les lettres enthousiastes qu’il envoie à la direction du Phalanstère.

Un propagandiste phalanstérien

Dans sa correspondance avec Fourier et les disciples parisiens, Boucherot se décrit comme « un des moins savants des disciples de M. Fourier », mais comme « un des plus courageux et des plus persévérants » [1] ; dans une lettre adressée en 1832 à « Monsieur Charles Fourier, homme de lettres », il déclare n’avoir fréquenté que « l’école de son village » ; sinon, « il a tout appris par lui-même, sans autres maîtres que les livres qu’il achetait de ses économies, faites sur ses gages au temps où il était commis de magasin et ouvrier serrurier » [2].

Vers 1832-1833, il souhaite participer aux projets de réalisation sociétaire ; il prospecte dans le pays de Bray des terrains et des fermes qui pourraient être le siège d’une future expérience et repère sur la commune de Roncherolles, près de Forges-les-Eaux des terres pouvant convenir [3] ; mais Abel Transon montre peu d’enthousiasme pour ces terrains, coûteux et mal disposés [4]. Puis, Le Phalanstère ayant signalé que des propriétaires du Midi et une compagnie du Nord préparaient la fondation d’une colonie sociétaire, Prosper Boucherot se montre tout de suite très intéressé par ces initiatives qu’il est prêt à rejoindre [5]. De même, il soutient le projet de Condé-sur-Vesgre et est disposé à y placer de l’argent. De façon générale, pour toute entreprise, il annonce qu’il pourra participer au capital comme « actionnaire fondateur » (« mille francs, en cas que je sois marié au moment de l’application de votre théorie [...] mais si je suis encore garçon à ce moment-là, vous m’aurez avec mon capital qui est de deux mille francs, le tout en grosse quincaillerie ») ; il pourra aussi fournir du travail (« l’état de serrurier que je pourrai exercer et enfin d’autres travaux que l’attraction industrielle m’invitera à faire ») et son talent (« la comptabilité que je pourrai enseigner et [...] les éléments d’arithmétique et de géométrie que je pourrai montrer ») [6].

Il s’efforce de convaincre des notables locaux de s’abonner au journal fouriériste ou de souscrire à l’entreprise de Condé-sur-Vesgre, avec apparemment peu de succès : « je n’ai rencontré partout que des obscurants et des impossibilistes ; peut-être que si j’étais un des gros matadors de la contrée eussé-je été plus heureux, mais comme je suis un pauvre hère, c’est ce qui est cause, je pense, que partout où je me suis adressé, on me fit la sourde oreille » [7]. Il s’efforce, en vain, d’obtenir la publication d’extraits des œuvres de Fourier dans Le Journal de Rouen et dans L’Écho de la vallée de Bray. Mais « infatigable, je ne me décourage point : je provoque autant que je le puis pour vous avoir des promesses d’action et des abonnements à votre journal. Je cherche à propager la science positive de notre docte et savant maître, en prêtant des ouvrages ou votre journal aux riches que je crois les plus instruits » [8]. Il parvient semble-t-il à susciter l’intérêt d’un nommé Desjobert, propriétaire, cultivateur, maître verrier et maître briquetier des environs de Forges-les-Eaux, auquel il envoie régulièrement l’organe phalanstérien et à qui il propose le prêt des ouvrages de Fourier. Il espère « déterminer M. Desjobert à faire partie de notre apostolat », car cet homme « par sa position, sa fortune et ses talents déterminerait bien des riches à l’imiter et à le suivre dans la carrière fortunée de l’Harmonie sociale » [9]. Il n’obtient de lui qu’un abonnement, pas plus. D’ailleurs, « personne n’est encore décidé pour se faire actionnaire » écrit-il en janvier 1833 même si un chapelier de Neufchâtel est « presque décidé à prendre deux ou trois actions de la colonie sociétaire », à condition toutefois d’avoir des garanties [10].

Conducteur des ponts-et-chaussées et inventeur

Prosper Boucherot entre en 1836 au service des ponts-et-chaussées, d’abord à La Flèche (Sarthe), où il se marie l’année suivante avec la fille d’un officier ; ils ont deux enfants, une fille née en 1838 et un garçon en 1841. Il travaille ensuite dans plusieurs départements : Seine-et-Oise (1839), Aisne (1851), Ille et Vilaine (1852, au chemin de fer), Finistère (1859, au chemin de fer), Charente (1861) et enfin dans le Morbihan, à Rochefort-en-Terre, à partir de 1862. Ses supérieurs lui trouvent une culture littéraire « médiocre », mais une culture scientifique « assez bonne » ; son instruction technique et administrative est tout juste passable : il est à la fois impropre aux travaux de bureau et peu apte à la conduite des travaux sur le terrain. Certaines années, son « zèle » et son « exactitude dans le service » laissent à désirer. Néanmoins, quand il arrive à la fin de sa carrière, il est qualifié par l’ingénieur départemental et l’inspecteur général des ponts-et-chaussées de « conducteur des plus honorables, plein de bonne volonté » et de « bon vieux serviteur », même si son activité réelle correspond désormais à celle « [d’] un surveillant de travaux » et non plus à son poste de conducteur [11].

Parallèlement à ses activités professionnelles, il mène des recherches scientifiques et techniques : en 1835, il présente à l’Académie des sciences un mémoire sur un « pyraémoteur, ou machine ayant pour but d’appliquer à l’industrie la force du calorique développée par l’intermédiaire de gaz permanens [sic], et particulièrement par l’air atmosphérique » ; les rapporteurs de la section de mécanique ne semblent guère accorder d’attention à « ce projet de machine » [12]. Quelques années plus tard, il présente « une nouvelle machine à recéper les pieux » [13]. Au début des années 1840, il envoie au ministère des Travaux publics un projet de « pistons imperméables » et de « roues locomotives » [14]. En 1849, il dépose un brevet d’invention à la préfecture de la Sarthe, « pour une machine à air chaud et comprimé, chauffée immédiatement sous surfaces, ayant pour but de remplacer les machines à vapeur actuelles » [15]. Comme un autre fouriériste, Béléguic, considéré comme un précurseur de l’aviation, il fait des recherches afin de prouver que la navigation aérienne n’a rien d’impossible. Il publie sur cette question un article dans L’Ami des sciences [16]. A la différence de Béléguic, toutefois, il ne semble pas avoir laissé son nom dans l’histoire de l’aviation.

Continuer la propagande

Son mariage, explique Boucherot, et ses charges familiales l’obligent à modérer ses versements financiers à la cause sociétaire, mais il reste un disciple convaincu de Fourier. Les sommes qu’il envoie sont modestes ; mais il s’abonne aux publications phalanstériennes, achète des livres de propagande et s’efforce de diffuser les idées sociétaires à La Flèche et dans les environs. « La doctrine sociétaire [...] était presque entièrement inconnue dans ce pays-ci lorsque j’y suis arrivé » ; certes, ses efforts sont encore largement infructueux, écrit-il en 1837, mais « je puis vous assurer que ce n’est pas de ma faute si je ne vous ai point encore gagné d’abonnés au journal ; actuellement pourtant, je tiens un des agrégés du collège de La Flèche que j’ai phalanstérisé aux trois quarts, dans peu, il le sera complètement. [...] Je répands le plus qu’il est possible les écrits de l’Ecole sociétaire » [17].

Comme à Neuchatel-en-Bray, il vise principalement les notables locaux, disposant d’une certaine influence, et dont l’adhésion, espère-t-il, pourrait inciter d’autres habitants à s’intéresser à Fourier : « Mardi prochain, je vais faire une tentative de prosélitisme [sic] auprès d’un homme très répandu [sic] dans sa contrée et qui en même temps est très aimé. Ce Mr est un patriote anthousiaste [sic], il s’appelle M. Vié, propriétaire, maire à Mansigné, département de la Sarthe, à 5 lieues de la Flèche. Si j’ai du succès auprès de lui, comme je l’espère, je vous en ferai part, ce M. est dit-on fort riche et s’il goûte nos idées, il pourra nous aider de sa fortune et de son influence dans sa contrée » [18].

Et même s’il n’obtient pas d’adhésions fermes, il enregistre un bon accueil, surtout pour les textes rédigés par Victor Considerant : « la rédaction de votre journal est généralement et même tout à fait bien goûtée. Je vous dirai aussi que tout ce qui est de vous est lu avec avidité et plaisir. Il n’y a qu’un seul défaut dans vos écrits (à vous, mon cher Victor) c’est que votre 2e volume de Destinée sociale n’est pas publié. Je vous dirai franchement aussi que si j’avais ce volume avec le premier que j’ai, il est probable que j’aurais fait plus d’adeptes » [19]. Boucherot souhaite également la venue de Considerant dans la Sarthe pour faire des recrues : « si l’ami Victor venait dans nos contrées et qu’il s’arrêtait à La Flèche [...] il aurait ici, nous en sommes sûrs, un nombreux auditoire et des mieux choisis » [20].

Sous le Second Empire

Dans les archives sociétaires, la correspondance de Boucherot s’interrompt au milieu des années 1840, sans que l’on en connaisse les raisons. Son attachement à la cause sociétaire demeure pourtant dans les années 1860 : son nom figure à plusieurs reprises dans les périodiques de Riche-Gardon, un fouriériste qui a pris quelque distance avec l’École sociétaire, mais qui accueille ses condisciples ou signale leurs travaux dans ses colonnes [21] ; quand l’École se reconstitue sous la direction de François Barrier, Boucherot acquiert deux parts de la nouvelle société détentrice de la Librairie des sciences sociales [22] ; il acquiert les Principes de sociologie de Barrier et s’abonne à La Science sociale [23] ; il signe dans cette revue un article, dans lequel il récuse, à l’aide de quelques démonstrations mathématiques, l’affirmation de savants selon lesquels le cerveau des femmes étant de taille inférieure à celui des hommes, leur intelligence serait moins développée : « au point de vue physique et au point de vue moral, organiquement et mathématiquement parlant, [l’intelligence des femmes] est équivalente à l’homme sous tous les rapports » ; ainsi, « la femme européenne en général est pour le moins l’égale de l’homme [...] si ce n’est par identité, du moins par contraste organique et normal, chose convenable pour la bonne harmonie de la vie privée comme de la vie publique » [24].

Sa mort survient en 1871. Son fils, domicilié à Rennes, assiste à plusieurs assemblées générales des actionnaires de la société anonyme dans les années suivantes, sans cependant manifester par ailleurs un véritable engagement sociétaire [25].