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Borivent (orthographié également Boyrivent, Borivant et Boirivant), (Marie-) Cyprien
Article mis en ligne le 12 octobre 2011
dernière modification le 8 juin 2014

par Sosnowski, Jean-Claude

Né à Saint-Martin-sur-la-Chambre (Savoie) le 14 septembre 1805. Décédé le 16 mai 1867 à Lyon (Rhône). Pharmacien à La Guillotière (Rhône). L’un des fondateurs, et président du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon. Propriétaire associé des domaines et fermes de Royer et des Valty.

Son épouse, Louise-Rosalie Outhier, née à Besançon en 1809, étant décédée le 28 août 1849 à la Guillotière, Cyprien Borivent se marie à Lyon, en secondes noces, le 27 mai 1857, à Françoise Clerc, propriétaire rentière née à Lyon en 1826, résidant chez ses parents, place de la Victoire. En 1846, d’après le recensement de la commune, Cyprien Borivent réside au 62, Grande rue, à la Guillotière (Rhône), aujourd’hui commune de Lyon et héberge son neveu Antoine Borivent, âgé de 18 ans. Ce dernier est reçu également pharmacien par le jury médical du Rhône en 1852 [1].

Pharmacien installé au 64 Grande rue, à la Guillotière, membre titulaire de la Société de pharmacie du Rhône à partir de 1842 [2], Cyprien Borivent possède déjà son officine selon le recensement de population de 1841. Une publicité pour une « pâte pectorale balsamique de Regnauld aîné », insérée dans Le Censeur confirme son activité en janvier de cette année [3]. Néanmoins, il n’est pas cité dans l’Almanach-Bottin de 1842 parmi les principaux fabricants et commerçants de la Guillotière [4]. Borivent aurait participé en 1835, selon Jean Gaumont, à la « souscription pour la fondation d’une vente sociale d’épicerie, devant commencer la réforme commerciale » de Michel Derrion. Jean Gaumont s’appuie, pour étayer son affirmation, sur la cinquième liste des souscripteurs parue dans L’Indicateur, journal industriel de Lyon du 8 mars 1835. Boirivant et non Borivent contribue à hauteur de 5 francs. Le 26 janvier de cette même année 1835, Le Censeur donnait une liste de souscripteurs au profit des prisonniers politiques déférés devant la Cour des pairs. Boirivant était déjà cité parmi les souscripteurs aux côtés d’un Reverchon et d’un Mure. En avril, Boirivant contribue également à la souscription en faveur de l’Indicateur condamné à six cent francs d’amende [5]. Si Jean Gaumont considère que Boirivant et Borivent ne sont qu’une et même personne, il convient de souligner que plusieurs homonymes (garçons de commerce, marchand de tissu, fabricant de colle, fabricant de ouate...) sont actifs à Lyon à cette période [6].
Par ailleurs, l’engagement phalanstérien semble une affaire familiale. Au sein de la colonie de Cîteaux est recensée une famille Borivent [7], originaire de Saint-Martin-de-La-Chambre. Pierre Borivent est semble-t-il le frère de Cyprien [8].

Un essai sociétaire : le domaine de Royer (Allier)

Il est surprenant de voir qu’alors que son frère s’est engagé dans l’expérience d’Arthur Young, lui même s’associe à un autre initiative. Lors du banquet d’anniversaire de la naissance de Fourier organisé à Lyon en avril 1842 par le Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon qu’il a présidé après Boyron et avant Eugène Favier [9], il est cité sous le nom de Boyrivent. Il s’est associé à un autre lyonnais, le docteur Etienne Boyron et à Jean-Joseph Reverchon, maire de Gredisans (Jura) dont L’Echo de la fabrique note la présence. Les associés se proposent de faire, d’un domaine qu’ils ont acquis dans l’Allier, « un essai du système de Fourier relativement à l’association de l’agriculture et de l’industrie » [10]. Si Reverchon et Boyron deviennent « directeurs des fermes de Royer et des Valty » [11], Borivent ne semble pas s’impliquer dans le développement de l’exploitation, ferme expérimentale selon le rapport que les deux directeurs adressent à la Société d’agriculture du Rhône [12]. L’expérience s’avère un échec, en raison, semble-t-il, de la vie scandaleuse selon la population locale, de l’un des associés [13].

Le Groupe phalanstérien des Travailleurs de Lyon

Si Boyron semble quitter définitivement Lyon pour s’installer dans l’Allier, Borivent conserve un rôle au sein du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon. En 1842, Romano doit en reprendre la présidence. Les choix d’Eugène Fabvier, qui a succédé à Borivent, ont conduit à l’intervention des autorités : les réunions d’une « société se rattachant au fouriérisme mais chargée de faire des enrolemens [sic] pour le Brésil » [14] se tenaient sans autorisation dans les locaux du Groupe phalanstérien dont les membres n’avaient pas été consultés. Il s’agit du comité de recrutement de l’Union industrielle de Mure et Derrion, qui se divise suite à la scission survenue entre les différents colons établis au Brésil [15]. Ce sont sans doute ces faits qui expliquent la scission mentionnée par L’Echo de la fabrique de 1841 lors du banquet d’octobre 1841 et l’interdiction de tenir en public dans les locaux du Grand Orient, celui d’avril 1842. A compter de cette période, le Groupe phalanstérien reconstitué se contente de célébrer publiquement les anniversaires de naissance et mort de Fourier et ne se réunit régulièrement que de manière privée. L’anniversaire de la naissance de Fourier célébré le 19 avril 1846 a, selon La Tribune lyonnaise, donné l’une des plus brillantes fêtes depuis ces événements, alors qu’un autre avait également été organisé « par les Messieurs du Fouriérisme » le 15 avril précédent [16]. Borivent ne paraît pas assister à ce dernier mais prend la parole au banquet du Groupe phalanstérien des travailleurs de Lyon pour nommer Fourier « génie de la paix des temps modernes, [...] grand interprète de la nature et de l’esprit du christianisme [...]. Que l’union et la foi soient notre devise, et nous remuerons les montagnes, c’est Dieu qui nous l’a dit », poursuit-il. « Quelques efforts encore et tous les élémens [sic] de vérité qui se trouvent épars et incohérents sur la terre, viendront se fondre dans le foyer de la science sociale qui doit dans un avenir que nous pouvons hâter, former le soleil moral de notre global », conclut-il portant un toast « au soleil noir de la science sociale ! » [17].

En avril-mai 1846, les séances publiques de Jean Journet à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or) et les élections législatives qui suivent conduisent les radicaux côte-d’oriens, relayés par La Tribune lyonnaise de Chastaing, à s’interroger sur la sincérité démocratique et progressiste des fouriéristes [18], et à les « mettre en demeure d’arborer franchement le drapeau de la démocratie » [19], c’est à dire du suffrage universel. Le Courrier de la Côte-d’Or sur lequel s’appuie La Tribune lyonnaise, s’étonne de la facilité avec laquelle les expositions phalanstériennes se multiplient [20]. Le gouvernement « se sert du fouriérisme comme d’un dissolvant du parti démocrate » [21]. Borivent, bien que n’ayant laissé aucune trace apparente dans les archives sociétaires, prend la défense des fouriéristes :

L’école sociétaire est un terrain neutre ouvert aux hommes de tous les partis et qui ne peuvent avoir d’autre drapeau que celui où elle a inscrit : Association et harmonie de tous les intérêts légitimes. Si sa phalange se grossit principalement des recrues que lui fournissent les rangs de la démocratie, c’est qu’ils renferment beaucoup d’esprits progressifs et d’ames [sic] généreuses, et si ses plus nobles enfants passent sous la bannière du socialisme, nous avons lieu d’espérer qu’avec le temps le gros de l’armée suivra ses éclaireurs intelligents [...].

Résoudre la misère urbaine par la science et l’enseignement agricole

La Révolution de février 1848 relance pour un court moment l’action de Borivent. Comme nombre de fouriéristes, il prend fait et cause pour la République. En avril, il est membre du Comité républicain du Rhône [22]. La question agraire reste le cœur de sa réflexion. Il est en effet l’auteur d’un « Projet d’enseignement pour l’agriculture » paru dans la septième livraison de la Revue sociale [23], article que recommandait alors La Tribune lyonnaise. Son projet est repris intégralement, en mai 1848, dans une série d’articles du Père du peuple, journal politique hebdomadaire lyonnais. « Sous l’empire des tendances ascensionnelles qui caractérisent particulièrement notre époque » déclare-t-il en introduction, « la routine et l’empirisme doivent faire place à la science ». Il préconise la création de chaire d’agriculture dans chaque département, arrondissement et canton afin de dispenser un enseignement public et gratuit. Son programme d’éducation dont le vétérinaire serait le pivot, trouvant ainsi un revenu complémentaire, doit permettre, conclut-il, de faire apercevoir aux agriculteurs

le doigt de la Providence dans la structure admirable de la fleur que leur faux abat aujourd’hui avec indifférence, dans l’insecte chargé du luxe des plus brillantes couleurs qui se cachent sous le gazon, aussi bien que dans le mouvement harmonieux des mondes qui peuplent l’espace, et qui obéissent dans leur évolution sidérale, aux lois de leurs attractions. Ce serait un puissant moyen de moralisation ; avec quel plaisir leurs intelligences saines et vigoureuses, dépourvues de l’orgueil et des préjugés qui atrophient trop souvent celles des grandes villes, s’ouvriraient aux merveilles de l’univers ; la vérité les pénétrerait par tous les sens ; en voyant le Ciel accorder ses douces rosées et ses pluies bienfaisantes à tous les êtres que la main du créateur à semer sur cette terre, le soleil verser sur eux tous ces flots de lumières et de chaleur vivifiante, et l’homme seul faire exception, ils comprendraient vivement cette étrange anomalie, et leur ames [sic] s’ouvrant aux inspirations de la divine justice, recevraient avec joie les lois qui doivent faire rentrer dans l’harmonie universelle, les sociétés humaines fatalement égarées.

Si Borivent voit dans le progrès des techniques agricoles un moyen de résoudre la misère urbaine, et bien qu’appuyant le développement des comices agricoles et des fermes modèles, il ne prône aucunement la création de fermes d’asile ou de fermes fiscales, y compris dans la réédition de son projet en 1848, alors que la révolution offrait la possibilité de revendiquer l’expérience. Par ailleurs, dans ce même numéro, le directeur général du Père du Peuple, J.-B. Gondy, ayant laissé sa place vacante pour mener campagne en Haute-Saône lors des législatives d’avril, annonce la révocation du rédacteur en chef Francisque Ducros qui a laissé publier deux articles, « Aperçu sur les questions sociales » signés Alfred Charlon. Gondy proclame que « Le Père du peuple n’eut jamais de tendances ni au communisme, ni au fourriérisme [sic] ; il n’entra jamais dans son esprit de s’occuper d’utopies » [24]. Un article qui suit commentant les élections législatives précise que « le communisme et le fourriérisme [sic] sont [...] au moins prématurés » [25].

L’intérêt que porte Borivent aux questions agricoles se répercute dans ses recherches pharmaceutiques. En 1850, il dépose un brevet pour 15 ans relatif à des « moyens propres à convertir en engrais puissant toute espèce de terre, et notamment les vases des fleuves et rivières » [26]. Il s’agit d’un « engrais nitrogène liquide » [27] composé de « gélatine, sang, azotate de potasse, chlorures de sodium et de chaux, huile de pétrole et huile siccative » [28].

Un projet garantiste, la caisse de secours et de retraite des pharmaciens de l’Est

S’il a quitté la Société de pharmacie du Rhône, signant en 1850 son Simple mot sur le choléra comme ancien membre de la Société, Borivent est membre de la Société d’émulation et de prévoyance des pharmaciens de l’Est. En 1856, il est chargé d’étudier avec d’autres collègues, une proposition de M. Dessaux-Valette de Montereau qui, outre une « manufacture de céramique pharmaceutiques avec produits spéciaux, modèles nouveaux et monopolisés soit par des brevets d’invention, soit par des dépôts au tribunal de commerce », se propose d’établir « par la suppression des intermédiaires, sans aucune contribution ni apport des pharmaciens adhérents ou clients, une caisse de secours et de retraite pour eux, leurs veuves et leurs enfants, ainsi qu’un fonds de réserve pour la répression des abus » en sacrifiant le quart de ses bénéfices. Les pharmaciens s’engageraient à proposer les seuls produits de la manufacture à la condition de les proposer dans toutes les villes de France et à un prix au moins aussi avantageux que les produits ordinaires.

Borivent est encore actif en 1861. Par ailleurs, le 24 mai 1861, il s’associe avec son neveu, Antoine, à des parents négociants à Lyon et à d’autres marchands et propriétaires lyonnais afin de fonder une société en nom collectif dénommée « Société ardoisière de La Chambre » afin d’exploiter deux carrières d’ardoise sur la commune de Notre-Dame du Cruet (Savoie) [29].