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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Defer, (Jean-Baptiste-) Etienne
Article mis en ligne le 10 décembre 2010
dernière modification le 9 mars 2011

par Desmars, Bernard

Né à Vigy (Moselle), le 14 septembre 1812 ; mort à Metz (alors en Lorraine allemande), le 22 décembre 1873. Médecin. Célibataire. Membre du groupe dissident du Nouveau monde au début des années 1840.

Fils de Etienne-François Defer, notaire dans une commune rurale située à proximité de Metz, et de Anne Madelaine Marx, Jean-Baptiste Etienne Defer fait des études de médecine à Montpellier ; il y obtient en 1835 le doctorat avec une thèse sur le « rhumatisme articulaire aigu ». Puis il s’installe à Metz, et tout en exerçant pour une clientèle privée, il devient en 1844 chirurgien des hospices civils de Metz, emploi qu’il occupe jusqu’en 1872. Il participe également au service médical de plusieurs institutions et établissements : médecin légiste auprès des tribunaux (de 1838 à 1840), médecin du bureau de bienfaisance de Metz (de 1838 à 1844), médecin des sapeurs-pompiers (à partir de 1837 ou 1838 jusqu’en 1870), membre du jury de médecine pour le département de la Moselle (1852), puis vice-président (1854) et président (1855) de ce même jury ; il est également membre du Conseil central d’hygiène publique et de salubrité pour la Moselle (de 1859 à 1870) et d’une commission de météorologie (1866). Il fait aussi partie de plusieurs sociétés de médecine, de Metz, de Strasbourg et de Bruxelles.

Faire progresser la médecine

Defer apparaît très attentif aux innovations thérapeutiques ou aux découvertes qui pourraient amener de nouvelles façons de soigner. Ainsi, au début de sa carrière, il s’intéresse beaucoup à l’hypnose et tente diverses expériences qu’il rapporte dans une brochure sur « le magnétisme animal » publiée en 1838 ; il considère notamment que « si l’insensibilité est un des phénomènes de l’extase magnétique, la chirurgie peut en tirer un parti très avantageux dans les opérations douloureuses » [1]. Parmi les témoins de ces expériences, figurent plusieurs officiers, dont certains sont alors fouriéristes, comme Collard ou Madaule.
Dans les années 1850, il fait paraître une revue médicale (la Revue des hôpitaux civils. Journal d’oculistique, de médecine et de chirurgie pratiques, qui paraît de 1852 à 1857, avant une réédition de l’ensemble en 1864) ; par cette revue, dont il est l’unique rédacteur, Defer veut contribuer au progrès des connaissances en matière chirurgicale ; il y présente différentes opérations réalisées au sein des hospices civils de Metz, avec à chaque fois des considérations théoriques sur les techniques et traitements jusqu’alors utilisés, puis la description de ses interventions et enfin les enseignements qu’il en retire pour la médecine.
Par ses publications, par ses fonctions au sein des hospices et par ses différentes responsabilités, Defer est une notabilité médicale à Metz et en Moselle sous le Second Empire. Il obtient en 1864 la légion d’honneur.

Un médecin fouriériste

Les premières mentions de son adhésion au fouriérisme datent justement de la fin des années 1830. Il fait alors partie d’une branche dissidente du mouvement sociétaire, qui s’exprime dans Le Nouveau Monde ; cet organe publie en 1839 un article de Defer sur l’assèchement des marais et ses avantages pour la salubrité publique ainsi que pour l’accroissement de la production agricole [2]. On y lit par exemple : "Ce que la civilisation n’a pu faire, bien qu’elle en ait les moyens, nous le ferons facilement en harmonie. Des phalanges industrielles seront employées à dessécher ces repaires intarissables des misères humaines, et les travaux s’exécuteront par groupes et séries que se renouvelleront de deux heures en deux heures." Il signale également ses recherches sur l’hypnose [3]. A la fin des années 1840, Defer prend des actions de l’Union du Sig, la société agricole fondée par des fouriéristes dans la région d’Oran [4].
En 1851, dans le cadre de ses activités hospitalières, il projette la création d’un établissement pour adultes et pour enfants situé en milieu rural, et adresse au préfet un texte exposant son plan. Sans jamais citer Fourier, ni se référer explicitement à la théorie sociétaire, il en reprend certains principes : les enfants « seraient formés aux travaux variés et de petite et de grande culture, aux divers travaux domestiques ; ils pourraient, en outre, faire l’apprentissage d’une ou de plusieurs professions et s’occuper de diverses industries ayant des rapports plus ou moins directs avec l’agriculture. Sans développer ici tous les moyens de rendre le travail attrayant, je ferai observer que les courtes séances et l’alternat des travaux manuels avec ceux plus particulièrement instructifs, engendreraient les rivalités et feraient éclore les instincts et les aptitudes de chacun des enfants, soit pour les travaux de ménage, soit pour les travaux de culture, soit pour les travaux mécaniques, etc. Ces établissements seraient donc à la fois un asile pour les infirmes et les invalides, un hospice pour la généralité des affections constitutionnelles, la scrofule en particulier, et pour les enfants assistés, une institution domestique, agricole et professionnelle, comme aussi une école de prévoyance et de moralisation ». Puis, il ajoute : « j’ai dit que le système des courtes séances et de l’alternat dans les travaux offrirait aux enfants un certain attrait ; mais pour le rendre encore plus efficace, il serait bon, je crois, de leur accorder des gratifications ; c’est là un levier puissant qu’il ne faut pas négliger d’employer, car il a une valeur réelle et bien supérieure au système de la contrainte et des punitions [...]. Dans leurs diverses occupations, ces enfants mettront en lumière leurs diverses aptitudes et leurs divers instincts, en passant d’une besogne à une autre. Cette succession et cette variété dans leurs occupations éveilleront leur émulation, entretiendront leur activité, les soustrairont à l’ennui inséparable d’un travail monotone et constamment uniforme, et auront pour avantage définitif de les former simultanément aux travaux domestiques et à ceux des champs, ainsi qu’à l’exercice de différentes professions susceptibles d’être utilisés selon les circonstances, et d’ailleurs, en rapport avec la position qi devra leur échoir au sortir de l’asile ».
Plus loin, il évoque l’architecture d’un tel établissement : on y trouverait au centre l’église, les salles d’étude, les réfectoires, la lingerie et tous les services communs : mais « une sorte de rue-galerie relierait les diverses parties de l’asile et circonscrirait les différentes cours qui seraient affectées aux différentes catégories d’habitants » [5].

La persistance de ses convictions fouriéristes

Médecin très connu et très apprécié à Metz, Defer est très discret sur le plan politique, quel que soit le régime en place. En février 1866, cependant, il est candidat au conseil général de la Moselle, lors d’une élection partielle, dans le canton de Vigy, dont il est originaire ; Le Courrier de la Moselle, un journal républicain modéré, ironise sur la campagne de Defer, dont « les partisans répandent depuis quelques temps, dans le canton, force petits opuscules sur le traitement des maladies des yeux », comme « si le conseil général était composé d’aveugles, d’hommes à courte vue », auxquels Defer voudrait rendre « cette vue nette, perçante, droite, si nécessaire à ceux qui sont chargés de la direction ou du contrôle des affaire publiques » [6]. « Nous ne connaissons pas précisément les opinions de l’honorable docteur Defer », avoue le rédacteur. Dans sa profession de foi, le candidat manifeste son attachement « à nos institutions libérales » et son souhait de « les voir se développer sous l’influence de la paix, de l’ordre et de la propagation de l’instruction » ; il veut surtout se « rendre plus particulièrement utile au canton de Vigy » [7]. Il est activement soutenu par L’Indépendant de la Moselle, un journal libéral, issu de l’orléanisme, mais qui, parce qu’il revendique très fermement les libertés, est de plus en plus hostile au système impérial et se rapproche d’une opposition républicaine intransigeante ; il reçoit également la sympathie d’un organe monarchiste, Le Vœu national  : certes, Defer « ne partage nullement nos idées », mais il est « un ami de l’humanité » désintéressé et dévoué aux pauvres [8]. Ce sont aussi ces qualités que L’Indépendant met en avant : « à notre époque où se produit une impulsion irrésistible pour appliquer toutes les théories qui tendent à la moralisation et à la civilisation des classes pauvres, et à l’amélioration de leur condition matérielle, ne doit-on pas ouvrir les portes des assemblées délibérantes aux hommes qui les professent. Il soutiendra au Conseil général toutes les idées de progrès en économie politique et sociale ; ses opinons bien connues en feront le défenseur de tout ce qui pourra mener et assurer le régime de la liberté raisonnable. Il se dévouera à la réalisation de ce problème si important et si essentiel aujourd’hui pour la vie des peuples, à l’application large et complète de l’instruction primaire » [9]. Ces organes parlent des « opinions bien connues » de Defer et son intérêt pour les problèmes sociaux, mais ne font jamais explicitement référence à ses convictions fouriéristes. Malgré ces soutiens, Defer est battu par un notaire de la localité, qui succède à son père au Conseil général.
Malgré l’éclipse qu’a connue le mouvement sociétaire, Defer a gardé ses convictions fouriéristes : en 1867, il s’abonne à La Science sociale, le bulletin de l’Ecole sociétaire que Barrier essaie alors de reconstituer. L’un de ses patients, en 1871, note ses convictions phalanstériennes : « il [Defer] croit à Fourier, il a ses théories de l’autre monde. - Nous vivons sur la terre sans souvenir de notre passé, après notre mort, nous ne quittons pas notre atmosphère, nous y vivons sous une forme presque semblable, mais plus éthérée, et alors le souvenir de nos vies terrestres nous revient et nous donne ou des remords ou des satisfactions, puis nous nous incarnons de nouveau, et cela jusqu’au moment où notre passage dans une autre planète et dans des conditions meilleures, est possible. Cependant, rien n’est vrai que si nous sommes solidaires les uns des autres, dans le cas contraire les incarnations n’ont pas lieu » [10].
Le dévouement de Defer, pendant le blocus de Metz, alors assiégé par les troupes prussiennes, lui vaut la croix d’officier de la légion d’honneur. Mais quand se dessine l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, il pense quitter Metz et vit sans doute pendant quelques temps à Nancy. Cependant, c’est à Metz qu’il décède à la fin 1873. Il lègue une partie de ses biens au bureau de bienfaisance de Vigy [11].