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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Droinet, Henri Félix Louis
Article mis en ligne le 5 octobre 2010
dernière modification le 29 août 2012

par Moors, Hans

Né à Reims le 22 Octobre 1801, mort en 1864, probablement en France (Saint-Denis). Ingénieur, entrepreneur et fabricant de gaz. Figurant parmi les pionniers en Europe pour la production et la distribution de gaz pour l’éclairage des habitations et des bâtiments publics, Droinet est, pendant 20 ans, un fabricant de gaz d’importance. Dans les années 1840 il est le fouriériste le plus actif des Pays-Bas.

Droinet ingénieur et industriel : succès et revers

Félix Droinet suit une formation d’ingénieur et part ensuite courir le vaste monde. En 1829 il épouse une femme juive, originaire d’Angleterre : Esther Jonas (1804-1833) à Bruxelles. Il a probablement séjourné à Bruxelles pour se renseigner : pendant les années 1820 des pionniers reconnus comme J.-B. Jobard expérimentent dans les grandes villes des Pays-Bas méridionaux des procédés novateurs pour la production et la distribution de gaz d’éclairage.
Le système anglais initial, qui produisait du gaz à partir de l’huile et le comprimait ensuite sous pression dans des bidons, est déjà breveté en 1819 (méthode Gordon-Heard), mais à la fin des années 1820, ce système n’est plus rentable. Droinet développe son propre procédé, dans lequel on ne comprime pas le gaz d’huile. La quantité de lumière par bidon n’en est pas diminuée, alors que le danger d’explosion se trouve considérablement réduit. Ce système reste rentable jusque dans les années 1850.
De retour à Reims vers 1830, Droinet y prend part à la vie politique. Il s’affirme publiquement comme libéral et anticlérical convaincu - attitude qui le met en conflit avec les autorités municipales. Après la mort de son épouse, il déplace ses activités aussi à l’étranger. Il s’établit à Saint-Peterbourg (1835-1837), où il installe une usine à « gaz portatif non comprimé », et cherche à appliquer son procédé dans quelques villes allemandes (Cologne, Stettin, Munich, Francfort). En même temps il semble prendre part (comme, ou avec son concitoyen Jean-Nicolas Houzeau-Muiron) à la propagation du gaz portatif non-comprimé dans les villes au nord de la France. Droinet passe sans doute, pour la même raison, par Stockholm et, plus tard, par Vienne. Entre-temps, à la fin de 1837, il se retrouve aux Pays-Bas. Là il obtient « un brevet de 10 ans en Hollande », en collaboration avec un compagnon de Reims (M. Didier), pour pourvoir La Haye en gaz.
À l’époque, le gouvernement néerlandais mène une politique protectionniste. Les entreprises étrangères ont beaucoup de mal à s’imposer. La situation commence à changer petit à petit après 1840. Une politique prudente de transferts de technologie se met en place. Pourtant, en pratique les initiatives privées d’entrepreneurs étrangers ne rencontrent pratiquement pas de résistance. Ils peuvent manœuvrer librement sur le marché néerlandais, même si, en règle générale, ils sont plus ou moins forcés de passer par des agents et des compagnons néerlandais.
C’est le cas aussi pour Droinet. Avec le soutien d’entrepreneurs néerlandais il agrandit son « empire » aux Pays-Bas (ses entreprises donnent du travail à plus de 100 ouvriers). Il fond une « fabrique d’appareils et d’ornements à gaz » (1841), et il construit des usines à gaz à Leyde (1840), Utrecht (1841), Delft (1842), Amsterdam (1844) et La Haye (1838 et 1844). En outre, il installe les appareils à gaz dans les gares ferroviaires d’Utrecht et d’Amsterdam (1843 et 1844). Les années 1840 lui sourient, non seulement dans sa vie professionnelle, mais aussi dans sa vie personnelle. Il se marie une jeune femme néerlandaise : Anna Elizabeth Stoopendaal (1823-1898), avec qui il a quatre enfants.
Vers la fin des années 1840 le succès de Droinet s’affaiblit. Au niveau local la concurrence est forte. Ses concurrents néerlandais réussirent à manipuler l’opinion publique. Les origines étrangères d’entrepreneurs comme Droinet sont de plus en plus l’objet de discussions xénophobes dans la presse néerlandaise. De surcroît, un système plus rentable qui produit du gaz à partir du charbon devient opérationnel. Droinet doit fermer successivement toutes ses usines : Amsterdam (1850), La Haye (entre 1852 et 1855), Delft (1856), Leyde (1857) et Utrecht (après 1858). Fin 1851 son contrat lucratif avec la « Société Ferroviaire Nederlandsche Rijnspoorweg Maatschappij » est terminé. Droinet revient en France (il est difficile de préciser à quel moment) ; on sait peu de choses sur la suite de sa vie et de sa carrière.

Droinet et l’Ecole sociétaire

L’âge d’or de ses rapports avec l’École sociétaire se situe aussi dans les années 1840. Droinet rencontre sans doute Victor Considerant en 1839 aux Pays-Bas et les deux hommes restent ensuite en contact. Il a aussi des relations amicales avec le phalanstérien Sauzet. Au début des années 1840 il est le pivot d’un petit « réseau fouriériste » d’entrepreneurs à La Haye. Il est abonné à La Phalange et à La Démocratie pacifique, et se trouve parmi les actionnaires de ce journal en 1843. Il correspond avec l’École sociétaire de 1842 jusqu’en 1854. Il y fait de son mieux, écrit-il à François Cantagrel en 1844, pour trouver des abonnés pour La Démocratie pacifique. Apparemment, on lui demande aussi d’écrire pour ce journal sur la situation politique et socio-économique aux Pays-Bas.
Dans la Science sociale de l’École sociétaire Droinet reconnaît les « expressions d’harmonie », les « sentiments d’unité qui surgissent partout » : points de repère pour un entrepreneur social, qui veut protéger les faibles, adoucir l’inégalité économique et qui aspire à une organisation du travail qui donne de mesures humaines à l’exaltation de soi du libéralisme. Droinet se déclare partisan des rapports directs entre producteur et consommateur, repousse les intermédiaires commerciaux et le monopole. En tant qu’entrepreneur, il critique le dogme et l’attitude de laissez-faire, laissez-passer.
Malgré son « zèle fervent » pour la Science sociale et en dépit de tous ses efforts, le contact entre Droinet et l’École sociétaire est loin d’être simple. Il se plaint à plusieurs reprises de ne recevoir que peu de nouvelles de Paris. Il se juge sans doute lui-même plus important qu’il ne l’est aux yeux de l’École sociétaire. L’image qu’esquisse Droinet des Pays-Bas en 1844 (« l’Esprit public ? il n’y en a pas où on est frappé d’atonie ») décourage peut-être Cantagrel à jamais.

Droinet vers 1860
Collection privée de Monsieur Philippe Hurbin