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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

« Sachons gré aux Fouriéristes... ». Martin Nadaud (1895)
Article mis en ligne le 16 avril 2010

par Bouchet, Thomas

Martin Nadaud rédige ses mémoires au soir de sa vie. Né dans la Creuse en 1815, il a commencé par exercer le métier de maçon à Paris. Puis il a fait son chemin : il a été représentant du peuple sous la Seconde République, professeur à Wimbledon (Angleterre) sous l’Empire, préfet de la Creuse après la chute de Napoléon III, conseiller municipal de Paris, député républicain entre 1876 et 1889. Le notable respecté de la Troisième République a connu de tels changements dans sa vie qu’il plonge dans un passé bien lointain lorsqu’il évoque ses jeunes années de la monarchie de Juillet.
Pourtant, il tient à affirmer la cohérence de son parcours. Il était déjà très sensible aux questions politiques et sociales dans sa jeunesse ; il s’est instruit, a pris l’habitude de lire les journaux, il a aimé écouter et discuter. Il a servi ensuite l’idée républicaine. Le vieil homme dédie au crépuscule du XIXe siècle son livre à ses trois petits-enfants et à ses deux petits-gendres. Il les encourage d’entrée à porter constamment « haut et ferme le drapeau républicain, drapeau qui assurera [...] des destinées tranquilles à notre chère et digne patrie. » C’est le ton de l’ensemble du livre. Nadaud se veut le témoin - et, à son échelle, l’acteur - de la naissance et de l’affirmation de l’esprit républicain moderne, dans l’adversité souvent, jusqu’à l’avènement et à l’enracinement de la République.
C’est selon ce filtre que sont rapidement présentées les diverses « écoles socialistes ». Si Nadaud estime les fouriéristes, c’est parce que ses hommes, et en particulier Considerant, ont fini par porter leur concours au grand combat du siècle. Ils n’ont pas cessé d’être socialistes, mais leur intérêt pour les déshérités n’est devenu opératoire que lorsqu’il s’est nourri de républicanisme. Nadaud salue en outre leur honnêteté foncière, vertu à ses yeux cardinale.
Ainsi se place-t-il dans la lignée de ceux qui considèrent les fouriéristes comme des hommes de bonne volonté, utopistes aimables et fidèles aux grandes causes - c’est la ligne directrice, par exemple, des notices qui leur sont consacrées dans le Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse au cours des années 1860 et 1870.
L’intérêt factuel des lignes écrites par Nadaud n’est pas incontestable (difficile de soutenir que Considerant, « quelques années avant 1848, se jeta à corps perdu dans le parti républicain » ; en juin 1849, Nadaud n’est pas de ceux qui souhaitent une résistance par les armes...) ; ce qui retient davantage l’attention, c’est le beau témoignage sur des rencontres marquantes ; c’est aussi l’esprit général du livre, qui nous en dit bien sûr davantage sur l’auteur que sur ceux qu’il décrit.

« Les écoles socialistes entrent en lutte

Tels étaient la situation du peuple et l’état des esprits quand les différentes écoles socialistes commencèrent leur lutte contre la forme actuelle du salariat. Leur programme de combat au point de vue des idées et de la ligne de conduite à suivre, différait sur bien des points, mais toutes étaient d’avis de faire participer les travailleurs aux bénéfices de chaque entreprise.
[Nadaud évoque d’abord les saint-simoniens]
Après les Saint-Simoniens vinrent les Fouriéristes, hommes généralement animés d’excellentes intentions. Je ne parlerai pas de ceux que j’ai connus à Paris ni à Londres pendant mon exil. Cantagrel, Vauthier ont été pour moi de véritables amis, aussi dévoués à la République qu’ils étaient sincèrement socialistes.
Victor Considerant, que je n’ai connu qu’en 1849, avait fondé avant cette époque le journal La Démocratie pacifique. Il n’attaqua pas d’abord directement la dynastie de Louis-Philippe ; aussi, malgré son talent, il n’était pas très populaire ; il soutenait que par des moyens légaux on pouvait obtenir de grandes réformes et améliorer la désolante condition du peuple. Considerant ne tarda pas à être désabusé. L’obstination du gouvernement qui se refusait à toute réforme sérieuse, lui montra vite qu’il faisait fausse route, aussi quelques années avant 1848, il se jeta à corps perdu dans le parti républicain.
Je me souviens que ce fut dans les bureaux de son journal que fut décidée la prise d’armes, qui le conduisit en compagnie de Ledru-Rollin et de plusieurs autres députés parmi lesquels je me trouvais, le 13 juin 1849, aux Arts et Métiers. On savait qu’il s’agissait de combattre les ministres de Louis-Napoléon, qui envoyaient notre armée à Rome, à l’assaut de la République romaine.
Sachons gré aux Fouriéristes ; ils arrivaient de bonne foi à la République avec la louable intention de ne plus l’abandonner et disons que par leur loyauté et leur talent, ils devaient rendre à la démocratie radicale et aux classes ouvrières de véritables services. »

Martin Nadaud, Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon, Bourganeuf, Duboueix, 1895

Dans l’édition Hachette de 1976, on lira avec grand intérêt les commentaires de Maurice Agulhon.