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MCWILLIAM Neil : Dreams of Happiness. Social Art and the French Left, 1830-1850 (1993)

Princeton, Princeton University Press, 1993, XVI, 385 p.

Article mis en ligne le décembre 1995
dernière modification le 4 avril 2007

par Cordillot, Michel

Comme l’indique le titre de son ouvrage, l’auteur s’est fixé pour but d’étudier ce que fut l’art social, tant au plan des théories esthétiques développées qu’au niveau des réalisations artistiques, durant la période couvrant la Monarchie de Juillet et la Deuxième République. Propos ambitieux, puisque du même coup, il entreprenait de revisiter les rapports entre les théories politiques les plus progressistes et le romantisme en tant que courant artistique dominant.

Période marquée par d’importants bouleversements politiques et sociaux, les années 1830 virent également l’émergence de l’art en tant que mode d’intervention sociale. Cette conception de l’artiste appelé à jouer un rôle social par l’intermédiaire de son œuvre (une conception dont le premier théoricien semble avoir été Condorcet en 1790), était aux antipodes de la vision de l’esthétique comme moment privilégié de l’individualisme bourgeois qui prévaut désormais (p. 16). Si on laisse de côté les œuvres d’art strictement subordonnées aux impératifs de l’action politique (qui anticipaient déjà sur un “réalisme socialiste” aujourd’hui de triste mémoire), on constate que les théories avancées concevaient alors la production artistique comme porteuse d’une conception de la Nature, d’une subjectivité individuelle, d’une relation avec Dieu qui constituaient autant de fondements d’une éthique de l’équité sociale.

Dans ce travail riche et foisonnant, N. McWilliam fait ressurgir toute une galerie d’artistes peu connus, se penche sur leur œuvre et sur les débats théoriques animés par les représentants des différents courants progressistes, tels les saint-simoniens, les fouriéristes, les socialistes de diverses écoles, y compris les socialistes chrétiens. Parmi les conclusions les plus dérangeantes figurera sans doute la démonstration de l’existence d’une continuité entre les théories esthétiques des fouriéristes... et celles développées quelques années plus tard par Marx et Engels (p. 344).

Au fond, la question que pose ici et à sa façon l’auteur est celle du passage de la théorie de la réforme à la pratique. L’exercice est passionnant et en même temps révélateur, car il aboutit à mettre en évidence le fossé entre intentions et réalisations. Incapables d’imaginer à quel point les transformations économiques en cours allaient bouleverser le paysage social, incapables aussi le plus souvent de rompre avec les valeurs dominantes et les modes de représentation traditionnels, les artistes sociaux du premier XIXe siècle trouvèrent refuge dans des fantaisies pastorales et des rêves d’évasion qui firent de “l’art de l’avenir” tel que l’avait imaginé Saint-Simon un art pratiquement mort-né (p. 110).

Cet ouvrage constitue au total une contribution aussi novatrice que fascinante à l’étude et à la connaissance des mouvements socialistes utopistes français au début du XIXe siècle.