Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

BOUCHET Thomas, FORNASIERO Jean, WEST-SOOBY John (dir.) : « L’Utopie en mouvement » (2006)
Australian Journal of French Studies, XLIII, 3, 2006
Article mis en ligne le 15 décembre 2007
dernière modification le 7 avril 2008

par Guillaume, Chantal

L’Australian Journal of French Studies a consacré un numéro à « l’Utopie en mouvement » appuyé en partie sur un colloque tenu à l’université d’Adélaïde en juillet 2006, mais aussi sur un regain d’intérêt manifesté en Australie ainsi qu’en France, aux État-Unis, en Angleterre pour l’utopie. La revue, il y a une trentaine d’années (en 1974), avait déjà rassemblé un grand nombre d’études sur l’utopie, dans lesquelles Fourier occupait une bonne place et où figuraient de grands noms de l’exégèse fouriériste : Michael Spencer, Peter Hambly, Simone Debout, Michel Butor... Utopies et socialismes étaient alors analysés en tant que phénomènes littéraires et dans cette optique romantique, l’utopie consacrait la puissance libératrice possible du langage. L’utopie en mouvement, pour reprendre une idée de Michèle Riot-Sarcey, est l’envers d’une utopie rigide et enfermante, mais au contraire ouverture vers de multiples possibles. Cette idée fait le lien entre ces deux numéros de l’Australian Journal  : l’utopie est toujours le mouvement de l’histoire, ce qui impose de penser un avenir à partir de son instance historique qu’est le présent. Il nous importe de comprendre que l’utopie n’est radicale que parce qu’elle est conditionnée par un ancrage dans le présent et qu’elle est mouvement en fonction même de ce présent ; c’est bien la spécificité des utopies du XIXe siècle et surtout de celle de Fourier.

Ce numéro de l’Australian Journal réunit des communications d’un certain nombre des collaborateurs voire animateurs des Cahiers Charles Fourier. Ainsi Jonathan Beecher, qui a accompagné les Cahiers depuis leurs débuts, il y a bientôt vingt ans, nous livre une analyse lucide sur l’utopie en refusant d’occulter la dérive dystopique du XXe siècle ; il défend l’utopie comme « principe espérance », par sa capacité de nous projeter dans le futur. Pierre Merklé montre quant à lui que l’École sociétaire s’est inscrite dans une alternative : prendre pied dans le mouvement des partis politiques républicains et socialistes avec Considerant ou choisir la méthode de l’expérimentation sociale des réalisateurs. Deux tendances s’opposent et finissent par se réconcilier : celle des expérimentateurs d’État à la source de l’expertise et de l’ingénierie sociale et celle des réalisateurs dissidents. Pierre Merklé conclut que l’orthodoxe Considerant est obligé de concéder que les dissidents ont raison : il faudra expérimenter sans attendre la loi. Les propagateurs et les réalisateurs ont fait cette démonstration que le modèle de l’utopie fouriériste repose sur « la pratique sociale et expérimentale » ou une volonté sans faille de transformation sociale. Il est stimulant de rapprocher cette analyse de celle de Jean Fornasiero, qui propose dans ce numéro deux contributions dont l’une est consacrée au mécénat phalanstérien : utopie en mouvement car il s’agit de financer des expérimentations de modèles de société. Fornasiero nous propose des figures contrastées de mécènes utopistes : de bien réels, généreux expérimentateurs sociaux et de fictifs mécènes imaginaires de la littérature du XIXe siècle, des aventuriers de l’utopie comme personnages de roman. Elle montre que les mécènes de la littérature échouent, mais sont à l’origine d’une descendance d’utopistes qui poursuivent l’œuvre commencée. L’histoire de la transformation sociale est en marche. Au contraire les mécènes réels finissent dans la solitude et transmuent l’expérimentation en théorie : utopie réalisée et utopie pensée, toujours. Timothy Unwin fait pour sa part découvrir la richesse et l’ambivalence des visions de l’utopie dans l’œuvre de Jules Verne : pour embrasser toutes leurs dimensions (« Utopia », « ecotopia », « technotopia », « heterotopia », « retrotopia », « textotopia », « dystopia »), Unwin forge le néologisme stimulant de « Vernotopia ». Bernard Desmars prête lui aussi attention aux pratiques concrètes et projets utopistes appliqués qu’il oppose à l’orthodoxie des propagateurs de la pensée fouriériste sous la conduite de Considerant. Les banquets commémorant la naissance de Fourier sont organisés plutôt à l’initiative des dissidents et dans les années 1840 à 1848, leur nombre va croissant. Ils sont festifs, populaires, réunissent ouvriers, artisans poètes et chansonniers, n’excluant pas les femmes comme les banquets de La Phalange. On assiste déjà à une concurrence commémorative ! Bernard Desmars indique un paradoxe : les banquets à la fin du XIXe et jusqu’au milieu du XXe siècle ne sont plus de joyeuses anticipations de l’avenir ou de l’utopie en mouvement, mais des rencontres nostalgiques d’une époque révolue. Aujourd’hui on ne se réunit plus que sur la tombe de Fourier. Il faut compléter cette lecture par celle du second article de Fornasiero, « Poètes et artistes au banquet fouriériste de 1840 ». Thomas Bouchet, quant à lui, nous convie à « l’écart absolu des festins dans le Nouveau Monde amoureux ». Il fait l’hypothèse que ces festins comme libération des sens renvoient plus à Rabelais qu’au XIXe siècle (Pierre Leroux, Proudhon condamnaient les fantasmes orgiaques de Fourier). Le festin, c’est la liberté en excès des sens, la gastrosophie elle-même est juste appréciation des besoins du corps et fait se rencontrer la chère et la fange. Thomas Bouchet, s’appuyant sur de rares et furtives mentions de l’œuvre de Rabelais dans le Nouveau Monde amoureux, se plaît à démontrer que s’il n’y a pas influence directe de l’un sur l’autre, il faut déceler des connivences, des correspondances qui les rapprochent (festin/sexualité...). Mais surtout, en s’appuyant sur les travaux de Simone Debout, il met en exergue le même vertige verbal, la même création verbale libidineuse. Peter Hambly quant à lui démontre, textes à l’appui, que l’œuvre de Fourier a structuré et conditionné des œuvres de poètes du XIXe siècle : Leconte de Lisle, Banville et Baudelaire. Ce serait paradoxalement Théophile Gautier, chantre de l’art pour l’art, qui aurait attiré l’attention de ses pairs sur la pensée de Fourier. On découvre aussi par cette étude qu’après 1849, la désillusion et la déception règnent en maîtresses : les poètes se font alors les désillusionnés de l’utopie. Enfin, Louis Ucciani nous offre une lecture originale de l’œuvre de Fourier à laquelle il prête une esthétikè implicite qui doublerait l’épistémé. Il cherche à légitimer une authentique recherche par Fourier du vrai, du beau et du bien, éthique et esthétique pouvant se rejoindre et pouvant se traduire par un art radical. Fourier lui-même n’aurait pas été insensible à la représentation visuelle de sa pensée d’une manière non réaliste (voir à ce propos « la fleur de Fourier »). Cet art radical ou cet imaginaire artistique devrait être à la hauteur de l’imaginaire politique et philosophique de Fourier. Il ne nous semble pas, même si les artistes contemporains se réfèrent au maître de l’invention sociale, qu’ils aient réussi à nous entraîner par leur démarche aussi loin que Fourier...