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PALMIER Jean-Michel : Walter Benjamin. Le chiffonnier, l’Ange et le Petit bossu (2006)
Paris, Klincksieck, 2006, édition établie, annotée et préfacée par Florent Perrier, XLVII-866 p.
Article mis en ligne le 15 décembre 2007
dernière modification le 7 avril 2008

par Bouchet, Thomas

« Il est urgent de lire Benjamin ». C’est dans ces termes que Jean-Michel Palmier titrait un article sur Benjamin, en 1980, dans Révolution. La lecture de l’ouvrage que voici confirme le bien-fondé de l’injonction d’alors. Remarquable livre, en effet, que cette biographie philosophique, esthétique et politique inachevée, interrompue par la mort de Palmier, trente ans après son premier livre, consacré à Hegel (il avait alors vingt-quatre ans). L’auteur ne cherche pas à révolutionner le savoir sur Benjamin : il tâche plutôt de porter un regard historique et critique sur l’homme et sur l’œuvre, à partir d’une immersion aussi complète que possible dans le monde de Benjamin. Il marche sur ses traces en lisant les textes qu’il a pu lire et les textes qui lui ont été consacrés. Les trois premières parties rendent parfaitement compte de la réussite du projet. Elles s’intitulent « Entre deux apocalypses : la tragédie d’un intellectuel juif allemand », « Langage, philosophie et magie », « Esthétique et politique : le projet d’une esthétique matérialiste ». Les deux parties suivantes ne sont malheureusement qu’ébauchées. Attentif au monde tragique dans lequel vit Benjamin, Palmier revient chemin faisant sur les questions essentielles qu’il soulève, et dont voici quelques-unes : la méditation sur le langage ; le souci de fonder une critique littéraire d’un genre nouveau ; le choix de l’éclat, du fragment, de préférence aux vaines constructions censées convaincre ; au-delà, l’articulation inédite entre matérialisme et messianisme (c’est le titre d’une quatrième partie non écrite). Palmier présente et étudie aussi certaines des discussions d’une richesse inouïe entre Benjamin et les hommes de son temps - au premier rang d’entre eux, Adorno.

C’est grâce à Florent Perrier que le livre de Palmier existe. Spécialiste d’esthétique, Perrier travaille notamment sur les rapports entre l’art, l’utopie et la politique : on se référera à ce propos à la présentation de sa recherche de doctorat dans le Cahier Charles Fourier 16 (2005), ainsi qu’à son article intitulé « Conjugaison de la déroute. De l’utopie comme d’une résistance à l’œuvre » (Recherches en esthétique, 11, numéro « Utopies », octobre 2005). Perrier a établi et annoté le texte. Il s’est mis au service de la pensée de Palmier et lui rend par là un émouvant hommage. Dans une préface magistrale, il introduit avec finesse et intelligence à la lecture de l’ouvrage, et il ouvre mille perspectives. Je n’en retiens ici qu’une, parce qu’elle renvoie directement à Fourier, présent dès l’Exposé de 1935  : Perrier insiste de manière très convaincante sur la place du jeu et sur le rôle éminent de l’enfance chez Benjamin ; des lignes remarquables sont consacrées p. XXXVI et suivantes à l’enfant sale, l’enfant-chiffonnier récupérant déchets, résidus, rebuts, cet enfant vu par Benjamin qui fait un écho joyeux à celui des petites hordes de Fourier. De fait, le motif de l’enfance court dans le livre de Palmier. Et il n’est pas sans intérêt de constater que l’artiste Liam Gillick, dans une œuvre récemment consacrée à Fourier, reprend à son tour le motif (voir à ce propos le texte de Louis Ucciani dans la rubrique « Informations diverses » de ce Cahier). Voilà qui donne une première clé pour saisir le sous-titre du livre (« Le chiffonnier, l’Ange et le Petit bossu »). Florent Perrier va plus loin pour comprendre intimement ce qui se joue avec ces trois figures. Au lecteur de découvrir où tout cela mène, et de mesurer à son tour la profondeur tragique de la pensée de Benjamin et la qualité de l’ouvrage de Palmier. Emergent de tout cela, et c’est pour nous essentiel, plusieurs regards convergents sur une posture pas si éloignée de celle de Fourier (même si Benjamin se montre critique vis-à-vis de lui) : celle de Benjamin, « face à l’ordre existant (...), hors de mesure et inacceptable » (l’expression est d’Adorno, cité par Perrier p. XIV) ; un Benjamin, écrit cette fois Perrier, en « écart (absolu ?) vis-à-vis du monde-tel-qu’il-est » (p. XIV).