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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Berbrugger, (Louis) Adrien
Article mis en ligne le 18 février 2008
dernière modification le 9 novembre 2020

par Bouchet, Thomas

Né à Paris le 11 mai 1801, mort à Alger le 2 juillet 1869. Erudit, littérateur, philologue, archéologue, spécialiste de l’Algérie. Propagandiste fouriériste au début de la monarchie de Juillet.

Après l’Ecole des Chartes, Berbrugger se spécialise dans l’étude de la langue espagnole, puis il travaille pour le gouvernement anglais à recueillir des documents sur l’occupation de la France au XVe siècle [1]. Il est difficile de dater avec précision son ralliement au fouriérisme. Avec Charles Harel, il adhère à la Société phrénologique de Paris et il ne manque pas d’y évoquer les idées sociétaires [2]. L’échec de Condé, les difficultés que traverse le journal de l’Ecole et les rapports épineux avec Fourier conduisent Victor Considerant et Jules Lechevalier à s’engager dans des tournées de propagande en province à la fin de l’année 1833. Il se joint leur action. Il commence sa tournée par Dijon, puis il gagne Lyon pour quatre conférences [3]. Quelques lyonnais le connaissent déjà de nom : il est l’un des rédacteur engagés dans un projet de Bibliothèque Populaire qui consiste d’après le prospectus à « composer de ces livres populaires qu’on puisse mettre entre les mains de l’enfant, de l’ouvrier, de la mère de famille, du professeur d’école primaire, en un mot de tous ceux qui n’ont ni beaucoup d’argent, ni beaucoup de temps à dépenser. » Les livres de la Bibliothèque populaire ne seront ni volumineux, ni difficiles à comprendre, ni chers, promet le prospectus. L’Echo de la fabrique du 16 juin 1833 présente la liste des fondateurs de la Bibliothèque Populaire ; puis vient la liste des rédacteurs, avec Berbrugger. Or L’Echo de la fabrique tend à cette période une oreille bienveillante à tout ce qui concerne l’Ecole sociétaire. Tandis qu’arrive Berbrugger, le journal a déjà publié une suite d’études sur le système de Fourier, deux en 1832, une dizaine en 1833, signées par Rivière cadet depuis avril.
Berbrugger donne ses conférences à 7 heures du soir dans une salle du prestigieux palais Saint-Pierre (la salle de la Bourse) ; le public (plusieurs centaines de personnes au total) est composé de notables et de chefs d’atelier. Les Lyonnais sont sensibles à l’idée d’association et les conférences attirent naturellement beaucoup de monde. L’orateur présente au fil des séances le système de colonisation agricole et industrielle de Fourier. La première a lieu le 16 septembre et seuls peuvent assister ceux qui présentent une carte d’admission. L’Echo de la fabrique (29 septembre) relate très positivement la conférence suivante, celle du 23 septembre. Elle s’est achevée, lit-on, « au milieu des acclamations d’un nombreux et brillant auditoire ». Le rédacteur de L’Echo poursuit : « L’orateur, doué d’un talent remarquable, riche de simplicité et de modestie, comme l’est toujours l’homme qu’entraîne une profonde conviction, après s’être livré à une critique plus juste encore que sévère, de notre ordre social actuel, s’est hâté de dérouler le plan d’un monde nouveau, tel que tous les hommes, quelle que soit du reste leur bannière, ne peuvent que désirer d’abord, puis hâter de tous leurs moyens, l’essai d’une théorie qui seule entre toutes promet de transformer la société sans luttes intestines, et sans lésion d’aucune espèce d’intérêts. [...] Certainement nous pourrions dire encore, mais depuis long-temps les colonnes de notre journal sont une tribune des disciples de l’inventeur du nouveau monde sociétaire, M. CHARLES FOURRIER (sic) ; ainsi nous n’avons pas besoin de dire que notre sympathie leur est aussi acquise, et que nous applaudissons à leurs généreux efforts ; car elle nous porte toujours vers les hommes qui travaillent sincèrement au bien-être du peuple. »
Dans le sillage sans doute des conférences, L’Echo des travailleurs publie à son tour, à partir du 13 novembre 1833, des articles sur le fouriérisme qui exercent une influence certaine sur les mutuellistes lyonnais, tandis que le 1er décembre, L’Echo de la fabrique reproduit le courrier enthousiaste d’« une phalanstérienne » : « Voici venir les jours d’hiver, temps de misère et de souffrance pour le pauvre ouvrier. [...] Des expositions publiques de THEORIE SOCIETAIRE ont eu lieu à Paris et dans plusieurs villes de France, où cette doctrine a trouvé un très grand nombre d’adhérens. A Lyon, un disciple avoué du maître (M. Berbrugger), dans un cours analytique de REFORME INDUSTRIELLE, nous en a fait comprendre toute la portée, et a laissé parmi nous les bases d’une école qui doit avoir des réunions suivies. La SOCIETE DE CIVILISATION la propage, et bientôt cette science si féconde sera le lot du genre humain. Enfin, une application réelle, expérimentale, se prépare à Condé-sur-Vesgre, près de Paris, pour recevoir, au printemps prochain, son plein développement. [...] »
Berbrugger quitte Lyon pour se rendre à Marseille, Toulon, Alger où il est secrétaire du maréchal Clausel [4] ; il tente peut-être de fonder un phalanstère près de Sidi Ferruch [5]. Puis il revient à Lyon. L’Echo de la fabrique annonce son retour dans sa livraison du 8 décembre. « Les idées phalanstériennes ont été bien accueillies dans un pays où l’on s’occupe avant tout de civilisation. [...] M. Berbrugger se propose, avant de quitter Lyon, de donner de nouvelles conférences qui seront le complément des premières, et de publier l’exposition complète du système de Fourrier (sic), tel qu’il l’a développé dans le palais St-Pierre. » Les séances ont lieu à partir du 13 décembre, à huit heures du soir, dans la salle de la Loterie, près de la barrière Saint-Clair (L’Echo de la fabrique, 15 décembre 1833). Berbrugger entend « appuyer sur des preuves historiques la valeur du système de réforme industrielle, et [...] démontrer l’influence que l’école phalanstérienne est appelée à exercer sur les destinées sociales ». Les conférences sont gratuites, mais « on n’entrera qu’avec des billets que M. Berbrugger (place St-Michel, n° 2) remettra aux personnes qui en feront la demande. »
C’est à la mi-décembre que Babeuf et Perret font paraître la première livraison de l’Exposition du système de Fourier, reprise de la première conférence de septembre. Quatre livraisons, au prix de 50 centimes chacune, sont prévues au total (Voir la première page de la publication)

A. Berbrugger, Exposition du système de Fourier, 1833
Cliché d’après l’exemplaire conservé à la Bibliothèque d’Etude et de Conservation, Besançon

. Berbrugger prononce le 23 décembre sa troisième et dernière conférence ; ce jour-là est mise en vente la deuxième livraison de l’Exposition du système de Fourier (les 3e et 4e livraisons sont mises en vente en mars 1834). L’Echo de la fabrique du 29 décembre rend compte de la conférence dans des termes à nouveau très louangeurs :

Il y a des événemens qui semblent providentiels. En même temps que l’esprit, ou, pour mieux dire, l’instinct de l’association commençait à se manifester, paraissait un homme auteur d’un traité d’association, qui enseigne les règles à suivre dans la combinaison des efforts individuels. Cet homme est M. FOURIER, dont le système vient d’être développé en plusieurs conférences publiques, par M. BERBRUGGER, l’un de ses disciples. - Une idée qui ne pouvait manquer de frapper la population industrielle de notre ville, est celle qui consiste à faire cesser la lutte qui existe entre le maître et l’ouvrier depuis qu’il y a des maîtres et des ouvriers. - Dans l’organisation du Phalanstère, tous sont associés ; il n’y a là ni salariés, ni salarians ; ce sont des sociétaires se partageant leurs bénéfices en recueillant selon ce qu’ils ont donné en capital, en travail ou en talent.
[...] M. BERBRUGGER a terminé ses conférences en indiquant le point où l’esprit d’association était arrivé aujourd’hui, et a signalé le chemin qui lui restait à faire pour atteindre à l’association complète qui harmonise tous les intérêts et promet ces résultats merveilleux auxquels nous autres civilisés n’osons pas plus croire, habitués que nous le sommes au mal, que l’indigent à qui on annoncerait, dans le fort de sa misère, qu’il vient de lui échoir une succession de plusieurs millions. - L’échelle d’association donnée par M. Berbrugger nous a paru de nature à intéresser directement et immédiatement la classe ouvrière ; et nous nous efforcerions de la rappeler ici, si le jeune disciple de M. FOURIER n’avait pas promis d’en faire une publication spéciale adressée aux ouvriers de France, et nous ajouterons, de tous pays.

Le succès du fouriérisme fait des émules. Juste avant de quitter Lyon, Berbrugger dénonce dans une lettre au rédacteur de L’Echo de la fabrique (écrite le 28 décembre et publiée le 5 janvier) les agissements de l’Association commerciale d’échange, un groupe de soi-disant « disciples de Fourier » qui prônent la « Réforme industrielle et commerciale » : « Non ! Les membres de la société d’échange ne sont pas les disciples de notre maître [...] Ce qu’ils appellent leur système est en effet une idée empruntée à la théorie sociétaire ; mais ce n’est pas une raison pour qu’ils cherchent à établir entre eux et nous une solidarité que nous n’admettons en aucune manière. Nous protestons donc formellement contre cette assimilation de leur entreprise de commerce à notre œuvre toute sociale. » Aux yeux de Berbrugger et de Rivière cadet, l’Association commerciale d’échanges dirigée par Ravet est une pure et simple escroquerie...
Après Lyon, Berbrugger se dirige vers Rouen. Sur sa route il s’arrête à Salins pour retrouver Victor Considerant à l’extrême fin du mois de décembre ; ils font ensemble le bilan de l’année écoulée. Considerant apprécie le travail de Berbrugger. Dans une lettre à Clarisse Vigoureux avant son arrivée (17 décembre 1833), il exprime son souhait que Berbrugger parte en mission dans le nord de la France avec « pour base d’opérations la ligne de Lille à Bruxelles », puis Lyon, Lons-le-Saunier, Salins [6]. Mais Berbrugger choisit de prendre le chemin de l’Angleterre.
Il se trouve à Besançon au début de l’année 1834. Si l’on en croit Charles Weiss dans son Journal, il se distingue lors d’un dîner chez Pérénès, professeur de littérature française à la faculté de Besançon.

9 janvier 1834. (...) Toute la conversation n’a roulé que sur le système de Fourier et sur les deux prédicants qui sont venus récemment annoncer le nouvel Evangile : M. Victor Considerant, jeune homme d’imagination et M. Berbrugger, plus éloquent et plus logicien que Considerant, sachant mieux répondre aux objections et se plaignant même qu’on ne lui en adressait pas autant qu’il aurait désiré pour avoir le plaisir de les réfuter. M. Buignet lui répondit : "C’est que notre peuple ne trouve pas votre doctrine assez sérieuse pour la juger digne de réfutation.

Dans un compte rendu que L’Impartial donne le 9 janvier des conférences de Considerant et Berbrugger, on lit qu’il a été notamment question de la Société phalanstérienne fondée à Alger et de la colonie de Condé sur Vesgre.

Berbrugger fait une étape remarquée à Rouen, si l’on en croit L’Echo de Rouen. Dans « Science sociale. Théorie de Charles Fourier » (voir document), l’auteur de l’article rouennais insiste sur la capacité de Berbrugger à vulgariser la pensée de Fourier, ce qui explique certainement la présence d’un nombreux auditoire aux quatre séances qui se sont tenues à l’Hôtel de Ville de Rouen. Il est parvenu à « éveiller les esprits, et [à] les intéresser à la solution des controverses, soulevées dans ces derniers temps sur le terrain presque vierge de la science sociale. » Et le rédacteur de conclure : « Il n’est point de question dont notre siècle ne puisse supporter l’examen, lorsqu’elle est adressée à l’intelligence. La liberté de discussion est impérissable en France ; elle n’a à redouter que ceux qui la souillent en la faisant descendre dans l’arène des passions turbulentes. M. Jules Lechevalier, M. Adrien Berbrugger ont reçu chez nous et d’autres villes de France les applaudissemens dus à leur talent ; et ils ont reconnu que nulle part les idées neuves, celles même qui se présentent sous l’aspect le plus paradoxal, ne sont jamais confondues avec les tentatives de l’anarchie. »

Un article sur Berbrugger dans L’Echo de Rouen, repris par L’Echo de la fabrique, 27 avril 1834.


Le souvenir du passage de Berbrugger à Lyon se ravive dans L’Echo de la fabrique en février 1834. L’Ecole sociétaire semble capable de livrer des solutions tandis que la tension entre les patrons de l’industrie de la soie et les canuts est extrême. « Hier, une crise sociale vient d’avoir lieu à vos portes, et doit faire ressortir d’une manière palpable la nécessité de s’occuper pacifiquement de l’organisation industrielle. Combien faudrait-il donc aux hommes du pouvoir d’exemples terribles ? »

A cette date, Berbrugger est déjà très loin de Lyon. Il a gagné l’Angleterre [7]. Le 12 août 1834 il est à Londres où il rend visite à Jules Michelet. Voici ce qu’on lit à ce propos dans le Journal de Michelet : "Il trouve les unionistes d’ici moins avancés que ceux de France (Owen, etc.) dans la dernière procession, il croit qu’il y avait des moteurs français. Ces unionistes veulent l’égalité absolue. Nulle inégalité si ce n’est en faveur des imbéciles. Il nous a dit des choses horribles d’Alger : un Juif accusé et décapité par le général Boyer, quatre hommes pendus pour soupçon de contrebande, une fille violée à la tête d’un régiment par ordre du colonel, M. Astard de l’Estang etc. Il va s’établir chez les Druses et voyager en Afrique".

Ce sont certainement ces révélations de Berbrugger qui amènent Fourier à écrire dans Le Phalanstère du 28 février 1834 en réponse à l’étude sur Mirabeau de Victor Hugo : "Passons sur ces flatteries que vous adressez à la France et auxquelles je n’adhère nullement car La France, loin d’avoir une initiative dans la civilisation du globe porte partout le vandalisme, témoin sa conduite à Alger qu’elle a barbarisé, couvert de Vendées et de ravages bien plus que ne l’aurait fait une armée de barbares."
Plus tard sous la monarchie de Juillet, il vit de nouveau en Algérie. Ses liens avec le fouriérisme ne s’interrompent pas : après avoir donné « des preuves nombreuses et de son dévouement et de son talent » à la correspondance de l’Union harmonienne, il est prévu qu’il collabore au journal de Czynski, Le Nouveau Monde, depuis Alger où il réside (Le Nouveau Monde, 15 août 1839, « Faits divers », p. 4). Mais ce projet semble n’avoir pas de suite.
Il reste en Algérie jusqu’à sa mort, à la fin du Second Empire. Correspondant de l’Institut, fondateur de la Société historique algérienne, il dirige les douze premiers volumes parus sous ses auspices. Il rassemble des manuscrits arabes pour la bibliothèque d’Alger. Il s’occupe des antiquités de l’Afrique. Sur sa tombe, à Alger, on peut lire ses titres de gloire : conservateur de la bibliothèque et du musée d’Alger, président de la Société historique d’Algérie, membre du conseil général de la province d’Alger ; colonel de la garde nationale, commandeur de la Légion d’honneur, chevalier dans l’Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.

En 1848 il est désigné dans un premier temps par le Cercle phalanstérien d’Alger en cours de constitution et faisant office de comité électoral, parmi les candidats phalanstériens devant être présentés lors des élections législatives à l’Assemblée constituante d’avril. Un électeur, dont le compte-rendu tait le nom, souligne que « ce nom était connu dans l’Ecole par des conférences sur la science sociale faites en 1833 mais que depuis longtemps aucun acte n’était venu témoigner de la fidélité de son dévouement. Tout récemment encore, il ne s’est pas associé au banquet fraternel du 7 avril sans invoquer aucune excuse. Et attendu que la foi sans les oeuvres est une foi morte, cet électeur propose ne pas s’arrêter à cette candidature ». Le choix de Berbrugger est finalement rejeté.

Après sa mort, Berbrugger a droit à une courte notice nécrologique dans La Science sociale. La notice se termine par ces mots : "Bien qu’il eût, dès longtemps, cessé toutes relations avec notre Ecole, nous n’en rappelons pas moins avec reconnaissance le concours qu’il prêta momentanément à la propagation de nos idées. Avoir porté témoignage, ne fût-ce un seul jour, en faveur de la vérité sociale, c’est un titre."