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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Beuque, Louise-Aimée, dite Aimée
Article mis en ligne le 8 février 2008
dernière modification le 18 novembre 2016

par Bouchet, Thomas

Née le 30 mai 1788 à Besançon (Doubs), morte en septembre 1871 à Paris, fouriériste active depuis la Restauration, amie de Clarisse Vigoureux et des Considerant.

Les premiers engagements

Fille du négociant bisontin Antoine Beuque et de Marguerite Boy, Louise-Aimée est nièce du chirurgien Adrien-Simon Boy, l’auteur de l’hymne Veillons au salut de l’Empire. Elle est certainement l’une des camarades de pension de Clarisse Vigoureux, dont elle reste l’amie durant toute son existence. En 1808, on trouve sa signature parmi celle des parents et amis du couple Vigoureux, au bas de leur contrat de mariage. Elle suit Clarisse dans l’adhésion aux idées de Fourier et, écrit Clarisse Coignet (nièce de Clarisse) dans ses Mémoires, elle la « dépass[e] même en exaltation ». C’est chez Clarisse Vigoureux qu’elle rencontre pour la première fois Fourier, en 1828 - et non à Lyon comme l’écrit Juliette Adam dans ses souvenirs. En 1830, elle s’établit à Lyon avec son frère Félix, comme commissionnaire en soierie. Elle y prend une part active dans la constitution et dans les activités du groupe fouriériste lyonnais. Elle commande en 1834 pour les membres de ce groupe trente exemplaires du Destinée sociale de Considerant, ce qui fait de Lyon, devant Paris, la première destination de l’ouvrage hors de Besançon. « Singuliers négociants, note Clarisse Coignet, qui s’occupent beaucoup plus de propagande fouriériste que de la hausse et de la baisse de la marchandise. » Aimée est en très bons contacts avec Julie Vigoureux ; elles entretiennent une longue correspondance amicale. Brouillée avec sa belle-sœur, elle va prendre à Paris la direction de la librairie phalanstérienne, après la mort de son frère (1847).
De Lyon, puis de Paris, elle s’intéresse de très près au projet du Sig : elle participe activement à la fondation de l’Union agricole, ce projet élaboré en 1845-1846 au sein des milieux fouriéristes lyonnais pour exploiter un domaine près d’Oran en reprenant quelques principes fouriéristes (notamment l’association du capital, du travail et du talent) ; elle figure sur la première liste d’actionnaires en 1847 ainsi que sur la « liste provisoire des correspondants et délégués auxquels on pourra s’adresser pour les souscriptions d’actions, versements de fonds, demandes de renseignement [1] ». En 1849, elle soutient le Sig par l’envoi de noyaux de cerise, de pêches, de mirabelles, de reines-claudes ; de livres, comme le Guide du Cultivateur et du Colon, ou le Traité des amendements et des Engrais...., ou de brochures sur les vers à soie, ainsi que de l’argent pour se doter d’une bannière, ou acheter une horloge [2]. Plus tard, quand la société est menacée de faillite au milieu des années 1850, elle fait partie de ceux qui prêtent de l’argent pour que l’Union survive [3]. Elle oeuvre par ailleurs au quotidien avec les correspondants de l’Ecole ; elle écrit par exemple le 2 juin 1849 à Eugène Boutet que pour le dédommager du retard qu’il a subi dans un envoi, elle lui adresse trois brochures récentes (« Travail et fainéantise, Socialisme appliqué, Despotisme ») [4]

« L’âme » parisienne du mouvement pendant les expériences américaines

Après le départ de Victor Considerant de France, aux lendemains des événements de juin 1849, le lien ne se rompt pas avec Aimée Beuque. Fin 1850 ou début 1851, Considerant demande à Allyre Bureau, dans une lettre, de prier « Melle Beuque de voir à ce que les bêtes ne mangent pas mes chaussettes de laine, ni ma redingote en peau de chat, de mettre dans le premier envoi qui me sera fait par occasion (je ne suis pas pressé) deux ou trois paires de mes grosses chaussettes de laine. [5] ». La correspondance entre Aimée Beuque et Julie Considerant ne s’interrompt jamais. En 1855, influencée sans doute par Allyre Bureau, elle se prend de passion pour le spiritisme et les tables tournantes : « Nous avons essayé quelques interrogations spirituelles par les Tables. Il nous a été répondu par un personnage dont je t’enverrai le nom plus tard, qu’il était disposé à nous servir d’intermédiaire de Paris au Texas pour nous transmettre nos idées secrètes et nos commissions. Il serait inutile selon lui de faire correspondre les jours ni les instants. Ce serait à volonté quand nous le voudrions. Je suis toute heureuse de sa bonne promesse et nous l’essaierons. [6] » Elle exprime à Julie Considerant sa tristesse lorsque Allyre Bureau décide de quitter à son tour Paris pour le Texas : « M. Bureau fera un grand vide ici [...] sa présence était bonne ici. L’Ecole va se diminuant toujours [...] » [7].
Aimée Beuque continue dans les années 1850 et au début des années 1860 à tenir la librairie sociétaire - dont l’activité est alors très réduite - bien qu’elle n’en ait pas véritablement le droit puisqu’elle ne possède pas le brevet de librairie indispensable pour exercer cette activité. A la suite d’une intervention de la préfecture de police, elle régularise sa situation et obtient en juillet 1863 un brevet ; l’enquête de la préfecture de police de Paris considère que, bien que professant des idées phalanstériennes, Aimée Beuque et la librairie ne constituent pas un danger, notamment en raison de la faiblesse de leur activité, et qu’elles n’ont suscité aucune poursuite dans les années précédentes [8]. Quand la librairie est reprise par François Barrier et devient la Librairie des sciences sociales (en 1864-1865), elle transmet le brevet à Jean-Baptiste Noirot [9], et elle reste travailler à la librairie
Lorsque Considerant revient en Europe en 1858 pour présenter la situation au Texas, relancer les projets américains, remobiliser les troupes, il passe quelque temps à Paris et s’installe dans l’appartement de la rue de Beaune, où vit Aimée et dont la salle à manger fait usage de bureau pour la librairie. Elle est alors « le cœur et l’âme de ce qui reste du mouvement fouriériste » (Jonathan Beecher) ; Considerant la trouve « aussi jeune et vive que toujours ». Elle est présente lors de l’assemblée générale de la Société de colonisation, à Paris, lorsque Considerant s’y exprime le 1er septembre. Elle écrit quelques semaines plus tard que l’accueil réservé à Considerant a été amical et sympathique, mais que rien n’en est ressorti [10]. Par là, elle garde espoir mais elle traduit le scepticisme ambiant. Après le retour de Considerant à San Antonio (début 1859), Aimée et les Considerant continuent à correspondre tandis qu’ils se retrouvent isolés après l’échec américain et européen.
Juliette Adam, dans Mes premières armes littéraires et politiques (1904), laisse une évocation pleine d’admiration et de tendresse sur le caractère et les activités d’Aimée Beuque. Le témoignage concerne probablement les années 1850 et le début des années 1860 (la librairie est transférée de la rue de Beaune à la rue des Saints-Pères en octobre 1864) : « Mlle Beuque était l’âme de la librairie de ‘l’Ecole’, une très grande âme superbement idéaliste, passionnée d’harmonie sociale dans un pauvre petit corps chétif et laid. [...] Mlle Beuque aidait, de tout son pouvoir, qui n’était pas mince, à la propagande des idées fouriéristes pratiques, mais elle gardait au fond d’elle-même sa fidélité aux rêveries du maître, aux lois de perfectibilité, d’harmonie universelle. »

Aimée Beuque vue par Juliette Adam
Extrait de Juliette Adam, Mes jeunes années [...], 1904.

Les dernières années de la « tante Beuque »

Aimée Beuque continue à placer beaucoup d’espoir dans l’Union agricole du Sig ; à partir du milieu des années 1860, quand le siège de la société est placé à Paris et que s’y déroulent les assemblées générales d’actionnaires, elle y assiste régulièrement jusqu’en 1870 [11] ; une brève nécrologie publiée dans le Bulletin de l’Union agricole d’Afrique indique qu’elle avait espéré un moment finir ses jours au Sig [12].
Le 17 avril 1865, Julie Considerant lui écrit une longue et touchante lettre trois mois après la mort de sa mère Clarisse à San Antonio. Après avoir évoqué les dernières années de Clarisse, elle écrit :

Et toi, ma seconde mère, ma gentille amie, toi à qui je dois des joies sans douleur, les seize ans qui nous séparent te laissent entière t vivante en mon cœur ; je t’ai suivie dans les grandes inspirations et dans la pauvreté quotidienne et, malgré ta bravoure, mon cœur s’est souvent serré, nul ne me manque plus que toi et je t’ai écrit ces longs et menus détails pour que tu puisses suivre l’amie de ta jeunesse dans les dernières ombres. [13]

Elle prend l’initiative de la souscription qui permet à Julie et Victor (Julie l’appelle affectueusement « tante Beuque ») de rentrer en France de leur exil américain. Cette souscription, qu’elle coordonne à son domicile (13 rue des Saints Pères) avec Laverdant, rapporte 3400 francs à la mi-août 1865 [14]. A leur retour en France, pendant l’hiver 1869-1870 et le printemps suivant, les Considerant invitent de temps en temps Aimée pour le thé et pour discuter, dans leur petit logement rive gauche. Fin 1871, après sa mort, ils s’installent rue du Cardinal Lemoine (Ve arrondissement) et leur appartement est peuplé, note Jonathan Beecher, de livres, de tableaux et de souvenirs conservés par elle pendant leurs années américaines.
Elle est visiblement très appréciée des disciples jusqu’à la fin de ses longues d’années d’engagement. Beaucoup de lettres envoyées de province au Centre parisien se terminent par quelques mots qui lui sont spécifiquement adressés.