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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Barat, Etienne
Article mis en ligne le 8 février 2008
dernière modification le 25 octobre 2013

par Desmars, Bernard

Né en 1813 à Joigny (Yonne), mort le 29 octobre 1899 à Paris. Employé de banque, fouriériste militant pour la réalisation de l’association agricole. Rédacteur à La Rénovation.

Le rôle d’Etienne Barat dans le mouvement fouriériste n’apparaît véritablement qu’à partir des années 1870 et surtout 1880. Cet homme a jusqu’alors travaillé dans la banque, chez Laffitte puis au Comptoir national d’Escompte, avant de prendre sa retraite en 1880. Il a certes publié en 1867 un ouvrage sur L’Association  ; l’inspiration fouriériste y est évidente à la fois dans le projet (dépasser la phase de la Civilisation ; favoriser le libre exercice des facultés ; créer de nouvelles formes associatives qui conduiront à la « Cité nouvelle ») et dans le vocabulaire (« association intégrale », « féodalité industrielle »), même si les passions n’y sont guère prises en compte. Mais Barat ne s’y réfère jamais explicitement à Fourier. S’il admet que « déjà les principes de l’association intégrale ont été très savamment formulées et la théorie élevée à l’état de science », il n’indique pas l’auteur de cette science. Surtout, il ajoute que « jusqu’ici, aucun plan n’a été proposé qui fût immédiatement réalisable. Des penseurs ont créé tout d’une pièce, sur le papier, des institutions telles qu’on aurait pu se les figurer après cent ans et plus d’existence. Ce n’est pas ainsi qu’ils devaient raisonnablement procéder ». Aussi propose-t-il le « plan constitutif d’une colonie agricole et industrielle », avec des indications très précises sur le nombre d’habitants (70 à 80 familles pour commencer), la superficie (250 hectares dans un premier temps), les constructions (avec même les dimensions des bâtiments, l’épaisseur des murs, la couleur des rideaux...), les équipements (crèches, écoles avec alternance des enseignements théoriques et des travaux pratiques...), les activités (principalement agricoles), le cheptel (le nombre de chevaux, bovins, porcins, ovins en précisant les parts des mâles et des femelles...), le fonctionnement administratif... En fait, Barat retrouve là une posture fréquente dès les années 1830 au sein de l’Ecole sociétaire : celle du disciple qui, afin de réaliser l’association agricole, domestique et industrielle, prétend proposer le premier plan vraiment praticable, où sont précisés de la façon la plus concrète et la plus minutieuse les moindres éléments de la vie communautaire.
La parution de cet ouvrage est seulement signalée dans La Science sociale (le 1er novembre 1867, rubrique « Publications nouvelles »). Deux ans plus tard, dans un article intitulé « Economie politique et socialisme », le fouriériste Charles Kuss cite L’Association, mais en exprimant ses réserves à l’égard du « projet de colonisation » proposé par Barat ; celui-ci est d’ailleurs présenté comme « un socialiste », mais non comme un condisciple [1].
Barat, quoiqu’abonné à La Science sociale [2], semble en effet peu inséré dans le mouvement sociétaire à ce moment. On ne le voit pas participer aux efforts déployés à partir de 1863-1864 par François Barrieret ses amis pour reconstituer un centre sociétaire, la Librairie des sciences sociales. Il n’est pas signalé non plus parmi les convives des banquets du 7 avril, dont la pratique, abandonnée depuis le début des années 1850, reprend en 1865 ; ni parmi les membres du Cercle des familles, fondé en 1870 par des fouriéristes parisiens.
En 1873, la « colonie agricole et industrielle » de Barat est examinée par le fouriériste Eugène Bonnemère dans un article publié dans le Bulletin du mouvement social sur les « projets pratiques d’association agricole » parus depuis peu. Pour Bonnemère, « la solution proposée par M. Barat ne procède pas aussi nettement de Fourier [que les autres projets analysés] ; elle s’y rattache néanmoins sans contredit ». La discussion s’engage alors entre Bonnemère et Barat dans les numéros suivants de l’organe fouriériste [3]. Cette même année 1873, Barat participe au banquet phalanstérien commémorant la naissance de Fourier. En 1875, il publie son premier article dans le Bulletin du mouvement social [4]. L’année suivante, son ouvrage de 1867 est proposé en prime à ceux qui s’abonnent ou se réabonnent au Bulletin ; et Barat publie une série d’articles sur « l’association intégrale » dans la même revue [5]. Puis, à la suite d’une correspondance avec le député Cantagrel, il participe à un éphémère « comité d’études » chargé de préparer la fondation d’une association agricole [6] ; Just Muiron lui demande d’ailleurs de dresser un plan pour remettre l’Union agricole du Sig, alors engluée dans les difficultés, dans la voie du succès, proposition que décline Barat, car il considère que l’essai agricole doit se dérouler dans la métropole, sous le regard des actionnaires [7].
Dans les années 1880, la Revue du mouvement social qui a succédé au Bulletin du mouvement social, et qui défend une orientation garantiste favorable à la coopération et sceptique sur la possibilité d’un essai phalanstérien, publie cependant dans sa rubrique « Correspondance » des textes de Barat en faveur de l’association agricole [8].
Désormais qualifié de « condisciple » par les fouriéristes, Etienne Barat fait paraître en 1881 une brochure en faveur de la Fondation d’une colonie sociétaire agricole, industrielle et domestique - Mémoire adressé aux partisans du progrès par l’association [9]. En 1883, il est l’un des souscripteurs - parmi lesquels ont compte des fouriéristes, des sympathisants et des non fouriéristes - des Orphelinats agricoles d’Algérie, qui succèdent de fait à l’Union agricole du Sig en la réorientant dans une voie philanthropique. La même année, il suggère l’ouverture d’un « concours » sur la question sociale, qui permettrait de réfléchir rationnellement sur les solutions et de « sortir enfin de ce vague théorique dans lequel nous nous débattons, impuissants, depuis si longtemps, et où s’usent en pure perte les forces vives du socialisme » [10]. L’expérience éducative menée par Jouanne à Ry, près de Rouen, ou le Familistère de Godin à Guise, lui paraissent insuffisantes et mener à l’impasse, car c’est sur le terrain agricole que se joue l’épreuve décisive ; il regrette d’autre part la dispersion des forces phalanstériennes dans ces diverses initiatives [11]. C’est la même position qu’il défend contre Pompéry, sceptique sur les chances de réalisation [12].
Après ces années 1873-1885, pendant lesquelles il s’est progressivement agrégé au noyau dirigeant du mouvement sociétaire, s’ouvre, à partir de 1885, une nouvelle étape de son engagement phalanstérien, qui fait de lui l’une des principales figures de ce qui subsiste de l’Ecole sociétaire. Il est à l’origine de la création en 1885 de la Ligue du progrès social, qui veut réunir ce qu’il reste de forces fouriéristes pour réaliser une association agricole. L’appel est lancé dans la Revue du mouvement social (juillet 1885) ; puis Barat et ses amis s’efforcent de réunir des adhésions qui restent en nombre limité ; ils s‘adjoignent les services d’Hippolyte Destrem, un ancien banquier qui a collaboré à La Démocratie pacifique dans les années 1840 et qui prend rapidement la tête du groupe auquel il apporte, outre quelques moyens financiers, un réseau de relations. Cependant, alors que Barat défend l’orientation « réalisatrice » et souhaite mobiliser les forces disponibles pour la création prochaine d’une association agricole, Destrem se situe plutôt sur le versant garantiste de l’Ecole (en faveur des coopératives, des mutuelles...) et privilégie le travail de propagande à travers des conférences, des groupes de pensée et surtout des publications ; il fonde en 1888 La Rénovation, organe de la Ligue du progrès social, dont Barat est l’un des principaux rédacteurs ; ses nombreux articles, en faveur de la réalisation, sont plutôt en contradiction avec l’orientation générale du journal. Lors de la mort de Destrem, alors qu’il peut penser prendre la tête du mouvement fouriériste, il est remplacé par Alhaiza, nouveau venu dans ce qui est devenu un tout petit monde sociétaire, qui prolonge l’orientation garantiste et propagandiste de son prédécesseur.
Cette arrivée d’Alhaiza à la tête de La Rénovation suscite le mécontentement d’un certain nombre de disciples, parmi lesquels Barat, qui partent fonder un nouveau groupe fouriériste, l’Union phalanstérienne, dont l’objectif est la fondation prochaine d’une association agricole. Barat est en 1896 l’un des membres du bureau de l’association [13]. Peu après, quelques membres de l’Union phalanstérienne, sans quitter celle-ci, créent l’Ecole Sociétaire Expérimentale (E.S.E.), qui prétend agir plus efficacement dans le sens de la réalisation. Cette nouvelle organisation publie Le Sociétaire ; Barat est membre du comité de rédaction de cette éphémère revue et en rédige le premier article ; il signe comme fondateur de l’Union phalanstérienne, président honoraire et doyen du Conseil de gérance de l’Ecole Sociétaire Expérimentale [14]. Il est ensuite le gérant des Annales sociétaires. Organe de la Société de l’Union phalanstérienne, publiée d’août 1898 à juin 1899.
Etienne Barat apporte sa contribution financière (120 francs) à la statue de Fourier, érigée en juin 1899. Il est membre du comité chargé de surveiller l’exécution de l’œuvre et l’un des douze « délégués » signataires de l’invitation à l’inauguration officielle du monument ; il participe au banquet qui clôt la cérémonie [15]. C’est là sa dernière manifestation connue de militantisme phalanstérien.