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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

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COLOMBO Arrigo : La società amorosa. Appunti a Fourier per une revisione dell’etica amorosa e sessuale (2002)

Bari, Edizioni Dedalo srl, 2002

Article mis en ligne le décembre 2003
dernière modification le 21 février 2006

par Massari, Roberto

Pendant de nombreuses années, Arrigo Colombo a enseigné la philosophie à l’université de Lecce, en Italie, où il a fondé un Centre de recherche sur l’utopie qui organise périodiquement des congrès internationaux sur des thèmes utopiques. Le congrès de 1986 a été dédié à Fourier et les actes (aux soins du même Colombo et de Laura Tundo) ont été publiés sous le titre Fourier. La passione dell’utopia (Milan, Franco Angeli, 1988). Avec ce nouveau livre dédié aux idées érotiques de Fourier à partir d’une lecture très attentive de son Nouveau monde amoureux, l’auteur nous offre le point d’arrivée d’un itinéraire de recherche poursuivi avec ténacité et continuité - des années d’étude consacrées à explorer les méandres tortueux et fascinants par lesquels a progressé le chemin de l’utopie dans le temps. Le projet théorique qui anime Colombo n’a pas varié avec les années et peut se résumer dans les termes suivants : 1) considérer comme non épuisé le défi du projet utopique malgré l’écroulement des grandes idéologies du XXe siècle ; 2) continuer à maintenir vif l’espoir de construire la société juste et fraternelle qui avait animé dans le passé les mouvements de salut, les révolutions, les mouvements de libération (ceux-là étant encore présents) ; 3) considérer l’utopie dans ses diverses manifestations - philosophiques, politiques, littéraires, esthétiques - comme une force vivante à l’intérieur de cette société de la marchandisation globale. C’est par conséquent une recherche sur l’itinéraire de la « société juste et fraternelle » (elle avait été l’objectif plus ou moins déclaré de tous les mouvements utopiques et de salut), mais aussi sur l’itinéraire de la « société amoureuse », comme ajoute maintenant Colombo tandis qu’il nous invite à l’accompagner dans son voyage d’exploration à l’intérieur du monde érotique sociétaire : un monde où « l’amour sexuel est pour la première fois considéré comme facteur de cohésion non seulement individuelle (entre deux individus, le couple), mais également sociale, pour la société entière » (p. 10).

Il est ensuite expliqué que, pour Fourier, ce processus se centre a) sur la critique radicale (jusqu’à la dissolution) de la famille monogamique traditionnelle et du mariage monadique, et b) sur la recomposition de soma et psyché, de la corporalité et de la spiritualité dans l’acte amoureux à l’intérieur d’un modèle de comportement défini comme « rapport sexuel diffus ». À partir de Platon et jusqu’à Thomas More, Colombo reconstruit à travers les chefs de file le processus historico-philosophique qui a mené à la construction de ce modèle, rattachant à cette construction certains des points les plus élevés de l’élaboration chrétienne, à partir de la Gnose des premiers siècles jusqu’aux mouvements du « libre esprit » dans la phase terminale du Moyen Âge. Fourier est rattaché à ce type de tradition, tant par la forte charge éthique qui caractérise son discours sur une sexualité libérée des contraintes matérielles et institutionnelles, que par son opposition très nette à toute forme d’égoïsme, et sa dénonciation du caractère oppressif de la famille monadique, avec ses corollaires d’attachement au principe de propriété et aux différentes formes de fermeture - affective, économique et sociale (p. 60).

L’utopie fouriérienne « de l’amour sexuel » est étroitement ancrée sur la redécouverte de la valeur sociale des passions, avec une insistance particulière sur la passion pour l’unité (celle que Fourier appelle « unitéisme ») et qui s’articule dans les trois niveaux de passion de l’espèce, du groupe et de la série. De là à l’amour universel le saut n’est pas facile, mais Fourier l’accomplit également sur les ailes de sa magnifique fantaisie cosmogonique, pour concrétiser ensuite le sentiment sociétaire d’appartenance à la collectivité humaine dans la pratique de l’amour : d’un amour pluriel, libre, « ouvert à tout rapport et à tout type de rapport : hétérophile, homophile, à la fois hétéro et homophile, orgiaque, maniaque - tous les rapports possibles » (p. 79) ; y compris avec une certaine bienveillance à l’égard de l’inceste (pp. 119-121). C’est sur ce point que Colombo se différencie nettement des interprétations courantes du Nouveau monde amoureux, déclarant que le projet érotique de Fourier ne doit pas être considéré comme une invitation à la transgression, ni être rattaché à la tradition du libertinisme. Il proposerait au contraire une bien précise construction normative, tendant à assurer « l’unité et l’harmonie sociale » (p. 82). Normatifs sont ces principes qui ne doivent pas être violés dans le nouveau monde amoureux - comme la règle du bien, l’intégrité (sensuelle et sentimentale) de l’acte d’amour, l’harmonie des caractères, la sauvegarde de la spontanéité. La norme est ductile, selon Colombo (et ici, on ne peut lui donner raison, si on pense à la complexe structure organisatrice qui préside à la répartition des attractions sensuelles), et elle est fondamentalement éthique, sinon carrément éthico-politique. Ce dernier point serait suffisamment démontré par l’encouragement à l’amour philanthropique (pour les gens âgés et pour les handicapés), par le refus de la pratique égoïste de la possession sexuelle (la jalousie), par la non-exclusivité de chaque type de rapport, par la tension vers la pluralité (des partenaires et des pratiques sexuelles). Colombo insiste particulièrement sur la question de l’assistance sexuelle aux gens âgés, qu’il définit « grande et généreuse, peut-être la plus généreuse qui soit jamais apparue, la plus explicite, la plus responsable et attentive au problème, peut-être unique en ce sens » (p. 142). Il la considère comme la forme la plus extrême de l’altruisme sexuel ; certainement la plus chargée de connotations utopiques, vu la marginalisation (érotique, affective et sociale) à laquelle étaient contraints les gens âgés au XIXe siècle (mais aussi au XXe et au XXIe...). Au « malaise amoureux de la personne âgée » (p. 133) Colombo dédie quelques-unes (beaucoup) des pages les plus belles de son ouvrage. Norme et liberté coïncident donc même si l’on ne peut faire abstraction d’un contexte de développement social particulièrement accentué : Fourier présuppose un régime de surabondance (avec, comme conséquence une énorme disponibilité de temps libre à organiser en suivant les principes de la dynamique des passions) ; il présuppose aussi le dépassement en termes sociétaires de l’ancien ordre civilisé, répressif et inhumain, asocial et vénal, dépravé et hypocrite.

Colombo conclut son ouvrage en examinant les projections que l’œuvre de Fourier accomplit dans le futur (c’est-à-dire dans notre présent plus ou moins actuel) et il les reconnaît en particulier dans l’état avancé de désagrégation de la famille, dans la conquête croissante d’autonomie de la part des femmes, dans la révision des principes de la vieille éthique amoureuse et sexuelle, dans l’expérimentation de nouvelles formes d’amour. Mais c’est surtout dans la recherche d’une nouvelle dimension communautaire - dans le besoin de vie en communauté - que l’auteur voit le triomphe posthume de l’utopisme fouriérien et de tous les mouvements de salut (orthodoxes ou hétérodoxes) qui l’avaient précédé. Le capitalisme constituerait actuellement l’obstacle le plus fort à la libre expression de ces tendances historiques et profondes de l’humanité en chemin ; tandis que la tradition théorico-spirituelle des mouvements et des utopistes qui ont travaillé à la construction de la société de justice, fournirait la base la plus sûre pour le prochain bond en avant de l’humanité. Le projet érotique de Fourier, selon Colombo, entre pleinement dans le cours de ces mouvements et anticipe aussi, comme projet et comme vision, les caractères essentiels de l’amour sexuel dans la future société de justice.