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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Gagneur (Just Charles) Wladimir
Article mis en ligne le 21 mars 2021
dernière modification le 2 avril 2022

par Desmars, Bernard

Né le 9 août 1807 à Poligny (Jura), décédé le 9 août 1889 à Paris, 2e arrondissement (Seine). Propriétaire. Conseiller municipal de Poligny et conseiller d’arrondissement sous la monarchie de Juillet, député sous le Second Empire et la Troisième République. Militant de la coopération, républicain et anticlérical. Propagandiste fouriériste dans le Jura et le Doubs sous la monarchie de Juillet. Auteur de brochures et d’articles parus dans la presse fouriériste, la presse franc-comtoise, les revues coopératives, les organes républicains et anticléricaux. Époux de la romancière Marie-Louise Gagneur (née Mignerot) et père de la sculptrice Marguerite Syamour.

Wladimir Gagneur est l’un des fils de François Marie Gagneur (1765-1848), un notable enrichi par l’acquisition des biens nationaux sous la Révolution, successivement avocat, magistrat, receveur des finances ainsi que député de 1815

à 1821, conseiller général et adjoint au maire de Poligny [1]. Wladimir fait ses études au collège de Poligny où il a notamment pour condisciple Jules Grévy, futur président de la République, avec lequel il noue une amitié durable. Destiné par ses parents à embrasser l’état ecclésiastique [2], il décide finalement de faire des études de droit à Paris ; il est reçu avocat en 1829 ; mais sans talent oratoire, il n’exerce pas cette profession.

Disciple de Fourier

Par l’intermédiaire de son frère Frédéric, polytechnicien et futur officier d’artillerie, il entre en relation avec Victor Considerant et rejoint le mouvement sociétaire. Vers 1835, il est reçu par Fourier auquel il adresse ensuite plusieurs lettres en lui demandant des explications et des précisions sur la science sociale. Lors de ses séjours dans la capitale, il se met à son service et effectue des recherches dans la presse et dans les cabinets de lecture pour nourrir la documentation du « Maître ». Dans une lettre de 1836, après avoir procuré quelques références à son destinataire, il ajoute :

Je vous prie au reste de me prendre entièrement à votre disposition pour ces sortes de recherches. Je vous prie aussi de destiner à l’impression de votre brochure contre la Gazette de France les cent francs que je joins à cette lettre. Et puisque j’ai la plume à la main, permettez-moi, Monsieur, de vous exprimer tout ce que je renferme dans mon cœur de vénération et de reconnaissance pour vous, deux sentiments que mes paroles ont à peine osé vous balbutier une seule fois et si faiblement. Je sais que ces manifestations, aussi vives que je dois les faire, s’exposent peut-être à vous déplaire par leur apparente exagération ; mais pardonnez-leur ; car elles sont un besoin irrésistible de mon cœur. Oui, Monsieur, je vous dois tout le bonheur (et il est bien grand) dont je jouis maintenant. Vous m’avez sauvé la vie du désespoir et du suicide. Vous avez apporté une sublime et définitive croyance à mon esprit ballotté dans un douloureux malaise parmi tant d’incertitudes et d’erreurs ; à mon cœur, si souffrant des douleurs des autres, ou des siennes propres et si désireux de servir l’humanité, vous avez montré la voie où il pouvait développer ses instincts unitéiques [sic]. Puis, laissez-moi vous témoigner la même reconnaissance de la part de quelques amis et surtout de quelques pauvres femmes que j’ai amenés à croire en vous. Ils m’ont chargé de plus de remerciements pleins de culte et d’enthousiasme que je ne puis vous en exprimer [3].

Au lendemain de la mort de Fourier, Gagneur demande à Considerant qu’il lui envoie « quelque chose ayant appartenu à Fourier, couteau, canif, etc. Ce que vous voudrez […] J’y tiens, je vous le répète, plus que je ne puis dire. […] Je compte bien sur vous pour satisfaire mon vif désir de posséder quelque chose de Fourier » [4].

Propagandiste de la théorie sociétaire en Franche-Comté

En 1836, Wladimir Gagneur écrit à Fourier :

désormais, le seul intérêt, le seul but de ma vie flétrie avant l’âge, mais si rajeunie maintenant, est de seconder l’œuvre de propagation par mon zèle, si je ne puis autrement [5].

Il participe en effet au développement du mouvement sociétaire. Il contribue à son financement – il verse à l’École une partie de la pension que lui donne son père [6] ; il est surtout le principal propagandiste de la théorie phalanstérienne dans le Jura, son action débordant d’ailleurs les frontières du département pour couvrir d’autres parties de la Franche-Comté. Il place des abonnements à La Phalange, tient à Poligny un dépôt de livres phalanstériens et utilise son réseau de relations pour recruter des condisciples. Il éprouve d’abord des difficultés à propager le fouriérisme à Salins et Arbois, où il « règne de grandes préventions contre nos doctrines » [7]. Il obtient cependant des adhésions à la doctrine, dont celle de Césarine Mignerot, l’épouse d’un propriétaire et viticulteur de Menétru-le-Vignoble (Jura). À la demande des rédacteurs de L’Impartial de Besançon, de La Sentinelle du Jura, du Patriote jurassien et du Courrier de l’Ain, il rédige des articles dans lesquels il expose la théorie sociétaire avec beaucoup de prudence et de modération, en insistant sur le projet d’association agricole et industrielle, mais en omettant le système passionnel de Fourier. Il participe à la rédaction de L’Écho du Jura, journal lancé en décembre 1839. Le Nouveau Monde signale la parution de cet organe, créé « sous les auspices de nos frères et amis Reverchon, Derriey, Cretin, Javel, Godin et Gagneur » ; « leur guide, c’est Fourier ; leur but c’est la fondation du phalanstère ». On y retrouve des articles de La Phalange. Mais au fil des années, l’orientation fouriériste du périodique décroit [8].

Certains des articles que Gagneur fait paraître dans la presse franc-comtoise sont repris dans La Phalange ; mais il adresse aussi à l’organe fouriériste des articles originaux ainsi que des poèmes dont l’un fait référence à la jeune Louise Crombach, de Lons-le-Saunier.

Cependant, à certains moments, Gagneur connaît des phases de dépression – il admet lui-même avoir les « nerfs […] malades » [9]. À l’automne 1838, il semble perdre une grande partie de ses espérances : « la propagation est morte autour de moi », écrit-il à Victor Considerant [10]. Venant d’effectuer un séjour à Paris pendant lequel il a fréquenté les bureaux de La Phalange et la direction du mouvement sociétaire, il critique le désordre qui règne dans les locaux du Centre parisien et plus généralement la mauvaise organisation de l’École, dont, écrit-il, Victor Considerant est responsable : « je vous ai trouvé si peu administrateur vous-même et si peu prudent quelquefois dans la propagation écrite que malgré moi, tout mon zèle s’est glacé ; cela a été plus fort que moi et que mon courage habituel » [11]. À plusieurs reprises, il transmet les plaintes d’abonnés jurassiens qui n’ont pas reçu leur numéro de La Phalange, ou avec retard.

Quand Considerant le sollicite, également en 1838, afin qu’il envoie de l’argent pour la cause sociétaire – peut-être pour le financement du projet de phalanstère d’enfants à Condé-sur-Vesgre – Wladimir Gagneur répond qu’il lui « est impossible actuellement d’envoyer ces fonds-là parce que [sa] situation est trop gênée » [12].

Il semble à certains moments tenté de rejoindre les disciples critiques envers Considerant et sa direction de l’École sociétaire. En 1836, Just Muiron envisage la création d’une « Union phalanstérienne » qui permettrait l’établissement de relations entre les fouriéristes de province. Gagneur écrit à Victor Considerant, hostile à ce projet, que « Just Muiron a bien raison de nous associer ; car avouez que le monopole parisien fait souffrir en toutes choses cette pauvre province » [13]. Finalement, Muiron renonce à cette Union. Mais des courants dissidents naissent ; Jean Czynski et ses amis publient Le Nouveau Monde à partir de 1839, ils insèrent dans les colonnes de leur organe une poésie de Wladimir Gagneur [14], qui participe à la « souscription universelle phalanstérienne pour fonder le premier Phalanstère », organisée par le même journal [15]. L’Almanach social pour 1840 le mentionne parmi les « membres correspondants de l’Union harmonienne », qui, animée par Adolphe Brac de la Perrière, rassemble des partisans de la réalisation sociétaire [16].

Cependant, il ne rompt pas avec Victor Considerant ;

au reste mon ami, je n’ai fait ni ne veux faire aucune opposition intérieure. J’apprécie toujours l’utilité de La Phalange, surtout depuis quelque temps. Je vous reste toujours personnellement attaché. J’admire toujours votre courage, et vous en sais gré, car enfin, malgré vos fautes, il y a eu du bien d’opéré, et l’avenir vous en tiendra compte [17].

D’ailleurs, parallèlement aux liens qu’il peut entretenir avec le groupe du Nouveau Monde ou l’Union harmonienne, il continue à collaborer à La Phalange. Il y publie notamment des « Études sur l’association » [18], ainsi qu’une série d’articles intitulée « Question du déboisement », dans laquelle il souligne les effets désastreux de la déforestation [19].

Mais après 1841, la participation de Wladimir Gagneur au mouvement sociétaire s’interrompt pendant quelques années, ou, en tout cas, perd toute visibilité : il ne publie plus d’articles de propagande dans les journaux francs-comtois ; on ne trouve plus sa signature dans La Phalange – à la fin de la troisième partie de « Question du déboisement » (décembre 1841), une suite est annoncée que l’on ne trouve pas dans les numéros suivants – et il reste longtemps à l’écart de la rédaction de La Démocratie pacifique, qui paraît à partir de 1843. De même, alors qu’il s’était occupé du placement des abonnements et de la collecte des souscriptions aux différentes entreprises phalanstériennes de 1836 à 1839, il ne semble plus jouer ce rôle ensuite. On ne trouve pas de lettre de sa part datant des années 1840 et 1850 dans la correspondance fouriériste.

Fouriérisme pratique et notabilité locale

Le fouriérisme de Gagneur est garantiste, plus que phalanstérien [20] : dans ses textes, il n’est guère question de l’association intégrale ou des félicités des temps harmoniens. Délaissant le système passionnel, Gagneur s’intéresse principalement à l’analyse économique ; ses premiers articles proposent une critique générale de la Civilisation et dénoncent les vices de l’organisation sociale et économique, les conséquences négatives de la concurrence, ou encore l’anarchie industrielle qui oppose le travail au capital, les producteurs aux consommateurs, etc.

Mais vers la fin des années 1830, il se consacre principalement à l’étude des associations, des caisses d’épargne, du crédit agricole, des assurances mutuelles, etc. Il est surtout l’auteur d’un travail sur les fruitières, ces associations dans lesquelles les producteurs se regroupent pour la transformation de leur lait en fromage ; ce texte, d’abord publié dans La Phalange, est ensuite édité sous forme de brochure [21].

Dans la première moitié des années 1840, Gagneur reçoit de son père le domaine de Bréry – situé à une quinzaine de kilomètres de Poligny – qui comprend une belle habitation bourgeoise, ainsi que des terres louées à des fermiers. Il réside principalement à Poligny, où il siège au conseil municipal de 1840 à 1848 – il succède à son père et à l’un de ses frères au sein de l’assemblée communale. Il y présente en 1846 un rapport sur un projet de ligne de chemin de fer devant relier Lyon et Besançon en passant par Poligny [22]. Il est aussi élu au conseil d’arrondissement, mais y reste peu de temps. Il est difficile de le situer politiquement ; l’administration préfectorale le considère d’abord comme un « légitimiste » ; puis, cette qualification est raturée ; à sa place, se trouve la mention : « sa famille est légitimiste, mais lui a exprimé dans le temps des opinions radicales » [23] ; il est d’ailleurs soutenu par des personnalités orléanistes [24].

Il se range parmi les partisans d’une modernisation de l’agriculture ; comme eux, il dénonce les pratiques routinières et la vaine pâture. Il participe aux travaux du comice agricole de Poligny et de celui d’Arbois, qu’il contribue à fonder en 1840 [25]. Il est par ailleurs membre de la Société d’émulation du Jura à partir de 1839. « Ainsi, pendant la monarchie de Juillet, le fouriérisme de Wladimir [Gagneur] ne semble pas faire obstacle à son intégration dans le système des notabilités traditionnelles » [26].

Partisan de la République et du socialisme

En 1848, il soutient l’établissement de la République. Selon Jean-Claude Wartelle, il représente « la tendance généreuse et avancée » des républicains [27] ; à lire Bernard Bichon, il figure plutôt parmi les républicains modérés en 1848. En tout cas, il participe à des manifestations « unanimistes » : un banquet au printemps 1848 [28], un congrès départemental de musique en août suivant, à l’occasion duquel il prononce un discours célébrant les vertus de la pratique musicale, capable de rendre le « travail attrayant » [29]. Sans doute vote-t-il en faveur de Cavaignac lors de l’élection présidentielle du 10 décembre 1848 [30]. En 1849, il participe à la création d’un journal lancé pour combattre les opinions avancées de La Démocratie jurassienne ; il cherche des soutiens chez ceux qu’il sait « animés comme [lui] de l’esprit de conciliation » [31]. Il fait partie du comité de rédaction de l’organe qui est successivement intitulé Le Jura, puis La Tribune de Jura et enfin La Tribune de l’Est. Cependant, au fil du temps et face à l’évolution conservatrice de la République, il adopte une position plus proche des démocrates-socialistes.

Les années 1849-1851 constituent « la deuxième grande phase de la production écrite de Gagneur », après celle des années 1836-1841 [32]. Il publie en 1849 une brochure intitulée Aux cultivateurs, dans laquelle il propose le développement du crédit, la création d’un entrepôt et d’un comptoir agricole afin de créer un nouveau type de crédit gagé sur les denrées [33]. Parallèlement,

dès le mois d’avril 1849, je travaillais à un traité général sur le socialisme. Dans la partie théorique de ce traité, j’examinais la valeur des différentes écoles, leurs divergences et leurs points de contact, et les ralliements à opérer entr’elles, et j’essayais de dresser une classification méthodique des réformes sociales qu’il s’agit d’accomplir, au point de vue de leur application progressive. Dans la partie pratique, je décrivais et formulais diverses institutions immédiatement réalisables dans nos campagnes ; c’est-à-dire prenant leur point d’appui sur l’état actuel des opinions et des mœurs des paysans, et pouvant servir de transitions naturelles, de chemins pour arriver à l’édifice encore idéal que le socialisme du XIXe siècle est chargé de construire [34].

Cependant,

l’élan général qui se manifeste dans nos campagnes vers les solutions pratiques du grand principe de l’association me détermine à livrer de suite au public les fragments achevés de mon travail [35].

L’ouvrage reprend donc l’étude sur les fruitières, « refondue et complétée » afin de « guider les essais d’association pour la fabrication domestique et même industrielle », un travail sur l’« entrepôt agricole, ou association pour la conserve et la vente des denrées », une « exposition des différentes systèmes de Crédit mobilier » et « des statuts pour les Sociétés agricoles de secours mutuels, suivis de statuts concernant d’autres applications particulières du principe de l’association ».

Ces institutions transitoires peuvent se fonder immédiatement dans toutes nos campagnes. Elles serviront d’engrenage entre l’État actuel qui est l’insolidarité des intérêts, et le régime futur qui sera le crédit généralisé et l’association intégrale, et en même temps de terrain neutre où les disciples des réformateurs sociaux pourront se donner la main [36].

Il pense que « les partisans de Fourier, de Cabet, de Pierre Leroux, de Louis Blanc, etc. » se rallieront à son système de crédit, largement inspiré de Proudhon, « ce grand socialiste », et que de l’autre côté, « les disciples de Proudhon » adopteront les thèses associationnistes concernant les fruitières, l’agriculture et la société de secours mutuels.

Gagneur reprend la critique fouriériste du commerce « falsificateur et mensonger » et de « la concurrence anarchique ». Il souhaite « organiser l’échange entre les gérants de quelques associations dont chacune serait composée d’un grand nombre de familles associées pour la production, le commerce et la consommation ! »

Les réformes proposées concernent en effet principalement l’échange et le crédit.

Nous ajournons nos idées sur l’organisation de la production agricole et de la consommation domestique par l’association. Nous pensons en effet qu’un préjugé puissant s’oppose encore à la réussite de ces deux réformes [37].

Il finit par inviter les « disciples désintéressés [des théoriciens socialistes] à discuter, toute affaire cessante, dans les journaux de province, les mérites comparatifs des nouveaux systèmes, afin d’en opérer le triage et finalement la fusion ».

Lui-même essaie de mettre en œuvre à Bréry certaines des « solutions pratiques du grand principe de l’association » [38] préconisées dans sa brochure ; président d’une fruitière, il organise une société de secours mutuels ainsi qu’un système de crédit dans lequel les paysans reçoivent des bons d’une valeur proportionnelle à la quantité de fromage qui est attendue après la transformation du lait déposé à la fruitière. Ces bons, garantis par Gagneur et contresignés par le maire, sont acceptés par les commerçants [39]. Ce système ne semble avoir eu cependant qu’un succès très limité [40].

La parution de Socialisme pratique est signalée à plusieurs reprises par La Démocratie pacifique [41] qui, en 1851, offre des exemplaires à ceux qui s’abonnent à l’organe fouriériste [42]. Un passage de la brochure est publié dans La Feuille du village, l’hebdomadaire dirigé par le député Pierre Joigneaux [43].

De la lutte politique à l’exil

La publication des textes de Gagneur s’inscrit non seulement dans une réflexion sur les changements sociaux et dans la volonté de promouvoir les pratiques associatives, mais aussi dans la perspective des échéances électorales. Peu avant les élections législatives de mai 1849, Il fait paraître un article dans Le Patriote jurassien, afin de montrer que la république est beaucoup plus avantageuse aux « paysans du Jura » que la monarchie [44]. Mais c’est surtout l’année 1852 qui mobilise l’attention, puisque doivent s’y dérouler deux scrutins, l’un pour désigner un nouveau président de la République, l’autre pour renouveler l’Assemblée législative. Dans Socialisme et pratique, Gagneur précise :

Il importe, par-dessus tout, que 1852 trouve le socialisme armé d’un programme commun, qui renferme :1° les institutions à remplacer ; 2° les institutions progressives à créer ; 3° l’idéal à atteindre [45].

Wladimir Gagneur fait partie du comité électoral créé en 1849 pour la préparation des élections législatives ; il est aussi membre des « Bon Cousins », une société secrète présente dans le Jura pour défendre la République. Il circule dans les campagnes où il distribue La Tribune. Il se rend aussi à Paris et à Londres où il rencontre Ledru-Rollin, exilé depuis juin 1849. Il cosigne en juillet 1851 un appel « aux démocrates du Jura » qui paraît dans La Tribune de l’Est [46].

Alors que s’approchent les élections législatives de 1852, les républicains jurassiens envisagent sa candidature. Mais survient le coup d’État du 2 décembre 1851, qui provoque un soulèvement à Poligny ; dans la nuit du 3 au 4 décembre, les hommes se réunissent et marchent sur Lons-le-Saunier avant d’être arrêtés sans beaucoup de difficulté [47]. Gagneur en fait partie.

Considéré par les autorités comme un « apôtre ardent, continuel et très influent de la propagande socialiste » et « un des chefs principaux de la bande armée qui s’est dirigée sur Lons-le-Saunier pour envahir la préfecture » [48], il est dans un premier temps condamné à 10 années de bagne qu’il doit passer dans le tout nouvel établissement de Cayenne [49] ; puis la commission mixte du Jura décide de le déporter en Algérie [50] ; mais cette décision est commuée en expulsion, en raison de son état de santé [51]. Il obtient, avant de quitter le Jura, un délai de huit jours « qu’il employa à visiter ostensiblement ses amis républicains » [52]. Il s’installe en Belgique, où, à la demande des autorités et en particulier du Directeur général de l’agriculture, il rédige un rapport sur les associations agricoles françaises ; il aurait ainsi contribué à la création de fromageries associatives, sur le modèle des fruitières jurassiennes [53].

En janvier 1853, il envoie une demande de grâce à Napoléon III, dans laquelle il déclare qu’après avoir « beaucoup réfléchi […] à l’école des grands événements qui, depuis cinq ans se sont succédé » en France, il veut « rester complètement à l’écart désormais de toute participation morale et matérielle aux affaires de la politique » ;

J’ai résolu même dans ce but de vendre mes propriétés, pour aller dans quelque autre lieu me consacrer exclusivement à l’agriculture […]. Je viens respectueusement, Sire, prendre l’engagement vis-à-vis de votre Majesté, de rester complètement étranger à toute opposition à votre gouvernement, aux pouvoirs que vous tenez de la nation, et que mon devoir est de respecter [54].

Une grâce lui est accordée et il peut rentrer en France [55]. Les autorités surveillent cependant ses allées et venues et ses rencontres [56].

Mariage, coopération et vie politique sous le Second Empire

Il épouse en 1855 Marie-Louise Mignerot, fille des fouriéristes Césarine et Claude Corneille Mignerot, ancien notaire et viticulteur à Menétru-le-Vignoble (Jura). Une fille naît à Bréry en 1857, prénommée Marguerite et plus connue à la fin du siècle sous son nom d’artiste, Marguerite Syamour. Son épouse, désormais appelée Marie-Louise Gagneur, rédige des romans féministes et anticléricaux qui ont beaucoup de succès dans les années 1860 et sous la Troisième République. Il utilise ses relations pour favoriser leur publication et leur diffusion dans la presse nationale et départementale, et pour préserver les intérêts de son épouse [57].

Il reste dans les années 1850 et la première moitié des années 1860 largement à l’écart du mouvement fouriériste, et en particulier de la création de la colonie de Réunion au Texas. Certes, la Revue moderne (1857-1858), rédigée par Charles Sauvestre et quelques autres fouriéristes, annonce régulièrement sur sa couverture qu’elle « publiera prochainement des travaux de […] Wladimir Gagneur » ; mais aucun texte de lui ne paraît pendant la brève existence de cette revue. Son nom se retrouve cependant dans d’autres organes dirigés par ses condisciples : il rédige plusieurs articles pour le Journal d’agriculture pratique, dirigé par Jean-Augustin Barral et pour L’Économiste français, créé par Jules Duval [58]. Quand le mouvement coopératif se développe, à partir du milieu des années 1860, il collabore à ses organes : L’Association (1865-1866), puis La Coopération (1867) ; il contribue aussi, avec d’autres fouriéristes, à l’Annuaire de l’association pour 1868, publié par la Librairie des sciences sociales [59]. Certains de ces textes sont déjà parus ou paraissent ensuite dans la presse jurassienne (La Sentinelle du Jura) ou les revues de sociétés locales (Bulletin de la Société d’agriculture, sciences et arts et le Bulletin de la Société de viticulture et d’horticulture d’Arbois). Comme d’autres fouriéristes, il est l’un des associés-commanditaires de la Société du Crédit au travail, banque fondée en 1863 destinée à soutenir le développement des coopératives [60].

Il renoue au milieu des années 1860 avec l’École sociétaire réorganisée par François Barrier. Il participe le 7 avril 1866 avec son épouse et leur fille à un banquet phalanstérien qui reprend la tradition des repas célébrant l’anniversaire de la naissance de Fourier [61]. L’année suivante, il s’abonne à La Science sociale et prévoit de lui fournir des articles. Il demande qu’on lui envoie une quinzaine d’exemplaires du numéro dans lequel paraît son premier texte :

Je profiterai de cela pour écrire en les envoyant à plusieurs anciens phalanstériens avec lesquels j’ai interrompu mes rapports, mais avec lesquels je pourrais les reprendre [62].

Il apprécie l’organe fouriériste, « intéressant et varié », notamment pour les articles qui concernent les coopératives. D’ailleurs,

c’est à nous à prendre en main la direction du mouvement coopératif, qui patauge quelquefois, s’en tient encore aux rudiments et n’est point initié à certains solutions de Fourier qui les féconderaient [63].

Il intervient auprès de la direction de La Science sociale, afin que cet organe de l’École sociétaire insère dans ses colonnes une critique – laudative – d’un roman de sa femme, Les Corbeaux noirs, due au médecin fouriériste Adolphe Leboucher [64].

En 1866, il est initié au sein de la loge le Val d’amour, à Dole [65].

Retour vers l’engagement politique

À la fin des années 1860, il s’engage plus nettement dans la vie politique. En 1869, il se présente aux élections législatives en tant que candidat indépendant, libéral et démocrate, c’est-à-dire républicain ; le préfet est très hostile à ce candidat, à « la couleur socialiste » [66] ; pendant sa campagne, Gagneur critique vigoureusement le régime impérial, l’accroissement du budget militaire, la faiblesse des sommes consacrées à l’instruction publique, à l’agriculture et au commerce. Il se prononce en faveur de la gratuité et de la laïcité de l’enseignement primaire, de la décentralisation communale et d’un accroissement des libertés. Il se déclare proche de Jules Grévy, dont l’expérience politique et la notoriété sont bien supérieures aux siennes. Il est élu avec 52% des suffrages. Il recueille ses scores les plus élevés chez les petits exploitants et travailleurs du vignoble et dans la population urbaine de sa circonscription (Arbois en particulier où il obtient 81,3 % des voix) [67].

Siégeant, comme Jules Grévy, à la gauche du Corps législatif, il présente en mars 1870 un projet de loi sur « la participation du fermier sortant à la plus-value des améliorations apportées par lui sur l’immeuble » ; les motifs sont rédigés ainsi :

Considérant […] qu’il est urgent pour la paix sociale de donner satisfaction aux réclamations légitimes des classes laborieuses, Considérant qu’on n’y parviendra que par l’accroissement de la richesse générale et par une répartition plus équitable de cette richesse, Considérant que la participation aux bénéfices, en d’autres termes l’association entre le capital, l’intelligence directrice et le travail, est un principe juste et fécond, qu’elle est dans l’avenir le gage de la fusion des classes et qu’elle peut seule dès aujourd’hui prévenir les grèves industrielles et accroître la richesse agricole [68].

Pendant son mandat, il soutient une pétition de Grévy en faveur de l’élection des maires et se prononce pour une augmentation de la rémunération des instituteurs publics. Au printemps 1870, Napoléon III et son gouvernement annoncent l’organisation d’un plébiscite afin que les électeurs s’expriment sur les réformes institutionnelles d’inspiration libérale récemment adoptées. Hostile, comme une grande partie des républicains, à cette manœuvre destinée à conforter le régime impérial, Gagneur s’engage dans le « comité anti-plébiscitaire » qui appelle à voter « non ». Enfin, en juillet 1870, quand Napoléon III demande au Corps législatif de voter la déclaration de guerre contre la Prusse, Gagneur fait partie des rares députés qui refusent d’approuver le choix impérial et de lui accorder les crédits de guerre.

Député sous la IIIe République

La République est proclamée le 4 septembre 1870. Après la saisie de la correspondance impériale, le ministre de l’Intérieur Gambetta institue une « commission chargée de réunir, classer et préparer la publication » de ces documents ; Gagneur est l’un de ses membres ; il occupe la fonction de directeur des travaux et se réserve « plus particulièrement le classement des papiers » ; la publication commence dès le 24 septembre suivant [69].
Des élections sont organisées en février 1871 pour désigner les membres de l’Assemblée nationale. Gagneur figure sur la liste républicaine du Jura conduite par Grévy ; mais lors du scrutin, il n’arrive qu’en huitième position alors que le département du Jura n’envoie que six représentants à l’Assemblée [70].

Avec son épouse, il s’engage dans le combat contre la restauration de la monarchie et pour la consolidation de la république. Il contribue au développement de la « Bibliothèque démocratique » qui, dirigée par son ami Victor Poupin, édite des brochures bon marché aux textes faciles d’accès. Wladimir et Marie-Louise Gagneur en signent plusieurs, notamment Jean Caboche à ses amis les paysans (1871), La part du feu (1872) et Le baron de Pirouëtt (1872), qui sont réunis dans La Politique au village (1874) [71].

En 1873, l’un des représentants jurassiens élus en 1871 démissionne, ce qui provoque l’organisation d’une élection partielle. Gagneur s’y présente contre un monarchiste. Son adversaire voulant le faire passer pour un révolutionnaire, un extrémiste, l’un de « ceux qui, aveuglés par des rêves dangereux, par des passions ou des utopies funestes, aspirent à je ne sais quel bouleversement social du monde » [72], il entreprend de rassurer les électeurs en rappelant que lui et ses amis ont été hostiles à la Commune et qu’il prône la réconciliation des classes. Il accepte néanmoins la qualification de « radical », au sens de républicain laïque, réformateur, progressiste ; il est « ouvertement gambettiste, affirmant conjointement sa détermination démocratique et sa volonté de rassurer » [73]. Il est largement élu – il obtient plus de 42 000 voix contre moins de 18 000 voix à son concurrent – grâce en particulier au vote des électeurs des cantons d’Arbois et de Poligny.

Réélu en 1876 – le préfet le qualifie alors d’« opposant socialiste et extra-radical » [74], mais lui-même se présente comme un candidat républicain modéré –, 1877, 1881 et 1885, Gagneur siège avec la gauche radicale dans les années 1880. Il est un député discret. D’une assiduité limitée – il demande régulièrement des congés pour s’absenter –, il prend très peu la parole (son rapport de 1870 semble avoir été sa seule véritable intervention publique dans toute sa carrière législative) [75]. Il vote en faveur des réformes laïques et anticléricales, de la loi sur le divorce et de celle légalisant les syndicats (1884). Il s’efforce de défendre à la Chambre des députés les intérêts des viticulteurs et des producteurs de fromage de son département. Il publie en 1881 une brochure dans laquelle il demande une réforme de la fruitière, afin d’assurer sa pérennité [76], puis en 1883 Considérations pratiques sur le projet de loi concernant les bouilleurs de crû [77]. Membre de plusieurs organisations pacifistes – il est admis en 1883 au conseil fédéral de l’Association internationale pour l’arbitrage et la paix [78] –, il est hostile à la politique coloniale de Jules Ferry, en particulier lors de l’envoi de troupes au Tonkin [79].

Parallèlement aux combats électoraux et aux débats parlementaires, il continue à écrire en faveur des principes républicains et démocratiques, et contre les institutions de type monarchique, notamment avec L’Empire et la candidature officielle (1875). Il participe en 1881 à la fondation de La République du Jura, organe auquel il collabore. Il poursuit avec sa femme la lutte anticléricale. En 1878, il publie Le vrai péril social (contre le cléricalisme). Mais son travail de propagande passe surtout par la collaboration à des organes comme La Semaine républicaine et La Semaine anticléricale. Il est l’un des quatre vice-présidents de l’Union démocratique de propagande anti-cléricale fondée le 1er mai 1880, aux côtés notamment de Paul Bert et d’André-Saturnin Morin, l’association étant présidée par Victor Schoelcher [80].

Vers 1880, d’après l’auteur du numéro des Hommes d’aujourd’hui qui lui est consacré, il prépare « un grand ouvrage » :

Le premier volume décrit les phases historiques par lesquelles sont passées les sociétés humaines, depuis la sauvagerie la plus primitive jusqu’à la civilisation la plus avancée. C’est la théorie du Transformisme social. Puis il explique les doctrines des grands réformateurs du moyen âge et du XIXe siècle.

Le second dénonce les inconvénients multiples de l’antagonisme des intérêts et démontre les bienfaits correspondants de l’association de ces mêmes intérêts [81].

Ce livre n’est finalement pas paru, de même que le « traité général sur le socialisme » entamé au printemps 1849 et annoncé dans la préface de Socialisme pratique.

En réalité, Gagneur n’a rédigé aucun ouvrage important de grande ampleur ; comme le souligne Bernard Bichon, « tout au cours de sa vie, [Wladimir Gagneur] utilisera abondamment ses écrits passés ». La liste de ses publications est importante, mais ce sont parfois les mêmes textes qui paraissent dans plusieurs organes, qui sont repris dans des tirés à part, puis qui sont insérés dans des brochures réunissant plusieurs articles [82].

Des liens maintenus avec les fouriéristes

À la Chambre des députés, Wladimir Gagneur s’efforce de procurer des abonnés au Bulletin du mouvement social, promettant même de participer au comité de rédaction de cet organe fouriériste (1872-1880) avant d’y renoncer en alléguant ses diverses activités associatives qui lui prennent beaucoup de temps, et notamment sa participation à une société pacifiste et son soutien à la Société de navigation aérienne [83]. Avec son épouse, il fonde une association philanthropique, L’Adoption, destinée à l’accueil d’orphelins « afin de les élever dans des écoles professionnelles spéciales, agricoles et industrielles, puis de les suivre dans la vie, de fonder pour eux un cercle-salon de lecture, de les aider à se placer et à contracter d’honnêtes mariages » [84]. Parmi les souscripteurs, figurent plusieurs fouriéristes (Jules Giraud, Virginie Griess-Traut, Faustin Moigneu, des féministes (Marie Deraismes), des francs-maçons, …. Cependant, le projet ne semble pas avoir abouti. Au début des années 1880, L’Adoption fusionne avec – ou plutôt, est absorbée par – la Société des Orphelinats agricoles d’Afrique, qui, fondée par le fouriériste Henri Couturier, reprend le domaine de l’Union agricole d’Afrique de Saint-Denis-du-Sig [85].

Wladimir Gagneur est en relation avec Jean-Baptiste André Godin, qu’il a pu rencontrer à l’Assemblée entre 1873 et 1875. Dans La République du Jura, il le félicite pour avoir « rapproché ces deux frères ennemis, le capital et le travail » [86] ; il fait l’éloge du « splendide palais social pourvu de tous les conforts des grandes habitations » [87]. Quelques années plus tard, il est abonné au Devoir, la revue créée par le fondateur du Familistère [88], auquel est consacrée, apparemment grâce à Gagneur, une livraison des Hommes d’aujourd’hui  :

En vous faisant figurer dans la collection si populaire : « Les hommes d’aujourd’hui », j’ai voulu attirer l’attention publique sur votre création du Familistère presque ignorée en France – comme l’est d’abord toute invention française – mais célèbre à l’étranger, et qui est certainement l’œuvre la plus considérable réalisée jusqu’ici en faveur des classes laborieuses [89].

Il fait l’éloge du Familistère, de ses logements, de ses équipements collectifs et de l’association du capital et du travail. Cependant :

L’idéal sans doute serait d’appliquer votre système d’association à l’agriculture, comme vous l’avez fait à l’industrie, de créer la cité paysanne comme vous avez créé la cité ouvrière et de les unir ensemble. Les fonctions se prêteraient ainsi un mutuel appui et favoriseraient mieux encore les conditions d’une organisation normale du travail.

Mais telle qu’elle est, votre magnifique initiative ouvre la véritable voie au bout de laquelle la question sociale, ce casse-tête des penseurs et des philanthropes, ce thème brûlant d’aveugles théories collectivistes et révolutionnaires, cette épée de Damoclès suspendue sur la Société moderne, trouvera sa formule scientifique et définitive [90].

Toutefois, dans la première moitié des années 1880, Wladimir Gagneur ne participe guère aux activités du mouvement fouriériste, qui survit avec l’organisation de quelques banquets célébrant l’anniversaire de Fourier ; il n’est pas mentionné parmi les convives. Lors de la parution du premier numéro de la Revue du mouvement social, son directeur Charles Limousin annonce la collaboration de Gagneur à la rédaction [91] ; la contribution du député jurassien est cependant très modeste et ne concerne pas directement la théorie sociétaire : la revue publie trois lettres de Gagneur consacrées à la question de la paix et de la guerre, Limousin étant comme lui membre du comité fédéral de l’Association internationale pour l’arbitrage et la paix [92].

Quand Étienne Barat et Hippolyte Destrem fondent avec quelques-uns de leur condisciples la Ligue du progrès social, en 1885-1886, Wladimir Gagneur est sur la liste des membres en tant que « membre du groupe initial » [93]. Il n’y est cependant guère actif ; il semble n’y figurer, avec trois autres parlementaires, que pour sa notoriété. D’ailleurs, dans la brève nécrologie parue dans La Rénovation, Destrem indique avoir « personnellement connu et particulièrement estimé [le défunt] de 1840 à 1845 », sans mentionner son adhésion à la Ligue [94].

La dernière production de Gagneur est consacrée à la défense de la République et à la dénonciation du boulangisme [95]. Reprenant les techniques utilisées dans les années 1870 dans les brochures de propagande républicaine, il rédige un texte très largement dialogué et mettant en scène, dans un village nommé Neubourg, des républicains et des partisans du général Boulanger. Les premiers soulignent les progrès réalisés par les gouvernements républicains successifs, notamment dans le domaine de l’agriculture et de l’instruction. Ils soulignent le danger représenté par le boulangisme à la fois pour la paix et pour la démocratie. Boulanger, écrit Gagneur, est soutenu par « un margouillis de légitimistes, de bonapartistes, d’orléanistes, de curés, et de jésuites, et, brochant sur le tout, une demi-douzaine de communards » [96]. Le texte, qui est aussi très anticlérical, se conclut par une exhortation à voter en faveur des républicains lors des prochaines élections.

Le Temps, en annonçant le décès de Wladimir Gagneur, le présente comme « l’un des plus vieux et des plus fidèles serviteurs de l’idée républicaine » [97]. Son enterrement civil apparaît comme une dernière occasion pour le défunt de manifester ses convictions.

M. Gagneur avait toujours été partisan de la crémation, et il avait toujours recommandé à sa famille et à ses amis de faire incinérer son cadavre. Ses volontés ont été respectées [98].

Le cercueil, précise Le Rappel, est « recouvert de magnifiques couronnes, parmi lesquelles celles des instituteurs et du syndicat agricole du Jura » [99].
Lors de la cérémonie au Père Lachaise, des discours sont prononcés par deux députés du Jura, Victor Poupin et Jean-Baptiste Bourgeois, puis par Chassaing, conseiller municipal de Paris, qui « vient, au nom des ‘’crémationnistes’’ dire ce qu’est réellement la crémation, qui, selon lui, est un progrès au point de vue de l’hygiène et de la philosophie » [100]. Un monument, sculpté par la fille du défunt, Marguerite Syamour, est élevé à Poligny pour lui rendre hommage. Son inauguration est signalée par La Rénovation, selon laquelle Gagneur a été « jusqu’au bout adepte fervent de la doctrine sociétaire » [101].