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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Leclerc, Charles Julien
Article mis en ligne le 12 juillet 2020
dernière modification le 27 décembre 2021

par Sosnowski, Jean-Claude

Né en 1809. Décédé le 2 décembre 1866 à Paris (Seine). Mécanicien. Membre du comité de la souscription phalanstérienne en 1840. L’un des fondateurs et membre du conseil d’administration de l’Union industrielle en avril 1841. Directeur par intérim de la colonie du Sahy (São Francisco do Sul, Santa Catarina, Brésil) en 1843-1844. Membre de la Société industrielle du Sahy en août 1844.

Une vie consacrée à la réalisation phalanstérienne

Au printemps 1840, Charles Leclerc est membre du comité de la souscription phalanstérienne organisée par le journal Le Nouveau Monde [1] afin de collecter les fonds nécessaires à la réalisation d’un phalanstère. Il est cité parmi les travailleurs de l’École phalanstérienne dans l’Almanach social pour 1841 [2] ; il est mécanicien, 78 rue Popincourt à Paris. Il contribue très modiquement (10 cts) à la souscription pour la fondation du premier phalanstère d’enfants qu’organise le comité de la souscription phalanstérienne en janvier 1841. Il n’est alors plus cité parmi les membres du comité [3]. Quelques semaines plus tard, il est l’un des fondateurs et membres du conseil d’administration de l’Union industrielle du Brésil, ce qui explique peut-être son retrait du comité de la souscription phalanstérienne, le projet ne faisant pas l’unanimité au sein du Groupe du Nouveau Monde [4]. La société est constituée lors d’une assemblée générale le 18 avril 1841 par les cent premiers signataires de l’acte de fondation destiné à organiser la vie et le travail dans la colonie qui doit s’établir au Brésil. Leclerc embarque probablement le 21 octobre 1841 au Havre à bord du trois-mâts la Caroline comme cent-sept autres migrants qui se destinent au projet de colonie phalanstérienne au Brésil. Les colons à peine débarqués se déchirent en raison de la divergence fondamentale existant entre le contrat signé par Benoît Mure avec les autorités brésiliennes qui fait de lui un entrepreneur détenteur des droits sur la colonie et le contrat établi par l’Union industrielle fixant les rapports et le statut d’associés des colons participant à l’entreprise phalanstérienne. Charles Leclerc est parmi les colons qui s’établissent dans la colonie du Sahy sous la direction de Benoît Mure.
Au départ de ce dernier pour Rio de Janeiro en août 1843, Charles Leclerc se retrouve à la tête de la colonie. En septembre 1843, c’est à lui que s’adressent les autorités brésiliennes pour établir un bilan de situation des colonies du Sahy et du Palmital [5]. La colonie du Sahy ne compte plus que seize colons ; celle du Palmital sous la direction de Michel Derrion, vingt-deux colons. Après s’être retrouvés le 10 octobre 1843, lors d’un banquet de célébration de l’anniversaire de la mort de Charles Fourier, les colons se réunissent sous la houlette de Michel Derrion à la suite d’un accord passé avec Benoît Mure en mars 1844 (la colonie du Sahy ne compte alors plus que quatre colons). Le 15 août 1844 est créée la « Société industrielle du Sahy » composée de vingt-quatre colons dont onze hommes parmi lesquels Charles Leclerc, son épouse Annette Vagnoux, originaire de Luxeuil et leur fils Lucien âgé de deux ans [6]. Les colons réunis s’installent alors sur un terrain, « les Lymbes », acheté à son arrivée par Benoît Mure au bord de la baie à proximité de la maison Picot, baptisée ainsi en l’honneur du directeur du Jornal do commercio (Rio de Janeiro) soutien du projet de colonisation. Leclerc et sa famille y vivent en communauté avec celles de Michel Derrion et de Raymond Nénévé [7] ainsi qu’avec quatre autres colons. A proximité de cette maison commune rudimentaire couverte de paille, est installée une scierie mécanique.
Mais Charles Leclerc finit par abandonner le projet. Le 31 mai 1845, il arrive, seul semble-t-il [8], à Rio de Janeiro, à bord du Maria Gloria en provenance de Rio de São Francisco.
Comme Antoine Joseph Jamain, il s’établit à Rio de Janeiro comme mécanicien-machiniste, profession éminemment recherchée dans une ville qui connaît un fort essor industriel. À la fin de l’année, lors de la déclaration de naissance de son fils Lucien, la famille réunie réside au 7 rua Senhor dos Passos [9].

Charles Leclerc appartient au groupe phalanstérien de Rio de Janeiro constitué autour de Michel Derrion à partir de 1846. Il contribue alors aux souscriptions pour une « médaille à offrir à Eugène Sue, défenseur des classes sacrifiées et promoteur de l’organisation du travail » [10] et pour financer la tombe de Flora Tristan [11]. Il espère toujours en l’harmonie et souscrit à la rente phalanstérienne. C’est Jamain qui écrit pour lui à Victor Considerant le 30 décembre 1847 et exprime leur espérance commune de voir « la fondation de cette belle œuvre » [12].
Avec d’autres phalanstériens (Jacques Piel, Nicolas Gilbert, Antoine Joseph Jamain, Eugène-Félix Huger, Nicolas Gilbert et Michel Derrion), Charles Leclerc est « dépositaire des listes en circulation » destinées à la « souscription française en faveur des veuves, orphelins et blessés des journées de février 1848 » [13].
Charles Leclerc semble peu à peu retrouver la fortune. En juin 1849, il est nommé « second ingénieur des officines mécaniques de l’arsenal de la marine de la cour » [14]. De 1853 à 1858, il est référencé dans l’Almanak administrativo, mercantil e industrial da corte e provincia do Rio de Janeiro parmi les mécaniciens et pompiers [15] et parmi les forgerons et serruriers [16], 158 rua do Hospicio. Son nom disparaît ensuite de l’Almanak. Toutes les inspections de la marine de novembre 1850 à mai 1856 attestent du bon état des machines à vapeur de son atelier [17].
Le 18 juin 1856, avec sa femme, un garçon et en compagnie de Charles-Francis Vannet, il quitte Rio de Janeiro à bord du paquebot à vapeur Franc-comtois à destination du Havre après diverses escales [18]. Il revient cependant à Rio de Janeiro pour liquider ses affaires et en juillet 1859, Carlos Leclerc signifie, par voie de presse, son départ momentané pour l’Europe et offre de chaleureux remerciements à tous ceux qui l’ont honoré de leur confiance et amitié, leur offrant ses services où qu’ils soient [19].

Un adepte du spiritisme
Leclerc n’abandonne pas ses convictions fouriéristes, mais s’intéresse à la religion des esprits. Les liens sont anciens entre fouriérisme et religion des esprits. Mais de 1853 à 1857, Allan Kardec découvre les tables tournantes et interroge des somnambules ou médium. En 1857, il publie le Livre des Esprits, bible de la religion spirite [20]. C’est au Brésil que Leclerc a découvert le spiritisme. Sa nécrologie publiée par La Revue spirite précise les raisons de cette conversion :

Il avait longtemps habité le Brésil, et c’est là qu’il avait puisé les premières notions du Spiritisme, auquel l’avait préparé la doctrine de Fourrier [sic], dont il était un zélé partisan. Rentré en France, après s’être fait une position indépendante par son travail, il s’est dévoué à la cause du Spiritisme, dont il avait facilement entrevu la haute portée humanitaire et moralisatrice pour la classe ouvrière. C’était un homme de bien, aimé, estimé et regretté de tous ceux qui l’ont connu, un Spirite de cœur, s’efforçant de mettre en pratique, au profit de son avancement moral, les enseignements de la doctrine, un de ces hommes qui honorent la croyance qu’ils professent [21].

Acte courageux dans une société contrainte par l’Église catholique, à la demande de la famille, « la prière pour les âmes qui viennent de quitter la terre (Évangile selon le Spiritisme) » [22] est dite sur sa tombe. Suit alors un discours d’un membre de la Société spirite de Paris soulignant le caractère subit de son décès :

Cher monsieur Leclerc, vous êtes un exemple de l’incertitude de la vie, puisque l’avant-veille de votre mort, vous étiez au milieu de nous, sans que rien pût faire pressentir un départ aussi subit. Dieu nous avertit par là de nous tenir toujours prêts à rendre compte de l’emploi que nous avons fait du temps que nous avons passé sur la terre ; il nous rappelle au moment où nous nous y attendons le moins. Que son nom soit béni pour vous avoir épargné les angoisses et les souffrances qui accompagnent parfois le travail de la séparation. Vous avez été rejoindre ceux de vos collègues qui vous ont précédé, et qui, sans doute, sont venus vous recevoir au seuil de la nouvelle vie ; mais cette vie, avec laquelle vous vous étiez identifié, n’a dû avoir pour vous aucune surprise ; vous y êtes entré comme dans un pays connu, et nous ne doutons pas que vous n’y jouissiez de la félicité réservée aux hommes de bien, à ceux qui ont pratiqué les lois du Seigneur. Vos collègues de la Société spirite de Paris s’honorent de vous avoir compté dans leurs rangs, et votre mémoire leur sera toujours chère ; ils vous offrent, par ma voix, l’expression des sentiments de bien sincère sympathie que vous avez su vous concilier. Si quelque chose adoucit nos regrets de cette séparation, c’est la pensée que vous êtes heureux comme vous le méritez, et l’espoir que vous n’en viendrez pas moins participer à nos travaux.

Que le Seigneur, cher frère, répande sur vous les trésors de sa bonté infinie ; nous le prions de vous accorder la grâce de veiller sur vos enfants, et de les diriger dans la voie du bien que vous avez suivie.

La Revue spirite révèle que Charles Leclerc a manifesté sa présence lors de la réunion spirite qui a suivi son enterrement, le 7 décembre. Il s’exprime longuement par l’intermédiaire du médium Deslien. Sa découverte du monde des esprits le conduit à exprimer plus particulièrement un sentiment qu’il avait déjà connu en débarquant au Brésil :

[…] Ce monde, que je ne connaissais que d’après les communications des Esprits, je puis moi-même en apprécier aujourd’hui la beauté. Dans une certaine mesure, j’ai éprouvé, en arrivant ici, les mêmes émotions, mais infiniment plus vives, qu’en abordant pour la première fois sur la terre d’Amérique. Je ne connaissais cette contrée que par le récit des voyageurs, et j’étais loin de me faire une idée de ses luxuriantes productions ; il en fut de même ici [23].

Le médium révèle quelques traits de caractères de Leclerc et l’affection qu’il portait à sa famille. On apprend par ailleurs qu’il a eu un second fils et qu’il était adepte de la « bonne musique » :

Eh bien ! Voyez ; je suis encore ici puni par mon défaut principal, celui que je combattais avec tant de peine sur la terre, et que j’étais parvenu à dominer en partie ; l’impatience que j’avais de me voir parmi vous m’a troublé à un tel point que je ne sais plus exprimer mes idées avec lucidité, et cependant cette matière qui m’entraînait si souvent à la colère autrefois n’est plus là ! Allons, je me calme, puisqu’il le faut. Oh ! j’ai été bien surpris par cette fin inattendue ! Je ne craignais pas la mort, et je la considérais depuis longtemps comme la fin de l’épreuve ; mais cette mort si imprévue ne m’en a pas moins causé un profond saisissement... Quel coup pour ma pauvre femme !... Comme le deuil a rapidement succédé au plaisir ! Je me faisais une véritable joie d’écouter de la bonne musique, mais je ne pensais pas être si tôt en contact avec la grande voix de l’infini... Combien la vie est fragile !... Un globule sanguin se coagule ; la circulation perd sa régularité, et tout est fini !... J’aurais voulu vivre encore quelques années, voir mes enfants tous établis ; Dieu en a décidé autrement : que sa volonté soit faite ! Au moment où la mort m’a frappé, j’ai reçu comme un coup de massue sur la tête ; un poids écrasant m’a accablé ; puis tout à coup je me suis senti libre, allégé. J’ai plané au-dessus de ma dépouille ; j’ai considéré avec étonnement les larmes des miens, et je me suis rendu compte enfin de ce qui m’était arrivé. Je me suis promptement reconnu. J’ai vu mon second fils, mandé par le télégraphe, accourir. Ah ! j’ai bien essayé de les consoler ; je leur ai soufflé mes meilleures pensées, et j’ai vu avec un certain bonheur quelques cerveaux réfractaires pencher peu à peu du côté de la croyance qui a fait toute ma force dans ces dernières années, à laquelle j’ai dû tant de bons moments […] [24].