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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Patras, Paul (Auguste Mathieu)
Article mis en ligne le 22 mars 2020

par Desmars, Bernard

Né le 4 mai 1835 au Havre (Seine-Inférieure, auj. Seine-Maritime), décédé le 8 avril 1901 à Paris, 11e arrondissement (Seine). Commis ou employé comptable, puis rentier. Membre de l’École sociétaire expérimentale, puis collaborateur de La Rénovation.

Paul Patras est le fils d’un marchand miroitier. En 1867, il est « commis » ou employé quand il se marie avec Émilie Manière, fille d’un rentier parisien. D’après la nécrologie publiée dans La Rénovation, il a travaillé au Havre comme « chef de comptabilité de la Compagnie transatlantique ». Vers 1890, il quitte sa ville natale, où il est « propriétaire de terrains et d’immeubles », et s’installe à Paris où il vit de ses rentes. D’après Adolphe Alhaiza, l’un des dirigeants du mouvement phalanstérien,

un livre de Fourier rencontré par hasard l’avait fait des nôtres, et c’est ainsi qu’il était venu de son propre mouvement s’adjoindre à nous à son arrivée à Paris [1].

Pour l’unité des fouriéristes

En réalité, il semble d’abord hésiter entre les deux courants fouriéristes : d’une part, l’Union phalanstérienne – École Sociétaire Expérimentale (ÉSE), favorable à la préparation d’un essai phalanstérien ; d’autre part, le groupe de La Rénovation, dirigé par Alhaiza, qui limite son action à la propagande et évolue vers des positions antidreyfusardes, antisémites et xénophobes. En novembre 1896, Patras adresse 2,50 francs à La Rénovation [2] ; mais l’année suivante, il participe aux travaux de l’ÉSE dont il est l’« archiviste bibliothécaire » ; il est l’administrateur d’un éphémère organe, Le Sociétaire, dont seuls deux numéros paraissent [3]. Il est également responsable de la neuvième série de l’ÉSE, « la série de la Science sociétaire [qui] a pour objet les recherches, commentaires et exposés relatifs à la science sociale » [4].

Il milite cependant en faveur de la réunion des différentes tendances fouriéristes ; en 1897, il propose au groupe de La Rénovation, d’organiser une manifestation commune pour l’anniversaire de la naissance de Fourier. Alhaiza refuse en invoquant des obstacles pratiques [5]. Paul Patras est le « commissaire général » du banquet de l’ÉSE, auquel participe aussi son épouse Émilie Manière. À la fin du repas, il déclame un « amusant monologue » [6].

Puis, il s’éloigne de l’ÉSE et rejoint Alhaiza ; il assiste en avril 1899 avec son épouse à l’anniversaire de la naissance de Fourier organisé par le groupe de La Rénovation. Il y rend hommage à « l’homme de génie » et porte un toast « au succès de sa doctrine »,

à son triomphe final qui doit assurer le bonheur de l’humanité et que nous appelons de tous nos vœux en souhaitant sa réalisation aussi prochaine et aussi complète que possible » [7].

Le 4 juin 1899, il participe à l’inauguration de la statue de Fourier ; il est alors une personnalité suffisamment importante du mouvement fouriériste pour qu’il soit annoncé comme l’un des orateurs de la manifestation ; il doit cependant renoncer à son discours en raison de l’heure tardive [8].

Simplifier la présentation du fouriérisme

À la suite de cette journée, il fait les observations suivantes :

Au moment de l’inauguration, il était vraiment curieux d’écouter les réflexions de la foule nombreuse qui entourait les clôtures.

[…] cette statue, qu’on me permette de le dire, était pour la plupart des assistants un sujet d’étonnement, presque de surprise

Fourier […] était pour ces masses populaires un inconnu.

Quand la cérémonie est terminée, des membres du public vont lire les inscriptions :

Les attractions sont proportionnelles aux destinées.
La série distribue les harmonies.

Mais, constate Patras, « beaucoup s’éloignaient fort désappointés » car ils ne comprenaient pas ces phrases. Et le soir, lors du banquet, des convives membres des sociétés coopératives

exprimaient dans des conversations particulières leur regret de n’avoir pas l’occasion de connaître mieux l’homme dont on venait si justement d’honorer la mémoire : nous ne savons presque rien de Fourier, disaient-ils, et nous ne demanderions pas mieux que d’apprendre à le mieux connaître. Cette idée répétée sous cent formes diverses dans les conversations particulières m’a décidé à entreprendre ce travail dans lequel je me suis efforcé d’éviter avec soin toute forme spéciale à l’École et de me faire comprendre de tous par un langage simple et clair [9].

Il décide alors de rédiger un texte intitulé « Charles Fourier, sa vie, son œuvre », dont il demande l’insertion dans les colonnes de La Rénovation [10] Quatre articles paraissent en octobre et novembre 1899, janvier et février 1900, dans lesquels il présente très rapidement le « socialisme » (Platon, More, Morelly et les théories de la première moitié du XIXe siècle).

Parmi tous les socialistes qui ont produit des œuvres remarquables, on n’en trouve guère qui aient proposé des solutions pratiques plus ou moins complètes, et parmi ceux-là aucun n’a surpassé Fourier. Mais la forme bizarre donnée par lui à ses préceptes est bien aride et quelque peu rebutante pour des néophytes, lui-même s’en rendait bien compte, ainsi que plusieurs de ses disciples qui se sont efforcés de le commenter et de l’expliquer d’une façon qui peut le rendre plus assimilable. L’œuvre la plus remarquable en ce genre est celle d’Hippolyte Renaud, qui l’a interprété d’une façon aussi claire que magistrale. Mon désir est de faire connaître en peu de lignes Fourier et son œuvre [11].

Suit une brève biographie – ou plutôt une hagiographie – de Fourier

Tout ce que nous connaissons de Fourier nous le représente comme un homme d’une bonté parfaite, bienfaisant, charitable, d’une exactitude méticuleuse, remplissant avec zèle et intelligence les fonctions dont il était chargé, très soigné dans sa mise d’un aspect modeste et distingué [12].

Quant à la présentation de la théorie sociétaire, elle est très sommaire et écarte la question des passions :

Je suis obligé de passer rapidement sur ce sujet si complexe dont le développement m’entraînerait trop loin. Je me réserve d’y revenir, mais pour aujourd’hui je ne veux en donner qu’un résumé aussi bref et aussi clair que possible.

Cela aboutit à une exposition très appauvrie du système fouriériste :

En un mot et pour résumer ce premier point, le bonheur consiste pour l’homme à jouir d’une bonne santé et à être doué d’une intelligence et d’un esprit bien équilibrés et en même temps à posséder des ressources suffisantes et un mode de vie lui assurant, pour le présent et dans une certaine mesure pour l’avenir, les moyens de donner satisfaction suffisante à ses besoins, à ses aspirations et même à ses plaisirs matériels et intellectuels [13]. Dans le dernier article, Patras reprend les critiques de Fourier envers la Civilisation, puis indique le remède proposé, « l’association intégrale et universelle » sans toutefois préciser véritablement ce que sont la phalange et le phalanstère. Il ajoute : Ici, je m’arrête et j’hésite, car j’ai à dire un bien gros mot qu’il ne faut pas prendre trop à la lettre, du moins dans le sens strict qu’on attache aujourd’hui à ce mot : anarchiste. Eh bien ! Fourier est un anarchiste, c’est-à-dire qu’il ne veut aucun pouvoir, aucune autorité ; c’est par conviction que chacun doit agir, et non en vertu de lois ou de règlements coercitifs quelconque, qu’il proscrit absolument.

Il termine son texte en

exprim[ant] le vœu sincère de voir tous les fouriéristes sans distinction de nuances, se diriger vers cette voie et consacrer tous leurs efforts à cette réalisation [14].

Il renouvelle ce vœu le 7 avril 1900. Empêché de se rendre devant la tombe du Maître, il envoie un texte lu par Alhaiza : il appelle à

l’union sincère de tous les fouriéristes pour hâter l’accession des hommes à la terre promise. Unissons-nous sans réserve, unissons-nous donc tous et travaillons sans relâche et bien unis à la réalisation de notre grandiose harmonie ; tel est le désir le plus cher d’un humble disciple de notre grand Fourier [15].

Dans la soirée, il participe au banquet et y prononce un discours sur la théorie sociétaire. En effet, il a commencé la rédaction d’un « exposé lucide et complet » des « principes sociétaires », travail interrompu par sa maladie, puis sa mort [16]. Ses obsèques, au cimetière du Pantin, réunissent des membres de ÉSE et leurs condisciples de La Rénovation. Anatole Arthur Textor de Ravisi pour les premiers et Adolphe Alhaiza pour les seconds prononcent chacun un discours, de même que Germain Délias, un ami du défunt [17].