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DUBOS Jean-Claude : Victor Hugo et les Franc-Comtois (2002)

Yens sur Morges, Cabédita, 2002, 160 p.

Article mis en ligne le décembre 2002
dernière modification le 3 avril 2007

par Ucciani, Louis

Né à Besançon, Victor Hugo y passa les six premières semaines de sa vie et n’y revint jamais. Jean-Claude Dubos avec clarté en suscitant un réel intérêt nous trace l’histoire de la relation qu’Hugo entretint avec la Franche-Comté. On y voit notamment le jeune Hugo débutant sa carrière littéraire comme hanté par la question de l’origine et de la terre de naissance, entretenir des relations confraternelles et de « pays » avec les plus curieux des bisontins de l’époque Charles Nodier, le poète, Charles Weiss, le bibliothécaire et François-Joseph Genisset, l’universitaire. Membres de l’Académie de Besançon ils l’accueillent en son sein au titre d’associé correspondant dès 1827. Il a vingt-cinq ans et vient de publier ses premiers textes sous l’œil attentif de ses amis franc-comtois. L’ouvrage relate comment les amitiés vivent et comment le succès de Hugo finalement finit par déranger. Nodier ne votera pas pour Hugo candidat à l’Académie française, en 1836 et Weiss, l’année suivante, ironisera sur la demande d’aide faite par Hugo à la ville de Besançon, pour un jeune artiste bisontin, nommé Petit. Pourtant cette demande comme celle qu’il fera plus tard en 1850 pour le poète Armand Barthet, laisse apparaître un sentiment de Hugo vis-à-vis de sa ville de naissance. Mais est-ce le cas pour toutes les villes de naissance de rejeter les plus doués de ses enfants ? Ou est-ce une caractéristique bisontine encore bien active, qui ferait alors de Victor Hugo un révélateur du mépris dans lequel la ville tient ses créateurs, il n’empêche que le trait est constant et perdure, Hugo en fit l’expérience, Mallarmé plus tard et aujourd’hui d’autres. Ce désir de pouvoir être reconnu là où l’on est né semble réellement sincère chez Hugo et l’évitement d’un retour pourrait bien être à comprendre comme une crainte de ce que les choses ne soient pas comme on les imagine. Dans ce registre l’échange de lettres avec Max Buchon, qui lui fait découvrir Courbet, est bien explicite : « Je vous dois la révélation de mon pays natal (...) Je l’aime cette vieille terre, à la fois française et espagnole. Je n’ai guère fait qu’y naître et elle m’est aujourd’hui fermée... » (1862)

Cet ouvrage d’historien se révèle être un outil intéressant pour la critique et la psychologie littéraire, mais aussi pour ce qui nous concerne ici, pour un des aspects du fouriérisme. Jean-Claude Dubos dans le chapitre intitulé L’offensive de charme des fouriéristes (1834), [pp. 69-78] rapporte le rendez-vous raté avec Charles Fourier. Just Muiron directeur de L’Impartial a dès le début suivi l’éclosion de Hugo. En février 1834 il publie un long article consacré à l’Étude sur Mirabeau, qui s’achève ainsi : « Par la pensée comme par le style, le chef de la jeune littérature a égalé l’homme dont il traçait le portrait. » Le 28 du même mois dans La Réforme industrielle, Fourier lui-même publie un article intitulé : Les nouveaux quakers, trembleurs intellectuels, pupilles en génie. Réponse à un écrit de M. Victor Hugo. J.-C. Dubos parcourt ce texte et nous en livre quelques articulations dans lesquelles on voit bien la façon dont Fourier articule ses lectures et annote comme un professeur. Par exemple ceci : « Hugo a écrit : Tout est défait rien n’est refait. Début fort juste, on ne saurait dire plus vrai, estima Fourier. Aux hommes de progrès appartient la culture des principes, la greffe de telle ou telle idée. Je prends au mot l’écrivain ; nous allons voir s’il est homme de progrès, disposé à propager les idées neuves, dignes de culture et de greffe. » Plus loin à Hugo qui défend la qualité de la France « Mère majestueuses de toutes les idées qui sont aujourd’hui en mission dans tous les peuples. » Fourier rétorque : « Passons sur les flatteries que vous adressez à la France, et auxquelles je n’adhère nullement, car la France, loin d’avoir une initiative dans la civilisation du globe, porte partout le vandalisme ». Et à Hugo qui attend le Grand homme salvateur, Fourier répond : « Il en faut trois et non pas un ; il faut l’inventeur, l’orateur et le fondateur du progrès. » Et quand Hugo pense premier d’éclairer le peuple, Fourier rétorque qu’il faut prioritairement l’enrichir. Ce que Dubos nomme l’offensive de charme des fouriéristes, tourne court. Une lettre de Hugo à Jules Lechevalier semble y mettre fin.

Cela sera à un autre niveau que se situera ensuite le débat. Victor Considerant se sentant menacé par cette offensive de charme qui valorisait Hugo à ses dépens, attaque Victor Hugo sur ses conceptions de l’architecture dans Description du Phalanstère publié à Besançon en octobre 1834. On voit dans ces considérations de Fourier et de Considerant quelque chose de l’ordre d’une méfiance qui se transmue en position à la fois politique et épistémologique, où finalement serait reproché à Hugo son point de vue Poète, une extériorité par rapport au réel. Ironiquement ce sera le même reproche que notamment Marx adressera à Fourier. J.-C. Dubos rapporte comment, ultérieurement, les chemins de Hugo et Considerant seront amenés à se croiser et comment les rapports à la Franche-Comté se poursuivront un peu sur le même mode avec notamment Proudhon.