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Un divertissement linguistique de Fourier
Article mis en ligne le 21 octobre 2018
dernière modification le 23 octobre 2018

par Lehouck, Emile

Source : La Brèche. Action surréaliste, Paris, Le Terrain Vague, février 1963, n° 4, p. 24-25. Directeur : André Breton. Comité de rédaction : Robert Benayoun, Vincent Bounoure, Gérard Legrand, José Pierre, Jean Schuster. Administration : Le Terrain Vague, 23-25, rue du Cherche-Midi, Paris (6e).

Le texte que nous présentons ici est extrait de la cote supplémentaire des Archives sociétaires, dont il forme la 148e pièce. Il n’étonnera que ceux qui, en dépit de plusieurs travaux récents, auraient conservé l’image d’un Fourier essentiellement économiste qui nous a été transmise par ses disciples immédiats. On sait que Considerant et ses amis, par respect des préjugés scientifiques et moraux de leur temps, ont toujours manifesté une certaine répugnance à publier les manuscrits de leur maître et ont été jusqu’à recourir à la falsification pure et simple. On comprend dès lors qu’ils n’aient pas été tentés de révéler au public cette « plaisanterie cacographique » [1] qui, dans le climat de l’époque, aurait sans doute risqué d’accréditer dangereusement la légende de la « folie » de Fourier. Providentielle folie qui comblait la paresse intellectuelle des critiques en les dispensant d’étudier les aspects les plus originaux de la doctrine phalanstérienne !

Esprit universel, Fourier ne se laisse pas enfermer dans le rigoureux compartimentage des sciences qui s’est imposé au XIXe siècle. Son projet de rénovation de la société embrasse à la fois l’économie, la morale, l’éducation, l’organisation du travail, l’architecture…, tandis qu’il participe à l’évolution de la littérature et de la poésie, grâce à sa théorie de l’unité universelle.

Car, en dépit du caractère assez rebutant de ses livres, l’inventeur du phalanstère est un véritable écrivain. Il mérite ce titre du fait de son intense travail d’investigation psychologique qui le rapproche des romanciers et des auteurs dramatiques, de son imagination souveraine, de sa verve satirique qui pulvérise les préjugés. Enfin, dans les meilleures pages, il se révèle « poète, au sens surréaliste du mot, détecteur des sources et des ondes » selon la belle expression de M. J. Gaulmier.

Nous le voyons ici s’adonner à un véritable jeu littéraire qui éclaire certains côtés mal connus de sa personnalité. On a attribué son abus des néologismes, ses étranges classifications (prolégomène, postienne, antienne, citienne, cislégomène, interpause, etc.), soit à de simples bizarreries de caractère, soit à des difficultés d’expression qu’il aurait éprouvées pour bâtir sa science neuve des passions. Mais n’y aurait-il pas plutôt chez lui une volonté de manipuler la langue, de jouer avec les mots, de désarticuler les phrases qui ferait de lui à la fois l’héritier d’une tradition littéraire qui remonte aux grands rhétoriqueurs (on songe par exemple, à leurs vers holorimes) et le précurseur de certains écrivains contemporains ?

On notera la recherche systématique de termes équivoques qui rapproche ce divertissement des contrepèteries. Le goût rabelaisien de Fourier pour le langage dru et cocasse est bien connu depuis la publication par Maublanc de la Hiérarchie du Cocuage.

Ce jeu littéraire ne manque pas d’un certain intérêt linguistique. Il nous donne tout d’abord des renseignements précieux sur la prononciation de l’époque. D’autre part, il serait intéressant d’examiner si le procédé de substitution employé par Fourier peut être appliqué à n’importe quelle phrase ou s’il a simplement réalisé un tour de force qu’il aurait été bien incapable de renouveler.

ÇA ME DIT, 24 AH ! OU DIX HUIT S’EN VINT TE CETTE

Geai ressue mât chair l’or, lin vite à sion queue tu mats à dresser pourras l’air dix nez rats sein ment dés, dix manches d’œufs sept ambre.

Croix jettant sue plie allant presse m’en deux tond couse ain as eux rang drap déz somme ah scions scie en gage hante.

Dix manchons nos rats don l’age oie deux-tems bras serre, toît était ce heure étai par rends ; ai-je eaux ré, jean suisse hure, dupe les ire have ou art lac homme édit, eh ah ah si ce thé aux fesses teint.

Ile nia riz inde nou veau en sept lieues longe houe en corps l’aime atteint elle haie sou art os bis liard queue jet-mouton gros pet raie sans est-ce vin cœur, émoi comte i nue aile ment vingt culs.

Mat hante alors dine haire à tout j’ourlais six os, — elle haleine ode ou oie ; toussait faute œil sont à pisser pas raie le m’aime ; ile haie thé tonnant j’eusse caque est le poing aile chez riez louve rage jeune suie paque homme aile.

Camp tas moine soie pointé tonné si long ment tentait voiture les rave éclair du nain sensé dentelle houe tell art pendu jarre daim, houx six dents lame hate y né au cu pédant mache ambre, ah fort j’ai dey meche en verre, onde m’en dans vin au sale on maquereau m’a tique qu’on versa sion né mamelle odieuse sauce i et t ; geai griffe au nez, dais vert dey mage œufs naisse, elle habit tue dès trot paon rat scie nez pou ras voir laid ce pet rance demandé fait ramonage.

Malle et traits longanimité rend nos culs ne manne hier, gela terre mine quart tue pou rase ane au nez hune pas raye corps est-ce pont danse. Geai laisse poire toux te foie d’art haché tonna demie rat si on part mont nez loque anse.

Ah d’yeux mais complies ments ah tout laid par hantons pet rétamer était-ce heure hé ton frais rarement. J’ai ce père alleluia plis quai, dix manchots sous arle nombril andes poète hier houx heaume oingt de verre net.

Jettant bras ce sang serre aime au nid.

Tonne a mie saint serré ah fait que si haut nez.
Jeu d’oie pars tire dent trois joue redit si (l’un dit) pourceau mai lié rend faim dent mont lis tape ah ris.

(Texte présenté par Emile Lehouck, Aspirant du Fonds National belge de la Recherche Scientifique.)

Note de l’éditeur :

Dans les archives d’André Breton figure le manuscrit de l’article d’Émile Lehouck accompagné de la reproduction, elle aussi manuscrite, de la lettre de Charles Fourier ; entre les lignes de cette dernière est indiquée, au crayon, la retranscription de cette lettre par André Breton, comme a bien voulu nous le confirmer Émile Lehouck. L’ensemble est visible sur le site Atelier André Breton.

Nous reproduisons ci-dessous la retranscription de la lettre de Charles Fourier donnée par Simone Debout-Oleszkiewicz dans son ouvrage Griffe au nez (Payot, « Critique de la politique », 1999, p. 14), lettre par ailleurs reproduite en fac-similé en ouverture du même ouvrage (p. 8-9) :

J’ai reçu, ma chère Laure, l’invitation que tu m’as adressée pour aller dîner à Saint-Mandé, dimanche deux septembre. Crois je t’en supplie à l’empressement de ton cousin à se rendre à des sommations si engageantes. Dimanche on aura donc la joie de t’embrasser, toi et tes sœurs et tes parents ; et j’aurai, j’en suis sûr, du plaisir à voir la comédie et à assister au festin. Il n’y a rien de nouveau en ces lieux, l’on joue encore les matins et les soirs au billard que j’aime, où ton gros père est sans cesse vainqueur et moi continuellement vaincu. Ma tante à l’ordinaire a toujours les ciseaux et la laine aux doigts ; tous ses fauteuils sont tapissés par elle-même : il est étonnant jusqu’à quel point elle chérit l’ouvrage. Je ne suis pas comme elle. Quant à moi ne soit point étonnée si l’on m’entend et voit hurler avec l’air d’un insensé dans tel ou tel arpent du jardin ou si, dans la matinée, occupé dans ma chambre à forger des méchants vers, on me demande en vain au salon ma chromatique conversation et ma mélodieuse société ; j’ai griffonné des vers dès ma jeunesse, et l’habitude est trop enracinée pour avoir l’espérance de m’en défaire à mon âge. Ma lettre est longue à n’imiter en aucune manière, je la termine car tu pourras anônner une pareille correspondance. J’ai l’espoir toutefois d’arracher ton admiration par mon éloquence. Adieu mes compliments à tous les parents ton père et ta mère et tes sœurs et ton frère Armand. J’espère aller lui appliquer dimanche au soir le nom brillant de Potier ou au moins de Vernet [2]. Je t’embrasse sans cérémonie. Ton ami sincère et affectionné. Je dois partir dans trois jours d’ici (lundi) pour sommeiller enfin dans mon lit à Paris.

Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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