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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Jacques, (Joseph) Paul (Siméon), dit Jacques (de) Valserres (ou Valserres)
Article mis en ligne le 10 juillet 2018
dernière modification le 28 août 2018

par Desmars, Bernard

Né le 5 janvier 1812, à Gap (Hautes-Alpes), décédé le 27 octobre 1882 à Albi (Tarn). Enseignant, agronome et publiciste. Collaborateur de La Démocratie pacifique et de La Finance nouvelle  ; actionnaire de l’Union agricole d’Afrique.

Paul Jacques est le fils d’un percepteur demeurant à Gap. Ses parents, lors de leur mariage en 1810, ont notamment pour témoins le préfet des Hautes-Alpes et le directeur des contributions directes du département. En 1817 ou 1818, la famille s’installe à Valserres, une commune d’environ 500 habitants située à une quinzaine de kilomètres de Gap [1]. Le père est désormais propriétaire. Fin 1819, il est nommé maire de Valserres, fonction qu’il occupe jusqu’à sa mort en 1836 [2]. Cette même année 1836, Paul Jacques est encore recensé au sein de sa famille à Valserres. Sans doute est-ce à ce moment qu’il « dirig[e] pendant deux ans une exploitation dans les Alpes, composée de vignes, prés, champs, bois et pâturages » [3].

Un spécialiste des questions rurales et agricoles

Après des études de droit, il est avocat à la Cour royale de Paris ainsi que professeur de législation industrielle à l’École spéciale de commerce. En 1846, il fait paraître son premier ouvrage sous le nom de « P. Jacques de Valserres ». Puis, dans les années suivantes, il signe ses articles et ses livres sous le pseudonyme « Jacques de Valserres », « Jacques Valserres », ou encore « Valserres », nom désormais utilisé dans la suite de cette notice.

Ce premier ouvrage est un Manuel de droit rural et d’économie agricole. L’auteur y fait quelques allusions au mouvement saint-simonien, « cette école qui a mis en circulation tant d’idées larges » [4]. Plus loin, il souhaite la création d’un journal consacré à l’agriculture ; « sa fondation serait une œuvre nationale, car en contribuant à perfectionner l’industrie qui s’attache au sol, et en doublant ses produits, il aurait résolu le difficile problème posé par Saint-Simon : améliorer la condition de la classe la plus nombreuse et la plus pauvre » [5]. Mais il prête davantage d’attention à Fourier et à ses disciples. Dans une partie sur la propriété du sol, il présente différentes théories : celle qui décrit la propriété privée comme un droit absolu ; puis celle, représentée par Proudhon et par les « communistes », qui « nie le droit d’appropriation, et par suite celui de conserver et de transmettre » ; et enfin :

Un troisième système, qui tient le milieu entre les deux premiers, est celui formulé par M. Victor Considerant, chef de l’école phalanstérienne. Suivant ce publiciste, il n’y a d’appropriable que ce qui peut être créé par l’industrie de l’homme ; la propriété n’est légitime qu’à la condition de découler du travail. […]

M. V. Considerant demande en conséquence l’association du propriétaire et du cultivateur, pour les faire participer aux produits dans une certaine proportion. C’est là ce que l’école phalanstérienne appelle l’organisation du travail agricole [6].

Valserres est très hostile à Proudhon et aux « communistes » ; il exprime d’abord certaines réserves envers les solutions proposées par les fouriéristes car elles sont en l’état trop favorables aux travailleurs, au détriment du propriétaire. Aussi,

nous souhaitons que les idées phalanstériennes s’élaborent encore et puissent, sans devenir une transaction vers le communisme, être appliquées à l’état social actuel. Nous le répétons, il y a certainement dans ce système tout ce qu’il faut pour faire disparaître le salariat, et préserver le monde d’une révolution [7].

À plusieurs reprises, il revient sur « la question si intéressante de l’association agricole signalée par l’école phalanstérienne comme devant mettre un terme à l’antagonisme qui existe entre le propriétaire et le cultivateur » [8]. Plus loin, étudiant plus longuement les rapports entre les propriétaires du sol et les travailleurs agricoles, il ajoute :

Suivant Charles Fourier, le fondateur de cette école, il s’agirait d’arracher les limites, de combler les fossés, de faire disparaître les haies qui séparent les différentes parcelles d’une commune, pour soumettre son territoire à une culture unitaire. Les masures qu’on nomme villages seraient remplacées par un superbe édifice appelé phalanstère. Alors il n’y aurait pour tous les habitants qu’une seule cuisine, une seule cave, un seul grenier. Les travaux se feraient en commun ; ils offriraient de l’attrait parce que toutes les deux heures, on passerait d’une occupation à une autre. Pour la constitution d’un phalanstère, il faudrait l’association de tous les détenteurs des instruments de production : la terre – le capital – le travail [9]. Chacun de ces trois éléments serait représenté par des actions. On assurerait aux travailleurs un minimum de subsistances, et on leur accorderait une part dans la plus-value donnée à la terre par l’industrie [c’est-à-dire le travail].

Ce système renferme d’excellentes choses. Il offre un moyen facile de remédier au morcellement et de mettre un terme à l’antagonisme qui existe entre le domestique, le fermier et le maître. Mais ne pourrait-on pas lui reprocher de sacrifier l’intérêt du propriétaire à l’intérêt du travailleur ? […] Dans le système phalanstérien, le travail obtient une rémunération plus grande que le capital, ce qui doit en définitive faire absorber le capital par le travail [10].

Certes, « il [est] clair pour tout le monde que l’association agricole doublerait les produits et par conséquent le bien-être du capitaliste et du travailleur » ; mais cette disparition future de la propriété individuelle est « la plus grande objection que l’on puisse faire contre l’association agricole » [11].

Valserres collabore aux Annales des haras et de l’agriculture, qu’il dirige pendant deux ans [12]. Il y fait notamment paraître en 1846 des articles sur l’irrigation et sur les inondations provoquées par les crues de plusieurs rivières ; il insiste alors sur les causes : « le déboisement des montagnes » et la surcharge d’animaux qui détruisent l’herbe et facilitent la formation de torrents ; les remèdes sont donc « le reboisement et le regazonnement des montagnes » ; « le seul moyen de mettre un terme aux inondations consiste dans le reboisement et la soumission des montagnes pastorales au régime forestier » [13] ; le même organe accueille une série d’articles intitulée « Catéchisme du droit rural à l’usage des campagnes ». Valserres publie en 1848 des Dialogues populaires sur le droit rural dans lesquels il s’efforce de diffuser sous une forme simplifiée les notions juridiques intéressant le monde rural.

Sous la Deuxième République

On ignore si Valserres a établi des liens avec les dirigeants de l’École sociétaire avant 1848. Mais sous la Deuxième République, La Démocratie pacifique signale ses activités et ses publications. Elle mentionne par exemple en mars 1848 sa candidature à l’Assemblée constituante dans le département des Hautes-Alpes (il n’est pas élu) [14]. À partir de novembre 1848, il dispense chaque lundi soir « un cours public d’économie rurale, dans les salons de l’Union des sciences, des lettres et des arts », passage Jouffroy (le cours continue en 1849 dans le cadre de l’Institut polytechnique », toujours au passage Jouffroy) [15].

En 1849, Valserres postule à une chaire d’économie et de législation rurale à l’Institut agronomique de Versailles. Mais il comprend que cette chaire est « promise d’avance à un candidat choisi par l’administration de l’agriculture » ; il se désiste et publie une brochure dans laquelle il dénonce un système de recrutement qui n’est qu’une « affaire de coterie » [16]. La Démocratie pacifique en reproduit un large extrait [17].

Ses convictions fouriéristes sont exprimées de façon beaucoup plus nette dans un article publié en 1851 dans La Démocratie pacifique alors hebdomadaire [18]. Il s’intéresse à la situation « des classes laborieuses » et aux « moyens d’amélioration proposés par la science sociale ». Il manifeste désormais son adhésion aux solutions fouriéristes, au moins dans le domaine des échanges. Il reprend la critique de Fourier sur « l’organisation vicieuse du commerce », ce « commerce parasite avec ses disettes factices, des fraudes éhontées, des bénéfices illégitimes » qui, « en triplant le prix des denrées […] restreint la consommation, et, avec la production, tarit la source du travail ». Valserres adopte les solutions fouriéristes : la création d’un comptoir dans chaque commune, la création de boucheries et de boulangeries sociétaires… ; « telle est la solution du problème depuis longtemps indiquée par Charles Fourier et l’École phalanstérienne et dont plusieurs essais ont déjà réussi » [19].

Par ailleurs, sous la Deuxième République, Valserres participe à la fondation à la fondation d’un mensuel, Les Alpes. Revue agricole, administrative et politique, qui ne connaît que cinq numéros, de janvier à mai 1850. Il devient secrétaire de la Société protectrice des animaux [20].

Progrès agricoles et Union du Sig

Valserres est admis en 1854 au sein de la Société d’économie politique [21]. En 1856, il prévoit la parution d’un « journal spécial d’agriculture » qui s’occuperait « d’économie sociale », mais il n’obtient pas l’autorisation du ministère de l’Intérieur [22]. Il collabore en 1860 à une éphémère publication, La Nouvelle, à laquelle contribue aussi le fouriériste Jules Rouby.

Il est reconnu sous le Second Empire comme un spécialiste du monde rural et des questions agricoles. Il est régulièrement invité dans les concours agricoles, sur lesquels il rédige de substantiels rapports [23]. Parallèlement, il semble s’éloigner du mouvement fouriériste. Il ne participe pas à la réorganisation de l’École sociétaire dans la seconde moitié des années 1860, autour de la Librairie des sciences sociales. On ne le lit pas dans La Science sociale (1867-1870), ni dans le Bulletin du mouvement social (1872-1880).

Cependant, il collabore autour de 1880 à La Finance nouvelle, une feuille boursière dirigée par Joseph Spiess, un sympathisant fouriériste, qui accueille aussi dans ses colonnes Charles Sauvestre et Charles Pellarin. Valserres y publie des articles sur le crédit agricole [24].

Il utilise également les colonnes de La Finance nouvelle pour intervenir dans les débats concernant l’avenir de l’Union agricole d’Afrique, une société fondée en 1845-1846 par des fouriéristes lyonnais pour exploiter un domaine agricole à Saint-Denis-du-Sig, dans la région d’Oran. À la fin des années 1870, l’Union agricole est en grande difficulté, et le conseil d’administration, dont fait partie Victor Considerant, est à la fois très divisé et très contesté. Les critiques les plus violentes proviennent de Jean Griess-Traut, que soutient Jacques Valserres, nouvel actionnaire de la société (il n’apparaît pas sur la liste des actionnaires de 1869 ; mais il est sur la suivante qui date de 1880) [25]. La Finance nouvelle publie plusieurs articles sur l’Union du Sig, appelant ses actionnaires à se mobiliser pour les assemblées générales des actionnaires, en en présentant les enjeux [26]. Il assiste lui-même aux assemblées générales des actionnaires en octobre 1879 et de février 1880 [27]. Finalement, à l’issue de débats houleux, le projet d’association du capital et du travail disparaît ; le domaine est loué à une société dirigée par Henri Couturier afin de former un « orphelinat agricole ». Valserres présente ce projet de façon très favorable dans La Finance nouvelle [28].

Dans ses dernières années, il demeure à Courbevoie. Il décède en 1882 lors d’un séjour à Albi. Les brefs articles alors parus dans Le Temps et le Journal des débats le présentent comme maire de la commune de Valserres, le confondant ainsi avec son frère cadet, Jules, effectivement premier magistrat de cette commune de 1882 à 1884, mais qui décède en 1892 [29].