Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Wild, Hortense (parfois Henriette)
Article mis en ligne le 16 juin 2017
dernière modification le 26 juin 2022

par Desmars, Bernard

Née à Montbéliard (Doubs), le 24 janvier 1814. Décédée le 17 juin 1896 à Châtillon (Seine, auj. Hauts-de-Seine). Professeur de piano et compositrice. Abonnée à divers organes fouriéristes. Collaboratrice de la Revue d’éducation nouvelle et de L’Économiste français. Actionnaire de l’Union agricole d’Afrique.

Hortense Wild est la fille d’un négociant de Montbéliard [1]. À la fin des années 1830, au plus tard, elle est installée à Paris, ainsi que son frère, Charles Wild, élève à l’École centrale des arts et métiers. Elle est déjà en relation avec l’École sociétaire.

Fouriériste, musicienne et féministe

En 1839, Victor Considerant se présente aux élections législatives à Montbéliard. Hortense Wild est alors sollicitée par le candidat et ses amis pour l’aider dans sa campagne :

Monsieur Gagneur me demande en votre nom quelques lettres de recommandation pour les personnes à même de vous être utile en ces circonstances. Mon dévouement à la cause que nous servons, par là même à votre personne comme en étant un des plus dignes propagateurs, doit vous être bien connue. Aussi ferai-je un effort pour vous servir de tout mon pouvoir.

À vrai dire, sa réponse n’est guère encourageante sur les chances du candidat fouriériste à Montbéliard,

la cause phalanstérienne y comptant peu d’amis et malheureusement n’y étant guère connue que par les malignes interprétations que lui ont données plusieurs journaux si bien d’accord avec le mauvais esprit général qui accueillit la science sociale à son apparition dans le monde. Chaque fois que dans mon pays, je voulais défendre notre croyance, je ne trouvais qu’un esprit de dédain ou de moquerie à tel point même que je vis bientôt que pour moi il n’y avait que du ridicule à retirer, cela sans aucun profit pour notre but. [….]

Je vous ai aussi trop souvent cité, pour que votre nom, proclamé par moi surtout, n’eut pas toute sa valeur phalanstérienne.

Aussi renonce-t-elle procurer des recommandations « plus nuisibles qu’utiles » à Considerant. Elle lui demande même de ne pas mentionner son nom et de ne pas dire qu’il la connaît. Elle lui prodigue cependant quelques conseils :

N’épargnez pas vos pas et vos paroles, visitez beaucoup, causez familièrement, quant au titre de phalanstérien, voyez ! les ténèbres sont peut-être un peu moins obscures ! nous avons plusieurs hommes d’esprit, de bonnes têtes qu’il vous faudra chercher à voir.

Elle lui suggère d’obtenir des recommandations des Japy, qui, même non électeurs à Montbéliard, y ont des parents et de l’influence. Elle lui propose quelques autres noms, dont « Peugeot frères, industriels ». Quant à son propre père, elle craint la « prévention qu’il a pour les phalanstériens, qu’il ne connaît du reste nullement » ; mais il peut néanmoins être utile pour les renseignements qu’il peut fournir et les rencontres qu’il peut organiser, notamment avec le sous-préfet [2]. Finalement, la candidature de Considerant est un échec, le candidat sortant l’emportant facilement [3].

Hortense Wild est abonnée à La Phalange [4]. En 1841, elle communique ses exemplaires à « une dame norvégienne », à qui elle a aussi prêté Destinée sociale de Considerant. Cette amie souhaite diffuser la théorie sociétaire dans son pays et indique, par l’entremise d’Hortense Wild, des adresses de personnes (des journalistes surtout) et de cercles, à Christiana et à Copenhague, afin qu’y soient envoyés des « journaux et brochures propres à faire connaître [le] but et [les] moyens d’exécution » de l’École sociétaire [5].

Hortense Wild donne des leçons de piano et compose des œuvres musicales, les unes religieuses (psaumes, cantiques, prières), les autres profanes (notamment des valses et des rondes). Allyre Bureau, dans La Phalange,

recommande […] aux maîtresses de pension et aux mères de nombreuse famille une charmante collection de quatre pièces en chœur pour trois voix de femmes, composées par Mlle Hortense Wild sur des paroles de Mlle Virginie Orsini. C’est une œuvre pleine de grâce et de bon goût. Les chants en sont simples, coulants et distingués ; l’harmonie en est pure et correcte. La Prière du soir surtout nous a paru pleine de suavité. Les enfants, en même temps qu’ils chanteront de jolies choses, se formeront le goût et l’oreille à l’harmonie et à la mélodie. Il était impossible d’écrire pour un semblable usage, quelque chose de plus convenable. Nous souhaitons à cette œuvre tout le succès qu’elle mérite. Il serait à désirer que l’usage de chanter des morceaux d’ensemble s’introduisit en France dans les familles [6].

Sous la Seconde République, Hortense Wild participe à la rédaction de L’Opinion des femmes, aux côtés de Jeanne Deroin ; elle signe ses articles « Henriette…, artiste » ou « Henriette (artiste) » [7]. Elle collabore aussi à la Revue de l’éducation nouvelle (1848-1854), dirigée par le fouriériste Jules Delbruck, en composant ou en arrangeant des musiques pour des chansons destinées aux enfants. Elle est en relation avec les époux Jean Griess et Virginie Traut, deux fouriéristes alsaciens connus après leur mariage sous le nom de Griess-Traut et installés en Algérie [8]. En 1849, elle publie un article dans La Démocratie pacifique en signant « Henriette…, artiste » ; elle y répond avec vigueur à un article de Proudhon très hostile à la participation des femmes à la vie politique ; elle y écrit : « LA PROPRIETE, C’EST LE VIOL » [9].

Religion et « amour pur »

Hortense Wild est issue d’une famille protestante. À une date indéterminée, elle part aux États-Unis ; selon ce que rapporte une de ses amies, elle s’est alors « affiliée aux Shakers » et séjourne quelque temps dans l’une de leurs communautés, le « Nouveau-Liban », dans l’État de New York :

Les frères et les sœurs pratiquaient l’amour pur et ne se recrutaient qu’au dehors. Ils vivaient en commune et couchaient dans des cellules voisines, sans serrure. Tout ceci inquiétait un peu la jeune Française. Mlle Wild reprochait aussi, aux frères et aux sœurs, l’excès des préoccupations matérielles, leur goût dominant pour les petites industries et pour le commerce [10].

D’après un autre témoignage,

elle ne put s’enfermer dans ce cercle d’humbles occupations agricoles et mécaniques où elle était fort maladroite […] ; bref, elle leur dit adieu, mais resta profondément édifiée par ce qu’elle avait vu [11].

Après son retour en France, elle se convertit au catholicisme [12].

À compter des années 1850, elle combat en faveur d’un amour spiritualisé. Elle est en décembre 1852 à l’origine de l’Association d’amour pur ou amour non sexuel, pour l’égalité des êtres dans l’amour. Le seul et vrai amour, écrit-elle, ne passe pas par les sens. Il est « non point l’union des sexes, mais l’union des âmes. » En 1854 – année de la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception –, elle réagit anonymement dans Sur la Question d’Amour au point de vue socialiste et chrétien à l’ouvrage publié par le fouriériste Victor Hennequin en 1847 sur Les Amours au phalanstère [13]. Elle se dit déçue par un livre dont l’auteur s’est détourné du vrai socialisme, celui de Saint Simon, de Fourier, d’Enfantin. Mais, ajoute-t-elle, si la pensée des grands inventeurs est digne d’une immense admiration, il convient néanmoins d’en retrancher la dimension sensuelle et sexuelle. L’amour pur non sensuel est celui de Jésus et il se caractérise par la « liberté » et par le « mariage des âmes ». Il garantit de deux écueils : l’« amour conjugal sexuel » – celui de Moïse – est la porte ouverte à l’antagonisme des sexes et à l’oppression des femmes ; les « amours sexuels multiples » – ceux de Mahomet – conduisent à l’« anarchie » et à la « promiscuité ». Elle dénonce de la sorte à la fois un amour-caserne et un amour-lupanar. Elle défend cette cause dans plusieurs ouvrages, au moins jusqu’en 1880.

Amitiés fouriéristes

Elle reste liée au mouvement fouriériste sous le Second Empire. Elle figure sur un répertoire d’adresses vraisemblablement élaboré dans les années 1860 et comprenant les noms des membres et des sympathisants de l’École sociétaire [14]. Elle est en relation amicale avec Jules Delbruck et Eugène Stourm [15], ainsi qu’avec Jean Macé ; elle compose une Ronde du Petit-Château en hommage « à l’institution de Mlle Verenet », c’est-à-dire le pensionnat de Beblenheim (Haut-Rhin) où est installé Macé [16]. Elle est une proche du couple formé par Stéphanie Maas, également professeur de piano [17], et Jules Duval, fondateur de L’Économiste français, à la réalisation duquel elle participe vraisemblablement jusqu’en 1866 : elle figure dans la liste des collaborateurs du périodique, dans la partie « bureau de la rédaction » ou « rédaction interne », avec Stéphanie Maas et un nommé Jean Moysset jusqu’en 1865 ; l’année suivante, la liste des collaborateurs extérieurs inclut les initiales « H. W. » qui la désignent très probablement. Après la mort de Jules Duval (septembre 1870), elle assiste Stéphanie Maas, souvent malade ; elle hérite d’une partie de ses biens, en 1878 [18] ; c’est sans doute ainsi qu’elle reçoit des actions de l’Union agricole d’Afrique (elle est absente de la liste des actionnaires publiée en 1869, mais présente sur la suivante, en 1880) [19].

Dans les années 1880, elle continue à faire du piano et se met au service d’œuvres charitables. L’une de ses amies en dresse le portrait suivant :

Mlle Hortense Wild semblait un petit personnage de conte enfantin égaré dans les sentiers de la vie. Quand nous la connûmes, en 1885, elle avait jeté l’ancre dans les nuages, après avoir fait le tour de l’idéologie la plus fantaisiste. Elle prophétisait l’avènement prochain de l’Amour pur qui devait simplifier le cours normal de l’humanité. […]

L’étrange est que ce bagage révolutionnaire encombré d’annexes fumeuses, était allé se loger dans un tout petit corps au visage d’enfant rose et poupin, avec de grands yeux bleus, tendres et charitable, qui lui permettaient de tout dire, avec la pureté de la conviction, sans faire scandale. […]

Fort jolie, un peu étrange, de manières et d’éducation distinguées, son mérite et son art lui avaient ouvert les portes les mieux gardées de l’aristocratie. Les Noailles, les Mouchys la recevaient familièrement [20].

Elle participe au congrès féministe de 1889, où elle présente les biographies de Jeanne Deroin et de Julie Daubié. Elle est abonnée à La Rénovation, l’organe fouriériste qui paraît à partir de 1888 [21].

Elle passe ses dernières années dans une maison de retraite à Châtillon [22] Son seul ouvrage théorique sur la musique paraît après sa mort ; le lecteur peut être déconcerté par « quelques envolées d’un mysticisme inattendu », avertit le marquis d’Ivry, auteur de la préface, qui présente ainsi l’auteure :

Esprit original, toujours en recherche et doublé d’un grand cœur, Hortense Wild a écrit également de nombreuses brochures sur diverses questions religieuses, philosophiques, humanitaires [23].