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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Versigny, (Jean-Baptiste) Victor
Article mis en ligne le 31 mars 2017

par Desmars, Bernard

Né le 2 octobre 1819 à Gray (Haute-Saône), décédé le 28 novembre 1872 à Paris. Avocat, représentant de la Haute-Saône à l’Assemblée législative (mai 1849-décembre 1851), membre de la commission provisoire du Conseil d’État en 1870-1871. Orateur fouriériste à Gray.

Fils d’un avoué, frère d’Agapite Versigny et cousin de l’officier Albert Armand Versigny, ces deux derniers également fouriéristes, Victor fait ses études secondaires au collège de Vesoul ; puis il effectue un brillant parcours en droit à Dijon [1] ; sa thèse, soutenue en 1841, lui vaut le premier prix de doctorat de la faculté de droit de Dijon [2]. Il s’inscrit ensuite au barreau de Besançon [3].

Aux lendemains de Février 1848, Victor Versigny préside à Gray le « Club indépendant », où, avec son frère Agapite, il intervient « en faveur de la doctrine fouriériste et du travail attrayant » [4]. Il se fait élire représentant de la Haute-Saône à l’Assemblée législative en mai 1849. La Démocratie pacifique signale ce succès ainsi que « l’ovation dont a été l’objet notre ami Victor Versigny » lors de son arrivée à Gray après le scrutin [5].

Député de la Montagne

Victor Versigny siège à gauche de l’Assemblée, au sein de la Montagne. Il participe le 12 juin 1849 à la réunion qui se déroule au siège de La Démocratie pacifique pour préparer la manifestation organisée le lendemain ; il se prononce pour une protestation pacifique contre la politique du gouvernement, excluant tout aspect insurrectionnel. Lors du procès qui a lieu devant la Haute Cour de justice à Versailles, il déclare qu’il n’y a pas eu de complot insurrectionnel de la part des organisateurs de la manifestation, ce qui n’empêche pas la condamnation de plusieurs participants à la journée du 13 juin, dont, par contumace, Victor Considerant [6].

Tout au long de son mandat, Victor Versigny est un représentant très actif, qui prend souvent la parole. Il intervient notamment sur les questions de la banque et du crédit, et sur les avantages concédés aux actionnaires des compagnies de chemin de fer dont il dénonce les comportements spéculatifs. Il vote contre la loi Falloux (1850), qui favorise l’enseignement confessionnel, et contre la loi restreignant le corps électoral (1850). Il se prononce aussi pour une importante réforme fiscale, « pour la suppression totale de l’armée » ; lors d’un débat sur les associations ouvrières, il critique les obstacles établis par le pouvoir pour entraver leur constitution et leur développement [7]. Selon Victor Hugo, qui siège aussi à l’Assemblée, Victor Versigny est un « jeune homme […] tourné vers les études sociales et économiques » [8].

Si Versigny est très actif, son éloquence suscite des appréciations divergentes. Pour le Journal des débats, quotidien très hostile aux représentants de la Montagne,

M. Versigny serait, nous n’en doutons pas, un des bons orateurs de la gauche, mais il lui manque une qualité essentielle, la voix [9].

Quelques années plus tard, Le Rappel, qui lui est beaucoup plus favorable le présente comme

un des jeunes représentants républicains de 48 qui, […] promettaient des orateurs de grande éloquence aux assemblées françaises lorsque le coup d’État renversa la tribune [10].

Les positions adoptées par Versigny lui valent la surveillance des autorités et la suspicion de la presse conservatrice : des journaux signalent en août 1850 que lors de perquisitions effectuées en Haute-Marne, « on aurait saisi chez les rouges une vingtaine de pièces » comprenant « une correspondance avec une société secrète », des lettres de socialistes de Chaumont et du représentant Versigny. En réalité, le courrier de Versigny est une simple réponse adressée à une pétition d’habitants haut-marnais concernant l’impôt sur les boissons [11]. Ses séjours en Haute-Saône sont observés par la police et la gendarmerie qui relèvent les contacts pris avec des « démagogues » ou « socialistes » [12]. Le préfet de la Haute-Saône considère à l’automne 1850 que « l’existence d’un complot socialiste dans l’Est paraît de jour en jour plus évidente » ; aussi, quand Versigny sort de son bureau en lui lançant : « M. le préfet, vous aurez à supporter tôt ou tard la responsabilité des ordres que vous donnez contre nous », il y voit une allusion à un prochain soulèvement [13].

Exil en Suisse et retour en France

Le 2 décembre 1851 et les jours suivants, Victor Versigny fait partie des députés qui s’efforcent d’organiser la résistance au coup d’État. Alerté vers 7 heures du matin de l’affichage de la proclamation de Louis-Napoléon Bonaparte annonçant la dissolution de l’Assemblée et la préparation d’une nouvelle constitution, il va lui-même prévenir Victor Hugo et d’autres députés des événements en cours. Un comité, composé notamment de Victor Hugo, de Victor Schoelcher et de Paul de Flotte est constitué ; Victor Versigny remplit les fonctions de secrétaire. Il va également au contact de ceux qui ont érigé des barricades. Puis, quand la résistance est défaite, il se cache, se procure un passeport au nom de Morin et part pour Bruxelles, où il arrive le 14 décembre [14]. Les autorités, par un décret du 9 janvier 1852 prononcent son éloignement du territoire français.

En Belgique, les conditions matérielles sont d’abord difficiles, comme le rappelle l’un de ses compagnons, Pascal Duprat : « le pain de l’exil est parfois difficile à gagner. Un soir, on dîne de quelques marrons sur le poêle de Victor Versigny, arrosés d’un beau verre d’eau » [15]. Un petit groupe d’exilés se forme. L’épouse d’Edgar Quinet se souvient quelques années plus tard de « notre éloquent Versigny » :

Pendant son séjour à Bruxelles, cet homme d’un rare talent et d’un grand cœur entreprit de créer un enseignement libre du droit. Il fit en manière d’essai une première leçon, qui a laissé un souvenir ineffaçable chez tous ceux qui l’ont entendue. Ce qui nous surprend encore aujourd’hui après tant d’autres expériences, c’est qu’une parole si droite, si élevée, si irréprochable, ait pu être interdite. Elle le fut, et dès le lendemain. […] Le cours de M. Versigny, aussitôt fermé qu’ouvert, est un des signes de ce temps-là [16].

Rapidement, Victor Versigny quitte la Belgique pour la Suisse. En novembre 1853, il est autorisé à séjourner brièvement en France pour épouser Jeanne Babeuf, fille de François Noël Babeuf, sous-préfet de Riom de juillet 1848 à mars 1849, et arrière-petite-fille du révolutionnaire Gracchus Babeuf. Le couple vit à Neuchâtel. Victor Versigny est, selon les sources, administrateur ou secrétaire général de la Compagnie de chemin de fer franco-suisse, qui construit la ligne reliant Neuchâtel à Pontarlier. Il est également à la tête de la rédaction de L’Indépendant de Neuchâtel, journal dans lequel il publie notamment un texte d’un autre proscrit proche du mouvement fouriériste, Max Buchon [17].

Il reste en relation avec certains dirigeants de l’École sociétaire. Il héberge Victor Considerant qui effectue un séjour en Suisse en novembre 1854, peu avant son départ pour le Texas [18]. Vers 1857, François Cantagrel, de retour des États-Unis, s’établit à Neuchâtel ; en 1858, il succède à Victor Versigny à la direction de L’Indépendant. Rentré en France après l’amnistie de 1859, il reste en relation épistolaire avec Versigny, qu’il sollicite par exemple pour des conseils juridiques en faveur de Jean-Baptiste Godin [19].

Versigny rentre en France en 1864 et reprend ses activités d’avocat. Il ne semble pas participer aux efforts de réorganisation de l’École sociétaire. Le gouvernement de la Défense nationale l’appelle en septembre 1870 pour faire partie de la commission provisoire qui remplace le Conseil d’État. Mais quand elle nomme les membres du nouveau Conseil d’Etat, en 1872, la majorité conservatrice de l’Assemblée nationale l’en écarte. Il tombe gravement malade en mars 1872. Ses obsèques, en novembre suivant, sont civiles.