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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Pierre (dite Potonié-Pierre), Eugénie (Guillemette Sophie Jeanne)
Article mis en ligne le 31 mai 2016
dernière modification le 26 juin 2022

par Desmars, Bernard

Née le 5 novembre 1844, à Lorient (Morbihan), décédée le 12 juin 1898 à Fontenay-sous-Bois (Seine, aujourd’hui Val-de-Marne). Fille du phalanstérien Guillaume Pierre et elle-même se disant fouriériste dans sa jeunesse. Actionnaire de l’Union agricole d’Afrique. Militante pacifiste, féministe et socialiste. Auteure, seule ou avec son compagnon Edmond Potonié, de nombreux articles et ouvrages.

Eugénie Pierre est la fille de Guillaume Pierre, professeur de lettres et de philosophie et militant phalanstérien très actif à Lorient et à Quimper sous la Seconde République. Sans doute est-ce dans le cadre familial qu’elle découvre les idées de Fourier, les publications phalanstériennes

Eugénie Potonié-Pierre (Le Monde illustré, 18 avril 1896, sur Gallica).

étant lues par toute la famille [1]. En tout cas, lorsqu’elle rédige une lettre à la demande de son père, souffrant et incapable d’écrire, pour le réabonner au Bulletin du mouvement social, elle ajoute quelques mots pour indiquer sa propre adhésion aux idées fouriéristes :

c’est du plus grand cœur, monsieur, que je partage les hautes espérances qu’il [son père] fonde sur l’avenir et l’influence de ce journal. […] Servir l’humanité, c’est à mon avis la seule gloire qui soit enviable, et bienheureux les artisans d’un tel travail [2].

Vers le militantisme féministe

En 1875, au moment où elle écrit cette lettre, elle est encore à Lorient. On la retrouve quelques années plus tard à Paris. Elle assiste le 7 avril 1879 au banquet phalanstérien organisé dans la capitale pour célébrer l’anniversaire de la naissance de Fourier [3]. L’année suivante, elle figure sur la liste des actionnaires de l’Union agricole d’Afrique ; sans doute son père – qui n’est plus présent sur cette liste – lui a-t-il cédé ses parts [4].

Elle semble avoir été d’abord institutrice [5]. Mais assez rapidement, elle se consacre à l’écriture et au militantisme. Elle vit avec le publiciste et militant pacifiste Edmond Potonié (1829-1902) ; lui-même est marié avec une Allemande, mais séparé d’elle depuis 1867, quand elle part pour Berlin avec leurs deux enfants. Eugénie et Edmond vivent donc ensemble, à Fontenay-sous-Bois, et associent leurs patronymes ; ils se présentent lors des conférences ou dans leurs écrits sous le nom de d’Eugénie Potonié-Pierre ou d’Edmond Potonié-Pierre. Dans certains cas, et en particulier pour les textes rédigés en commun, ils signent simplement EPP ou Potonié-Pierre.

Les activités militantes d’Eugénie Potonié-Pierre concernent principalement le pacifisme, le socialisme (elle écrit dans La Revue socialiste et dans L’Almanach de la Question sociale, d’Argyriades ; elle assiste en 1893 au congrès national du parti Parti ouvrier de Jules Guesde [6]) et surtout le féminisme, combats qu’elle partage avec son compagnon [7] et où elle rencontre la fouriériste, pacifiste et féministe Virginie Griess-Traut. En 1878, Eugénie Pierre est secrétaire du congrès des femmes à Paris ; elle participe à l’organisation des congrès féministes internationaux de 1892 et 1896 [8] et elle intervient lors du congrès féministe de Bruxelles en 1897 [9]. Elle collabore à des journaux (La Citoyenne, d’Hubertine Auclert ; le Journal des femmes de Maria Martin) et contribue à la fondation de La Solidarité des femmes (1891) dont elle est la secrétaire générale. Ce groupe féministe, de composition mixte, mais où les statuts prévoient une secrétaire et une trésorière (il n’y a pas de président(e) dans cette association) et des séances présidées par une femme [10], promeut une lutte pacifique en faveur de « l’égalité des sexes et de l’émancipation sociale » [11]. La Solidarité des femmes, soulignent Laurence Klejman et Florence Rochefort, « apporte un point de vue féministe sur des questions d’ordre général et aborde la condition féminine sous un angle souvent original » [12].

Eugénie Pierre revendique le droit de vote pour les femmes, tente de se faire inscrire sur les listes électorales et se présente elle-même lors de plusieurs scrutins [13]. Elle demande aussi la liberté du travail pour les femmes ainsi que leur admission dans les jurys d’assises. Elle intervient également sur les tenues vestimentaires – elle souhaite développer l’usage des jupes-culottes – et critique « l’humiliante galanterie », qualifiée « d’estampille du servage » ; elle est favorable à la formation d’une langue universelle « qui unifiera les grandes idées et hâtera les grands progrès. Pour que le pensée n’ait pas de frontières pour que l’humanité ne soit plus partagée en lopins séparés par des murs imaginaires » [14].

Tout en faisant partie des « personnalités atypiques, relativement excentriques et marginales (socialement et politiquement) » du mouvement féministe [15] – où elle occupe une place importante par ses activités de propagande – elle s’efforce de rapprocher les différents groupes au sein de la Fédération française des sociétés féministes [16]. Elle fonde également l’Union internationale des femmes pour la paix [17].

Propager les idées progressistes pour aller vers l’harmonie

Elle accorde de façon générale une grande confiance à l’écrit pour faire évoluer les mentalités et les comportements : « toutes les grandes et belles causes n’ont triomphé que par la propagande ; l’évolution générale des esprits peut seule amener la révolution dans les masses et le meilleur outil d’évolution, ce sont ces petites lettres d’imprimerie qui étincellent aux yeux de l’intelligence et bouleversent parfois une conscience et une vie » [18]. Aussi, publie-t-elle, seule ou avec Edmond Potonié-Pierre, de nombreux articles et brochures, pacifistes, socialistes et féministes, sans que l’on sache d’ailleurs toujours très bien ce qui est dû à Eugénie et à son compagnon.

Il en est ainsi d’un roman, Un peu plus tard, dont le début se situe aux alentours de 1880, mais dont le héros, Urbain, se retrouve à son réveil transporté dans les années 1960, où il peut visiter la communauté des Utopiens. Ceux-ci « sont essentiellement éclectiques ; ils ont pris un peu partout ; ils n’ont dédaigné l’étude d’aucune école socialiste […] Ils ne se croient pas infaillibles ; ils n’ont pas prétendu créer une société parfaite, mais un groupe essentiellement perfectible et constamment réformable » [19].

On peut aussi retrouver l’influence des socialistes du premier XIXe siècle dans le projet (cette fois signé par la seule Eugénie, mais qui correspond aussi aux idées d’Edmond) de « phalanges internationales d’harmonie intellectuelle ; autrement dit des centres de recherche, des foyers d’idées à recueillir et à répandre, de creusets d’aspirations à tenter de réaliser » ; les idées progressistes pourraient ainsi circuler, et être discutées, au sein d’une fédération harmonienne ; elles pourraient aussi être diffusées à partir de chaque phalange dans l’opinion publique grâce à la presse, afin d’aller vers « l’harmonie future entre les races, entre les sexes et les intérêts » [20]. Elle s’intéresse également à l’au-delà, aux formes de la vie future et aux possibilités de communication avec les individus vivant sur la terre.

Querelles après sa mort

Eugénie Potonié-Pierre, d’abord atteinte d’une hémiplégie, décède d’une hémorragie cérébrale. Selon Le Temps,

possédant une sérieuse érudition, douée d’un certain talent de parole, Mme Potonié-Pierre fut une des créatrices du mouvement féministe en France [21].

Le journal féministe La Fronde fait le portrait de cette militante particulièrement active :

Cette vaillante femme n’avait pas de rivale au point de vue de l’ardeur infatigable qu’elle mettait à défendre le principe de l’affranchissement de la femme. […]

La force de ses convictions semblait grandir à chaque obstacle. Son âme enthousiaste se dépensait sans compter. Elle a payé de sa vie ce dévouement sans bornes. […] Elle plaida la cause des petits et des humbles, elle sapa hardiment les préjugés, enfin elle rêva la paix universelle.

On lui a souvent reproché son internationalisme fanatique qui lui aliénait quelques cœurs pourtant très dévoués. Mais ce sentiment chez elle n’était que la résultante d’un amour excessif de l’humanité.

L’idéalisme de Mme Eugénie Potonié-Pierre n’était pas toujours suffisamment pondéré ; cette apôtre, bien qu’éloquente et persuasive, n’avait cependant pas le sens droit, la logique implacable de Maria Deraismes, mais sa parfaite honnêteté, son désintéressement absolu, sa sincérité hardie, son courage à affronter la colère des antiféministes commandaient l’estime et l’admiration. […] la certitude d’être seule de son avis ne la faisait ni faiblir ni reculer [22].

Conformément à ses vœux, ses obsèques sont civiles et elle doit être incinérée au Père-Lachaise. Mais le 14 juin, au début d’après-midi, quand doit se dérouler la cérémonie,

le corps tardait à arriver… On l’attendit vainement pendant deux heures. Enfin, voici, tout effaré, le citoyen Potonié-Pierre.

D’une voix tremblante, il explique :

« Le parquet refuse la levée du corps. Pourquoi ? Parce que la doctoresse Pierre, sœur de la morte – aussi cléricale que cupide – pour se venger de ce qu’Eugénie a laissé son petit avoir à celui qu’elle a tant aimé – mais d’un amour illégitime ! – vient de dénoncer Potonié au procureur, comme ayant empoisonné sa compagne  ! ».

Cette nouvelle, si inattendue, a été accueillie par des exclamations indignées, et toutes les mains se sont tendues aussitôt vers le vieillard si cruellement éprouvé.

Les discours prévus sont cependant prononcés, principalement par des dirigeantes d’organisations féministes. Ils sont complétés par une « protestation contre l’accusation, plus stupide encore qu’infâme, portée contre le dévoué compagnon d’Eugénie Potonié-Pierre » [23]. Finalement, l’affaire est classée et une nouvelle cérémonie a lieu le 17 juin, avec de nouveaux discours. Paule Minck réclame l’attribution de son nom à une rue de Paris [24]. Cette demande est renouvelée par des groupes féministes l’année suivante [25]. En vain.