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96-98
Laurent Colantonio et Caroline Fayolle (dir.), Genre et utopie. Avec Michèle Riot-Sarcey, Saint-Denis, Presses universitaires de Vincennes, 2014.
Article mis en ligne le 1er février 2016

par Manfredonia, Gaetano

Ce volume de « mélanges », coordonné par Laurent Colantonio et Caroline Fayolle, réunit des textes de collègues et d’anciens étudiants de Michèle Riot-Sarcey. Il se veut un « hommage amical et scientifique à ses travaux » mais aussi un prétexte pour témoigner « de la richesse et de la diversité » de son « cheminement intellectuel durant toute sa carrière » ainsi qu’une réflexion sur sa démarche d’historienne.
Comme le veut la loi du genre, les contributions des dix-huit auteur(e)s qui ont accepté de s’associer à cette publication portent, chacune à sa manière, sur quelques-unes des principales problématiques abordées par Riot-Sarcey dans ses recherches. Parmi elles, quatre thèmes de réflexion ont été retenus : les relations entre genre et féminisme ; la question des utopies et des discontinuités en histoire ; les interrogations sur la signification et la portée des concepts de révolution, de république et de démocratie ; les différentes modalités de l’engagement de l’historien « dans son propre présent ».
Si la valeur des textes proposés est forcément inégale, la qualité d’ensemble des contributions est indiscutable et d’une richesse certaine tant pour le chercheur que pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées et des mouvements sociaux. Citons notamment (liste non exhaustive) les apports d’Eric Aunoble sur les femmes communistes pendant la guerre civile en Ukraine (1918-1919), de Florent Perrier et René Schérer sur les conceptions de Fourier en matière d’enfance et d’éducation, de Jacques Rougerie sur les différentes manières de concevoir la République démocratique et sociale développées par les courants socialistes de 1848 à 1871 – de l’associationnisme ouvrier en passant par le communalisme et le gouvernement direct prôné entre autres par Rittinghausen et Considerant – et de Christophe Charle sur le divorce entre les élites politiques et l’enseignement supérieur à partir de 1968.
Contrairement à d’autres publications similaires, ce livre ne consiste pas simplement en une réunion d’historiens et de sociologues autour d’une problématique commune. Son objectif est bien plus ambitieux puisque, comme le soulignent ses coordinateurs, il « propose, non seulement une lecture singulière du XIXe siècle, mais aussi une réflexion sur l’écriture de l’histoire conçue dans une relation nécessaire aux enjeux du présent » (p. 9). Cette manière « engagée » de concevoir le travail de l’historien s’inscrit délibérément dans le sillage de la méthodologie utilisée par Riot-Sarcey dans ses travaux. Comme elle l’explique dans l’entretien préparé et mené par Colantonio qui clôt l’ouvrage, son intérêt pour « les marges de l’histoire » l’a portée à réintégrer l’utopie, conçue comme une critique radicale du réel, dans la temporalité historique avec comme objectif avoué de faire en sorte que l’on accorde désormais à l’utopie la place dans l’histoire qui lui a toujours été déniée jusqu’ici.
Un discours analogue peut être tenu en ce qui concerne les notions de continuité-discontinuité historique auxquelles l’auteure est très attachée. Dans le prolongement des travaux de Walter Benjamin, le réel historique tel que le conçoit Riot-Sarcey se présente comme un enchevêtrement d’éléments de continuité et de discontinuité qui doit conduire l’historien à tenter de « réactualiser le passé, en récupérant des expériences enfouies sous les strates de l’histoire reconstituée avec les déchets du passé ensevelis sous l’effet d’un rapport de forces […] » (p. 381-382). Derrière les continuités apparentes, qui sont celles réaffirmées par toutes les autorités « censées interpréter et dire l’histoire », se cacherait en fait une « continuité souterraine », souvent invisible et/ou occultée, dont la re-découverte serait « l’objet privilégié » du travail des historiens. Cette démarche est considérée comme d’autant plus nécessaire que pour Riot-Sarcey cette histoire parcellaire « recouvre l’immensité des possibles qui, subrepticement, toujours d’une manière inattendue, resurgissent » (p. 383). Tel est le cas, en particulier, selon elle, des manifestations du mouvement ouvrier qui, en dépit de ses échecs voire de ses faillites, doivent pousser les historiens à essayer de retrouver « ce qui a manqué dans le passé » à commencer par l’expérience de l’autonomie ouvrière.
A une époque où, sous couvert d’une fausse neutralité axiologique, la recherche historique a tendance à évacuer tout regard critique sur le monde qui l’entoure, c’est à un engagement renouvelé de l’historien « dans son temps » auquel nous convie cet ouvrage. Engagement d’autant plus nécessaire qu’il ne remet à aucun moment en doute ce qui fait la spécificité du travail de l’historien, à savoir : une interrogation constante sur les sources utilisées et la légitimité de leur interprétation. Nous ne pouvons donc que saluer les pistes de recherche indiquées et souhaiter que chacun puisse les parcourir à sa manière mais toujours avec un esprit critique afin de ne pas tomber dans la justification de nouvelles philosophies de l’histoire en poursuivant le mirage de continuités historiques imaginaires.