Ofis taşıma fiyatları En iyi nakliyat firmaları paperio yohoho yohoho yohoho io games io games unblocked Nathalie Brémand (dir.), « Pour en finir avec le socialisme ‘utopique’ », Cahiers d’histoire, 124, 2014. - [charlesfourier.fr]
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Nathalie Brémand (dir.), « Pour en finir avec le socialisme ‘utopique’ », Cahiers d’histoire, 124, 2014.
Article mis en ligne le 1er février 2016

par Beecher, Jonathan

Le terme « socialisme scientifique » fut à l’origine popularisé par Engels dans son pamphlet Socialisme utopique, socialisme scientifique (1880). Engels y défendait l’idée que la meilleure manière de comprendre les principaux théoriciens sociaux européens de la première moitié du XIXe siècle – en particulier Saint-Simon, Fourier, Owen et leurs diciples – était de les considérer comme des précurseurs de Marx, mais aussi comme de brillants critiques du système capitaliste naissant qui n’avaient pas sérieusement réfléchi à la manière de concrétiser leurs conceptions d’une société idéale. Pour Engels, ils n’avaient pas compris que l’essor du capitalisme et le développement des usines créeraient automatiquement les conditions matérielles d’une révolution prolétarienne et de la régénération finale de l’humanité.
En dépit de sa nature intrinsèquement polémique, Socialisme utopique, socialisme scientifique a fourni un paradigme de référence auquel les historiens sont restés fidèles durant près d’un siècle. Maintes histoires de la pensée révolutionnaire ont présenté les socialistes utopiques comme des « précurseurs » dont les idées étaient faussées par leur incapacité à comprendre l’histoire et les luttes de classes. Le problème avec cette approche était son caractère à la fois téléologique et réductionniste. Téléologique parce qu’elle assumait que le socialisme avait atteint sa phase « scientifique » ultime avec les écrits de Marx. Réductionniste parce qu’elle considérait pour l’essentiel le socialisme comme le reflet du développement de la classe ouvrière.
Le titre de ce numéro spécial des Cahiers d’histoire, « Pour en finir avec le socialisme utopique », semble indiquer qu’il a pour but de tirer le premier socialisme en France des griffes d’Engels, et plus généralement d’une approche étroite du marxisme. On pourrait objecter que c’est déjà largement chose faite, que le cadre conceptuel élaboré par Engels est désormais largement discrédité, et que la distinction faite entre socialisme « scientifique » et socialisme « utopique » est elle-même aussi peu convaincante que datée. Mais en fait, les articles rassemblés ici vont bien au-delà de ce que suggère le titre – du moins tel que je comprends. En fait, Nathalie Brémand nous propose dans son introduction une brève histoire de la manière dont la pensée « utopique » a été dénigrée, depuis Louis Reybaud jusqu’à ces penseurs contemporains pour qui « L’utopie c’est le goulag ». Son objectif premier est de souligner toute la richesse et toute la diversité de la pensée critique de la première moitié du XIXe siècle, ainsi que le montrent bien par ailleurs les différents articles. Au-delà, il est particulièrement intéressant de noter la cohérence d’ensemble de ce recueil. Les différentes contributions se complètent parfaitement, chacune d’entre elles s’attachant à analyser des applications ou des réalisations spécifiques de la pensée utopique.
Cet intérêt pour ce que Michèle Riot-Sarcey a suggestivement nommé « le réel de l’utopie » est tout à fait évident dans la contribution de Bernard Desmars intitulée « Travailler chez les fouriéristes ». Son objectif central n’est pas d’étudier l’une ou l’autre des principales tentatives de fonder des communautés, mais de s’intéresser à des entreprises dirigées par des disciples de Fourier, en particulier deux entreprises de peinture qui ont connu une durée de vie assez longue, la société Leclaire et la coopérative ouvrière Le Travail. Dans les deux cas, nous dit Bernard Desmars, la vision idyllique de Fourier concernant le « travail attrayant » s’avéra être un idéal hors d’atteinte. Ce qui s’avéra en revanche possible fut « la participation des travailleurs (ou d’une partie d’entre eux) au capital et au pouvoir ».
Deux autres contributeurs s’attachent à étudier des contextes favorables à la mise en œuvre des projets socialistes hors de France. Michel Cordillot étudie la trajectoire politique des utopistes et exilés français partis aux Etats-Unis entre 1848 et 1880 et les formes diverses de leur engagement, telles que les expériences communautaires des icariens et des fouriéristes, ainsi que la création de diverses organisations politiques comme les sections francophones de l’Association Internationale des Travailleurs. Détail significatif, la révolution de 1848, souvent considérée comme rapidement « oubliée », resta largement présente dans les mémoires aux États-Unis. « Début 1870, note Michel Cordillot, les banquets qui marquèrent la célébration du vingt-deuxième anniversaire de la révolution de Février 1848 attirèrent des foules relativement considérables : 800 personnes à St Louis, 500 à New York, 600 à Chicago. » La plupart des participants étaient probablement des Français, car l’un des points sur lesquels l’auteur insiste est que l’enthousiasme témoigné par les Américains pour les révolutions et les révolutionnaires européens, considérable jusqu’en 1848, fut douché par les journées de Juin, avant de décliner spectaculairement au lendemain de la Commune.
Après 1830, l’Algérie constitua un autre lieu important pour la mise en œuvre de projets socialistes. Sur cette question, Jean-Louis Marçot, dont la somme Comment est née l’Algérie française, 1830-1850, la belle utopie, a paru en 2012, nous propose une contribution fascinante. Dans ce texte intitulé « Les premiers socialistes français, la question coloniale et l’Algérie », Marçot revient sur certaines idées avancées dans son ouvrage et montre à la fois les désaccords entre socialistes au sujet de l’Algérie et leur accord sur le fond (la justification de la colonisation, dans laquelle la plupart d’entre eux voyaient, à l’instar du saint-simonien Prosper Enfantin, « un excellent lieu d’essai, pour quelques grandes questions sociales qui agitent la France. » De telle sorte, nous dit l’auteur, que les premiers socialistes furent « les pionniers et les artisans de l’« Algérie française », terme apparu pour la première fois sous la plume d’Enfantin dans son ouvrage Colonisation de l’Algérie en 1843.
L’excellent article d’Olivier Chaïbi sur « L’Internationalisation de la question sociale » brosse un panorama aussi riche que nuancé des réseaux internationaux et des échanges mis en place par les socialises durant la première moitié du XIXe siècle. Comme Michel Cordillot, Chaïbi se consacre à la question des fondements – ou, comme il le dit, de la « gestation » – de l’AIT, bien qu’il s’intéresse davantage aux réseaux et aux alliances intellectuelles, alors que Michel Cordillot s’intéresse principalement aux modes d’organisation. L’intérêt tout particulier de cet article est son approche d’ensemble très large. Il nous permet de penser les écrits et les actes des socialistes français, britannique et allemand comme partie intégrante d’un seul mouvement préoccupé par divers problèmes. Dans le même temps, la problématique générale développée au début de cet article esquisse un cadre d’analyse qui pourra à l’avenir être mis à profit par les chercheurs.
Pour finir, l’article de Clément Coste « Penser l’impôt au XIXe siècle » porte sur la contribution des saint-simoniens au débat sur la politique fiscale et les impôts dans les années 1830. Le sujet est à la fois important et difficile, car on connaît mieux les saint-simoniens comme partisans de la construction d’un réseau national de chemins de fer et pour leurs projets de travaux publics que pour leurs écrits sur la question de l’impôt. Clément Coste nous décrit des saint-simoniens très critiques vis-à-vis des impôts indirects sur lesquels reposait la politique fiscale de la monarchie de Juillet. Mais il analyse les propositions positives des saint-simoniens sans éluder la diversité de leurs points de vue. Certains saint-simoniens étaient favorables à un type d’impôt direct susceptible d’imposer « un droit réellement progressif sur l’oisiveté », tandis que d’autres étaient d’avis que l’État ne devait pas tirer ses revenus de l’impôt, mais de l’emprunt. Sans compter que divers dissidents et autres républicains saint-simoniens (en particulier Buchez, Leroux et Pecqueur) s’efforçaient quant à eux de réhabiliter l’impôt « en tant que participation républicaine ».
D’un point vue général, on ne peut qu’être impressionné par la richesse et la cohérence de cet ensemble. Coordonné d’excellente manière par Nathalie Brémand, ce dossier constitue une importante contribution à notre compréhension du premier socialisme.