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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Harel, Charles (Louis)
Article mis en ligne le 19 janvier 2014
dernière modification le 30 septembre 2016

par Desmars, Bernard

Né le 6 juillet 1772 à Moncontour (Côtes d’Armor), décédé à Paris le 16 février 1853. Industriel, cofondateur de la Société de phrénologie, républicain rallié au fouriérisme. Candidat aux élections législatives d’avril 1848 dans le département des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor).

Charles Harel est l’un des membres les plus âgés du mouvement fouriériste dans les années 1830 (il est né la même année que Fourier). Son père, procureur d’une juridiction locale sous l’Ancien Régime, devient l’un des administrateurs du département des Côtes-du-Nord pendant la Révolution. Charles Harel fait ses études au collège de Saint-Brieuc, puis il entre dans les bureaux de l’administration départementale grâce à son père. Mais en 1792, au moment où le territoire français est envahi par des troupes prussiennes et autrichiennes, ainsi que par les émigrés royalistes, il s’engage pour défendre « la patrie en danger ». Il participe à la défense de la France républicaine, puis aux combats contre les Vendéens. En 1797, il quitte l’armée. Sous le Directoire, il exerce différentes fonctions administratives dans les Côtes-du-Nord (inspecteur de droits de passe, à Lannion, Tréguier et Paimpol ; commissaire du pouvoir exécutif à Guingamp). Il abandonne ces fonctions à la suite du coup d’Etat qui installe Napoléon Bonaparte au pouvoir ; « toute ma vie politique et administrative a fini au 18 brumaire », écrit-il en 1848. Il décide de se « créer une existence indépendante de tous les changements de gouvernement » [1].

Harel quitte alors les Côtes-du-Nord pour s’établir à Paris ; il veut étudier les sciences et surtout les appliquer aux activités industrielles. Il devient entrepreneur et installe dans sa propriété, à Vaugirard, une blanchisserie de linge à la vapeur et une fabrique de poteries vernissées [2]. Surtout, il se fait connaître « par quelques utiles et ingénieuses inventions relatives à l’économie domestique » [3], et en particulier par des fourneaux réduisant la consommation du combustible et adaptés aux moyens des familles modestes ; ainsi, il produit de « petits fourneaux économiques à pot-au-feu, à foyers fermés et à carneaux pour l’écoulement de la fumée ; de petits fours portatifs à rôtis et de poêles en fonte à plaques, à l’allemande, pour casseroles et marmites de toutes sortes » [4]. Il est alors l’ami de Cadet de Vaux, chimiste, qui l’aide dans ses productions industrielles et ses recherches scientifiques [5].

Phrénologie, philanthropie, république et fouriérisme

En 1830, il abandonne ses activités manufacturières, tout en restant membre de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, pour se livrer à « l’étude des questions philosophiques » et à « l’étude de la science sociale ». Dans la décennie précédente, il s’était déjà intéressé à la phrénologie et avait été un ami du docteur Gall, fondateur de cette « science » ; il reste proche ensuite de sa veuve, qui, quand elle se remarie avec le docteur Imbert en 1833, le choisit comme l’un de ses témoins [6]. Lui-même participe en 1831 à la création de la Société phrénologique de Paris qu’il préside en 1837-1838 [7] ; il fonde une société similaire en 1837 à Saint-Brieuc, dont l’existence est éphémère. Il considère que la phrénologie est destinée à un « brillant avenir », avec des découvertes qui doivent désormais être prises en compte dans les domaines de l’éducation, de la médecine et de la législation ; « elle est la véritable philosophie, la philosophie positive ; les autres ne sont qu’un verbiage inintelligible où l’on se dispute sur le moi et le non-moi » [8].

Harel fait également partie des milieux philanthropiques parisiens. Proche de Benjamin Appert [9], il est partisan du développement des caisses d’épargne et des sociétés de secours mutuels [10], et membre de la Société pour l’encouragement de l’instruction primaire [11]. Préoccupé « du sort des classes ouvrières », Harel s’intéresse également à la situation hospitalière de Paris, et dans une lettre adressée en 1838 au préfet et au conseil général de la Seine, il réclame la fondation d’une maison de convalescence en dehors de Paris, l’agrandissement et la création de plusieurs établissements et la suppression de l’Hôtel-Dieu dans sa situation actuelle [12].

Harel est un républicain ; il le revendique en 1836, dans une lettre publiée par La Phalange où il rappelle également avoir participé aux armées révolutionnaires et avoir rempli des charges publiques sous le Directoire. Ses sentiments républicains lui auraient d’ailleurs suscité quelques ennuis sous la monarchie de Juillet : il déclare avoir été « persécuté pour [ses] opinions », et notamment « arrêté comme suspecté après l’attentat de Fieschi contre Louis-Philippe (1835) [13]. La police a en effet retrouvé dans la maison où il demeure, rue des Filles-du-Calvaire, des balles et de la poudre : les premières doivent « servir pour faire le poids d’un nouveau tournebroche dont il est l’inventeur », explique-t-il ; et pour la poudre, il en a « fait usage à l’époque du choléra, mais encore qu’il avait été obligé de la conserver pour sa propre défense, ayant été en butte à la jalousie des habitants de Vaugirard, où il avait établi une blanchisserie à la vapeur » [14]. Finalement, il est relâché sans être poursuivi.

Son adhésion à la République reposait sur la conviction « que cette forme de gouvernement pouvait seule alléger les misères du peuple et contribuer à son bien-être » ; mais aujourd’hui, « je ne le crois plus », avoue-t-il dans sa lettre de 1836, dans laquelle il déclare se rallier au fouriérisme [15].

A vrai dire, dès 1833 au moins, il a pris contact avec les dirigeants de l’École sociétaire en écrivant à « Messieurs les fondateurs du Phalanstère » ; dans sa lettre, il déclare avoir lu toute la collection du Phalanstère, que lui a prêté prêtée un ami médecin, Chapelain ; il en est sorti « tout émerveillé de la Beauté du plan » tracé par « un homme d’un génie aussi supérieur » et il pressent « le bien immense qui doit en rejaillir sur l’humanité » ; il prend une action de 500 francs dans le projet de Condé (il regrette de ne pouvoir faire plus le moment), mais souhaite aussi participer plus directement à l’établissement de la colonie : « je pourrais me charger sous l’inspection de votre architecte et d’après ses devis, de fournir ce qui vous est utile pour l’installation de vos cuisines et des lessives par la vapeur. Ce sont de ces choses que je connais parfaitement. Je fournirais chaudières, tôlerie, ferblanterie, poteries même car j’ai des fabriques de tout cela » [16]. L’échec de la colonie rend ces propositions vaines.

En 1836, il publie donc dans La Phalange son « adhésion d’un républicain » à la théorie sociétaire, seule solution durable aux problèmes sociaux et à la misère des temps. Il appelle ses amis à l’imiter :

Que ceux qui, comme moi, sont restés républicains par sympathie pour les intérêts populaires (et le nombre en est bien grand) lisent attentivement les œuvres de Fourier. C’est là qu’ils verront combien le peuple sera toujours malheureux pendant qu’on conservera le système de travail partiel et morcelé ; c’est là qu’ils verront à quelle haute destinée de bonheur et de prospérité il peut être appelé, lorsque, par l’association, il décuplera ses forces contre les besoins qui l’assiègent. Ce système est d’autant plus admirable qu’il est immédiatement applicable, sans secousse, sous tous les gouvernements et avec toutes les religions ; que, loin de rien retrancher à l’homme riche, on ajoute encore à ses moyens de jouissance.
Enfin, je suis tellement convaincu que c’est là seulement que le peuple doit trouver son bien-être et le soulagement à tant et tant de misères, que je regarderai comme ses véritables assassins ceux qui mettront des obstacles. Je regarderais comme infâmes ceux qui, profitant de quelques écarts du génie, chercheraient par le ridicule à paralyser la plus belle découverte du dix-neuvième siècle, et comme injustes et ingrats ceux qui n’auraient pas de vénération pour un des plus grands bienfaiteurs de l’humanité [17].

Le ménage sociétaire

Harel devient un ami de Fourier ; il établit aussi des relations avec les membres du mouvement phalanstérien et fréquente en 1837 les membres de l’Institut sociétaire, qui réunit des disciples contestant l’autorité de Considerant et souhaitant établir des liens étroits entre les adhérents de la doctrine fouriériste. Il préside ainsi plusieurs « réunions préparatoires » pendant lesquelles sont discutés et adoptés les règlements de l’Institut [18]. Mais dans leur réponse, Considerant et ses amis affirment que Harel est désormais hostile au projet des dissidents et qu’il s’est rallié au Centre de l’Ecole [19]. Et dans les années suivantes, on le voit aux côtés de Victor Considerant, notamment lors des banquets qui, le 7 avril, célèbrent l’anniversaire de la naissance de Fourier. En 1839, il en est le président, en tant que doyen de l’assemblée ; il porte un toast « Au génie de Fourier, notre guide et notre soutien ! A l’union de tous ses admirateurs ! » ; il ajoute que « notre maître, méconnu pendant sa vie, attend de nous le seul monument digne de son génie, un premier Phalanstère qui puisse servir d’exemple au globe. Si nous unissons nos forces, si nous combinons nos efforts, nous réussirons bientôt en dépit de l’ignorance et de la mauvaise foi » [20]. En avril 1843, il préside à nouveau le banquet et est le premier à prendre la parole :

A FOURIER ! – Du milieu de l’anarchie, du milieu de ce chaos où se débat la triste Humanité, quand les efforts vains de tous les Sages n’ont abouti qu’à faire croire à l’éternité de la misère et du crime, FOURIER fait cesser les gémissements et les blasphèmes. – Interprète de la Destinée sociale et des Harmonies universelles, il appelle les hommes au Bonheur et à la Vertu, en leur révélant les lois de la Solidarité ! – Au Génie de FOURIER ! au bonheur de l’Humanité ! [21]

Harel participe à plusieurs travaux lancés par Victor Considerant : il figure, aux côtés de Barbier, Blanc, Bing, Michelot et quelques autres dans le comité chargé de veiller à l’usage des fonds réunis pour étudier « une fondation en échelle réduite », qui pourrait être installée à Condé-sur-Vesgre et s’appliquer à un groupe de 400 enfants, projet encore poursuivi au début des années 1840 [22]. Mais il est également membre de la « commission directrice » de La Correspondance des disciples de la Science sociale, une publication réalisée en marge du Centre sociétaire de Considerant et destinée à établir des liens plus étroits entre les militants fouriéristes [23]

Surtout, Harel est l’auteur du Ménage sociétaire, où il veut montrer les avantages de l’association et de la vie commune, à la fois « sous le rapport du bien-être physique et matériel » et sous celui du « bien-être moral » ; il propose également dans cet ouvrage un modèle de « ménage sociétaire » qui pourrait accueillir environ deux cents individus à Paris. A vrai dire, le livre concerne bien d’autres aspects : il « renferme des notions d’économie domestiques et d’hygiène qui en rendront la lecture utile à tout le monde », avec notamment une dénonciation des fraudes commerciales et l’indication des moyens de contrer les marchands qui trompent les consommateurs à la fois sur la qualité et sur la quantité. Et Harel y inclut « aussi le résultat de [ses] expériences et de [ses] études consciencieuses sur le magnétisme et la phrénologie » [24]. A la fin de l’ouvrage, il appelle les personnes intéressées à venir chez lui, rue Boucherat, les trois premiers jours de la semaine, de 6 à 8 heures du soir, ou à le rencontrer le mardi, de 12 à 14 heures aux bureaux de La Phalange, rue Jacob, ou encore à lui écrire. Il envisage qu’une telle association, pour le moment réduite à des activités de logement et de consommation, puisse un jour s’étendre à la production, de cette façon « plus que quadruplée, ce qui donnera le seul et véritable moyen de soulager la classe indigente » [25].

S’il ne semble pas avoir participé à la réalisation concrète d’une telle association – mais l’expression « ménage sociétaire » est adoptée par Pouliquen, Foucault et quelques autres qui s’établissent en 1850 à Condé-sur-Vesgre – Harel déclare en 1848 approfondir sa réflexion et travailler « à un ouvrage beaucoup plus important et qui a pour but de prouver l’avantage des grandes associations agricoles, industrielles et domestiques, sous le rapport de la quantité et de la qualité des produits, des grandes associations où se trouveront réunis le capital, le talent et le travail. Avec ces trois leviers agissant ensemble, on pourra soulever le monde » [26].

En avril 1848, il se présente aux élections à l’Assemblée constituante dans le département des Côtes-du-Nord, ainsi que son ami Charles Pellarin, tout en ajoutant : « si l’une de nos deux candidatures devait être refusée, je demanderais que ce fut la mienne » [27]. Aucun des deux n’est élu. Son décès est signalé dans la presse parisienne en 1853 [28].