Jean-Claude Oudot (1804-1851) est l’un des organisateurs et animateurs de la réunion phalanstérienne dijonaise durant la monarchie de Juillet. À partir d’un itinéraire individuel, il s’agit de dégager d’une part les origines et les motivations particulières d’un engagement phalanstérien, et d’autre part d’expliciter l’activité d’un groupe local devenu l’idéal attendu par le Centre parisien. Enfin, par une nouvelle lecture des sources, l’auteur tente de comprendre comment ce fidèle et ami de Victor Considerant et du Centre parisien a pu être proche des Unions harmonienne et phalanstérienne considérées comme dissidentes et analyse sous un nouveau jour son rôle dans l’expérience sociétaire de Cîteaux. Ce parcours est à mettre en relation avec près d’une quarantaine de notices de Dijonnais qui viennent enrichir le Dictionnaire biographique du fouriérisme en ligne.
Si Gabriel Gabet [1] est un des plus anciens disciples de Fourier et est à l’origine du groupe dijonnais [2], c’est Jean-Claude Oudot qui contribue, dans d’autres circonstances, à faire de ce groupe, « un groupe modèle » [3] selon François Cantagrel en 1844, en parfait accord avec la circulaire que Julien Blanc a rédigé sur « la nature des relations que les amis de nos idées doivent entretenir » [4]. Oudot a accueilli Cantagrel à la diligence, en provenance de Semur-en-Auxois à quatres heure du matin et lui a réservé une chambre qu’il a fait chauffer à l’hôtel du Parc à Dijon, « la chambre occupée par Victor [Considerant] à son dernier voyage ici » souligne-t-il. Cantagrel note alors que « ce brave Oudot est toujours le cœur le plus chaud qui existe ; il est adoré de tous les autres » [5]. Tant d’éloges envers celui qui, en particulier depuis Jean Gaumont [6], a été présenté comme un ardent réalisateur, voire à l’origine du choix de Cîteaux par Arthur Young, paraît plus qu’étonnant et contradictoire avec l’idée d’une quelconque dissidence réalisatrice ; d’autant qu’il a été le « secrétaire correspondant » du groupe dijonnais en relation avec le centre parisien de l’Ecole sociétaire tel que déterminé dans « la nature des relations [...] » : « […] celui d’entre-eux qui sera le plus actif et qui aura le plus de temps à lui ». Jean-Claude Oudot a été le pivot de la « réunion » phalanstérienne dijonnaise – c’est le terme désignant le groupe, selon Julien Blanc qui spécifie : « nous avons tout lieu de nous féliciter de nous être efforcés, dans toutes les occasions, d’arrêter la tendance très souvent manifestée par nos amis, de former secte, d’avoir des réunions avec Président […], procès-verbal ». « Les amis de nos idées ne doivent ni s’affilier en une sorte de franc-maçonnerie phalanstérienne, ni former des associations défendues par la loi ». Jean-Claude Oudot mérite donc qu’on s’attarde sur sa vie afin, d’une part de tenter de comprendre ses origines et les motivations de son engagement phalanstérien, d’autre part de déterminer quelle a été son action dans le développement du groupe dijonnais pour qu’il devienne l’idéal attendu par le centre parisien - du moins dans l’esprit de Cantagrel – et enfin, de déterminer quelles relations effectives, il a pu entretenir tant avec Victor Considerant qu’Arthur Young et les réalisateurs de l’École sociétaire, dissidents ou non.
Une famille de fabricants et petits négociants de papier
Jean-Claude Oudot naît le 19 septembre 1804 à Dijon. Il est l’aîné d’une fratrie d’au moins cinq garçons. Son père, fils de cultivateur, Jean-Claude Oudot (1773-1850), originaire de Saint-Bresson (Haute-Saône), est marchand de chiffons. Sa mère, Anne Contour (1783-1842) est fille d’un papetier de Velars-sur-Ouche (Côte-d’Or). Jean-Claude Oudot, quant à lui est devenu marchand de papier et épouse le 27 septembre 1830, Catherine-Adèle Caillot, fille d’un employé de la préfecture, alors décédé. Jean-Claude Oudot réside place Saint-Michel, n° 1 à Dijon. Aucun enfant ne semble être né de cette union [7]. La famille Oudot fait le commerce du papier et procède à des alliances matrimoniales intéressées. Un oncle, papetier, prénommé également Jean-Claude Oudot (1754-1837) a épousé la mère d’Anne Contour, Anne-Marguerite Leroy-Contour, le 8 pluviôse an II. Lors du décès de cet oncle à Dijon en 1837, Jean-Claude Oudot qui effectue la déclaration est accompagné d’un jeune parent, Jean-Claude Oudot marchand de chiffons, âgé de 22 ans.
L’activité de Jean-Claude Oudot lui permet d’être en 1839, année pour laquelle le groupe phalanstérien dijonnais est effectivement constitué, électeur censitaire dans le collège électoral du 1er arrondissement du département de la Côte-d’Or, canton de Dijon-est, pour une contribution totale de 218,82 francs (69,40 à titre foncier et 78,26 au titre de la patente, le reste réparti entre les contributions personnelle et mobilière et sur les portes et fenêtres) [8]. Cette contribution baisse sensiblement au cours des années suivantes (environ 206 francs pour 1842-1846, même si elle progresse pour la patente (environ 89 francs) [9]. Son rôle de citoyen est étroitement tributaire de son activité économique dans un régime où le cens minimal exigé s’élève à 200 francs. Son activité lui offre l’occasion de voyages qui probablement facilitent les rencontres avec les autres phalanstériens et font de Jean-Claude Oudot le maillon d’un réseau d’échanges entre les différents groupes. En juillet 1841, il mentionne à Julien Blanc son retour de Genève d’une telle manière qu’on peut légitimement supposer que son interlocuteur était au fait du voyage. Le 1er décembre de cette même année, il annonce que « sous peu » il sera à Paris et pourra fournir des explications de vives voix sur les engagements qu’il n’a pu tenir. Le 1er mars 1842, il relate sa rencontre avec Boiron à Mâcon. Enfin, en 1844, il accompagne Cantagrel à Mirebeau-sur-Bèze (Côte-d’Or) où il doit rencontrer Hebert, et semble-t-il, poursuit jusqu’à Gray (Haute-Saône) où Cantagrel se rend.
Un engagement ancien
Les premiers contacts connus de Jean-Claude Oudot avec le mouvement fouriériste datent de 1832 [10]. C’est l’année où Gabriel Gabet attire à lui les saint-simoniens dijonnais quittant l’Église, fondée localement en juin-juillet 1831 par Jules Lechevalier. Rien ne laisse supposer qu’Oudot ait appartenu à l’Église saint-simonienne, néanmoins il est très lié à Louis Maignot qui est l’un des saint-simoniens dijonnais signataires de la lettre parue dans Le Patriote de la Côte-d’Or le 26 février 1832, condamnant les positions d’Enfantin au sujet du couple et de « la Femme ». Si Oudot a un engagement antérieur avant de rejoindre les disciples de Fourier, il serait plutôt à chercher du côté des républicains. Jean-Claude Oudot écrit donc en août 1832 à la direction du Phalanstère pour se plaindre de n’avoir pas reçu les exemplaires antérieurs au numéro 9, demandés dès réception de cet exemplaire le 28 juillet. Il développe des contacts au cours des années qui suivent. En 1836, il accueille Pinchot puis le jeune Charles Boiteux [11] originaire de Chalon-sur-Saône et proche des milieux républicains de la région, récemment converti. Il visite avec lui, y compris en prison, les républicains qu’il tente de convertir au fouriérisme. Boiteux considère que Jean-Claude Oudot n’exprime « pas de critique, mais de l’indifférence » [12] à une affaire que Considerant a proposée. Il s’agirait du projet d’étude de la réalisation d’un phalanstère d’enfants auquel est attaché Boiteux. Oudot devient peu à peu, en l’absence de Gabet résidant à Bessey-lès-Cîteaux, le contact et correspondant de l’École sociétaire à Dijon. Tout ami de la cause semble transiter chez lui. Il prie d’ailleurs Victor Considerant « de ne jamais manquer de [lui] adresser ceux de nos amis qui passeront à Dijon » [13]. Il connaît personnellement et affectionne Ordinaire, Mlle Beuque [14]. En 1839 [15], il reçoit Alphonse Toussenel en visite chez un ami dijonnais, le jeune républicain Henriot, nouvellement converti à la cause. Oudot espère beaucoup de lui. Il doit être« d’un très grand secours ; d’autres républicains influen[t]s n[ou]s arriveront également ». Oudot croit fermement à leur ralliement. Ainsi, en juin 1839, il reçoit « un chef du parti républicain de Dijon, homme riche et très influent, abonné à la Revue du Progrès » [16] de Louis Blanc qui promet de s’abonner à la Phalange.
S’il reçoit tout phalanstérien transitant par Dijon – en décembre 1841, c’est au tour de Laverdant qui lui porte une lettre de Julien Blanc [17] –, Oudot n’hésite pas à recommander ses propres amis. En 1836, il s’insurge de la reproduction dans La Phalange d’un article de L’Impartial de Besançon contre La Revue de Bourgogne que vient de lancer son ami Jules Pautet [18]. Il est assez influent pour que dans le numéro suivant Considerant rectifie le jugement de La Phalange [19]. En 1839, il appuie son ami Louis Maignot, ancien saint-simonien passé au fouriérisme, qu’il a abonné personnellement à La Phalange [20] en 1836, afin que celui-ci bénéficie en priorité de la machine inventée par Franchot [21]. Fin 1841, il recommande Prudent Forest qui souhaite rejoindre le centre parisien de l’Ecole sociétaire et contribuer à La Phalange [22].
Fidèle au centre parisien de l’Ecole sociétaire, il en relaie les initiatives. Il propage les publications fouriéristes et dépose divers exemplaires au « Cabinet littéraire » [23] de Potot, rue Vauban à Dijon, qu’il abonne également à La Phalange. Il consent des rabais sur ses propres deniers. Mais la faillite de la banque dijonnaise Bouault en 1840 met à mal ses finances : « la suspension des jugements de la première maison de banque de Dijon a paralysé les affaires financières dans notre ville, je devais à cette maison une somme assez considérable qu’il a fallu rembourser à mon retour de Genève [...], les rentrées sur lesquelles je comptais pour m’acquitter envers vous ont été entièrement absorbées par ce remboursement [...] » écrit-il à Julien Blanc en juillet 1841 [24]. Il s’évertue alors à obtenir un autre crédit dans une autre maison de banque afin de pouvoir solder ses dettes en particulier envers l’École sociétaire. Sa situation économique est si fragile qu’en 1847, il n’apparaît plus sur les listes électorales censitaires.
En 1839, fort du nombre de recrues dijonnaises – il dresse une liste d’un trentaine d’amis qui se disent « hautement phalanstériens » –, il interroge Victor Considerant sur l’opportunité et la manière d’organiser un banquet destiné à célébrer l’anniversaire de la naissance de Charles Fourier : « [...], il faudrait alors n[ou]s écrire et pour donner quelques attraits à cette réunion, n[ou]s informer avec détail de ce que v[ou]s faites, des progrès que fait la science sociale, etc., etc. V[ou]s savez beaucoup mieux que moi ce qu’il faut en pareil cas [...], n[ou]s n[ou]s conformerons à vos prescriptions » [25]. Si on en croit le compte-rendu du banquet donné en 1846 qui réunit 80 personnes, « il y a huit ans [soit en 1838] trois des personnes ici présentes assistaient seules au premier banquet » [26]. Ceci expliquerait l’interrogation d’Oudot sur cette opportunité et la manière de procéder. Oudot a bien pris la mesure de l’importance des banquets qui ne sont pas de simples réunions civilisées mais sont destinées à affermir les liens entre les membres de l’École sociétaire, à dresser un état de l’évolution de l’École et à approcher l’harmonie. Il informe Victor Considerant qu’un lieutenant d’état-major, officier du génie en caserne à Auxonne, le capitaine Juge assistera à ce banquet à Dijon s’il peut être organisé.
Ses courriers montrent également qu’il entretient une relation amicale avec Victor Considerant, « [son] cher ami » [27]. Le 21 juin 1839, il s’adresse à « [son] cher Victor » dont écrit-il, les « projets sont beaux, ils sont grands, je m’y associe de cœur et d’âme, marchez toujours, v[ou]s avez une noble mission et v[ou]s êtes à la hauteur » [28]. Enfin, il est probablement à l’initiative de la venue de Considerant à Dijon en février 1841 pour une série de conférences. Les billets d’entrées sont à retirer chez lui [29]. Quand Julien Blanc épaule Victor Considerant dans la gestion du centre parisien de l’École, cette amitié se reporte sur lui. L’amitié est le pivot de la relation qu’il entretient avec les membres de l’Ecole sociétaire.
« N[ou]s marchons avec vous et déplorons l’erreur des gens que l’amour propre égare [...] » [30]
Oudot contribue à de nombreuses sociétés qui sans être d’inspiration phalanstérienne se préoccupent du principe d’association et de la question sociale. En 1834, il collabore à la fondation de la Caisse d’épargne de Dijon qui reçoit l’appui de nombreux fouriéristes [31]. Il est membre sociétaire et administrateur de la Société dijonnaise d’assurance mutuelle pour les cas de maladies et d’accidents, créée le 26 février 1837 par une association de chefs d’ateliers et d’ouvriers. La Société, à laquelle participent également de nombreux fouriéristes [32], en contrepartie d’une cotisation d’un franc et cinquante centimes par mois, offre des secours pharmaceutiques, médicaux et pécuniaires (1,50 franc par jour pendant 3 mois puis 1 franc par jour durant 6 mois) et aide la famille du défunt pour les frais funéraires auxquels doivent impérativement assister vingt sociétaires. Au-delà de cinq années de cotisation, une pension est versée. Elle ne limite pas son intervention à une corporation ouvrière et s’ouvre à tous, sans distinction de profession et de sexe. Mais la société n’est pas une réalisation phalanstérienne. Elle est certes attribuée en grande partie à Gaulin, mais elle est également l’initiative de l’ingénieur Darcy et du pasteur De Frontin. Réélu en janvier 1841 pour deux ans, Oudot en assure la vice-présidence en 1843. En 1840, il est également membre fondateur de la Société d’assurance mutuelle contre l’incendie pour les départements de la Côte-d’Or, l’Yonne, la Saône-et-Loire, le Doubs, la Haute-Saône et la Haute-Marne.
Cet engagement a conduit à présenter Jean-Claude Oudot comme un réalisateur. Pourtant, en juin 1839, ayant reçu le premier numéro du Nouveau monde de Czynski, il s’interroge sur le fait de savoir si « cette publication servira [la] cause » [33]. Fidèle au groupe parisien, il déclare : « N[ou]s faisons enfin tout ce que nous pouvons, il n’y a pas scission, n[ou]s marchons avec vous et déplorons l’erreur des gens que l’amour propre égare [...] » [34]. Il espère effectivement une réalisation, mais selon les perspectives de Considerant, grâce aux dividendes que doit générer la fabrication de la machine de Franchot que prévoit de commercialiser Considerant [35] : « espérons qu’ils se réuniront à nous surtout, si par le résultat pécuniaire, de votre machine v[ou]s [puissiez ?] avant peu réaliser un essai quelconque, ce que je désire [...] » [36]. Il est certes signalé comme membre et correspondant dijonnais de l’Union harmonienne pour l’année 1840 [37]. Mais cette Union harmonienne n’est pas une dissidence. Dans le compte-rendu que fait le Dijonnais Léonard Nodot du banquet donné lors du départ des participants du congrès de Cluny de 1839, congrès qui réunit autour du groupe de Cluny, ceux de Lyon, Tournus, Mâcon, Chalons, Dijon et Nevers, les participants ont « conclu à la presque quasi unanimité que Mr Considerant était l’homme, qui par sa science profonde dans les travaux de Fourier, sa logique rigoureuse, son style brillant et nerveux, sa grande fermeté et sa constance soutenue, avait rendu et rendait chaque jour par ses écrits les plus grands services à la cause et que le journal La Phalange représentait complètement les idées des phalanstériens présents à cette charmante réunion » [38]. En 1841, Jean-Claude Oudot est correspondant dijonnais de l’Union phalanstérienne établie par Aucaigne, Boyron, Passot à la suite de l’Union harmonienne, suite aux récriminations de Brac de La Perrière [39]. Il connaît personnellement Etienne Boyron et Jean-Joseph Reverchon dont il mentionne le projet d’investissement pour reprendre la colonie de Condé [40]. Pour tout militant de la cause phalanstérienne, Oudot est le contact obligé lorsque ceux-ci transitent par Dijon.
Ainsi lorsque Arthur Young décide d’expertiser le domaine de Cîteaux, il est naturel qu’il s’adresse à lui. Jean-Claude Oudot le reçoit à l’improviste, ainsi que Reverchon, dans la nuit du 8 au 9 mars 1841. Dès le lendemain de leur arrivée, la malle-poste étant déjà partie la veille, il informe Julien Blanc de leur départ pour Cîteaux [41]. Mais si Oudot les a accompagnés – ce qui ne semble pas le cas puisqu’il note qu’il ne s’est « trouvé que quelques instants avec Mr Young » –, il n’est pas au fait des décisions et attend leur retour pour remettre à l’un d’eux le courrier qu’il destine à Julien Blanc. Le 26 mars [42], Mourgue indique bien à Oudot qu’un Anglais le cherchait en vain pour « [l’]amener à Cîteaux avec lui », mais il ne s’agit pas d’Arthur Young et l’inconnu ne rencontre pas Oudot. Le 2 mai suivant, Oudot informe encore Julien Blanc d’un courrier de Zoé Gatti de Gamond qui annonce la venue de son mari et d’Arthur Young souhaitant revoir le domaine de Cîteaux. « J’ai le bonheur de vous annoncer qu’une réalisation de notre belle doctrine aura lieu très prochainement, toutefois, il n’est pas encore décidé que ce sera Cîteaux [...] » [43] lui a-t-elle écrit. Jean-Claude Oudot réclame à Julien Blanc que « dans l’intérêt de notre cause, cette lettre et celles que je vous écrirai doivent rester entre nous, vous pourrez parler de leur contenu sans indiquer la source ». Le 9 juin, Jean-Claude Oudot conduit Young et probablement Giovanni Gatti chez Adolphe Bonnet à qui Young commande une expertise du domaine. Oudot réaffirme son intention de collecter des informations qu’il transmettra immédiatement à Julien Blanc [44]. Malheureusement les visiteurs sont peu loquaces lors de leur départ le 18 juin : « l’un s’efface devant l’autre et le dernier ne dit rien. Mon ami Bonnet que j’ai vu un instant ce matin m’a dit avoir des renseignements à leur envoyer [...]. M. Young m’a promis d’aller voir Victor » [45] affirme Oudot. Le 29 juillet, c’est Yvernès, envoyé par Zoé Gatti de Gamond, qui transite au domicile de Jean-Claude Oudot, avant de rejoindre Foucault à Cîteaux. Oudot semble avoir reçu quelques récriminations de Blanc à propos de son silence : « je n’ai pas vu ce dernier, je n’ai pas pu par conséquent vous prévenir de son passage à Dijon. Je sais de plus que Mr Grapin (l’un des nôtres) a été chargé par Mr Young de faire l’expertise de la terre de Cîteaux, voilà ce que je sais relativement à cette affaire » [46]. Afin de mener à bien le projet de Cîteaux, Victor Considerant craint qu’Arthur Young ne se désengage financièrement de la Société pour la Propagation et la Réalisation de la Théorie de Charles Fourier, de La Phalange et de la colonie de Condé. Durant l’été 1841, Amédée Paget décède et laisse vacante la gérance de la Phalange. En raison de sa contribution financière, Arthur Young doit valider son remplacement par Cantagrel. Oudot s’implique dans le règlement du conflit. En septembre, Jean-Claude Oudot espère convaincre « [son] ami » Considerant de s’arrêter à Dijon au retour d’un séjour qu’il fait à Lyon avant de se rendre à un congrès à Florence [47] : « Au nom de notre cause, passez, je vous en prie par Dijon en retournant à Paris, ne dussiez-vous y rester que quelques heures [...] » [48]. Dans cette même lettre, Oudot fait mention d’un courrier destinée à Arthur Young. Oudot annonce qu’il fera lui-même « l’express et dans 2 heures je remettrai à Mr Young la lettre que vous m’avez adressée ce matin ; il l’aura assez tôt pour vous répondre par le courrier de demain, qui sera à Lyon dimanche matin ». Lors du conflit qui oppose Peiffer, résidant de Cîteaux et Arthur Young, ce dernier confie à Oudot le soin d’assurer financièrement le départ de Peiffer et sa famille [49]. Peiffer a beau insinuer qu’Oudot et Nodot seraient « hostiles à l’entreprise d’Arthur Young » [50], Oudot et le groupe dijonnais exercent uniquement un rôle de conciliateurs. C’est sur « l’avis [des] amis de Dijon » de Victor Considerant que Peiffer lui écrit. Il ne se trompe pas lorsqu’il écrit que « l’opinion de MMrs Oudot et Naudot [sic] de Dijon qui vous paraissent très attachés [doit] vivement vous intéresser tant sous les rapports des personnes que sous celui des actes qui s’y passent » [51].
L’inquiétude quant à la pérennité de l’Ecole sociétaire a conduit Oudot, Mourgue, Bonnet et Nodot à désigner Bonnet pour parler à Young, « sauf toutefois l’agrément de La Phalange » [52]. Le jour même de ce courrier, Victor Considerant note le bon vouloir d’Arthur Young qui accepte la nomination de François Cantagrel comme gérant de la Société et confirme ses engagements financiers [53]. L’intervention des Dijonnais ne semble pas avoir été nécessaire. Oudot reste fidèle à Victor Considerant. Ses courriers rappellent constamment son dévouement à l’École sociétaire et la contribution qu’il lui fournit en propageant ses publications. Ainsi, en décembre 1841, il engage Julien Blanc à déposer à son nom, de février à mars 1842, pour 3 000 francs de traites. Oudot ne peut être suspecté de dissidence ; à aucun moment, il ne mentionne un quelconque intérêt pour le projet d’Arthur Young. C’est pourquoi, il est l’un des signataires de l’appel lancé le 11 mars 1846 par les phalanstériens de Dijon aux phalanstériens de France en vue de sauver la colonie de Cîteaux, eu égard aux « sacrifices » et au « dévouement » d’Arthur Young en faveur de l’École sociétaire. « Les intérêts de M. Young se lient aux intérêts moraux et matériels de l’Ecole sociétaire ». N’ayant jamais participé à cette expérience, les phalanstériens dijonnais déclarent ne pas pouvoir être suspectés « de partialité » [54]. Néanmoins, Oudot n’est pas présent lors de la rédaction de cet appel, Pierre Claude Edouard Mourgue signant en lieu et place, comme Jacques Grapin signe pour Adolphe Bonnet également absent. L’appel fait long feu et la réunion prévue à Cîteaux le 29 mars 1846 comme à Dijon la veille n’a a priori pas lieu ou ne donne aucun résultat. C’est le dernier acte public de Jean-Claude Oudot. D’une santé chancelante – en 1841, il signalait à Julien Blanc être malade et avoir besoin de soins [55] – Jean-Claude Oudot est interné à l’asile d’aliénés de Dijon le 13 avril 1847. Il y décède le 3 avril 1851.
Lors du banquet du 7 avril 1847, qui ne réunit que 48 personnes, nombreux sont les absents, appartient-il au groupe des malades excusés [56] ? L’année précédente, les « circonstances qu’on n’avait pu dominer » [57] et qui ont conduit à célébrer l’anniversaire de Fourier en juin ou juillet ne s’expliquent-elles pas par la maladie de Jean-Claude Oudot. De manière étonnante, Victor Hennequin, que ce soit en juin 1846 lors de ses conférences dijonnaises ou bien en avril 1847, lors de son « pèlerinage à Besançon » [58] et de sa halte dijonnaise, ne mentionne aucunement Jean-Claude Oudot. La dernière trace de son activité est donnée dans la « Petite correspondance » de La Démocratie pacifique du 5 avril 1846 : « votre cher M. G de R. s’est inscrit parmi les dévoués » contributeurs à la rente phalanstérienne. Dans les numéros ultérieurs, La Démocratie pacifique s’adresse plus particulièrement à « M. M. » ou bien « M. V. », ce dernier probablement, le médecin, aliéniste, Paul-Emile Villeneuve, petit-fils de Gabriel Gabet. Les fonctions de secrétaire correspondant sont sans doute reprises au moins partiellement par Mourgue. Lors des élections à l’Assemblée constituante de 1848, il est pressenti comme candidat et annoncé comme tel dans la Démocratie pacifique du 10 avril 1848. Mourgue réfute l’idée d’être candidat et reconnais : « je professe depuis longtemps les principes de ce journal, et [...] je suis même un de ses correspondants dijonnais » [59].
Le retrait brutal de Jean-Claude Oudot ne déstabilise sans doute que très peu la « réunion » dijonnaise. La ville de Dijon se classe au troisième rang des groupes phalanstériens, par nombre de souscripteurs (33) à la rente phalanstérienne au 30 juin 1846, pour un montant de 71,67 francs (24ème position) [60]. Depuis décembre 1845, la ville compte une librairie sociétaire locale après avoir eu un dépositaire [61]. En janvier 1847 est initiée une boulangerie sociétaire, officiellement fondée en août 1847, retard sans doute imputable au décès, le 28 mai 1847, du boulanger-poète Charles Mouillon qui était la cheville ouvrière de ce premier projet garantiste dijonnais [62]. La « petite correspondance » de la Démocratie pacifique montre que l’activité du groupe se poursuit. Quelques-uns, comme sans doute le naturaliste Léonard Nodot, – il est à l’origine d’une réflexion sur l’analogie qui mériterait d’être partagée dans La Phalange « au nom de l’unitéisme » [63] note Victor Hennequin en 1846 –, poursuivent leur travail de « phalanstériens de loisirs » [64] et obtiennent en novembre 1848, l’autorisation ministérielle de se réunir régulièrement afin de « se livrer à l’étude du système de Fourier » [65]. D’autres s’investissent publiquement, comme le professeur Auguste Brullé qui aurait été l’un des commissaires du banquet démocratique et social de Dijon du 22 octobre 1848 et qui porte un toast « A l’organisation du travail ! A l’association ! » [66] ou bien le géomètre Jacques Grapin, candidat aux élections législatives complémentaires d’août 1849 destinées à remplacer James Demontry en exil en Belgique suite au 13 juin 1849, qui « prônait la triple association Capital-Travail-Talent » [67]. C’est également le cas des fondateurs ou administrateurs de la boucherie sociétaire en avril 1851, Paul-Emile Villeneuve, Jean-François Luce-Villard, qui a financé le Socialiste côte-d’orien de Victor Meunier, Joseph Dechaux-Gaudelet, Hector Gamet issu du groupe semurois [68], Paul Mongin, tous deux exilés après le coup d’État du 2 décembre 1851, le dernier mourant en Belgique en 1857.
Vouloir classer les militants de la cause phalanstérienne entre « "groupe de l’orthodoxie", celui de la Phalange ; "groupe de la transition", celui des dissidents » [69], a conduit à oublier que Fourier avait énoncé deux échelles de caractères individuels qui devaient permettre, certes de former la phalange, mais également de comprendre les relations entre individus. L’un de ces caractères est celui de l’amitié qui a été le ressort de la relation entretenue par Jean-Claude Oudot et l’a conduit à être l’un des pivots de la « réunion » phalanstérienne dijonnaise. D’un itinéraire individuel, il est possible de discerner les liens qui unissaient ces phalanstériens, liens qui ont dicté leurs actions individuelles ou collectives en faveur du centre parisien de l’Ecole sociétaire, mais également leurs relations avec tout phalanstérien.