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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Wurgler, André
Article mis en ligne le 19 décembre 2012
dernière modification le 20 juillet 2021

par Desmars, Bernard

Né le 14 avril 1815, à Mâcon (Saône-et-Loire), décédé le 20 juin 1897, à Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire). Brasseur. Militant fouriériste, républicain, franc-maçon et libre-penseur.

André Wurgler est le fils de Jacob Wurgler, un tonnelier et brasseur né à Fribourg en Suisse, et de Jeanne Laville, fille d’un drapier de Mâcon [1]. Peu après sa naissance, la famille quitte Mâcon pour s’installer à Chalon (elle y est au moins en 1820, quand une fille y naît). Puis, André et son frère aîné Claude s’établissent comme brasseurs à Saint-Cosme, une commune située à la périphérie de Chalon, dont elle devient un quartier en 1855 [2].

Fouriériste et républicain

En 1895, Wurgler indique que son « initiation » au fouriérisme date de 1838 et qu’elle est due à Victor Considerant [3]. Il existe dans les années 1840 un groupe phalanstérien assez important à Chalon-sur-Saône, notamment animé par l’avocat Prudent Forest ; Flora Tristan dit y avoir trouvé en avril 1844 « un groupe de jeunes gens de 25 à 30 ans, sinon bien forts au point de vue de la science et de l’intelligence, au moins forts au point de vue de la foi et surtout remplie de cœur et de fraternité » [4]. Sans doute Wurgler en fait-il partie. Il prend d’ailleurs en 1845 une action dans la Société du 10 juin 1843 qui publie La Démocratie pacifique [5].

Quant à son engagement républicain, il serait extrêmement précoce si l’on en croit l’auteur d’un discours nécrologique, puisque Wurgler y est présenté comme « un fondateur du Patriote, vaillant journal républicain » créé en 1831, alors qu’il n’avait que 16 ans ! [6]

Quoi qu’il en soit, c’est sous la Seconde République que Wurgler apparaît comme l’une des principales personnalités des courants républicain et socialiste de Chalon-sur-Saône, les deux étant liés comme il le déclare lors d’un banquet organisé le 7 avril 1848 : « Nous sommes des socialistes, nous aimons la République, parce qu’elle promet et s’occupe de donner le bonheur au peuple. Elle a donc le droit de compter sur nous, elle n’aura pas d’enfants plus dévoués » [7]. Il se situe dans une perspective de rassemblement des forces progressistes : lors d’un banquet organisé le 7 avril 1849, afin de commémorer la naissance de Fourier, mais accueillant d’autres courants socialistes, Wurgler affirme ses convictions phalanstériennes, mais refuse d’être « exclusif » et porte un toast « à l’avenir du socialisme, aux démocrates socialistes » [8].

Ses activités lui valent, à partir de l’été 1848 et surtout du printemps 1849, d’être surveillé par les autorités. A vrai dire, il n’est pas toujours aisé de le différencier de son frère aîné Claude, parfois désigné sous le nom de Wurgler aîné, qui est recherché par la police en juin 1849 pour avoir distribué des cartouches à un habitant de son quartier, en lui disant : « dépêchons-nous, il nous faut charger nos armes et nous tenir prêt » [9]. Les listes recensant en 1849 les « individus suspects » de Chalons, « les principaux meneurs du parti démagogique » mentionnent un « Wurgler, brasseur à Saint-Côme », sans préciser lequel [10]. Un rapport de janvier 1851 précise que l’aîné « est communiste socialiste […], très exalté dans ses opinions et n’ayant que des capacités ordinaires », tandis qu’André est « socialiste, mais moins exalté » avec aussi « des capacités ordinaires » [11].

Ce rapport signale aussi que Claude Wurgler a rejoint Paris avec sa famille, sans doute au cours de l’année 1850. C’est donc bien chez André Wurgler que la police perquisitionne le 11 janvier 1851 afin d’y trouver des preuves de son appartenance à une société secrète. Dans son secrétaire, l’on trouve : « une chanson manuscrite intitulée L’an 1850 à 1860 » contenant dans un couplet « des paroles injurieuses pour le président de la République », chanson écrite par un habitant de Chalon et dédiée à « son ami André » ; une « chanson en patois des environs de Charolles, faisant allusion à la loi de déportation discutée par l’assemblée nationale » ; deux lettres adressées « aux démocrates de Chalon-sur-Saône » par des prisonniers de Clairvaux, l’une se terminant par « Vive la République démocratique et sociale » [12]. Devant ce maigre butin, la police laisse Wurgler libre.

Après le coup d’État du 2 décembre 1851, une liste élaborée par la police et adressée au préfet comprend les deux frères « Vulglaire » [sic], brasseur à Saint-Côme, mais précise que l’un est à Paris. Le nom de celui qui est resté en Saône-et-Loire, donc André, est précédé des lettres EFG, ce qui, d’après le code joint à la liste, signifie « émissaire et propagandiste », « chef de société secrète » et « dangereux » [13].

Libre penseur, franc-maçon et toujours fouriériste

Sous le Second Empire, les autorités continuent à exercer « une surveillance incessante » sur Wurgler, écrit en 1858 le préfet, qui le considère « comme un démagogue incorrigible » [14]. Il est en relation avec la Société de Beauregard, fondée par Couturier à Vienne (Isère) [15]. Cependant, l’on n’a pas d’informations sur les activités républicaines et fouriéristes de Wurgler pendant cette époque. Un moment associé avec un brasseur d’origine bavaroise nommé George Frederick (ou Friedrich) – probablement à partir de 1850 ou 1851, après le départ de son frère – il reprend son indépendance avec la dissolution de la société en 1865 [16].

En novembre 1872, il indique ce qu’il pense de la situation du mouvement sociétaire dans une lettre adressée à Eugène Nus, lui-même originaire de Chalon-sur-Saône et qu’il connaît suffisamment bien pour le tutoyer et lui exprimer franchement son désarroi :

Il y a dans la vie des moments où on ne peut rien. Matériellement et moralement, j’en suis là ! J’admire votre candeur (non [,] votre confiance) de croire qu’il vous sera possible de créer quelque chose. L’Ecole sociétaire est bien morte, assassinée par des ambitieux à courte vue qui ont cru être plus savants que le Maître, ou qui aveuglés par leur orgueil et le désir de briller, se sont servi de l’Ecole comme marchepied. Le marchepied a disparu. Vois ce qu’il reste de ceux qui ont monté dessus. J’ai connu une époque où le titre de phalanstérien était à juste titre honoré ; aujourd’hui, il faut être courageux pour oser dire qu’on l’a été ; il n’arrivera à personne le désir de le devenir pendant encore bien des années !! et je doute (pour ne pas dire je suis sûr) qu’il se trouve jamais en France un bras ou plutôt esprit assez fort pour faire que l’Ecole reprenne le rang qu’elle a perdu. Ne parlons plus de tout ceci, j’en ai la tête et le cœur brisé. La France est sur le bord d’un abîme. Tu sais ce que j’en augure.

Malgré ce pessimisme, il s’abonne au Bulletin du mouvement social [17].

En 1874, âgé de 59 ans, il se marie avec Joséphine Goyon (ou Gouyon), 50 ans, qui exerçait dans les années 1860 la profession de coiffeuse et était domiciliée à proximité de la brasserie (son condisciple Bessard, de Tournus, est l’un des témoins du mariage) [18]. Wurgler abandonne probablement ses activités professionnelles en même temps que son domicile associé à la brasserie ; les deux époux sont mentionnés comme rentiers dans le recensement de 1881, et la brasserie étant désormais exploitée par un neveu, Lesne, bientôt associé à un autre neveu, Poillot, pour former la Brasserie Poillot-Lesne. Wurgler est alors membre de la loge franc-maçonne « Progrès Égalité » (ou « loge du Progrès ») et contribue à la création d’une société libre-penseuse à Chalon.

Son épouse décède au cours des années 1880 (Wurgler est veuf, lors du recensement de 1886). Il déménage alors rue Nicéphore Niepce, toujours dans le quartier Saint-Cosme [19]. Il reste fidèle à ses convictions fouriéristes : quand Hippolyte Destrem lance en 1888 un nouvel organe fouriériste, La Rénovation, il s’y abonne et envoie de l’argent pour soutenir le périodique et faire envoyer des exemplaires à des personnes susceptibles de s’y abonner ; il adresse 100 francs pour la réalisation de la statue de Fourier, peu avant son décès [20].

« Une foule considérable », évaluée par l’Union républicaine à « au moins mille personnes », assiste à ses obsèques purement civiles. On y trouve notamment des délégations des loges franc-maçonnes de Chalon-sur-Saône et des environs, des membres de la Libre pensée et d’une société de secours mutuels. Les orateurs insistent sur la générosité et la tolérance de Wurgler, « distribuant à pleines mains ses largesses à tous les malheureux qu’il connaissait, sans jamais s’inquiéter de leur croyance », et sur sa fidélité aux principes républicains. Ses convictions phalanstériennes ne sont pas mentionnées [21].

Du côté de l’École sociétaire, son décès est signalé tardivement par La Rénovation, qui dit ne l’avoir appris « qu’indirectement » [22]. Wurgler est en effet le dernier témoin du groupe phalanstérien des années 1840, et il n’existe plus de fouriéristes à Chalon-sur-Saône pour communiquer l’information aux condisciples parisiens.