Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Debû-Bridel, Jacques (Ernest-Othon)
Article mis en ligne le 8 juin 2011
dernière modification le 25 juillet 2011

par Desmars, Bernard

Né le 22 août 1902 à Mézières-en-Drouais (Eure-et-Loir), décédé le 20 octobre 1993 à Paris. Journaliste, écrivain, homme politique. Venu de l’Action française et des ligues d’extrême-droite, il rejoint la droite parlementaire dans les années 1930, puis le gaullisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Gaulliste de gauche, il revendique l’héritage de Fourier auquel il consacre plusieurs articles et livres.

Jacques Debû-Bridel est né dans une famille de protestants (son père, Gabriel Debû, par ailleurs ingénieur agronome, et son grand-père maternel, Philippe Bridel, professeur de philosophie à Genève, ont tous les deux été pasteurs). Il fait des études secondaires à Lausanne et à Dreux, puis des études de droit à Paris ; il est diplômé de l’École libre de sciences politiques.

Dans l’Entre-deux-guerres : de l’extrême droite nationaliste et monarchiste à la droite nationale et républicaine

Il commence une carrière de journaliste en 1922, tout en militant dans les rangs des ligues d’extrême-droite : il est d’abord membre de l’Action française ; puis, il adhère au Faisceau, l’organisation fasciste fondée par Georges Valois en 1925, où il peut d’ailleurs côtoyer Hubert Bourgin, l’auteur du premier véritable travail scientifique sur Fourier et le fouriérisme en 1905. Après l’échec du Faisceau, il revient à l’Action française. Autour de 1930, il fréquente divers mouvements et ligues nationalistes. En 1929-1930, il est le gérant de la revue Latinité, où il publie plusieurs textes anticommunistes, et où, se référant à la « bienfaisante action » de Barrès et de Maurras, il fait l’éloge du « fascisme italien [qui] ressemble singulièrement à notre nationalisme » [1].

En 1929, il commence à collaborer à L’Ordre, le journal d’Émile Buré, où il rédige la rubrique parlementaire et politique. Au début des années 1930, il fréquente les cabinets ministériels (il est plusieurs fois chargé de mission) et se rapproche du président du conseil Tardieu. Sur les conseils et avec l’appui de ce dernier, il se présente aux élections législatives en 1932, mais est largement battu par Pierre Cot. Il rejoint ensuite la Fédération républicaine de Louis Marin.

Parallèlement à ses activités journalistiques et politiques, il entame une œuvre littéraire, avec d’abord des romans (il obtient en 1935 le prix Interallié) et des essais sur la littérature (Alphonse Daudet) et sur l’histoire. Il se lie d’amitié avec Jean Paulhan, directeur de la Nouvelle Revue Française.

1937 : « Fourier psychologue et précurseur de Freud » [2]

Son premier texte connu sur Fourier est publié dans la Nouvelle Revue Française en 1937, à l’occasion du centenaire de la mort de cet « étrange, mais authentique génie ». « Avec Saint-Simon et Marx, il est l’homme qui a le plus profondément influencé l’évolution sociale et morale du XIXe siècle », ajoute Debû-Bridel, selon lequel « on retrouve Fourier à l’origine de toutes les idées modernes » [3].

Mais alors que la lecture du fouriérisme est dominée dans les années 1930 par des préoccupations économiques et sociales, Debû-Bridel veut surtout s’intéresser au « Fourier moraliste, [au] Fourier psychologue », qui s’est surtout préoccupé de « l’observation de l’homme et de ses passions » ; « son œuvre est essentiellement psychologique, et sa psychologie est singulièrement hardie pour l’époque », observe-t-il, et « dans son étude des passions, il se révèle singulièrement en avance sur son siècle » [4] ; et en donnant « une très grande attention à l’instinct sexuel étudié sans préjugé [...], il annonce Freud » et « entrevoit le premier la théorie freudienne du refoulement et ses conséquences » [5]. Debû-Bridel approuve Fourier dénonçant « l’hypocrisie des mœurs imposée par la morale restrictive » [6]. Debû-Bridel est sans doute l’un des premiers lecteurs de Fourier à l’avoir rapproché de Freud, et à utiliser des concepts psychanalytiques pour décrire le système passionnel.

Mais « pour comprendre vraiment Fourier, il faut le juger en poète », précise Debû-Bridel qui insiste sur l’imaginaire de Fourier : « peu s’en faudrait que son œuvre n’ait constitué un fantastique roman d’émancipation psychologiquement beaucoup plus riche et tout aussi audacieux que ceux de Wells » ; « par la richesse et la cocasserie de ses images, par ses dons de visionnaire, il est de la race des grands écrivains » [7].

Résistant, proche des combattants communistes, gaulliste et fouriériste

Mobilisé en 1939, il participe aux combats en 1940, puis travaille au ministère de la Marine. Alors qu’une large partie des membres de la Fédération républicaine se rallient à Vichy, Debû-Bridel rejoint la Résistance ; il appartient à un réseau (Super-Nap) qui s’efforce de noyauter les services de l’État. Il est membre de l’Organisation Civile et Militaire (OCM), l’un des grands mouvements de la Résistance ; il publie aux éditions de Minuit clandestines et noue des liens avec des militants communistes, au sein du Front national et en collaborant aux Lettres françaises. A partir de 1943, il représente Louis Marin et la Fédération républicaine (ou du moins son aile résistante) au Conseil National de la Résistance, où il est parfois considéré comme un crypto-communiste (par Fresnay et Bidault) ; il s’y montre favorable « à la participation des travailleurs à la direction de l’économie » et au « développement et soutien des coopératives de production » : ces objectifs, écrira-t-il plus tard, « répondaient aux vœux les plus chers du disciple de Charles Fourier que j’étais » [8].

Cette adhésion à la doctrine sociétaire s’exprime par la publication en 1947 d’une anthologie de textes de Fourier, précédée d’une présentation de sa pensée sur une soixantaine de pages. Debû-Bridel insiste sur l’« actualité de Fourier » (c’est le titre d’un passage) ; « il est en quelque sorte le père des kolkhozes » [9], mais aussi « le père du grand mouvement coopérateur », « un des principaux promoteurs de l’émancipation de la femme, cette révolution du XXe siècle, et des méthodes de la pédagogie moderne », et bien sûr, le « précurseur de Freud ». Il occupe en URSS « une des toutes premières places parmi les penseurs français » et certaines de ses prophéties y sont en cours de réalisation ; mais en même temps, dit Debû-Bridel, « de tous les hommes d’État qui ont marqué de leur sceau le début du XXe siècle, c’est sans doute au président Roosevelt qu’aurait été sa foi » [10]. Enfin, la voix de Fourier, « c’est la voix, renouvelée à travers les siècles, qui appelle l’homme à secouer son fardeau de misère, et lui indique le chemin du progrès » [11].

Membre à la fin de la guerre de l’Assemblée consultative provisoire, Debû-Bridel continue après la Libération ses activités politiques, journalistiques et littéraires. Favorable au maintien de l’unité des différents courants de la résistance, et en particulier à la continuation de l’alliance avec les communistes, et souhaitant la réalisation du programme du CNR, il reste au Front national dont il dirige le quotidien (Front National) à partir de l’été 1944 ; il fait partie du Comité National des Écrivains et de l’Association Nationale des Anciens Combattants de la Résistance Française (ANACRF). Cependant, au fil des mois, l’emprise du PCF s’accroit sur ces différentes organisations. Debû-Bridel quitte la direction du Front national en octobre 1945, en même temps que d’autres membres non communistes ; l’année suivante, en conflit avec Aragon, il est exclu du comité du CNE, puis démissionne du CNE [12]. « L’accord entre le gaullisme et le communisme », en faveur duquel il milite, s’avère impossible [13].

A la Libération, il s’est en effet rangé derrière le général de Gaulle ; il adhère au Rassemblement du Peuple Français dès sa fondation en 1947 et y prend quelques responsabilités (il est vice-président du comité directeur du RPF de la Seine) ; il se situe dans l’aile sociale du mouvement, favorable à l’intéressement des salariés aux bénéfices [14]. Il est élu au conseil municipal de Paris et au conseil général de la Seine ; il siège au Conseil de la République (le Sénat) de 1948 à 1958 et s’y montre « d’une inlassable activité », avec de nombreuses interventions notamment sur les questions éducatives et culturelles, ainsi que, autour de 1950, sur les problèmes de ravitaillement [15].

Cependant, malgré la Guerre froide et en dépit de la réprobation de certains de ses compagnons gaullistes, il continue à côtoyer d’anciens camarades communistes de la Résistance ; il participe avec certains d’entre eux à des meetings hostiles à la création de la Communauté Européenne de Défense et préside le groupe d’amitiés franco-soviétiques. Favorable à l’indépendance de l’Algérie et dénonçant l’emploi de la torture [16], il s’éloigne d’une partie de ses amis gaullistes, tout en restant fidèle au général qu’il continue à rencontrer régulièrement pendant sa « traversée du désert » [17].

Un gaulliste de gauche

Après le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958, Debû-Bridel travaille sur Radio-Monte-Carlo de 1960 à 1967, d’abord comme directeur des services parisiens, puis comme directeur des informations, tout en poursuivant son œuvre littéraire et ses activités politiques. Il fait partie du Centre de la Réforme Républicaine, puis de l’Union démocratique du travail, avec René Capitant et Louis Vallon ; il est l’un des rédacteurs de Notre République, l’organe des « gaullistes de progrès ».

Foncièrement hostile au gaullisme conservateur, et notamment à Georges Pompidou, il situe volontiers de Gaulle et la Ve République dans la filiation de Rousseau, Saint-Just, Robespierre, de 1793 et de la Commune de 1871. Très critique envers les Anglo-saxons, il est favorable au rapprochement avec le Tiers-Monde. Surtout, il recherche une troisième voie entre le capitalisme et le collectivisme soviétique et reprend le principe fouriériste de l’association du capital, du travail et du talent, dont la participation des salariés aux bénéfices lui semble l’une des concrétisations. Si les réformes sociales de président de Gaulle sont limitées (l’ordonnance de 1959 sur l’intéressement des travailleurs aux bénéfices de l’entreprise, et l’amendement Vallon de 1965 prévoyant le dépôt d’un projet de loi sur la participation aux bénéfices n’ont guère d’effets concrets), il faut, dit-il, en accuser le patronat, les catégories les plus privilégiées et quelques hommes politiques comme Giscard d’Estaing et Pompidou, accusés de trahir les volontés du chef de l’État.

Il fait volontiers l’éloge de la révolte de mai 1968, dans laquelle il dit retrouver les idéaux du Conseil National de la Résistance, qui lui-même reprenait des projets développés par Rousseau, Babeuf, Saint-Simon et Fourier. Et la réforme sur la participation, proposée lors du référendum de 1969, aurait pu permettre aux salariés de prendre en main la direction de la vie économique, affirme-t-il ; mais l’échec du référendum, le retrait du général de Gaulle et l’arrivée de Pompidou à la présidence amènent un retour au pouvoir des forces conservatrices.

Il fait partie dans les années suivantes des différents groupes dans lesquels se réunissent les « gaullistes de gauche » : Union populaire progressiste (qu’il fonde en 1969), Union travailliste (1971-1972), nouvelle Union démocratique du travail (UDT).

En 1978, affirmant observer un « retour à Fourier » dans le sillage de mai 1968, de la double contestation du capitalisme et du communisme soviétique, il publie un nouvel ouvrage intitulé L’Actualité de Fourier. De l’utopie au fouriérisme appliqué, dans lequel il consacre une première partie à « l’homme [et] la doctrine », et une seconde aux « influences et réformes ‘’fouriéristes’’ de 1852 à nos jours ». Debû-Bridel à nouveau veut montrer que le projet fouriériste, au moins dans sa version garantiste, s’est en partie réalisé, dans les systèmes de protection sociale, dans le développement de la coopération, dans les nouvelles méthodes pédagogiques... Mais, en s’appuyant notamment sur Marcuse, il fait de Fourier le « théoricien de la contre-aliénation » [18], l’inspirateur d’un « socialisme anti-étatiste, libéral, libertaire même » [19], « l’annonciateur de cette ‘’troisième voie’’ que tant d’hommes de progrès recherchent aujourd’hui, qui permettrait aux hommes de bénéficier de la justice sociale et du bien-être sans leur confisquer la liberté » [20]. Dans la seconde moitié du XXe siècle, deux chefs d’État lui semblent emprunter au fouriérisme : Tito, puisque « de tous les pays ayant rejeté l’économie capitaliste, la Yougoslavie [...] est sans conteste celui où Fourier reconnaîtrait le plus l’application partielle de son rêve » ; et de Gaulle, qui tient « lui aussi un langage d’essence fouriériste » quand il promeut « l’association capital-travail » [21].

Dans les années 1980, ses activités publiques sont désormais réduites, même s’il n’abandonne pas complètement le combat politique (en 1983, il déclare apporter son soutien à l’action du président Mitterrand).

Debû-Bridel est par ailleurs membres de plusieurs associations littéraires (Pen-Club, Société des auteurs dramatiques, Société des gens de lettres) et président d’honneur de France-Terre d’asile. Enfin, dans sa notice du Who’s who, il annonce, à la rubrique « violon d’Ingres » : le tricot.