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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Durant, Thomas Jefferson
Article mis en ligne le 14 mars 2011
dernière modification le 16 mars 2011

par Desmars, Bernard

Né le 8 août 1817 à Philadelphie (Etats-Unis), décédé le 3 février 1882 (Etats-Unis). Avocat, homme politique, adversaire de l’esclavage.

Originaire de la Pennsylvanie, Thomas J. Durant y effectue une partie de ses études avant de partir pour la Nouvelle-Orléans, au début des années 1830, apparemment en raison de difficultés financières dans sa famille ; il travaille quelque temps dans l’administration postale de la Louisiane, puis fait son droit et s’inscrit au barreau. Parallèlement à ses activités d’avocat, où il acquiert rapidement une excellente réputation, il s’engage en politique dans l’Etat de Louisiane. Il participe très activement à la campagne de Polk, le candidat démocrate pour la présidence des Etats-Unis, en 1844. Il est lui-même élu au sénat de l’Etat de Louisiane en 1846. La même année, il est nommé district attorney. L’année précédente, en 1845, il s’est marié avec Mary E. Harper (1827-1881), avec laquelle il aura trois fils et quatre filles.

Fouriériste à la Nouvelle-Orléans

Tout en menant ses activités professionnelles et politiques, il adhère à la cause sociétaire, sans qu’on en connaisse précisément le moment et les circonstances ; il est particulièrement sensible à la critique de Fourier envers la « Civilisation » et le commerce, mais considère que c’est graduellement, en passant par des mesures garantistes, que l’on peut transformer la société ; il compte d’ailleurs sur l’action politique du parti démocrate pour obtenir des changements sociaux. Lui-même dépose devant le sénat de son État un projet de loi établissant une assurance mutuelle en Louisiane (les fouriéristes américains insistent alors beaucoup sur l’avancée sociale que constituerait le développement des mutuelles aux Etats-Unis) [1].
Il est l’un des principaux animateurs du groupe phalanstérien de la Nouvelle-Orléans dans la seconde moitié des années 1840 ; c’est lui qui collecte l’argent des membres et correspond avec les dirigeants du mouvement fouriériste américain [2]. Il établit des liens avec des planteurs de canne à sucre, des négociants, des gérants de journaux et des propriétaires de la Louisiane, dont certains lui envoient des sommes de plusieurs milliers de dollars, au profit du mouvement fouriériste américain [3].
Dans les années 1850, alors que le mouvement fouriériste a beaucoup décliné aux Etats-Unis, il est l’un des quelques disciples américains à apporter son aide à Victor Considerant et aux Européens qui viennent s’installer au Texas [4].

L’esclavage et la guerre de Sécession

Au milieu du XIXe siècle, Durant est un avocat réputé et disposant d’une certaine aisance financière, un homme respecté pour son intégrité et, malgré un caractère plutôt taciturne et une certaine froideur dans son comportement, un citoyen très intégré au sein des élites locales et de son milieu professionnel. Cette situation est cependant remise en cause par le débat sur l’esclavage.
Durant est hostile à l’esclavage, même s’il a lui-même des esclaves (une femme et ses enfants), affectés à des tâches domestiques, qu’il n’émancipe qu’en mars 1863 [5]. Mais dans les années 1840 et 1850, il conseille à ses condisciples américains la plus grande prudence sur cette question [6] ; il faut persuader les propriétaires d’esclaves qu’il existe une meilleure organisation du travail et les amener ainsi à renoncer à l’esclavage ; la meilleure façon de procéder est de faire évoluer globalement la société selon les principes fouriéristes : la question de l’esclavage sera ainsi résolue, puisque chacune des parties verra sa situation améliorée dans un système fondé sur le travail associé. Cependant, cette espérance et cette prudence ne sont bientôt plus de mise, en raison de l’audience déclinante du fouriérisme aux Etats-Unis dans les années 1850, et surtout de la radicalisation des débats sur l’esclavage.
A la suite de l’élection en novembre 1860 de Lincoln, qui s’est prononcé pour l’abolition de l’esclavage, plusieurs États du sud, dont la Louisiane, se retirent de l’Union et forment ensemble une confédération au début de l’année 1861 [7]. Thomas Durant combat d’abord cette sécession, puis, celle-ci étant effective, se met en retrait de la vie politique, d’autant qu’il est affecté par la maladie, puis le décès de l’un de ses fils. Il est d’autre part enrôlé dans une milice confédérée pour des tâches sanitaires. Mais en avril 1862, la Nouvelle-Orléans est conquise par les armées fédérales du Nord et occupée par les troupes du général Butler. Durant revient alors sur la scène politique ; il se voit même offrir par Butler le poste de gouverneur, qu’il refuse, afin, peut-être de ne pas apparaître comme l’allié d’un pouvoir militaire caractérisé par ses abus à l’égard de la population civile. La solution jusqu’alors envisagée -la transformation sociale selon les principes fouriéristes fera disparaître l’esclavage - n’étant plus d’actualité, il se range désormais très clairement dans le camp abolitionniste, d’autant que, constate-t-il, les planteurs ne sont pas prêts à renoncer au travail des esclaves ; toute évolution progressive est donc impossible.
A partir de l’automne 1862, il est un des principaux dirigeants et orateurs du camp unioniste à la Nouvelle-Orléans. En avril 1863, quand des clubs unionistes de Louisiane se rassemblent dans un comité général (le Free State General Committee), ils placent Durant à sa tête. Ce dernier est le principal auteur du projet de ce comité, qui demande la formation d’une nouvelle Constitution, élaborée par une convention représentant les loyalistes de l’État.
En 1863, Durant est nommé attorney général, ainsi que commissaire pour l’établissement des listes électorales, dans la perspective de l’élection de la future convention. Mais des désaccords commencent à apparaître parmi les unionistes, entre ceux qui souhaitent accélérer le processus électoral et le changement constitutionnel, quitte à maintenir des éléments du passé, et ceux qui, exigeant une véritable rupture, revendiquent l’adoption d’une constitution absolument nouvelle. Durant fait partie de ce second courant, mais il est mis en échec : si la convention de 1864 supprime l’esclavage dans l’État de Louisiane, elle ne fait que réviser la constitution de 1852, et reste muette sur la question du vote des Noirs.
Cette division dans le camp unioniste s’approfondit dans les années qui suivent, dans le contexte de la « Reconstruction » du Sud des Etats-Unis. Durant fait partie des républicains radicaux, favorables à l’égalité civique des blancs et des noirs, et donc à l’octroi du droit de vote aux seconds. Il conçoit ces changements dans le cadre d’une nouvelle société émergeant sur les décombres de l’ancien système esclavagiste ; mais ses projets se heurtent à de nombreuses oppositions, venant des anciens milieux esclavagistes qui veulent maintenir leur domination sociale, mais aussi des nouveaux dirigeants civils et militaires de la Louisiane, qu’il accuse de freiner l’émancipation des noirs [8]. Durant est ainsi un opposant à la « Reconstruction présidentielle » d’Abraham Lincoln et de son successeur Andrew Johnson ; leur politique apparaît trop modérée et trop indulgente à l’égard des sécessionnistes, et elle ne remet pas en cause les structures sociales inégalitaires héritées de la période esclavagiste. Il se retrouve également dans l’opposition au gouvernement de Louisiane, tenu par des démocrates ex-confédérés, et par d’anciens unionistes, appliquant une politique conservatrice.
En 1865, Durant s’efforce de construire une force politique, d’abord dans le cadre d’une association réunissant des radicaux et des noirs libres en faveur du suffrage universel (Friends of Universal Suffrage), puis, à l’issue d’une réunion tenue en septembre à la Nouvelle-Orléans, en fondant officiellement le parti républicain de la Louisiane ; il en est élu le président [9]. Mais l’atmosphère politique devient de plus en plus conflictuelle, ce qui se traduit par de violents affrontements à la Nouvelle-Orléans en juillet 1866. Averti que sa vie est en danger, il quitte la Louisiane.

Avocat à Washington et fouriériste

En 1866, Durant s’installe à Washington. Il est certes nommé en 1867 gouverneur de la Louisiane, mais il refuse ce poste, car il ne veut pas être soumis au contrôle des autorités militaires, ainsi que le précédent gouverneur l’avait été. Il est bientôt l’un des avocats les plus actifs et les plus réputés de la capitale, plaidant en particulier de nombreux cas devant la Cour suprême. Ses qualités et son habileté lui valent d’être retenu comme conseil par les autorités fédérales dans le cadre d’une commission hispano-américaine en 1881.
Alors que le mouvement fouriériste américain a disparu en tant qu’organisation, Durant reste en relation avec quelques-uns de ses condisciples et soutient des entreprises d’inspiration phalanstérienne. Sollicité pour présider la colonie fondée par Valeton de Boissière et Brisbane à la fin des années 1860 (la Kansas Co-operative Farm, ou Silkville), il refuse, mais apporte son appui et ses conseils [10]. En 1877, il est à la tête de la Cooperative Industrial Association of Virginie, qui aide à la création d’une éphémère communauté semi-fouriériste, sur le Potomac, à une trentaine de kilomètres de Washington [11] ; dans la même décennie, il propose un plan de colonies coopératives qui seraient établies avec l’aide du gouvernement fédéral [12]. Comme plusieurs de ses amis fouriéristes, il participe à des mouvements de travailleurs, qui dénoncent les conditions de vie populaire et les conséquences du développement du capitalisme industriel ; les fouriéristes essaient d’y faire valoir la solution coopérative. Durant s’associe aux campagnes du Greenback Party, à la fin des années 1870 ; il appartient (aux côtés de Brisbane et de Channing notamment) à la New England Labor Reform, qui réunit des syndicats, des groupes réformateurs, des militants de la journée de 8 heures. Il contribue à porter les idées associationnistes dans les milieux populaires et chez les partisans de la réforme sociale [13].
Il est également en relation avec l’École sociétaire française ; il est l’un des actionnaires de la société anonyme constituée en 1869 pour exploiter la Librairie des sciences sociales et publier le journal La Science sociale [14] ; en 1872, quand certains fouriéristes souhaitent rénover le mouvement sociétaire, il s’engage à prendre quatre actions dans la future Société des études sociales qui, finalement, ne verra pas le jour [15]. Il est abonné au Bulletin du mouvement social [16].
Sa mort, en février 1882, n’est cependant pas mentionnée dans la Revue du mouvement social  ; elle n’est pas non plus signalée lors du banquet du 7 avril 1882, quand sont énumérés les condisciples morts dans les douze derniers mois. Les liens entre les derniers fouriéristes américains et l’École sociétaire français, elle-même très affaiblie sinon moribonde, ont à peu près disparu, au début de ces années 1880.