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99-120
Les noces de Physis et de Techne
Walter Benjamin et l’idée d’un matérialisme anthropologique
Article mis en ligne le 5 janvier 2011
dernière modification le 13 octobre 2016

par Wohlfarth, Irving

Dans l’entre-deux-guerres, Benjamin a défendu l’idée que la dialectique marxienne entre les relations et les forces de production a été bloquée d’abord par la société bourgeoise, ensuite par le fascisme. Il en a résulté une « réception manquée », en réalité une « révolte » de la technologie », qui a inexorablement conduit à la guerre. L’alternative - telle que l’expérience soviétique a semblé la porter au départ - a été une libération renouvelée à partir de cette dialectique : fin de l’exploitation de l’homme et de la nature ; émancipation du corps et de la technologie. Cela présupposait expressément la formation d’un sujet historique collectif. Le socialisme utopique de Fourier a trouvé sa place au sein de ce matérialisme historique « anthropologiquement » élargi - avec des conséquences radicales et inquiétantes pour l’écologie politique actuelle.

La dernière guerre […] fut une tentative pour célébrer de nouvelles noces, encore inouïes, avec les puissances cosmiques. […] Ces grandes fiançailles s’accomplirent pour la première fois à l’échelle planétaire, c’est-à-dire dans l’esprit de la technique. Mais […] la technique a trahi l’humanité et a transformé la couche nuptiale en un bain de sang. [1]

Car rien n’y fait, il faut bien se l’avouer : du matérialisme de Vogt et de Boukharine on ne passe pas sans rupture (nicht bruchlos) au matérialisme anthropologique dont témoigne l’expérience des surréalistes et, avant eux, celles d’un Hebel, d’un Georg Büchner, d’un Nietzsche et d’un Rimbaud. Il demeure un reste (Es bleibt ein Rest). Le collectif, lui aussi, est corporel (leibhaft). Et la phusis qui s’y organise en technique ne peut être produite dans toute sa réalité politique et matérielle qu’au sein de cet espace d’images (Bildraum) avec lequel l’illumination profane nous familiarise. Lorsque le corps et l’espace d’images s’interpénétreront en elle si profondément que toute tension révolutionnaire se transformera en innervation du corps collectif, toute innervation corporelle du collectif en décharge révolutionnaire, alors seulement la réalité s’est dépassée aussi loin que l’exige le Manifeste communiste. [2]

C’est ici, dans le dernier paragraphe de son essai de 1929 sur le surréalisme, que Benjamin avance pour la première fois la notion de “matérialisme anthropologique” [3] et qu’il fournit les prémices de ce qu’il nommera ultérieurement la “seconde technique”. C’est dire que ces deux concepts ont partie liée. Le lieu de leur rencontre mérite qu’on s’y attarde : c’est dans le contexte d’un mouvement artistique – ou plutôt d’un mouvement qui, justement, entend faire sauter la division entre art, vie et politique – que Benjamin les introduit. [4] De même que le “matérialisme anthropologique” figure ici comme la promesse d’un “matérialisme historique” ouvert à de nouveaux horizons, la notion de “seconde technique” (zweite Technik) rejoue à de nouveaux frais la vieille opposition, tributaire de la philosophie grecque, entre phusis et techne. Ce qui est visé à travers eux, c’est un autre désenchantement du monde, une deuxième Aufklärung.

Trois éléments stylistiques sont à relever dans le passage que l’on vient de citer. Si “le style, c’est l’homme”, c’est, du même coup, son style de pensée : en l’occurrence, celle d’une philosophie, d’un monde, à venir. [5]

1. Le discours philosophique, tel que Benjamin le conçoit et le pratique, est un dis-cours au sens littéral : il va à contre-courant. [6] Un mot de Gide revient sous sa plume : “Ne jamais profiter de l’élan acquis”. [7] N’empêche que son essai sur le surréalisme tente de tirer parti du formidable élan – de la débordante “vague de rêves” [8] – déclenché par ce mouvement. C’est-à-dire, de canaliser ses énergies. [9] Sans imiter l’écriture automatique des surréalistes, l’essai qu’il leur consacre s’en inspire. Ses phrases ne s’enchaînent pas toujours selon les règles convenues – celles de la “gute Stube” [10] évacuée par les surréalistes –, mais souvent selon la logique de deux types d’“association libre” : celles de Freud (freie Assoziation) et de Marx (Verein freier Menschen). Procédant par sauts, ellipses et entrechoquements, cette “prose intégrale” [11] brûle les médiations, épouse le rythme d’une dialectique non-hégélienne et interrompt ainsi le continuum des “vainqueurs”. [12] Bref, elle s’illustre elle-même. Malheur, donc, au commentateur qui tenterait d’en tirer des synthèses autres que celles, violentes et provisoires, qu’elles pratiquent elles-mêmes. Il lui est pourtant difficile de faire autrement.

2. Dans les dernières pages de cet essai, Benjamin lance deux notions – ou images conceptuelles (Denkbilder) – étroitement liées à celles de “matérialisme anthropologique” et de “seconde nature” : “espace d’images” (Bildraum) et “espace de corps” (Leibraum). Selon la deuxième phrase de ce dernier paragraphe, cet espace s’ouvre seulement dans certaines conditions : non pas, comme chez Proust, au gré des hasards sensoriels de l’expérience individuelle, mais au coeur de l’action collective. Mais ce qui ouvre cet espace ici, sur cette page, c’est la prose de Benjamin, qui, ici encore, fait ce qu’elle dit. Son inspiration viendrait ainsi de celle – de l’action – qu’elle chante. En ce sens, on pourrait parler d’une poésie de la poesis.¬ Là, par exemple, où l’interpénétration des images et des corps est dite être si profonde que “toute tension révolutionnaire se transformera en innervation du corps collectif, toute innervation corporelle du collectif en décharge révolutionnaire” [13]. Deux tendances contradictoires semblent se confondre dans ce fragment de phrase : une variation expérimentale du propos (Spielraum) et sa répétition rythmée, quasi incantatoire, comme venue du fond des âges (Leibraum). Expérience, donc, dans les deux sens du terme. Ex-périence aussi au sens d’une ex-tase qui sort l’individu de ses limites. Tenir ensemble les forces extatiques du cosmos ancien et les progrès foudroyants de la technique moderne, telle fut, on y reviendra, la gageure de “Vers le Planétarium”.

3. L’extrait que l’on vient de commenter fait partie d’une phrase qui esquisse un potentiel et un programme. Celui-ci ne pourra donc se réaliser qu’à l’avenir. D’où les temps choisis par le traducteur : “Lorsque le corps et l’espace d’images s’interpénétreront en elle si profondément que toute tension révolutionnaire se transformera […], alors seulement la réalité sera parvenue (…)”. Or ce choix de temps régularise ceux de l’original. Là où la traduction met deux futurs (dans la proposition subordonnée de temps) et (dans la proposition principale) un futur antérieur, l’original avait placé deux présents (sich durchdringen, werden) et un passé composé (hat sich übertroffen). Aussi inhabituel en allemand qu’il l’aurait été en français, ce choix de temps induit un certain effet d’aliénation. Tout se passe comme si, le temps d’un temps, l’avenir s’était déjà passé. [14] Comme si l’attente s’était dépassée vers le futur qu’elle appelle de ses vœux. Et pourtant il ne s’agit nullement d’un vœu pieux, voire d’un mirage hallucinatoire, mais d’une de ces “illuminations profanes” dont “l’espace d’images et des corps” figure ici comme le terrain privilégié. [15] Ces illuminations sont aussi courtes que l’attente est longue. Si “celui qui attend” (der Wartende) compte parmi les illuminés pour lesquels l’essai sur le surréalisme prend fait et cause [16], c’est qu’il participe déjà à ce qu’il attend et le réalise dès maintenant sur le mode fugitif du symbole. [17]

Revenons à l’idée d’un “matérialisme anthropologique”. Marx avait forgé le terme “matérialisme historique (et “scientifique”) contre le matérialisme atomique des Anciens, le matérialisme mécanique d’un Hobbes, le matérialisme utopique d’un Fourier, et le matérialisme contemplatif d’un Feuerbach. [18] Benjamin, lui, lance l’idée d’un matérialisme anthropologique [19] pour mieux le démarquer du matérialisme métaphysique de Vogt et de Boukharine, chez lesquels le matérialisme historique, devenu une métaphysique d’Etat, est redevenu un matérialisme mécanique (qu’on appellera “diamat”), voire idéaliste. [20] Ce qui manque à un tel matérialisme méta-physique est, précisément, la dimension de la physis, individuelle ou collective. Dimension hautement – mais non pas bassement – matérialiste : d’où le choix, ici, du mot Leib, et non pas Körper. Comme l’indique la référence au Manifeste Communiste [21], le matérialisme anthropologique ne se pose nullement en opposition ici au matérialisme historique (ou au “matérialisme politique” évoqué dans le même paragraphe). Tout en voulant élargir ses horizons, il se place sous l’autorité de celui-ci. C’est du matérialisme historique, et non pas d’un matérialisme métaphysique, que l’on peut passer à un matérialisme anthropologique.

Benjamin évoquait auprès de Scholem le “fonds contradictoire” de sa pensée. Comme plus tard les thèses Sur le concept d’histoire, l’essai sur le surréalisme cherche à réunir des concepts, des noms et des mouvements jusque-là inconciliables sur le plan historico-politique. Autant d’éléments épars ou éclatés qui seraient destinés à faire cause commune. Dans l’essai sur le surréalisme, il s’agit de faire travailler – et jouer – ensemble jeu et travail, ivresse et discipline, révolution et révolte, matérialisme historique et anarchisme ; dans les thèses sur l’histoire, de faire collaborer matérialisme historique et théologie. Non moins hétérogène est la liste des auteurs cités ici comme témoins pour la cause : Hebel, Büchner, Marx, Nietzsche, Rimbaud [22] et les surréalistes, entre autres. L’“exigence” du Manifeste Communiste reste ; mais une nouvelle constellation historique dicte une nouvelle stratégie. Marx s’était vu contraint de définir la cause commune par toute une série d’oppositions et d’exclusions. [23] Si les mêmes raisons politiques obligent Benjamin à son tour à démarquer le matérialisme historique d’un matérialisme vulgaire, d’un anarchisme enfantin et d’une social-démocratie corrompue, il le redéfinit en même temps par toute une série d’inclusions.

“Le critique”, écrit-il, “est stratège dans le combat pour la littérature (Literaturkampf)”. [24] Un des éléments de cette stratégie consiste à ne pas laisser à l’ennemi le monopole des ressources précieuses. [25] D’où le mot d’ordre de l’essai sur le surréalisme : “gagner les forces de l’ivresse (die Kräfte des Rauschs) pour la révolution” [26]. Autrement dit : ne pas abandonner ces forces au nazisme, comme le libéralisme bourgeois croit pouvoir et devoir le faire, mais les orienter vers ladite “génératrice” (Kraftstation). Pas d’acte révolutionnaire, écrit ici Benjamin, sans un moment d’ivresse anarchique. La révolution serait là pour contenir ses propres forces. A l’aliénation collective qui prive les individus privés du collectif et les rend ainsi littéralement idiots, Benjamin oppose une tout autre aliénation comme élément inaliénable, anthropologique, du véritable matérialisme historique : l’expérience extatique du collectif. Expérience qui se perd en Occident, et sur laquelle nous renseignent les anthropologues. [27]

Deux autres alliances inédites sont invoquées dans le dernier paragraphe de l’essai sur le surréalisme. D’abord, celle du matérialisme politique et de la créature physique. Ensuite, une interpénétration de la phusis et de la techne, celle-ci devenant la physei – la deuxième nature – de celle-là, devenue à son tour corps collectif.

Il en résulte l’innervation [28] et la décharge des tensions collectives dans un espace d’images et de corps. Cet espace ne “s’ouvre” qu’aux rares moments où se fait jour une “faille” dans le continuum de l’histoire. [29] Un “véritable” état d’exception [30] suspend alors l’autre – la catastrophe de tous les jours, le fait que “les choses continuent à « aller ainsi »”. [31] Le géant endormi s’éveille, ne fût-ce qu’un instant, l’ordre dominant se défait. [32] D’où le “désordre” de l’espace ouvert par cette brèche. [33] Espace qui “ne peut plus être exploré sur le mode de la contemplation.” [34] C’est un “agir” (ein Handeln) qui génère ses images, qu’il “dévore” dès qu’il les “expulse”. [35] Bref, les images produites par “l’inconscient du collectif” [36] n’ont presque rien en commun avec les “archétypes” intemporels de “l’inconscient collectif” de Jung.

Espace d’images, espace de corps, innervation, illumination profane – ces termes, qui ne sont pas sans rappeler la “terminologie mystique” des romantiques allemands [37], se regroupent dans certains écrits de Benjamin en “constellations” d’“images dialectiques”, en “instantanés” [38] qui condensent un vaste programme en un “énorme raccourci”. [39] Le fait que l’on en tient le mieux compte en lui empruntant ses propres termes ne fait qu’ajouter à la difficulté d’échapper à l’immanence de leurs renvois réciproques. S’y ajoute un autre problème de méthode, que l’on pourrait formuler de la manière suivante. En 1938, Benjamin note, à propos de La recherche du temps perdu, que les intermittences de la “mémoire involontaire” n’ont rien de fortuit, mais témoignent du caractère inéluctablement privé de l’expérience des modernes. [40] Or la recherche qui amène Benjamin à forger la terminologie avec laquelle nous sommes en train de nous débattre ici consiste à transposer à l’échelle de l’expérience collective des termes – dont, justement, la mémoire involontaire [41] – tirés de l’expérience individuelle. [42] “Le XIXe siècle”, note-t-il dans le Livre des Passages, “un espace de temps (Zeitraum), un rêve de temps (Zeit-traum), dans lequel la conscience individuelle se maintient de plus en plus dans la réflexion, tandis que la conscience collective s’enfonce dans un sommeil toujours plus profond”. [43]] Benjamin reformule ici l’éloge du flâneur fait par Baudelaire – “Il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude” [44] – de la manière suivante. Les structures “privatisantes” de la société bourgeoise sont telles qu’il n’est guère donné à l’individu d’accéder à la conscience collective. [45] D’où la difficulté intrinsèque que rencontrent ses lecteurs, en tant qu’individus privés – privés du collectif –, d’évaluer le succès de l’expérience tentée dans Le Livre des Passages. Reste, d’ailleurs, à savoir si sa terminologie ne témoigne pas de la même difficulté. Le fait qu’elle saute à pieds joints de l’individuel au collectif pourrait en être un indice.

Le projet qu’a formé Benjamin dès sa jeunesse d’écrire sa “politique” (meine “Politik”) [46]] n’a jamais abouti. Restent quelques tentatives tardives et fragmentaires de déplier le programme ébauché dans “Vers le planétarium” et repris dans le dernier paragraphe de l’essai sur le surréalisme : notamment, les pages consacrées à la “seconde technique” dans différentes versions de l’essai “L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique”, les deux exposés – et certaines notes éparses – du Livre des Passages, et les dernières thèses, et paralipomènes, Sur le concept d’histoire.

Cette politique se fonde sur un fait primordial – celui “que jamais ne perd de vue un historien instruit à l’école de Marx” [47] : à savoir, la lutte des classes. A partir de là, le véritable “sujet historique” [48] ne se laisse plus identifier avec les vainqueurs, dont le “cortège triomphal” [49] ne fait que perpétuer la préhistoire. Il est du coté des vaincus. Mais il n’accède à lui-même qu’aux moments où ceux-ci, quittant le cortège funèbre, tentent de prendre leur sort en main. [50] Ce sujet de l’action et, du même coup, de “la connaissance historique” [51] n’est plus un sujet au sens courant ou philosophique du terme : “Le sujet de l’histoire n’est nullement (beileibe) un sujet transcendental mais la classe combattante, opprimée, (die kämpfende unterdrückte Klasse) dans sa situation la plus exposée”. [52] Division des classes, division de l’in-dividu [53] : ce n’est qu’en fracturant le sujet bourgeois (en partis, en partisans, en pulsions partielles) que l’idée bourgeoise – “l’homme” en tant que “genre humain” – se laisse enfin réaliser. [54]

L’idée que se fait Benjamin de ce sujet collectif est celle d’un corps qui s’incorpore la technique, celle-ci étant comprise comme un ensemble d’“organes” qui prolongent ceux de la phusis. [55] Le rapport qu’entretient ce sujet au monde n’est plus d’ordre purement contemplatif ou théorique, comme l’est celui des philosophes dénoncés dans les Thèses sur Feuerbach, mais active et pratique. Se croisent ici l’homme tel que le redéfinit Marx contre les abstractions de la philosophie idéaliste – hommes au pluriel, concrets, historiques – et le corps et la terre pour lesquels Nietzsche avait pris fait et cause contre la métaphysique occidentale. Ni corps individuel ni “corps social” – métaphore organiciste qui a toujours servi à naturaliser les hiérarchies sociales en place –, ce corps de corps est aussi le strict contraire du Léviathan de Hobbes. Masse critique en puissance, il ne se soumet plus à l’Etat. Le corps collectif s’occupe lui-même de l’organisation de ses organes. Il parvient à lui-même en pratiquant l’“anarchie régulière” [56] d’une révolution permanente. [57]

Le théâtre épique, écrit Brecht, s’adresse à des intéressés “qui ne pensent pas sans motif” [58]. Marx avait conçu le prolétariat selon le même principe. Seule une classe qui ne pouvait se libérer qu’en s’abolissant en tant que classe avait intérêt à faire venir la société sans classes. [59] Dès lors, l’idée de l’humanité reposait non plus sur de beaux discours, mais sur les intérêts matériels du prolétariat, qui n’avait rien à perdre que ses chaînes. Le sempiternel conflit entre idée et intérêt n’avait plus lieu d’être. [60] Mais il restait encore à voir si ce raisonnement impeccable, voire providentiel, pouvait effectivement “prendre”. [61] Tout le problème gisait dans l’écart qui séparait une telle “algèbre de la Révolution” (Hertzen) des situations et des mentalités réelles des opprimés. [62]

La notion de corps collectif que Benjamin introduit dans le débat semble être destinée à combler cet écart. Elle naît du besoin d’identifier un sujet de l’histoire capable de répondre à “l’exigence” formulée dans le Manifeste Communiste – ceci à une époque où une grand partie du prolétariat risque désormais de passer dans le camp fasciste. [63]

Elle peut aussi être considérée comme une réponse aux apories de l’expérience dans la société bourgeoise. La thèse suivante se laisse reconstituer de certains écrits de Benjamin. Devant l’immense défi que posent les progrès techniques au vingtième siècle, seul un sujet collectif peut être le support d’une expérience digne de ce nom. [64] Car celle que fait désormais l’individu — et notamment cette phusis qu’est le “minuscule et fragile corps humain” [65] – se réduit en grande partie à une terrifiante perte d’expérience infligée par un gigantesque appareil bureaucratique et militaire. [66] D’où la nécessité de réinventer – non pas sur le plan épistémologique, mais en pratique – ses conditions de possibilité. Alors, et alors seulement, la techne pourra devenir un terrain d’essai où les deux sens du mot “expérience” se rejoindraient.

Ce programme reprend celui de Marx à de multiples égards. D’une part, l’idée d’une interpénétration de la techne et de la phusis varie le mot d’ordre des Manuscrits économico-philosophiques : humanisation de la nature, naturalisation de l’homme. D’autre part, elle repense à nouveaux frais la dialectique entre forces et rapports de production esquissée dans le Manifeste communiste et ailleurs. [67] Le capitalisme ne parvient à contenir cette dialectique – telle est la thèse qu’avance Benjamin, conscient de vivre entre deux guerres – qu’en la faisant dévier vers des guerres impérialistes. Son déblocage ne peut alors se concevoir qu’en termes d’un nouveau déchaînement conjoint des forces sociales et techniques. C’est-à-dire, d’une humanisation de la nature par le biais d’une naturalisation de la technique et, du même coup, d’une technicisation de l’homme – celle-ci étant comprise dans un tout autre sens que ces nouveaux “truchements égarants entre l’ancien et le nouveau” [68] que sont les fantasmagories fascistes et futuristes autour d’un “corps humain métallique”. [69] Inversant et transformant le motif de l’homme réduit au statut d’un “appendice de la machine” [70], Benjamin imagine une techne devenue l’organe d’une phusis universelle. [71]

Pas de transformation des forces productives, selon Marx, sans celle des rapports de production. Les impérialistes, écrit Benjamin dans “Vers le Planétarium”, voient le sens de la techne dans une domination de la nature à l’échelle planétaire ; mais ce qu’il faut dominer, ce sont les rapports de domination eux-mêmes – les rapports entre les rapports et les moyens de production, entre l’homme et la nature, entre les hommes eux-mêmes, entre parents et enfants. [72] Dominer la domination, cette formule anticipe certes la pensée écologiste de notre temps. Mais “Vers le Planétarium” est opposé à tout “raisonnement pacifiste” [73]. Il donne plutôt à penser qu’il n’y a pas de résistance politique de la part des dominés sans une certaine (contre-)violence ; mais que celle-ci se doit d’être d’un autre type que celle qu’elle combat. Ni perpétuer la vieille domination sous d’autres auspices, ni rendre prématurément les armes : l’idée qui affleure ici d’une domination anticipe ce que Benjamin nommera ultérieurement la “seconde technique”.

Comment concevoir la phusis élargie d’un sujet collectif ? “Vers le Planétarium” risque ici l’immense paradoxe d’un “corps nouveau” [74] qui communique avec le dehors, planétaire et autre, et “dans l’esprit de la technique” et dans cette “ivresse” dont les anciens avaient le secret. [75] Ivresse qui ne peut jamais avoir lieu qu’“en communauté” [76] – celle, aujourd’hui, du prolétariat, qui représente dans ce texte non seulement la seule classe capable de réaliser l’idée d’une société sans classes, mais aussi le seul sujet historique qui puisse réunir le meilleur des époques anciennes et modernes, résumant et couronnant ainsi toute l’histoire humaine. [77] A son tour, l’essai sur le surréalisme esquisse une “dialectique de l’ivresse” dans laquelle s’interpénètrent ou se compénètrent sobriété et extase. [78] Aux objections que de tels propos ne peuvent pas manquer de susciter Benjamin aurait sans doute donné la réponse qu’il fit un jour à Scholem : “Le lien philosophique, dont tu déplores l’absence entre les deux parties [de l’essai sur l’œuvre d’art], c’est la révolution qui le fera apparaître beaucoup mieux que moi-même”. [79]

Il ne s’agit pas ici de paradoxes gratuits ou isolés, mais de ce qu’il appelle le “fonds contradictoire” de sa pensée. Des figures de pensées analogues sont récurrentes dans son oeuvre. Ainsi la courte esquisse “Sur le pouvoir d’imitation” conçoit le langage humain comme ayant recueilli et liquidé les anciens pouvoirs mimétiques de la magie [80] ; et dans d’autres textes le rapport qu’entretient l’histoire à sa préhistoire est décrit en des termes similaires – à ceci près que l’histoire doit encore réaliser ce que le langage aura déjà accompli. Le schéma qui s’en dégage se laisse grossièrement résumer de la manière suivante. ”Rien de ce qui eut jamais lieu n’est à considérer comme perdu (verloren zu geben) pour l’histoire” [81] ; mais rien n’est resté inchangé ; et rien ne dit qu’il aurait dû l’être. Quant à ce qui a effectivement été perdu, il reste à déterminer si et comment il faut le remplacer. [82] Ici encore c’est au processus révolutionnaire d’opérer les refontes et de faire le tri.

Il y a d’autres raisons pour s’intéresser dans ce contexte à l’esquisse “Sur le pouvoir d’imitation”. D’une part, ses spéculations sur les origines onto- et phylogénétiques du langage appartiennent clairement à la problématique d’un “matérialisme anthropologique”. D’autre part, ce qu’elles disent du langage en général vaut non seulement, comme on vient de le suggérer, pour le projet de l’auteur, mais peut-être aussi, et au premier chef, pour son langage. C’est dans ce double sens que “Vers le Planétarium” tenterait de puiser ses forces et dans la révolution à venir et dans les pouvoirs cosmiques des anciens. [83]

Ce faisant il intervient de façon précise et intempestive dans son présent. Notamment en se démarquant de quelques-uns des discours les plus marquants, et les plus incompatibles, de l’époque. A tout obscurantisme il oppose le désenchantement du monde ; à celui-ci, les puissances du cosmos. Il sauve des restes de discours en les croisant avec leurs contraires. Regardons de plus près :

1. “Nouvelles noces, encore inouïes (neuer, nie erhörter Vermählung)”, “grandes fiançailles (Werben)” avec les “puissances cosmiques” [84] : citant des vocables qui proviennent d’un vieux fond de la langue allemande (Vermählung, Werben) au nom de ce qui ne s’est jamais entendu (unerhört), ces formules font coïncider l’exploration scientifique de l’espace post-cosmique avec l’“éros cosmogonique” d’une époque très ancienne. [85] Les “philosophes de la vie” (Nietzsche, Klages) avaient vu dans la techne une menace mortelle pour la vie et avaient fui vers le monde du mythe. [86] Benjamin, lui, pense vie et techne ensemble et localise la menace dans la “réception avortée” de la technique [87], nullement dans la technique elle-même, qui, une fois libérée, permettra au contraire de sortir enfin de la préhistoire. C’est sous l’emprise du capital que la technique a “transformé la couche nuptiale en un bain de sang”. [88] Image digne de Klages, mais placée ici sous le signe de Marx.

2. La dialectique, écrit Hegel, “entre dans la force de l’ennemi”. Pour Benjamin il s’agit de reconquérir les forces que l’ennemi a détournées pour la révolution. Par exemple, de ne pas laisser à quelque Lebensphilosophie que ce soit l’exploitation de la “vie”. La dernière phrase de “Vers le Planétarium” affirme : “Le vivant ne surmonte le vertige de l’anéantissement que dans l’ivresse de la procréation”. [89] Trois ans plus tard, Le malaise dans la civilisation clôt ainsi : “Et maintenant il faut s’attendre à ce que l’autre des deux « puissances célestes », l’Eros éternel, fasse un effort pour s’affirmer contre son adversaire tout aussi immortel” [à savoir, Thanatos : la “pulsion d’agression et d’auto-anéantissement]”. [90] Le parallèle ne fait qu’accentuer l’écart. C’est celui entre une façon de dire et un dire. La phrase de Freud fait un usage éclairé, et en ce sens allégorique, de la mythologie ; celle de Benjamin, performe les forces qu’il décrit. Eros en acte, cette parole dit son dire une fois pour toutes. Freud, par contre, ajoute une retouche un an plus tard : “Mais qui peut présumer du succès et de l’issue ?” Sans en présumer, l’envoi de “Vers le Planétarium” jette les forces de la poesis dans la balance.

3. Sa stratégie est néanmoins “freudienne” en ceci qu’elle tente de conjurer un “retour du refoulé”. Refouler l’exigence immémoriale, anthropologique, du corps collectif – exigence non moins catégorique que l’impératif moral –, c’est provoquer sa vengeance : tel est le diagnostic que porte le passage cité en exergue au présent essai sur la Première Guerre et la montée du fascisme. [91] A ces expériences techno-physiques dévoyées, qui trouveront leur répondant littéraire chez Jünger [92] et Marinetti [93], “Vers le Planétarium” oppose une autre. Non pas cependant dans un esprit d’opposition critique, mais en tant qu’affirmation nihiliste. Celle-ci – qui porte, entre autres, le nom de Nietzsche – ne devant pas être laissée, elle non plus, au camp adverse.

Dominer la domination… Treize ans plus tard, le propos de “Vers le Planétarium” sera renouvelé sous d’autres auspices dans les thèses Sur le concept d’histoire. Surtout dans la onzième, qui montre à quel point le discours dominant de la domination a contaminé celui des dominés. A l’idée-maîtresse de Marx – l’exploitation d’une classe par une autre – un marxisme vulgaire a substitué celle d’une exploitation (pseudo-) collective de la nature. Au lieu d’envisager leur libération conjointe, la social-démocratie a hypostasié le travail et fétichisé la technique, réduisant la nature par là à une matière première et le genre humain à une vaste société à responsabilité limitée. [94] Le correctif à ce socialisme capitaliste – qui, ayant gagné la bataille à gauche, est en train de reculer aujourd’hui devant une nouvelle vague de capitalisme sauvage – se trouve, selon Benjamin, dans le socialisme utopique d’avant 1848, notamment celui de Fourier :

Si le travail social était bien ordonné, selon Fourier, on verrait quatre Lunes éclairer la nuit terrestre, les glaces se retirer des pôles, l’eau de mer s’adoucir, les bêtes fauves se mettre au service de l’homme. Tout cela illustre une forme de travail qui, loin d’exploiter la nature, est en mesure de l’accoucher des créations possibles qui sommeillent en son sein. [95]

Cette dernière image, qui esquisse l’horizon dans lequel de nouveaux accouplages entre phusis et techne deviennent possibles, varie celle sur laquelle se termine, treize ans auparavant, “Vers le Planétarium”. Mais le ton, le registre et les alliés ont considérablement changé. On n’est pas ici dans l’extase de la procréation (Zeugung), mais dans l’extravagance des créations (Schöpfungen). La parole n’est plus à ceux qui “vivent des forces du cosmos”, mais à une science libre et inventive, une Aufklärung matérialiste [96], et une “seconde technique”, seule capable de réparer les ravages de la première. Ici encore le matérialisme anthropologique accueille des discours hétérogènes, et même contradictoires, sans tenter de les homogénéiser.

Postscriptum : Benjamin lecteur de notre présent

A la fin des années vingt, Benjamin oppose une ivresse à une autre. En 1940, il confronte les “fantastiques imaginations” (Phantastereien) de Fourier (et le “surprenant bon sens” [97] qu’elles révèlent) aux “fantasmagories” du capitalisme avancé (et à son usurpation du bon sens). Un an plus tôt, la conclusion du deuxième exposé du Livre des Passages s’attarde sur la “dernière fantasmagorie” du XIXe siècle, L’Eternité par les Astres (1872) – une “hypothèse astronomique” méditée par Auguste Blanqui depuis sa dernière prison. Si toutes les fantasmagories du siècle représentent des “truchements égarants de l’ancien et du nouveau” [98], celle-ci en est, selon Benjamin, le nec plus ultra. Il voit dans ces “réflexions ingénues d’un autodidacte” le vieux mythe de l’éternel retour habillé en vêtements neufs et dans celui-ci le paroxysme révélateur des grands mythes du siècle. Notamment celui qu’il prenait pour sa réalité et sa norme : la croyance au progrès. [99] Mais la spéculation de Blanqui va jusqu’au bout d’elle-même. En ruinant de la sorte une grande idée révolutionnaire qui a été pervertie entre-temps en une idéologie de classe, elle scelle en même temps l’échec de tous ses propres efforts pour forcer le passage du seul progrès qui en aurait été un : la révolution. Les révolutions des astres annulent ici toute révolution sur terre. A ceci près que cette capitulation inconditionnelle devant les (supposées) lois physiques de l’univers se donne aussi à lire comme une continuation de la lutte clandestine par des voies encore plus secrètes. Grâce à la radicalité même de son revirement, le testament de Blanqui ne renie finalement rien de son passé révolutionnaire. Si sa soumission finale inflige “un cruel démenti” à son “élan révolutionnaire”, elle recèle aussi, et par une ironie qui échappe sans doute à son auteur, un “réquisitoire effrayant” [100] contre le siècle. “Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère”, disait Baudelaire. Le message crypté qu’adresse Blanqui à ses contemporains est celui-ci : vous ne faites, vous aussi, que tourner en rond en vous soumettant, vous aussi, à des lois prétendument immuables. Bref, l’idée de l’éternel retour est l’envers et la vérité de la croyance au progrès. [101]

L’historien matérialiste, écrit Benjamin, sait “attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance”. [102] Sa lecture de Blanqui attise cette étincelle à l’endroit même où elle semble s’éteindre. Dans cet éclairage, l’aveu d’échec du grand insurgé éclaire en retour l’échec et l’enfermement non avoués de l’époque tout entière. S’enfermant contre son autre, elle bloque par tous les moyens la dialectique historique qu’elle a elle-même libérée. “Le siècle n’a pas su répondre aux nouvelles virtualités techniques par un ordre social nouveau.” [103]

Ce dernier mot du Livre des Passages résume tout son enjeu. Ecrire “l’histoire primitive” (Urgeschichte) du dix-neuvième siècle, c’était faire l’archéologie de la crise actuelle – celle de l’entre-deux-guerres. Quatre-vingts ans plus tard, cette archéologie est devenue elle-même un objet quasi archéologique, enseveli par les progrès d’une tempête qui continue à amonceler “ruines sur ruines”. [104] Là gît cependant toute son actualité. Les sombres analyses que l’on vient d’esquisser ici restent actuelles dans la mesure où le nouveau siècle ne sait toujours pas répondre aux virtualités de la technique par un ordre social nouveau.

La crise écologique en est une des conséquences, parmi d’autres moins spectaculaires. Comment lui faire face ? Rappelons d’abord ceci : les derniers écrits de Benjamin dénoncent les effets pervers d’un détournement des concepts d’exploitation (celle de la nature par l’homme se substituant à celle d’une classe par une autre) et de progrès (ceux de la technique se substituant à ceux de la société). Or les politiques “vertes” d’aujourd’hui recourent, elles aussi, à des solutions de substitution, souvent moins par conviction que parce que celles-ci sont les seules qui ont des chances d’être mises en oeuvre. Reste la question : ces quelques mesures vont-elles pouvoir suffire ou constituent-elles des soins palliatifs ? L’avenir le dira.

En attendant, on peut extrapoler l’avertissement suivant des diagnostics que firent Marx et Benjamin à partir de leurs époques respectives. Le capitalisme sait certes exploiter ses maux, mais il ne saurait les guérir. [105] Désormais global et plus déchaîné que jamais, il est basé, aujourd’hui comme naguère, sur l’exploitation des hommes et de la nature. Dans le cadre de cette économie, aucun remède durable ne peut être trouvé aux ravages qui lui sont inhérents. La crise écologique découle d’un système de production qui vit de ses crises, Jusqu’ici il a certes trouvé les moyens de ne pas en mourir. [106]] Mais au prix de combien d’autres morts ? Des charniers de toutes sortes appartiennent à ses coûts d’exploitation, mais ce n’est pas lui qui les paye. C’est pour cette raison que Benjamin fait rimer “progrès” et “catastrophe” [107] et nomme “ce que nous appelons le progrès” – ou que nous appelions ainsi avant que ce vocable ne passe, lui aussi, à la trappe – une “tempête” qui vient de loin et laisse derrière elle un “monceau de ruines”. [108]

Tout cela, l’inconscient collectif ne veut pas trop le savoir, mais il le sait quand même. D’où l’abondance de scénarios-catastrophe, au cinéma et ailleurs, destinés à purger nos peurs. Mais la fantasmagorie la plus tranquillisante, la plus dépressive, et la plus sournoise est celle que nous appelons “le réalisme” (alias le “positivisme” du dix-neuvième siècle [109], alias “la fin des idéologies” de la deuxième moitié du vingtième). Cette “raison cynique” (Sloterdijk), qui qualifie de fantasmagorique toute autre position que la sienne, notamment celle qui prend la sienne au mot, n’est en fait que la caricature fantasmagorique de tout véritable désenchantement. Le réalisme bourgeois qui, selon le Manifeste Communiste, noie toutes les illusions féodales dans “l’eau glaciale du calcul économique” est celui d’une classe qui, selon le même texte, “crée un monde à son image” et qui, ne s’ouvrant au monde que pour le réduire à elle-même, bascule déjà dans la fantasmagorie. [110] Sans la résistance de l’autre, le réalisme finit par perdre contact avec le réel, la conscience s’enferme dans sa propre immanence, le monde devient un vaste intérieur – un Weltinnenraum. [111] Aussi réel que fantasmagorique, un tel espace-rêve-temps (Zeit(t)raum) “homogène et vide” [112] n’a de place pour un espace de corps et d’images (Leibraum, Bildraum) que sous des formes subalternes et parodiques. [113]

Cette civilisation désormais mondialisée se sait mortelle. [114] Mais elle ne sait apparemment pas interrompre son exploitation sauvage de la planète et d’elle-même. “C’est à elle-même”, écrivait Benjamin en 1935, qu’une humanité aliénée à elle-même “s’offre en spectacle” [115] – celui de se voir errer d’une guerre à l’autre. Ce spectacle reste, aujourd’hui encore, celui de son impuissance devant le déchaînement de ses propres forces. Ne sachant pas où l’emporte la tempête, elle se cramponne à un statu quo qui n’est autre chose que cette tempête. [116] Selon les Manifestes communistes et surréalistes, la réalité exigeait d’être surpassée. [117] Tout se passe comme si entre-temps cette exigence avait échoué elle aussi sur le monceau de ruines que la tempête laisse derrière elle. Un monopole planétaire est en train de s’établir, son auto-propagande bat son plein, aucune concurrence sauf la sienne, aucun autre Dieu n’est toléré. Dans ces circonstances, les habitants de la tempête, comme naguère ceux de la caverne, la prennent pour la seule réalité possible. Benjamin appelait cette croyance sans croyance “le capitalisme comme religion”. [118]