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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Laverdant, Gabriel-Désiré (dit Me Petit-Jean)
Article mis en ligne le 5 octobre 2010
dernière modification le 16 septembre 2014

par Léger, Astrid

Né en 1810 à l’Île Maurice. Mort à Paris le 1er juillet 1884. Fouriériste, puis fouriériste catholique, pionnier du mouvement phalanstérien à l’île Maurice où il a fondé un asile pour enfants. Un des principaux collaborateurs de La Phalange et de La Démocratie pacifique, instituteur, critique littéraire et d’art, journaliste, architecte (?)

De la République au fouriérisme : histoire d’un engagement

Laverdant est fils de planteur. Les raisons qui l’amènent à quitter sa terre natale sont inconnues. Il est élevé en Auvergne par un « vieux républicain qui s’était appelé Scoevola [1] » (et qui ne figure pas dans le Maitron). À l’âge de neuf ans, il est conduit à Paris où il passe la majeure partie de sa jeunesse [2]. Son éducation est alors entre les mains « d’un des plus tendres amis de Mme Roland », le savant naturaliste Bosc.
En juillet 1830, il est étudiant en droit. Ses goûts le portent aussi vers la philosophie religieuse, le socialisme et l’art. Lors des Trois Glorieuses, il affirme avoir « combattu pour la liberté avec l’enthousiasme de la jeunesse ». Il reçoit d’ailleurs en 1831 la Croix de Juillet [3].
Après l’installation du nouveau régime, il rejoint le parti républicain et participe à ses luttes. Mais il quitte rapidement ce mouvement et s’en explique : la révolte des Canuts de Lyon lui a fait comprendre que le principe démocratique « avait besoin d’être encore fécondé par des études sociales ». Il raconte alors comment, avec ses « amis », il a patiemment élaboré l’idée de la conciliation par la science de tous les intérêts [4]. D’après ses déclarations, il faudrait donc situer son entrée dans l’École sociétaire aux années 1831-1834. C’est Victor Considerant, rencontré à la Bibliothèque de l’Arsenal, qui l’amène au fouriérisme. Il obtient ensuite sa licence de Droit à l’Université de Paris le 9 octobre 1835 [5].

L’enfance au cœur de la réalisation

De retour à Maurice, il collabore au Cernéen, journal mauricien patriote. En 1836, il fonde, avec le soutien de quelques compatriotes gagnés aux idées phalanstériennes, une école rurale pour enfants d’esclaves affranchis, dans les plaines Willems de l’île [6]. Pour cela, il a passé et reçu les diplômes de surveillant et de directeur de salle d’asile [7]. Dans La Phalange de 1837 et 1842, il décrit cet asile, fondé en partie à ses frais et qu’il dirige gratuitement pendant un an : l’établissement repose sur les grands principes de l’attraction, de la liberté, de la division du travail et de l’émulation. Pendant sept mois, cette école gratuite et mixte reçoit vingt-huit élèves qui sont divisés en 3 groupes d’âges et se répartissent selon les travaux en sections. Laverdant explique l’échec de son établissement par la « brutalité » et la méfiance des parents qui refusent que leurs enfants travaillent la terre alors qu’ils sont désormais libres. Ainsi, le nombre d’élèves ne fait que décroître jusqu’à la fermeture de l’école [8].
La réalisation d’établissements d’accueil pour l’enfance reste un souci constant chez Laverdant. Une de ses lettres à Considerant laisse à penser qu’il est l’un des plus fervents partisans du projet d’asile rural pour enfants trouvés conçu par Auguste Savardan en 1847 :

« J’attends le retour de Victor pour lire une note sur le projet d’asile rural, que je crois, non point comme tu as dit une utopie mais la plus saine et la plus indispensable préparation à la réalisation officielle et complète. Quant à moi j’en ai une telle conviction que si l’on ne me donnait pas de raisons contre et si on ne m’aidait pas sérieusement à faire centralement, je ferais à côté avec Mme Mallet qui m’y convie [...]. J’avoue que j’ai soif d’action, de réalisation et une action toute préparatoire, non compromettante et qui peut rendre plus facile l’œuvre si difficile de la fondation me paraît devoir désormais occuper à fond quelques-uns d’entre nous [9]. »

D’ailleurs, en 1851, il publie avec Savadan un projet de colonie maternelle [10]. Cet établissement mixte accueillerait, de la crèche à l’école professionnelle, des enfants trouvés venus de partout en France et de l’étranger, représentant ainsi un échantillon de l’humanité. La colonie serait complétée d’une salle de repos pour personnes âgées [11]. La même année, Laverdant est sollicité par les phalanstériens de Nantes, Indret et Saint-Nazaire pour être le directeur éducatif de leur projet d’école (Savardan en serait le directeur administratif). Finalement, les deux hommes réunissent plus de 100 000 francs de souscription pour réaliser un établissement pour enfants à Condé-sur-Vesgre. Mais l’Ecole refuse de laisser à la tête de ce projet Laverdant qu’elle juge trop religieux. Plus tard, Savardan accuse même Considerant d’avoir fait échouer ce plan en faisant naître une hostilité entre les deux hommes par le biais de courriers [12].

L’Ecole et l’Art

En 1840, Laverdant revient s’installer définitivement en France, tout en restant très proche des phalanstériens de Maurice, qu’il inspire tout au long de leurs efforts de propagation de la doctrine sociétaire sur l’île au cours de cette décennie. Ce retour sur le continent marque son entrée dans la rédaction de La Phalange. Il collabore ensuite à La Démocratie pacifique. Pendant ces années, il voyage beaucoup, se rend à Naples, à Malte, à Madagascar. En 1845, il est à Rennes et déclare vouloir visiter Brest d’où il écrit alors à Hugh Doherty, lui faisant part des revendications du groupe fouriériste de cette ville envers le centre parisien. Plus tard, il parcourt plusieurs villes de Bretagne. Il est très soucieux des désordres qui règnent au sein de l’École. Pendant ces années, il publie dans La Phalange plusieurs articles sur l’art, notamment des critiques du Salon et son De la mission de l’art et du rôle des artistes (1845). Selon lui, le beau exprime, laisse imaginer l’Harmonie dont il est le précurseur et le révélateur : « Le but de l’art est de nous faire concevoir et aimer la destinée vraie et de nous éloigner de conditions de vie fausses et désordonnées. L’art a donc pour mission de nous révéler, dans son expression la plus générale, l’idée du bonheur, dernière fin et consécration divine de la vraie destinée. » [13]
Au contraire, la laideur recherchée de certaines œuvres doit pousser le spectateur à un sentiment de révolte contre la civilisation. L’efficacité de cette stratégie est d’autant plus assurée, aux yeux des disciples de Fourier, que le maître a découvert un système complexe d’analogies entre le monde physique et le monde moral. Des correspondances précises entre des couleurs et des formes et la gamme des passions permet à l’artiste d’accorder les qualités picturales de son œuvre avec des idées morales précises [14].

La colonisation, instrument de la concorde entre les peuples

Laverdant est l’auteur de Colonisation de Madagascar (1844) qui participe du renouveau de la question malgache durant l’été 1845, à la suite d’une intervention manquée d’une flotte franco-britannique, le 15 juin, à Tamatave.
Si Laverdant partage avec Zoé Gatti de Gamond la vision d’un monde bipolarisé entre la civilisation avancée et les barbares attardés, il est en réalité continuellement tiraillé entre l’image du bon sauvage (qui correspond à l’homme de l’« Édénisme ») et celle du barbare qu’il faut absolument civiliser. Ainsi, sa description de l’indigène est ambiguë, voire contradictoire : il les présente d’un côté comme de grands enfants, très facilement influençables, naïfs, vivant « tout ruisselants et lustrés dans leur nudité naïve et saine », autrement dit sous un jour qui rappelle celui des édéniens. Mais paradoxalement, il parle d’eux comme d’hommes marqués par des années de sauvagerie, de barbarie, de patriarcat, aux mœurs immorales et révoltantes comme le cannibalisme.
Cette bipolarisation du monde repose sur les concepts de races et de hiérarchie : Laverdant explique que Dieu a donné à la « race blanche » la supériorité, grâce à la configuration géographique de l’Europe, et lui impose de ce fait l’obligation d’étendre sur tous les peuples du monde les bénéfices de sa force privilégiée [15] et sa religion. Ce devoir découle également d’après lui de l’idée d’une « profonde solidarité qui unit toutes les races du domaine terrestre [16] », directement issue du concept fouriériste de l’unité de l’univers. Ainsi, dans Aux habitants de l’île de Bourbon. La question coloniale (1848), il prêche en faveur de la concorde et de l’association des peuples, et prône la création d’un congrès universel des nationalités. Sa préoccupation est de sauver les Africains de l’esclavage.
La colonisation est comprise comme moyen de répandre l’association qui devait s’étendre au monde entier grâce aux « essaims coloniaux » envoyés par la première phalange en terrain vacant, en pays sauvage ou barbare. Laverdant présente donc Madagascar comme un terrain d’expérimentation privilégié de la théorie sociétaire, de mise en œuvre des armées industrielles et des institutions de « garantisme », comme la centralisation des magasins [17]. Il argue que cette application sera d’autant plus aisée que des germes sociétaires existent déjà dans la société malgache.
Enfin, la colonisation apporte d’abord des avantages économiques, mais ce sont surtout les atouts politiques que procurerait la prise de l’île qui l’intéressent. Elle doit permettre d’assurer la puissance et la grandeur de la France hors de l’Hexagone, par la domination des routes maritimes et terrestres stratégiques. Elle donnera également un but élevé à l’esprit national, sortira ainsi la France de la politique de l’ennui et sera un moyen d’assurer la tranquillité publique en métropole, en déversant dans les colonies toutes les populations misérables et agitées.

Laverdant et les élections d’avril 1848

Laverdant déclare avoir participé à la grande séance révolutionnaire du 24 février 1848 et avoir accompagné Ledru-Rollin et Lamartine jusqu’à l’entrée de la salle du conseil de l’Hôtel de ville où il a refusé de recevoir la moindre place, ma moindre faveur [18].
Le 23 mars 1848, il crée à Clermont-Ferrand [19], afin de promouvoir sa candidature aux élections pour la Constituante, un journal, L’Auvergne Démocratique, (800 abonnés) co-rédigé avec Alfred Adrian [20]. Il adopte alors une attitude très particulière qui montre que la question du rôle que doit jouer l’Ecole sociétaire dans la construction du nouveau régime fait débat au sein des phalanstériens. En effet, en contradiction avec les recommandations de Victor Considerant de rapprochement avec les Républicains, Laverdant refuse de faire partie de la coalition rassemblant Républicains modérés et socialistes du département. Les raisons de ce refus sont profondes et idéologiques.
Contre l’exclusivisme des Républicains, Laverdant pense que toutes les familles politiques (y compris les légitimistes, les « républicains du lendemain ») doivent participer à la construction de la République et à la représentation, qui doivent être des moments de grande réconciliation [21]. La volonté de Laverdant de se présenter comme l’homme de la concorde et de l’unité est liée au projet suprême du fouriérisme et à sa foi chrétienne [22]. Il crée ainsi un véritable système moral, manichéen et dont le point de référence est l’unité : tout ce qui est divisé est mauvais car s’oppose à la figure divine qui est unie (la Trinité), alors que tout ce qui est uni est bon car est à l’image de Dieu et voulu par lui. De plus, Laverdant définit l’Assemblée comme lieu de la conciliation nationale où tous les groupes d’intérêts doivent être représentés de manière proportionnelle et spécifique, par un représentant choisi par ses pairs pour son mérite personnel. Comme l’Ecole sociétaire, il défend donc une représentation ouvrière particulière (document 1)

Document1. Laverdant, dans l’Auvergne Démocratique
Numéro du 30 mars 1848


Mais sa pensée politique est en réalité traversée par les mêmes contradictions que celles du chef de l’Ecole : d’une part, il envisage une démocratie d’opinion encadrée par des partis, tout en souhaitant leur disparition, d’autre part, il balance sans cesse entre universalisme géographique et spécificité sociale. Enfin, à la manière des autres phalanstériens, il considère la violence révolutionnaire du peuple opprimé comme légitime. Mais elle doit ensuite disparaître lors de la construction du nouveau régime. En d’autres termes, Laverdant refuse l’idée républicaine qu’il faut peser sur les élections pour assurer le triomphe du parti de la République, ce qu’il appelle « le despotisme pour la bonne cause ». Il considère que Dieu s’exprime par la voix du peuple à laquelle il faut donc laisser une entière liberté (document 2).

"Aux habitants du Puy-de-Dôme". Profession de foi pour les élections de 1848
BCIU de Clermont-Ferrand, A 10944


Accusé d’être tour à tour communiste, légitimiste, jésuite..., il n’obtient finalement que 13 000 voix et n’est pas élu.

Un fouriériste chrétien

La même année, il se rend en Corrèze, en Haute-Loire et dans le Bourbonnais. C’est également au début de l’année 1848 qu’il se convertit au catholicisme, sans abandonner l’essentiel de ses convictions fouriéristes [23]. Il vient alors grossir le petit groupe des phalanstériens catholiques, au moment où La Démocratie pacifique abandonne peu à peu son attitude bienveillante face au catholicisme. Dès les années 1846-1847, Laverdant, avait souhaité un rapprochement entre les fouriéristes et les catholiques, même au prix de quelques concessions de son mouvement. Après sa conversion, il approuve certains articles de L’Ère Nouvelle, et écrit à Lacordaire, qu’il admire énormément [24].
Son interprétation de la doctrine est orientée par ses principes chrétiens. Ainsi, il considère la théorie sociétaire comme la réalisation de la parole du Christ :

« Voici le règne de Dieu qui va venir enfin, et c’est l’amour chrétien et la science chrétienne qui vont transfigurer le monde. La théorie de l’association industrielle de Fourier n’est pas autre chose que la réalisation, dans le domaine du travail, du principe évangélique de l’unité fraternelle. Étudiez donc cette science nouvelle [...] et secourus par l’Esprit divin à cause de leur union, hâtez l’accomplissement des destinées promises [25]. »

La continuité entre Jésus et Fourier est donc parfaite. Le maître est un nouveau Christ, dont la vie fut sacrifiée au bonheur de l’humanité. Le fouriérisme a pour mission de sauver le monde [26] et l’association est la voie qui mène au salut [27]. A l’instar de Considerant, il compte plutôt sur les capacités de dévouement et de sacrifice de l’homme [28] ainsi que sur l’amour du prochain et l’amour de Dieu [29] pour la réalisation de l’Harmonie. Sur ce chemin, la révolution est guidée par la main de Dieu et orientée par la Providence [30] et la République. C’est une institution divine qui provoque la transfiguration de la France. Il mène alors une action de ralliement progressif du bas clergé au socialisme, par le biais de la discussion et affirme dans une lettre à Considerant : « Si nous savons manœuvrer, avant deux ans, le clergé pour les ¾ sera socialiste, mais il ne faut pas blesser les sentiments religieux [31] ».

À cette époque, il est aussi membre du Comité Central Polonais de France [32], d’où sa préoccupation pour la question polonaise et sa position dans le « conflit » entre ouvriers français et polonais.

En 1850, il se lie avec Arnaud de L’Ariège et écrit : « c’est dans la théorie de Fourier que se trouve la formule du catholicisme social la plus précise ». Selon le Maitron, il est, à ce moment-là, certainement plus catholique que fouriériste. Un an plus tard, il fonde le Cercle de la Démocratie catholique avec Arnaud de l’Ariège, et fait paraître son principal ouvrage Socialisme catholique. La déroute des Césars. La Gaule très chrétienne et le Czar orthodoxe. Il y soutient des idées qui sont les siennes depuis 1848 : « Étant devenu chrétien et chrétien catholique, je suis resté catholique phalanstérien » Il condamne Louis Blanc, exalte Saint-Simon et Fourier, et adopte une longue devise :

« Dieu et le prochain, Foi, Espérance et Charité. Paix, Vérité, Justice, Amour. Liberté, Egalité, Fraternité. Unité, Loyauté, Libre Attraction, Solidarité. Travail Attrayant, Harmonie Universelle. » Il fut l’un de ceux qui sentirent le mieux l’échec du mouvement socialiste chrétien. En 1859, il écrit : « Lorsqu’un homme se présente au public sous ce double titre : socialiste et catholique, il prévoit ce qui l’attend des deux bords opposés : une égale méfiance va renier, réprouver, rejeter l’intrus ou le traître. »

Il collabore parfois à L’Économiste français, fondé par l’ancien fouriériste Jules Duval. En 1862, il présente un rapport sur le logement ouvrier et fait l’éloge du palais de la famille, proposé par Victor Calland, un autre fouriériste catholique de Seine-et-Marne. Il participe quelque peu aux activités de la Société d’Economie charitable et en 1867, devant cette institution, il défend le droit de réunion et la création de chambres de travail composées pour moitié d’ouvriers et de patrons élus.
A partir de ces années, il consacre de plus en plus ses écrits et sa pensée à la question religieuse. En 1864, il fait paraître Théocratie et Diablocratie. Appel aux libres penseurs, dans lequel il combat toutes les « craties », y compris la démocratie, et ne respecte que la théocratie. Il collabore au Mémorial catholique dans lequel il combat les Gallicans. En 1871, il participe au Congrès de Nevers (du 4 au 8 septembre 1871) où il fait une intervention très applaudie. Il condamne la division des classes et semble répudier les principes de 1789 dont il avait pourtant dit qu’ils émanaient du catholicisme. Pendant les douze dernières années de sa vie, il se consacre aux travaux de la Société de Saint Jean pour le développement de l’art chrétien. Son dernier travail est une étude approfondie de l’ouvrage de l’Abbé Valette sur le beau d’après Thomas d’Aquin.
Il meurt à Paris le 1er juillet 1884. Victor Considerant accompagne sa dépouille mortelle à l’église et au cimetière [33].


Aphorisme du jour :
Les sectes suffisent à elles seules à guider la politique humaine dans le labyrinthe des passions
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