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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Calland, Victor
Article mis en ligne le 2 juin 2009
dernière modification le 18 novembre 2015

par Desmars, Bernard

Né le 2 mars 1806 à Laon (Aisne) décédé le 22 août 1865 à Jouarre (Seine-et-Marne). Architecte et rentier. Fouriériste catholique, prenant ses distances avec l’Ecole sociétaire. Partisan d’un « socialisme chrétien ». Auteur d’un projet de « Palais de famille » inspiré du modèle phalanstérien.

Victor Calland est issu d’une famille de marchand assez aisée ; ayant perdu son père très jeune, et sa mère s’étant remariée, il est recueilli par une grand-mère très pieuse, qui l’élève dans la foi catholique. Il entre au collège à 7 ans, pour dix années d’études secondaires que, dans un texte autobiographique publié en 1850, il décrit comme très malheureuses, son désarroi étant aggravé par la mort de sa grand-mère alors qu’il a 14 ans. Dans ce collège, « prison de son enfance, où s’écoulait sa jeunesse dans la tristesse et les larmes », il étudiait « sans goût les fausses sciences qu’on y enseigne » ; « sa jeune intelligence désirait apprendre autre choses que des mots stériles », qui ne répondaient pas à ses interrogations métaphysiques, écrit-il dans le texte déjà cité [1].

Architecture et voyages

Puis, un conseil de famille décide, puisqu’il a des dispositions pour le dessin, d’en faire un architecte ; lui-même aurait préféré la peinture, mais il doit s’incliner et entre à l’âge de 17 ou 18 ans à l’Ecole des beaux-arts de Paris pour « étudier [...] cette science froide et toute mathématique » [2]. Là encore, il conserve de mauvais souvenirs de sa formation, parce qu’en est absente, dit-il, toute référence spirituelle. Parallèlement à ses études, il lit des ouvrages d’esthétique et de philosophie. Pendant cette période, il semble avoir vécu plusieurs crises intellectuelles et religieuses, avec des moments de « doute complet, absolu, [...] doute effrayant qui faillit, par la douleur et le désespoir, lui coûter la vie » ; ses lectures l’emmènent « dans les abîmes sombres et à la fois radieux du mysticisme » [3].
Il part en 1830 pour un long voyage en Europe, qui doit lui faire parcourir le nord de l’Europe, les pays rhénans, la Suisse et l’Italie ; il commence par la Belgique, au moment où celle-ci se soulève pour obtenir son indépendance. A lire son témoignage de 1850, il aurait alors participé au mouvement révolutionnaire, en allant avec quelques amis « agiter la ville de Louvain » [4]. Cependant, la mort de sa mère l’oblige à interrompre son voyage européen et à revenir en France. Il s’installe à Paris à la fin de l’année 1831 ; « sans position sociale arrêtée, sans idées fixes, sans projets pour l’avenir », il lit la presse, suit les réunions publiques et les discussions politiques, étudie les théories sociales. Quelques hommes semblent alors l’avoir particulièrement influencé : Ballanche, dont il devient l’ami ; Lamennais, qui « lui enseigna l’accord possible de la foi et de la science, de la religion et de la philosophie, de l’autorité divine et de la liberté humaine » ; les saint-simoniens, qui lui montrent « l’importante et incontestable supériorité de la religion sur la politique » ; et « Fourier, enfin, qu’il visitait très fréquemment dans le réduit obscur où une misère volontaire le condamnait, [et qui] lui faisait entrevoir dans l’harmonie céleste la science cachée de l’harmonie sociale » [5].
Ces études et ces réflexions provoquent « une fatigue nerveuse », et il part se reposer à la campagne ; dans ses « confessions » de 1850, il dit avoir découvert à ce moment « l’importante nécessité de l’agriculture », dont « l’abandon progressif » est « une des principales causes de le misère du peuple » ; un projet de « collège agricole » enseignant et pratiquant la science agronomique serait né de cette réflexion ; il approfondit sa connaissance de l’agriculture par de nouveaux voyages en France et à l’étranger et par des séjours dans les écoles d’agriculture de Grignon, de Roville..., sans cependant parvenir à réaliser son « collège agricole » [6].

Du fouriérisme au socialisme chrétien

Vers 1835, Calland rejoint l’Ecole sociétaire ; en 1836, il publie dans Le Courrier de l’Aisne deux textes intitulés « Initiation à la loi des harmonies universelles ». L’année suivante, dans Hymne à la femme, il fait l’éloge de Charles Fourier, « le grand théosophe du siècle [...] qui a fait la découverte admirable des lois mathématiques du mouvement et de l’harmonie du monde » ; ce penseur, ajoute-t-il, est déjà suivi par une « école nombreuse » que rejoindront « sans doute un jour tous les hommes de science et de véritable amour » [7].
Cependant, dès la fin de 1837 ou au début de 1838, il annonce son ralliement au catholicisme et son éloignement de l’Ecole sociétaire. Il conserve d’abord une grande admiration pour Fourier, « le plus grand et le plus profond, sans contredit, de tous les économistes modernes » (1838) [8]. Cependant, alors que ses idées et ses projets sont largement influencées par la théorie sociétaire, il cite de moins en moins le nom de Fourier ; et très vite, il semble n’avoir plus que de rares contacts avec des membres de l’Ecole sociétaire. A l’occasion d’un texte publié par Calland sur la commune sociétaire, La Démocratie pacifique souligne la proximité entre ce dernier et les thèses de l’Ecole sociétaire : « Evidemment l’auteur du travail cité s’est inspiré des principes de notre école, car il n’est pas en notre connaissance qu’avant Fourier, aucune école ait posé, comme élément constitutif de l’association universelle, la commune » : mais « pourquoi ne dit-il pas un mot de notre école et de son fondateur ? » [9].
A partir de la fin des années 1830, Calland s’installe hors de Paris, même s’il continue à indiquer dans ses brochures une adresse où on peut le joindre dans la capitale ; il vit un moment dans l’Aisne et, dans un texte imprimé à Soissons, se présente comme architecte, proposant ses services à ceux qui projettent la construction d’édifices ; puis, vers 1840, il demeure vers Senlis (Oise) et se marie avec Elisabeth Séraphine Dautrevaux [ou Dantrevaux], veuve et mère d’une jeune fille. Peu après, il s’installe avec sa famille à Jouarre (Seine-et-Marne), sur la propriété de Beausite. Il a alors cessé d’exercer son activité d’architecte ; il signe désormais ses textes comme propriétaire ou homme de lettres ; il ajoute parfois le titre d’ingénieur, qui ne semble pas correspondre à un diplôme, mais qui renvoie à ses projets de réorganisation sociale sur des bases scientifiques.
Il se consacre alors à l’élaboration du « socialisme chrétien », synthèse entre un socialisme à la tonalité nettement fouriériste, et le catholicisme. Il publie de nombreux textes, tableaux et brochures, dont plusieurs sont présentés comme des extraits d’un ouvrage apparemment resté manuscrit, la Théorie des harmonies ou destinées universelles. Dans ces publications, il affirme que Dieu a créé l’univers, lui a donné ses lois et a conféré aux hommes la mission de gérer les ressources terrestres pour le bien-être de tous. C’est la méconnaissance de ces lois divines qui provoque les maux dont souffre l’humanité. C’est donc à la science sociale - qui procède nécessairement de l’inspiration religieuse - de retrouver et d’expliciter ces lois et d’étudier les modalités de leur application ; ainsi pourra-t-on établir l’harmonie entre les hommes, et aussi l’harmonie en chaque être qui pourra satisfaire « des instincts naturels » conformes à sa destinée voulue par Dieu. Cette harmonie s’épanouira dans le cadre de l’association, qui se déclinera de la commune sociétaire à l’association universelle. Calland insiste beaucoup sur l’unicité du genre humain et l’égalité entre les hommes devant la loi divine ; il déclare ainsi que Dieu a donné à tous un même droit sur la terre ; il n’a donc pas voulu qu’un homme, une famille ou un peuple puisse établir sa domination sur les autres ; le socialisme chrétien - le socialisme n’étant finalement que l’application du véritable christianisme - doit donc être démocratique.
Vers le milieu des années 1840, il noue des relations avec des catholiques libéraux, comme Montalembert [10]. Il s’engage dans le mouvement pour la liberté de l’enseignement dans le secondaire ; il fait également partie d’un « comité électoral pour la défense de la liberté religieuse », dans la perspective des élections législatives de 1846 ; il publie en cette même année une longue brochure sur la presse, dans laquelle il dénonce l’esprit mercantile des journaux et projette la création d’un organe catholique, qui serait lié à une association rassemblant les catholiques au niveau local, national et international [11].

Candidatures et publications sous la Seconde République

Après la chute de la monarchie de Juillet, Calland s’engage très activement en faveur de la Seconde République, qu’il veut sociale et chrétienne ; il met en avant deux thèmes : l’organisation du travail et l’association. Dans plusieurs textes parus sitôt le changement de régime, il interprète la révolution de février comme la défaite du « vieux monde païen » et comme l’avènement d’ « un monde nouveau », un « monde chrétien » avec « une société forte et vraie, fondée sur la justice » [12]. Il est candidat en Seine-et-Marne lors des élections à l’assemblée constituante (avril 1848), au conseil général (août 1848) et à l’assemblée législative (mai 1849) ; il ne bénéficie du soutien d’aucun courant politique, d’aucun journal ; à chaque fois, il ne recueille qu’un très faible nombre de voix (un peu plus de 700 en 1849, quand le dernier élu du département en obtient plus de 26 000) [13]. Dans ses professions de foi, il soutient la création ou le développement d’institutions et d’établissements tels que : « crèches pour l’enfance ; asiles pour la vieillesse ; chauffoirs pour les voyageurs ; écoles d’adultes, où la politique, l’histoire et la morale soient enseignées ; collèges agricole avec fermes exemplaires ; banques cantonales ; ateliers nationaux ; constitution de la commune enfin, de façon à en faire une œuvre véritable, unitaire et vivante » (profession de foi d’avril 1848) ; il propose aussi de lutter contre la misère par un programme de grands travaux, la nationalisation de certains secteurs économiques (canaux, chemins de fer, banques, assurances) et l’instruction du peuple. Ainsi pourra-t-on, selon lui, sauver la République démocratique menacée par les divisions entre classes sociales et par les frustrations populaires qui provoquent le désenchantement à l’égard du régime.
Ses craintes sont renforcées par les émeutes et la répression de juin 1848. A ce moment, Calland élabore avec un ami les statuts d’un « congrès pour l’étude et l’application des questions sociales » dans le département de la Seine-et-Marne ; ce congrès ferait des enquêtes sur la situation des travailleurs, examinerait des projets d’association et d’organisation du travail, se préoccuperait de l’amélioration du sort du peuple grâce à des mutuelles, bureaux de placements, crèches, salles d’asile. Dans un post-scriptum aux statuts, Calland signale que tous ceux qui avaient d’abord paru intéressés par son initiative, s’en sont détournés après les barricades de juin, puisque « les hommes qui s’occupent de l’étude des graves et importantes questions sociales sont l’objet de mille tracasseries et d’odieuses calomnies » [14]
Il se montre très critique envers le ralliement de certains catholiques libéraux aux positions conservatrices du parti de l’Ordre ; il dénonce ainsi l’évolution de Montalembert, qui, d’« une pensée éminemment religieuse et toute populaire », a rejoint une « œuvre antirépublicaine et toute pharisaïque », menée par Thiers, incarnation d’un rationalisme sceptique et bourgeois que déteste Calland [15].
Echouant devant les électeurs, Victor Calland continue à propager ses idées par l’écrit ; il collabore à la Revue des réformes et du progrès en 1849, puis fait paraître entre janvier et juillet 1850 la Revue du socialisme chrétien, dont il est le seul rédacteur. Chaque numéro de cet organe, à la périodicité mensuelle, comprend seize pages et est composé de trois ou quatre articles théoriques ; son contenu est en partie original, en partie emprunté à des textes déjà publiés. Calland y expose une nouvelle fois son « socialisme chrétien » ; il tente aussi, par cette revue, de réunir des adhésions pour les projets dont il poursuit la réalisation depuis le milieu des années 1840 : un « Palais de famille » et un « Institut des hautes sciences sociales ».

Le « Palais des familles » ou « Palais de Société »

Dès 1846, Calland annonce « un travail architectural, susceptible d’une application facile et immédiate » [16] ; la même année, il s’adresse à Louis-Philippe afin d’obtenir son aide pour la fondation du premier « Palais de société » ; cet établissement, situé au milieu d’un domaine de 500 à 1000 hectares, accueillerait 1000 personnes, recrutées parmi « une classe nombreuse, honorable, mais souffrante dans la société actuelle : celle des petits rentiers » : en particulier les employés en retraite, les militaires ayant quitté l’armée, les négociants retirés des affaires... S’y ajouteraient une banque, une assurance sur la vie, une agence d’affaires. D’autres établissements similaires seraient bientôt construits, adaptés à d’autres milieux sociaux : ce serait là le modèle d’une association des travailleurs, conçue « non d’après les rêveries dangereuses de quelques socialistes impies, mais par l’esprit vivifiant de la doctrine chrétienne ». Ainsi pourrait-on résoudre la question sociale et empêcher les « révolutions nouvelles [qui] s’annoncent », prévient Calland en 1846.
Ce projet est repris et développé sous la Seconde République et encore davantage sous le Second Empire ; il est présenté dans quelques périodiques (notamment la Revue du socialisme chrétien ; le Bulletin du mouvement sociétaire, périodique éphémère du mouvement fouriériste ; L’Ami des sciences, revue de vulgarisation scientifique fondée par Victor Meunier, disciple de Fourier [17]) et dans plusieurs brochures, parfois cosignées par un publiciste, Louis de Noiron, et un architecte, Albert Lenoir. Il s’agit donc d’édifier un grand bâtiment comprenant 100 à 120 appartements privés, de dimensions et de confort variables, ainsi que des parties communes, pour la restauration, la distraction, l’enseignement, l’accueil des enfants (crèches), l’exercice physique... Des domestiques nombreux seraient au service des habitants qui pourraient ainsi se consacrer à l’étude, au repos ou aux loisirs. L’institution est donc destinée à des rentiers de la petite et moyenne bourgeoisie qui, contre une somme de 600 à 1200 francs, jouiraient au Palais - selon Calland - de plaisirs et d’agréments qui leur demanderaient un revenu de 4 à 6 000 francs à Paris, dans le cadre de l’habitat isolé ; il s’agit donc de leur procurer « une vie de luxe à bon marché ». De surcroît, les habitants du Palais deviendraient progressivement propriétaires de leur appartement, ce qui permettrait d’aller, indiquent Calland et ses amis vers « la suppression des loyers ». Chacun y trouverait à la fois la sécurité matérielle, la satisfaction de ses goûts personnels et les plaisirs de la sociabilité.
Calland envisage la construction de plusieurs palais : il annonce au milieu des années 1850 la mise en chantier prochaine de tels établissements à Paris, d’abord du côté du jardin du Luxembourg, puis vers les Champs Elysées. Mais c’est à Jouarre, qu’il envisage le plus concrètement la réalisation de son projet. Avec sa femme, son ami Albert Lenoir et deux entrepreneurs de travaux publics, il forme en 1858 « une société civile pour la fondation d’un palais de famille » à Beausite, son propre domicile étant compris dans le futur palais [18]. Les plans sont joints à l’acte de la société : ils prévoient un édifice de cinq étages comprenant 120 appartements, douze salles à manger (« deux restaurants, une table d’hôte, une salle de festins, huit salons particuliers »), des écoles, une chapelle, un cercle ou casino (avec « un grand salon de conversation, une bibliothèque, un salon des dames, une salle de billard, une salle de lecture et un divan fumoir », ainsi qu’une salle pouvant servir pour les bals, les concerts et les spectacles) et une vaste galerie vitrée au centre de l’édifice pour les promenades à l’abri des intempéries. L’ensemble, ajoute Calland, se situe dans un cadre verdoyant, est alimenté par des sources d’eau pure, bénéficie d’un air très sain, et offre des points de vue enchanteurs, sur les vallées de la Marne et du Petit Morin... (voir l’image ci-dessous, tirée de L’Ami des sciences, 6 janvier 1856)
L’appel lancé aux souscripteurs - à qui on promet pourtant des dividendes considérables - ne semble pas avoir séduit beaucoup d’investisseurs. Et bien qu’à plusieurs reprises, Calland affirme que les travaux ont déjà commencé, rien ne semble avoir été construit à Beausite, en plus de ce qui y existait déjà. Calland apporte alors quelques modifications dans la présentation de son projet : il en fait « un établissement de retraite pour la vieillesse » et appelle le conseil général de Seine-et-Marne à l’aider. Il montre aussi l’intérêt que pourrait avoir l’institution des palais de familles, avec quelques adaptations, pour la question du logement ouvrier et en fait un modèle pour la construction de cités populaires.
Si le Palais de familles semble être resté à l’état de projet, tant à Paris et qu’à Jouarre, il a suscité une correspondance entre Calland et Jean-Baptiste Godin. Ce dernier, réfléchissant à l’architecture du futur Familistère, lit la brochure de Calland et Lenoir (Institution des palais de famille, solution de ce grand problème : le confortable de la vie à bon marché, 1855) et prend contact en 1857 avec ses auteurs. Cependant, les projets diffèrent assez nettement, en particulier dans le recrutement social des futurs habitants : Godin veut loger les ouvriers de son entreprise, alors que Calland et Lenoir s’adressent aux rentiers appartenant aux classes moyennes ; d’autre part, le premier veut « commencer sur une échelle restreinte destinée à recevoir graduellement des développements », tandis que Calland et Lenoir proposent un plan complet et fini [19]. Pourtant, Calland, dans une publication de 1859, n’hésite pas à rattacher le Familistère, dont la construction vient de commencer, à son modèle de Palais de familles (l’édification du premier montre, dit-il, que le second n’est pas qu’une utopie) ; il suggère même que Godin s’est largement inspiré des plans que lui et Lenoir ont conçus pour Beausite : « A Guise, près de Saint-Quentin, se construit en ce moment, sous la direction d’un riche manufacturier, auquel ont été, sur sa demande,communiqués les plans constitutifs du Palais de Familles, un vaste Palais industriel, destiné à loger 3 à 400 ouvriers, qui doivent y participer à tout le bien-être que leur procurera nécessairement une existence sociétaire largement conçue » [20].

Beausite
L’Ami des sciences, 6 janvier 1856

L’institut des hautes sciences sociales

Parallèlement à ce Palais de familles, Calland développe d’autres projets, dont un Institut des hautes sciences sociales. Il l’expose pour la première fois, de façon encore assez vague, dans la Revue du socialisme chrétien, en janvier 1850 [21] ; il s’agit d’y former des citoyens, mais aussi des législateurs, des moralistes et des hommes politiques, grâce à des cours « de haute philosophie sociale », « d’histoire générale et de législation comparées » et « de style politique et d’éloquence parlementaire ». Cet enseignement aurait pour fondement la religion catholique. L’institut serait situé soit à Paris, soit à Jouarre.
L’idée est reprise dans la décennie suivante, parfois en association avec le Palais de familles ; elle est approfondie dans une brochure publiée en 1862 [22]. Calland veut constituer un « centre intellectuel » qui comprendrait d’une part un « cercle d’études » réunissant des penseurs « capables de concourir à la formation de la grande synthèse scientifique » ; d’autre part une « école d’enseignement supérieur » accueillant « les jeunes gens qui, par leur naissance, leur rang, leur fortune ou leur éducation, se trouvent appelés à concourir un jour au gouvernement des peuples ou à de hautes directions sociales » ; dans cette école, on étudierait les sciences, afin de former des savants ; un deuxième cours, consacré à l’histoire, et en particulier à tous les projets et systèmes de réforme sociale depuis l’Antiquité, serait destiné aux économistes, diplomates et publicistes ; enfin, un dernier cours développerait les principes de l’association « en vue de leur application pratique », pour des artistes, des ingénieurs, des agronomes et des financiers.
Calland propose sa propriété de Beausite, comme siège de cet Institut ; il lance une souscription pour réunir les fonds nécessaires à la construction et au fonctionnement de l’établissement... là encore sans suite.
Calland imagine aussi des « Palais agricole, considérés comme moyen de reconstituer, par l’association, les communes rurales, la grande propriété foncière et la production agronomique en France » [23] ; sur un domaine de 4 à 500 hectares, il envisage la mise en application du principe associatif, non seulement pour le travail, mais aussi pour l’habitat et la vie sociale ; on relève, parmi les bienfaits de cette organisation, différents objectifs de tonalité fouriériste : « Impossibilité de toute espèce de falsification des denrées et de vols domestiques. - Satisfaction de tous les besoins et même des goûts les plus variés, avec une immense économie dans l’existence. - Affranchissement pour la femme de tous les soins du ménage, et, par suite, liberté plus grande d’instruction et de travail rétribué, source nouvelle de richesse pour sa famille. - Education gratuite des enfants, comprenant les crèches, salles d’asile, écoles vocationnelles et professionnelles, gymnases, soins hygiéniques, instruction morale et dévouement religieux ».
D’autres idées encore - restées à l’état de projets - sont lancées sous la Seconde République et le Second Empire, comme la réunion d’un congrès des socialistes chrétiens [24], la création d’une nouvelle revue, Le Rénovateur, journal des sciences sociales au point de vue du christianisme [25].