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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Courbebaisse, (Antoine-) Alphonse
Article mis en ligne le 28 mars 2009
dernière modification le 26 décembre 2013

par Desmars, Bernard

Né le 8 août 1817 à Aurillac, décédé le 22 mars 1886 à Paris. Ingénieur des ponts et chaussées.

Fils d’un « agent spécial du dépôt royal d’étalons » à Aurillac, puis régisseur de l’Ecole vétérinaire à Toulouse, Alphonse Courbebaisse entre à l’Ecole polytechnique entre 1834, puis à l’Ecole des Ponts-et-Chaussées en 1836. En 1839, il est affecté à Figeac (Lot) comme aspirant ingénieur ; en 1842, il est promu ingénieur ordinaire des ponts et chaussées, à Cahors, toujours dans le Lot ; il s’occupe à la fois du service ordinaire, de la navigation sur le Lot, et des chemins de fer. Il se marie en 1845 avec Marie-Antoinette Bladinières ; le couple a deux enfants, qui, tous les deux, plus tard, font l’Ecole polytechnique [1].

Les occupations variées d’un ingénieur fouriériste

A Cahors, un groupe fouriériste s’est constitué au milieu des années 1840 ; en avril 1847, une soixantaine de convives se réunissent pour célébrer l’anniversaire de la naissance de Fourier ; ils ont accueilli peu avant Jules Duval, qui a fait plusieurs « séances d’exposition » de la théorie sociétaire ; ils font circuler les ouvrages et les journaux phalanstérien [2]. Courbebaisse est l’un d’eux. Peu après la fondation de l’Union agricole d’Afrique, à Saint-Denis-du-Sig, il devient l’un des correspondants de la société, chargé de diffuser de l’information sur la colonie et de recruter des actionnaires [3]. Il est aussi l’auteur d’un texte paru dans l’Almanach phalanstérien pour 1848 [4].
Courbebaisse - ses supérieurs le soulignent dans ses fiches individuelles - manifeste tout au long de sa carrière une « instruction encyclopédique », une curiosité intellectuelle pour les sujets les plus divers ; certaines de ses publications sont liées à ses fonctions, comme ses articles dans les Annales des Ponts-et-Chaussées, ou sa brochure sur « l’extraction de rochers », dans laquelle il propose l’utilisation de l’acide pour faciliter les forages dans les terrains calcaires ; il est d’autre part l’inventeur « d’une machine d’irrigation » [5]. Mais il s’intéresse aussi à la circulation monétaire ; en 1857, observant que l’économie française souffre d’un manque de liquidités, il propose un système de rémunération des dépôts bancaires à court terme, afin d’attirer l’épargne vers les banques et d’accroître ainsi leurs ressources [6]. Parallèlement, il pratique l’astronomie et découvre en 1866 une nouvelle étoile dans la constellation de la couronne boréale [7].
Il réfléchit surtout sur les techniques électorales et sur le meilleur moyen de représenter parfaitement la population... masculine, puisqu’à la différence de certains ses condisciples, il ne semble pas envisager le vote des femmes. Dans un Essai sur la théorie des élections, publié en 1851, il imagine un système en deux étapes : le premier scrutin servirait à désigner les candidats pouvant se présenter lors de la deuxième étape, où seraient élus les représentants du peuple ; chaque élu devant correspondre à un nombre identique d’électeurs, nombre déterminé par la loi, les voix reçues en excédent par rapport à ce nombre seraient reportées sur d’autres candidats - désignés par l’élu en fonction de ses affinités idéologiques - afin qu’ils atteignent ce seuil. De même, les candidats n’ayant obtenu que peu de voix, donc battus, pourraient les reporter sur des concurrents mieux placés qu’eux, mais n’ayant pas encore assez de voix pour être directement élus ; ces reports permettraient donc à ces derniers d’atteindre le seul nécessaire et de siéger à l’assemblée, en représentant non seulement leurs électeurs, mais aussi ceux de leurs rivaux malheureux qui leur auraient apporté leur voix. Grâce à ce système, écrit Courbebaisse, aucune voix ne serait perdue et tous les électeurs seraient représentés à l’assemblée, puisque leur voix, directement ou indirectement, aurait contribué à désigner les députés. Il envisage l’application de ce principe à différents niveaux, de l’échelon local jusqu’à l’échelon national, avec même l’élection d’un « conseil européen devant régler les intérêts collectifs de cette partie du monde, sans recourir au triste droit du canon » [8] Il reprend cette question quelques années plus tard, et prévoit de donner aux chefs de famille un nombre de voix correspondant à l’étendue de la famille, les célibataires ne disposant que d’un seul bulletin [9] ; malgré une audience accordée en 1866 par l’empereur Napoléon III, une pétition déposée en 1867 sur le bureau du Sénat, et une rencontre avec Gambetta, au temps du gouvernement de défense nationale (1870-1871), il ne parvient pas à faire adopter le principe du vote familial [10].

Les aléas d’une carrière, au port de Rochefort

Après bientôt vingt années dans le Lot, Courbebaisse est nommé dans le Morbihan, comme ingénieur des ponts et chaussées de l’arrondissement de Lorient. En 1860, il est mis à la disposition du ministère de la Marine, pour lequel, pendant près de deux décennies, il exerce ses fonctions d’ingénieur dans le port de Rochefort et au fort Boyard. Il apparaît à ses supérieurs comme un très bon ingénieur, même si on le juge parfois plus doué « pour une conception générale des projets que pour leur étude détaillée et leur exécution » ; d’autre part, « son imagination méridionale l’emporte trop loin et son jugement est trop précipité » [11]. Il est promu ingénieur en chef en 1862, puis obtient la légion d’honneur (comme chevalier en 1861, puis officier en 1866). Il est par ailleurs élu au conseil municipal de Rochefort en 1865, puis en 1868 [12].
Dans les années 1870, son « zèle [...] laisse à désirer » ; il est certes « très instruit, savant même et très capable, mais son esprit inventif, chercheur et spéculatif est plus entraîné vers les conceptions générales que vers les détails d’application », et son aptitude « serait générale et très remarquable, si elle était moins exclusivement appliquée aux spéculations de l’esprit » ; son caractère est jugé un peu "excentrique" [13]. Alors qu’il ambitionne une promotion à l’Inspection générale des Ponts-et-Chaussées, sa « conduite scandaleuse » à Rochefort fait l’objet d’une dénonciation auprès de son administration ; « non content de ne pas s’occuper se son service, [il] traîne sa casquette d’ingénieur en chef dans tous les bouges de la ville et s’expose à voir son nom mêlé aux plus honteux procès » [14]. En 1878, on estime qu’il « est fatigué du service », tandis que sa tenue et sa conduite privée « laisse[nt] à désirer ». Son « service marche tant bien que mal, mais sans impulsion, ni direction », regrette le préfet maritime [15]. Il prend sa retraite en 1879.

Une conception apolitique de l’engagement phalanstérien

Après 1849, les activités de l’Ecole sociétaire et des groupes phalanstériens locaux deviennent plus discrètes, ou sont même complètement suspendues, en certaines villes. On sait donc peu de choses sur l’engagement fouriériste de Courbebaisse dans les années 1850. Il semble avoir souscrit à la Société de colonisation européo-américaine au Texas [16]. Dans les années 1860, il est cité parmi les collaborateurs de L’Economiste français, périodique qui n’affiche certes pas un militantisme fouriériste, mais qui promeut l’économie sociale et accueille, sous la direction de Jules Duval, plusieurs rédacteurs venant du mouvement phalanstérien. On ne le voit pas contribuer à la renaissance de l’Ecole sociétaire, dans la deuxième partie des années 1860, autour de François Barrier, de la librairie des sciences sociales et du périodique La Science sociale. Mais quand un journal parisien, Le Figaro, le présente comme un « ex-phalanstérien », il refuse cette qualification, car, précise-t-il, « les théories phalanstériennes ne sont [...] ni une flottante opinion politique, ni une croyance religieuse plus ou moins fixe, ni un simple système économique, mais une science » (document 1) [17].

Une lettre de Courbebaisse
Reproduite dans La Science sociale, 16 décembre 1867

Dans les années 1870, il est en relations plus étroites avec le mouvement fouriériste ; lors du congrès phalanstérien de 1872, on le mentionne parmi les auteurs de projet de réalisation phalanstérienne [18]. Il est abonné au Bulletin du mouvement social [19] et publie un article dans la Revue du mouvement social, toujours sur les élections [20].
La cessation de son activité professionnelle en 1879 lui permet de renouer des liens plus étroits avec ses condisciples. Vivant désormais entre Royan et Paris, il fréquente régulièrement des fouriéristes lors de ses séjours dans la capitale (notamment Marie de Boureulle, Henri Couturier, Eugène Nus, les époux Jean et Virginie Griess-Traut) [21] ; il participe aux banquets phalanstériens du 7 avril, au début des années 1880, et y appelle à la relance de la propagande sociétaire [22] ; il siège au conseil d’administration de l’Union agricole d’Afrique de 1880 jusqu’à son décès en 1886, et soutient les initiatives de Couturier, qui s’efforce d’éviter la disparition de la société et la vente de son domaine en y établissant un « orphelinat agricole ». Son épouse fait partie des « dames patronnesses » de cette œuvre qui tente de conjuguer principes philanthropiques et inspiration fouriériste. [23]
Courbebaisse appartient à une tendance plutôt conservatrice et apolitique de l’Ecole sociétaire. Sous le Second Empire, alors que certains fouriéristes se situent parmi les républicains intransigeants qui refusent toute légitimité au régime impérial et font du rétablissement des institutions démocratiques une priorité, il fait plutôt partie de ceux qui manifestent une certaine indifférence à l’égard du système politique. Désiré Laverdant, dans une lettre à Considerant, le classe même parmi ceux qui « sont pour César », c’est-à-dire Napoléon III [24]. Sans doute son statut de haut fonctionnaire l’oblige-t-il alors à une certaine réserve et l’empêcherait-il, si jamais il en éprouvait le désir, d’exprimer son opposition à l’empereur. Mais en 1880, alors qu’il est en retraite et lors d’un banquet où ses amis se félicitent de la conquête de l’ensemble des pouvoirs exécutifs et législatifs par les républicains, il appelle le mouvement fouriériste à rester en dehors des joutes politiques, considérant que l’essai phalanstérien peut être tenté sous n’importe quel système institutionnel [25]. D’ailleurs ses ouvrages sur le vote sont conçus, moins comme une profession de foi démocratique, que comme un travail de technicien sur les procédures électorales.
Alphonse Courbebaisse a un frère, Emile, qui adhère aussi aux idées fouriéristes, même si son rôle est beaucoup moins important au sein du mouvement phalanstérien.