Bandeau
charlesfourier.fr
Slogan du site

Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Bureau, Allyre
Article mis en ligne le 18 février 2008
dernière modification le 11 janvier 2015

par Cadier-Rey, Gabrielle

Né le 16 avril 1810 à Cherbourg (Manche), mort le 31 octobre 1859 à Kellum’s Springs (Etats-Unis) ; polytechnicien, ami de Victor Considerant ; journaliste, publiciste et musicien ; membre et dirigeant de la colonie de Réunion (Texas).

Allyre Bureau naît à Cherbourg où son père, Antoine Bureau, officier, né en 1780, est en garnison.

Antoine Bureau, le père d’Allyre, en 1839
Extrait de Gabrielle Rey, Allyre Bureau [...]

On ne sait de sa mère pratiquement rien d’autre que son nom. Sa famille paternelle (originaire de Suippes, dans la Marne) est un exemple d’ascension sociale due à la Révolution et à l’Empire. Le grand-père était maître d’école de la paroisse avant la Révolution, laquelle lui a permis, grâce à son instruction, d’entrer dans l’administration territoriale nouvellement créée. Antoine, lui, débutant simple conscrit finit intendant militaire, officier de la Légion d’Honneur et Croix de Saint-Louis. Allyre ne pouvant suivre ses parents dans les différentes garnisons, passe huit ans au collège de Pont-le-Voy, dont sept sans vacances... Après trois ans de préparation, il entre à l’Ecole Polytechnique en 1829. La formation qu’il y reçoit, même s’il s’en éloigne au cours de sa vie, lui permet, au Texas, d’instruire ses fils dont deux deviennent ingénieurs. L’Ecole polytechnique passe pour être « le repaire des idées libérales » et l’on sait le rôle brillant que les polytechniciens jouent dans la Révolution de 1830. On a la relation qu’Allyre fait de sa participation à ces journées et, en particulier, à la prise de la caserne de Babylone. Il en est récompensé par l’octroi de la Croix de Juillet, en juin 1831, même s’il a signé en décembre 1830 la protestation des élèves de l’Ecole polytechnique contre l’absence des mesures démocratiques espérées du nouveau régime. Sorti sous-lieutenant d’artillerie, il est nommé à l’Ecole d’application de Metz où il arrive en janvier 1832. Là, il rencontre Victor Considerant, de deux ans son aîné, qui organise, dans sa chambre, des réunions de propagande fouriériste. C’est le début d’une amitié et d’une fascination qui durent jusqu’à la mort. Alors que Considerant reste dans l’armée jusqu’en 1836, c’est au bout de six mois que Bureau démissionne, pour cause d’adhésion au « système de M. Charles Fourier ».

Portrait d’Allyre Bureau en polytechnicien (1830)
Extrait de Gabrielle Rey, Allyre Bureau [...]

Musique et journalisme

Pour vivre, il se tourne vers la musique. Il entre au conservatoire, donne des leçons de musique et de mathématiques, met en musique des romances de poètes plus ou moins célèbres qui sont vendues, souvent avec en frontispice une vignette de Félicien Nanteuil.

Nuit d’attente, 1834
Extrait de Gabrielle Rey, Allyre Bureau [...]

Ces romances ou des compositions pour piano sont souvent dédiées à des dames de la haute société. Peut-on penser qu’il s’agit de ses élèves ? C’est de cette époque que datent les amitiés romantiques de Bureau (Théophile Gautier, Hugo, Nerval, Dumas, Nanteuil, Liszt, bientôt Berlioz...) qui marquent son style tant littéraire que musical.
En juillet 1835, Allyre Bureau épouse Zoé Rey, 21 ans, qui est « maîtresse d’étude de l’Instruction Publique ». Ils ont quatre enfants : une fille, Alice, et trois garçons. Et en 1836, il est engagé comme violoniste au théâtre des Italiens. En 1836 également, La Phalange remplace le Phalanstère, premier bulletin fouriériste, et est à son tour remplacée, en 1843, par La Démocratie Pacifique, quotidien. Bureau y tient pendant quatorze ans la rubrique de critique musicale, ne cédant pas aux modes du moment et de l’opinion publique. Très tôt, il salue le génie de Berlioz comparant sa puissance à celle de Michel Ange. Parmi les virtuoses, il place Liszt au dessus de Thalberg. Ses articles lui permettent aussi d’exprimer ses idées sur la mission sociale de la musique dans un avenir phalanstérien. S’opposant aux théories de l’art pour l’art, il pense que la musique doit accompagner et aider, dans leurs tâches, les travailleurs. Parallèlement, il continue son œuvre de compositeur : pièces pour piano, piano et violon, et même un opéra-comique qu’il ne peut jamais faire jouer. Quand La Phalange cesse d’être mensuelle et paraît tous les dix jours, sa collaboration s’étoffe et il traite de nombreux sujets de société pour lesquels il propose des solutions tirées de « la science sociale ». Il en est de même dans La Démocratie Pacifique. A partir de 1843, Bureau fait partie du conseil d’administration du nouveau journal et de l’Ecole sociétaire dont il devient le trésorier, aidé dans ses débuts par son père. Mais souvent les dépenses sont supérieures aux recettes.

Espoirs et déceptions

La révolution de 1848 enthousiasme les membres de l’Ecole qui y voient la réalisation du règne social qu’elle souhaite depuis longtemps. La Démocratie Pacifique s’offre comme le centre de ralliement de tous les socialistes. Mais, au cours des ces premières semaines de la République, les contradictions propres à leur doctrine éclatent : ils s’opposent à toute violence révolutionnaire (Bureau écrit contre le bris des machines) ; ils sont contre toute spoliation : leur idéal est l’association Capital-Travail-Talent ; ils n’ont rien de « partageux » puisqu’ils souhaitent l’accession de tous à la propriété ; ils répugnent à la « politique », mais les principaux membres de l’Ecole se présentent aux élections.
La participation d’Allyre Bureau à cette effervescence républicaine se traduit en musique et en politique. Une Association des Artistes-Musiciens qui s’était créée en 1843, sorte de société de secours mutuels, le porte à sa présidence et le veut comme candidat aux élections. C’est à cette occasion qu’il expose ses idées dans une brochure : L’Art dans la République. Il y réclame la démocratisation de l’art notamment grâce aux écoles, la nationalisation des théâtres et la multiplication des orchestres. Dans une lettre, Victor Hugo souligne la parenté avec ses propres idées. Bureau devient aussi président du Club des Républicains-socialistes qui a d’abord son siège dans les locaux de La Démocratie Pacifique. Les délibérations dont on dispose montrent un mélange d’idées avancées et de réflexes modérés. Il en est de même dans les programmes de Bureau dans ses campagnes électorales. Il se présente une première fois dans la Marne (dont sa famille est originaire) sous l’égide de La Démocratie Pacifique, mais n’est pas élu, à cause de la multiplication des candidats de gauche. Considerant est élu, lui, dans le Loiret. Tout au long de l’année 1848, les écrits de Bureau, comme ceux de Considerant, révèlent les contradictions typiques de généreux quarante-huitards pris entre leur « amour sincère et profond pour les masses populaires » qu’ils idéalisent et leur désir d’ordre public, notamment pendant les journées de Juin. Et avec les élections présidentielles et la politique réactionnaire de l’Assemblée, l’année 1848 s’achève dans la désillusion.
En 1849, Bureau se présente à nouveau aux suffrages des électeurs de la Marne, pour les législatives.

Affiche électorale, 1849
Extrait de Gabrielle Rey, Allyre Bureau [...]

Sa profession de foi permet de connaître ses idées. Il prône l’éducation et la justice gratuites, l’indépendance des fonctionnaires, l’abolition de la conscription, la suppression des impôts indirects et des octrois, un grand développement agricole et industriel grâce notamment au lancement de travaux publics. Il souhaite la nationalisation des chemins de fer et de tous les moyens de transport, des mines, des banques et des assurances. Il expose ces idées aussi dans deux brochures : Plus de conscription et Plus de droits réunis, plus d’exercices, plus d’octrois. Il serait intéressant d’ailleurs de comparer ses propositions avec celles des saint-simoniens. Dans ses affiches, il se revendique comme socialiste et comme phalanstérien, c’est-à-dire comme « un homme qui a voué sa vie à l’étude des questions qui intéressent le gouvernement des sociétés et l’acheminement progressif de l’Humanité vers les destinées heureuses que Dieu lui réserve... », dans l’espérance d’un socialisme universel.
L’expédition romaine suscite, le 13 juin 1849, une grande manifestation de protestation organisée notamment par le Comité de la presse démocratique auquel Bureau appartient comme mandataire de La Démocratie Pacifique. La manifestation est violemment dispersée, les locaux de ce journal mis à sac et Bureau arrêté. Il passe cinq mois dans trois prisons parisiennes, la Conciergerie, La Force et Sainte Pélagie, écrivant notamment plusieurs romances pour occuper son temps.

Allyre Bureau à la prison de la Force, 1849
Extrait de Gabrielle Rey, Allyre Bureau [...]

En novembre, il passe, avec les trente et un accusés présents, devant la Haute Cour de Versailles et est acquitté. Mais la Montagne est décapitée, Considerant et François Cantagrel fuient en Belgique pour ne pas être condamnés, les destinées de l’Ecole sociétaire, ainsi que celles de La Démocratie Pacifique, reposent désormais sur les épaules de A. Bureau. De Bruxelles, Considerant ne cesse de le harceler, ne se rendant pas compte des difficultés politiques et matérielles auxquelles il doit faire face. Les militants demandent que le journal se recentre sur la diffusion des idées de l’Ecole et ne soit plus à la remorque de la Montagne, ce qui d’ailleurs correspond aux limitations apportées à la liberté de la presse. Les amendes à payer, les dettes, les frais de jugement ont finalement raison de ce journal que Bureau a cherché à conserver contre vents et marées. Il cesse de paraître le 30 novembre 1851. Entre temps, en mars 1850, Bureau s’est encore une fois présenté aux élections, dans le Cher, pour remplacer Félix Pyat, condamné à la déportation par contumace et exilé à Bruxelles. Mais le temps est à la victoire du Parti de l’Ordre. Et pour l’Ecole, de revenir à son corps de doctrine et pourquoi pas, à une réalisation « l’inauguration, par la fondation d’une commune heureuse, du règne de Dieu sur la terre ».

Au Texas !

Au cours de l’année 1852 Allyre Bureau poursuit la liquidation financière du journal et rassure les phalanstériens de province, en leur annonçant « un plan de campagne pour l’avenir », une réalisation pratique pour laquelle l’Ecole aura encore besoin de leur soutien financier. Victor Considerant, lui, est parti pour les Etats-Unis et rencontre le fouriériste américain Albert Brisbane, fondateur de la North American Phalanx. Sont-ce le découragement devant la situation politique française ou la fascination devant les grands espaces d’un pays qui se construit, toujours est-il que Considerant revient enthousiasmé, avec un grand projet. A Paris, Bureau, pour vivre, écrit des manuels techniques, traduit les romans de Mayne-Reid et, pour se délasser, fait tourner (et chanter) les tables, avec un de ses amis, Eugène Pottier, le futur auteur de l’Internationale, ce qui énerve fort Considerant, pressé de voir mis en œuvre son projet. Son Rapport à mes amis : Au Texas (mars 1854) qui décrit cet Etat comme « la Terre promise » où tout pousse tout seul, sans avoir à fumer les terres, avec « le meilleur climat du monde », sans obstacle, ne peut que susciter le même enthousiasme chez des Phalanstériens déçus de la Réaction en Europe. Mais le fiasco est à la hauteur de l’imagination de Considerant.
A peine un mois après la sortie du livre, les candidats au départ dépassent la centaine. Les demandes affluent de France, de Belgique, de Suisse, émanant de gens prêts à réaliser leurs biens pour partir vers leur idéal. La Société européenne de colonisation du Texas est créée le 26 septembre 1854, sous la forme d’une commandite par actions, au capital de un million de dollars, soit 5,4 millions de francs, souscrits grâce à l’élan des phalanstériens. Dans cette société, ce sont les trois gérants, Allyre Bureau, Ferdinand Guillon et l’industriel Jean-Baptiste Godin qui exercent toute la responsabilité. Victor Considerant, n’en a aucune. Et dans la nouvelle édition de Au Texas, il s’écrie : « Je pars, amis, et vais vous attendre sur la terre immaculée où nous avons à semer la liberté, la science et l’amour ».
Cantagrel, parti le premier, achète dans la banlieue de Dallas environ 1000 hectares de terres, au début de l’année 1855, pour créer le centre de Réunion. Déjà les premiers colons arrivent, chargés de plans de vignes, d’arbres fruitiers, au printemps 1855. Ceux qui ont débarqué à Houston remontent vers le nord, femmes et enfants dans des chars à bœufs, les hommes marchant à côté sur la terre détrempée de pluie, dans des régions inhabitées... Considerant, lui, est toujours à la Nouvelle Orléans. Il n’arrive à Réunion que le 30 mai. Les Bulletins réguliers de la Société de colonisation donnent des détails sur la vie là-bas, tempérant l’ardeur de ceux qui désirent partir tout de suite, sans vouloir pourtant décourager les enthousiasmes... De fait ce premier été 1855 est d’une chaleur accablante et les premières récoltes grillent. Une pluie de sauterelles, puis un hiver très rude, allant jusqu’à moins 15°c, découragent bien des colons. Leur arrivée d’ailleurs a fait monter les prix et des terres et des produits alimentaires. Après un printemps 1856 prometteur, une gelée tardive ruine les efforts. Les difficultés financières, administratives et humaines s’accumulent. Considerant, passant ses journées à fumer sur son hamac, ne pense plus qu’à liquider l’expérience et à aller en tenter une autre ailleurs. Il n’écrit plus à la gérance et en octobre 1855, il quitte Réunion pour San Antonio. Cantagrel démissionne. La gérance est appelée à l’aide, Allyre sachant très bien l’anglais, part pour les Etats-Unis, avec toute sa famille, son mobilier et son piano. Il arrive à La Nouvelle-Orléans le 4 décembre 1856. Le 19 décembre, la famille s’installe à Austin et Allyre se rend d’abord à San Antonio pour discuter avec Considerant, puis à Réunion où il arrive le 17 janvier 1857.

Allyre Bureau en famille, au Texas
Extrait de Gabrielle Rey, Allyre Bureau [...]

Tiraillé entre les exigences de Considerant (liquider le centre sociétaire) et les demandes des colons (qui veulent retrouver leurs fonds et se font menaçants), il sombre dans la dépression. Considerant, refusant de venir, envoie son fidèle Vincent Cousin qui prononce la liquidation, rembourse, pour leur travail et leurs avances, en terres, outils et bestiaux, les colons qui d’associés deviennent des settlers isolés. Le magasin d’approvisionnement est le dernier vestige de la vie collective. Le docteur Savardan, un vieux phalanstérien qui raconte toute l’histoire de Réunion dans son livre Un naufrage au Texas, avertit Zoé Bureau de l’état de désespoir de son mari et elle vient le chercher pour le ramener à Austin. La famille passe dix mois dans cette ville avant de gagner Réunion au printemps de 1858. Au mois de mai 1857, Bureau a fait, avec Considerant, une excursion de trois semaines dans les canyons d’Uvalde dont il a laissé la relation. En novembre, il part à cheval vers Houston à travers la Prairie, guidé par sa boussole ou les étoiles. Sans doute songe-t-il à écrire une description de cet Etat grand comme la France. A Réunion, Bureau achète trois terrains et se met avec ses fils à les cultiver, tout en animant la vie musicale locale. Il s’occupe encore de la gestion du magasin coopératif et il se rend deux ou trois fois par an à Houston pour l’approvisionner en marchandises. C’est au cours d’un de ces voyages qu’il attrape dans cette ville la fièvre jaune (ou le choléra ?) dont il meurt sur le chemin du retour, le 30 octobre 1859. Désespérée, totalement démunie, sa famille vend tout ce qu’elle possède à Réunion, terrains et meubles, et rentre en France.
Tous les témoignages sur Allyre Bureau, de son vivant ou dans les notices nécrologiques, s’accordent sur sa bonté, son dévouement à la cause comme à ses amis, son désir d’harmonie et ses hautes qualités morales. Fasciné par Victor Considerant, il le suit jusqu’au bout et, vingt-cinq ans après leur rencontre, peut encore lui écrire : « Tout à vous comme au premier jour ».