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Tiblier (ou Thiblier), dit Tiblier aîné, Pierre
Article mis en ligne le 28 juillet 2017

par Desmars, Bernard

Né le 7 décembre 1804 à Outre-Furan (ou Outre-Furens, alors une commune, aujourd’hui un quartier de Saint-Etienne, Loire), décédé le 6 février 1865 à Saint-Étienne. Négociant. Actionnaire et correspondant de l’Union agricole d’Afrique (Algérie) ; actionnaire de la société de Beauregard (Vienne), correspondant stéphanois de l’École sociétaire.

Fils d’un armurier – devenu fabricant de roulettes en 1834 –, Pierre Tiblier est généralement qualifié de marchand de bois ou de négociant sous la monarchie de Juillet. Il se marie en 1834 avec Antoinette Point, qui décède l’année suivante. Il se remarie en 1838 avec Catherine Barlet, fille d’un « extracteur de charbon ».

Dès les années 1840 au moins, il fait partie du mouvement fouriériste, tout comme son frère cadet Jean Tiblier, dit Tiblier-Verne. Son nom est mentionné par François Cantagrel qui rencontre en 1844 le « groupe important » des fouriéristes de Saint-Étienne [1]. En 1846, Hennequin fait une tournée de propagande qui le conduit à Lyon, puis à Saint-Étienne : « MM. Tiblier m’ont reçu à l’embarcadère et m’ont reconnu, ont-ils assuré, à ma figure phalanstérienne » [2].

Pierre Tiblier signe en décembre 1846 un long texte sur « l’industrie rubanière de Saint-Étienne » qu’il adresse au Centre parisien de l’École sociétaire ; ce mémoire dépasse en réalité largement la situation de la rubanerie stéphanoise ; l’auteur y présente la situation économique et sociale de Saint-Étienne [3]. Ce travail s’inscrit sans doute dans le cadre d’une série d’articles qui paraît dans La Démocratie pacifique en 1846 et 1847 sous le titre d’« Enquête sociale ». Il ne semble pas cependant que le texte envoyé par Pierre Tiblier ait été publié ; il a été précédé dès novembre 1846 par la parution de deux articles dans le quotidien fouriériste sur les ouvriers stéphanois [4].

C’est par Tiblier que passe la correspondance entre les fouriéristes stéphanois et le Centre sociétaire de Paris ; en 1848, il transmet à Paris des documents d’Antoine Limousin [5].

Il fait partie des premiers actionnaires de l’Union agricole d’Afrique, l’entreprise agricole formée par des fouriéristes lyonnais et installée près d’Oran pour mettre en pratique quelques principes sociétaires [6]. Il verse 1 000 francs à l’Union [7] ; il est aussi le correspondant de l’Union à Saint-Étienne, chargé de faire connaître la société et de faire souscrire de nouveaux actionnaires [8].

Propagandiste socialiste, il participe aux réunions des clubs de Saint-Étienne en 1848. Il est cité sur une liste des délégués devant assister au congrès phalanstérien organisé à l’automne 1848. Son engagement républicain et socialiste lui vaut d’être arrêté au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851 ; la commission mixte du département de la Loire le remet en liberté, mais le place sous la surveillance de la police [9]. Sous le Second Empire, il est qualifié de négociant. Sa femme décède en 1856.

Le Texas et la Société de Beauregard

En 1852-1853, Victor Considerant effectue un voyage aux États-Unis à l’issue duquel il rédige Au Texas (1854), où il projette l’installation d’un groupe de fouriéristes au Texas. Pierre Tiblier souscrit pour la somme de 1 000 francs ; mais il promet « d’en faire davantage s[’il peut se] libérer par la vente d’une forêt » qu’il possède avec son frère.

Et même, tel est mon dessein d’aller sous peu d’années, si l’affaire prend des proportions satisfaisantes, habiter ce pays avec mes deux enfants, et y apporter ma part de concours matériel et intellectuel. Je serais à même d’être de quelque utilité si l’on peut fonder quelques grands établissements agricoles. […]

Mon dieu, que de peines et de combat vont avoir les premiers émigrants. Quand je songe quels efforts il faudra faire sur soi-même pour nous dégager du vieux monde, de ses préjugés, de ses abitudes [sic] que nous a fait contracter l’ignorence [sic] et la misère.

Dans sa lettre, Pierre Tiblier souligne le « drôle d’effet » que la brochure de Considerant a produit sur ses condisciples stéphanois :

Tout le monde voudrait y être et y exercer son industrie. Seulement, ils ne réfléchissent pas que les industries ne se transportent avec les différents travailleurs qui les exercent dans les grands centres. Ils ne réfléchissent pas qu’une cité, un état ne s’improvisent pas, à moins de ressources plus qu’extraordinaires.

Il donne quelques conseils et insiste sur l’importance de bien choisir les premiers colons. « L’avenir de la société nouvelle » en dépend. Il souhaite que l’on parvienne à « préparer les esprits » et que l’on s’occupe de « consacrer quelques cours à l’élucidation des lois futures, des conséquences de celles existantes dans tous les pays [10] ».

Pourtant, Pierre Tiblier n’apparaît pas dans la liste des principaux actionnaires de la Société européo-américaine au Texas ; il continue cependant à s’intéresser à Réunion. Il reçoit le Bulletin de la Société de colonisation européo-américaine ; en 1857, il lit la brochure Du Texas, publiée par Victor Considerant, afin de justifier son activité et son comportement aux États-Unis. Dans une lettre adressée à un condisciple, Tiblier décrit les réactions que le texte de Considerant a suscitées à Saint-Étienne :

Le rapport de Considerant du Texas a été lu avec intérêt comme il le mérite, mais il n’a pas produit sur les esprits qui ont quelque intérêt dans l’affaire, l’effet favorable que nous eussions tous désiré.

Ceux qui ont « quelque intérêt » dans cette affaire

se sont mis à sec pour verser ce qu’ils ont versé ; il leur serait impossible de pouvoir faire autre chose pour le moment, il faut donc se résigner à rester dans le statu quo, sinon à [laisser] tomber tout à fait une affaire qui pourrait se relever et s’élever [11].

De façon générale, les disciples stéphanois répondent moins favorablement aux sollicitations financières. Ainsi, dans l’été 1857, l’École sociétaire fonde un nouveau périodique, la Revue moderne, qui paraît chaque mois ; elle engage les fouriéristes à s’y abonner. Mais, observe Tiblier, les fouriéristes « ne se hâte[nt] pas à [lui] en donner l’ordre » :

La situation présente est telle qu’il ne sera pas facile d’en obtenir la moitié de ce que j’en aurais obtenu il y a deux ans et plus. Ensuite, la distance d’un mois pour chaque numéro c’est bien long, ce n’est point un journal, ce n’est pas une revue ; mais enfin comme telle elle aura sa valeur et je la préfère à l’absence de tout mouvement.

Mais comment faire pour donner aux personnes qui composent le groupe d’hommes […] de notre localité, ce zèle à l’étude, ce besoin de répandre, mais préalablement de s’approprier les idées dont le bulletin les entretiendra ? C’est une rude tâche pour ne pas dire une impossibilité.

Vous savez que le groupe phalanstérien de notre ville se compose d’hommes peu aisés, et en ce moment plus que gênés, c’est-à-dire besogneux, sans travail et la misère en perspective si cet état se prolonge [12].

Il obtient cependant treize abonnements pour la Revue moderne qui cesse de paraître dès février 1858 [13].

Vers 1860, il s’intéresse à la Société de Beauregard, une entreprise d’inspiration phalanstérienne, qui, à Vienne (Isère), réunit des activités productives, commerciales et éducatives, sous la direction d’Henri Couturier. En 1859, il prend des actions de la Société [14]. En 1861-1862, l’entreprise devient une société anonyme ; Pierre Tiblier en est le correspondant dans la Loire ; lui-même actionnaire, il transmet les informations et les documents que lui envoie Couturier aux autres détenteurs d’action de Saint-Étienne [15].

Dans ses échanges épistolaires avec Couturier, il commente aussi l’actualité de l’École sociétaire. Ainsi, en 1861, quand Just Muiron propose à ses condisciples de se réunir afin de réorganiser le mouvement fouriériste, Pierre Tiblier réagit très négativement :

Vous savez ce qu’a fait M. Muiron : il a convoqué un congrès phalanstérien à Besançon. Ce pauvre homme me paraît bien ne pas se douter de ce qu’il fait, ne savoir guère ce qu’il veut faire [16].

Sa mort intervient alors que la réorganisation de l’École sociétaire est en cours, sous la conduite de François Barrier. Jean-Baptiste Siant devient le nouveau correspondant du mouvement fouriériste à Saint-Étienne.