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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Masseron, Isidore
Article mis en ligne le 28 juillet 2017

par Desmars, Bernard

Né le 5 avril 1818 à Savenay (Loire-Inférieure, aujourd’hui Loire-Atlantique), décédé le 5 juin 1887 à Nantes (Loire-Inférieure). Employé, puis directeur des douanes. Membre du groupe phalanstérien nantais, auteur d’un ouvrage de propagande fouriériste et d’articles dans la presse locale.

Isidore Masseron est le fils d’un marchand de Savenay, alors chef-lieu d’arrondissement de la Loire-Inférieure. En 1838, il entre dans l’administration des douanes, d’abord en tant que surnuméraire à Nantes, puis, de 1840 à 1842, comme « visiteur » sur la côte Atlantique, à Beauvoir-sur-Mer (Vendée), au Pouliguen et au Croisic (Loire-Inférieure). Il est alors abonné à La Phalange [1]. En 1843, il est nommé commis à Nantes [2].

Diffuser le fouriérisme à Nantes

Masseron publie en 1844 un ouvrage intitulé Rêveries de Fourier – Utopie des Phalanstériens, que La Démocratie pacifique présente ainsi :

Sous ce titre équivoque, voici une production qui ne l’est nullement. Elle nous a révélé dans son auteur un adepte éclairé de la théorie sociétaire et un jeune écrivain de beaucoup d’espérance [3].

En effet, le titre ne correspond guère au contenu qui vise à démontrer le caractère scientifique et pratique de la théorie sociétaire. Plus exactement, Masseron distingue deux parties dans l’œuvre de Fourier :

La première, qui est la plus importante, traite du principe de l’association, de l’organisation du travail, de la combinaison des forces sociales de manière à les faire produire, dans des conditions données, la plus grande somme de biens avec le moins de peine possible. C’est ce que nous appellerons la partie positive de la découverte de Fourier. La seconde entre dans le domaine de la philosophie transcendante ; ce sont de pures théories spéculatives, dont l’auteur lui-même a fait bon marché en les appelant roman. Celle-là est adoptée intégralement par l’école sociétaire. Celle-ci jouit d’un nombre d’adhérents relativement très inférieur, et elle compte des opposants même dans le sein de la rédaction du journal La Démocratie pacifique, qui est l’organe de l’école sociétaire. […] C’est donc uniquement de cette première partie que nous allons entretenir le lecteur [4].

Masseron, après avoir dénoncé les vices de la Civilisation, expose donc l’attraction passionnelle, les avantages de l’association et de la commune sociétaire, le travail attrayant, la répartition des bénéfices, l’éducation ; il réfute les objections les plus courantes avancées par les détracteurs du phalanstère. Enfin, soulignant les difficultés que posent les textes de Fourier – « Fourier a écrit pour les savants, pour les hommes habitués aux études longues et abstraites » ; « il ne suffit pas de le lire, il faut l’étudier, le méditer » [5] – il invite ses lecteurs à lire Destinée sociale de Victor Considerant et Solidarité d’Hippolyte Renaud [6]. Rêveries de Fourier étant sans doute principalement diffusé dans la région nantaise, Masseron indique le lieu où l’on trouve ces livres et plus généralement les ouvrages de l’École sociétaire, la librairie d’Élisabeth Dauvin, rue Crébillon, à Nantes [7].

Le journal nantais Le Breton, dirigé par le fouriériste Claude-Gabriel Simon profite de la parution de ce livre pour décrire longuement « l’extension que prend l’École sociétaire », la propagation des idées phalanstériennes dans les différents pays européens ainsi qu’en Amérique du Sud et aux États-Unis ; il souligne l’importance de Fourier, qui « est de la grande école des Kepler, des Descartes, de Newton et des Bacon » [8]. Puis, dans trois autres articles, l’auteur anonyme du compte rendu – vraisemblablement Claude-Gabriel Simon lui-même [9] – examine plus précisément la brochure de Masseron, « écrite avec chaleur et conviction ; on la lira avec intérêt, et plusieurs de ses passages seront relus avec plaisir » [10].

Masseron fait partie du groupe phalanstérien nantais. Avec ses condisciples, il accueille en octobre 1846 Victor Hennequin, le conférencier fouriériste qui fait plusieurs conférences sur « la science sociale » [11]. La même année, il commence sa collaboration au Courrier de Nantes, alors dirigé par le fouriériste Ferdinand Guillon. En avril 1847, il est l’un des cinq signataires – avec Émile Allard, Claude-Gabriel Simon, Clément-Médéric Lechalas et un certain Dorian – d’une lettre sollicitant l’autorisation du maire de Nantes pour l’organisation d’un banquet célébrant l’anniversaire de la naissance de Fourier [12].

Problèmes sociaux et philanthropie

Dans le Courrier de Nantes, il s’intéresse principalement aux questions sociales et aux initiatives prises pour lutter contre le paupérisme et ses conséquences. En 1846, il souligne l’importance des « sentiments de solidarité qui doivent exister entre tous les membres de la grande famille humaine ». D’ailleurs, observe-t-il,

les hommes les plus réfractaires au progrès commencent à admettre la possibilité d’introduire dans les relations sociales un peu plus d’équité, et surtout un peu de souci pour le sort de ces légions de malheureux que la misère livre à toutes sortes de maux.

Sans doute pense-t-il à l’avenir harmonien, quand il formule quelques espérances qu’il modère aussitôt :

une société qui renouvelle ainsi l’atmosphère des idées touche de bien près à des temps meilleurs. – Mais sans nous laisser aller à des espérances lointaines, constatons un fait heureux obtenu sur le bout de terre que nous habitons ; à savoir l’existence d’un nouvel établissement de bienfaisance dans notre ville.

Son article est en effet consacré à l’ouverture d’une seconde crèche à Nantes ; il en décrit minutieusement les locaux et les équipements, le fonctionnement et le budget. Surtout, il souligne l’utilité de ce genre d’établissements et la nécessité de développer les œuvres de bienfaisance.

En 1846-1847, la Société académique de Nantes et de la Loire-Inférieure inscrit à son concours annuel la question suivante : « Quelles sont les causes qui engendrent le mouvement des populations agricoles vers les villes, et quels seraient les moyens de l’arrêter ? ». Masseron rédige un mémoire qui obtient une mention, tandis que la médaille d’or est décernée à Eugène Bonnemère, sur le rapport de Clément-Médéric Lechalas. Une longue partie du texte de Masseron est publiée dans le Courrier de Nantes (10, 13, 16 et 18 novembre 1847) ; on y trouve principalement l’éloge des comptoirs communaux, prôné par « l’une de nos écoles socialistes » comme moyen d’améliorer la situation matérielle des ruraux et ainsi d’éviter leur départ vers la ville [13].

Masseron se marie en 1848 avec Zoé Claire Angélique Tardif, dont la mère, veuve, est rentière. Un premier enfant naît en 1849. Sous la Seconde République, Masseron semble garder une certaine réserve. Dans les articles qu’il rédige pour le Courrier de Nantes, il exerce une critique modérée et prudente de l’organisation économique, qui a pour conséquence la misère d’une partie de la population :

Si la concurrence a des bienfaits, elle donne naissance aussi à de fréquentes catastrophes. On ne peut contester raisonnablement que la banqueroute, la faillite, la suspension de paiement, le défaut de débouchés, l’excédant [sic] des bras offerts constituent autant de fléaux qui pèsent aujourd’hui sur les ouvriers comme sur les maîtres [14].

Il se prononce en faveur de réformes sociales, sans développer leur contenu, et attribue aux conservateurs qui s’opposent à tout progrès une partie de la responsabilité des troubles sociaux et des révoltes populaires. Mais

si au milieu du bruit que font les clameurs des partis, une parole de paix, de conciliation et de raison pouvait être entendue, nous demanderions aux hommes de l’extrême-gauche d’être moins véhéments, de dégager leurs leur langage de toute violence, de songer qu’on ne change pas les bases économiques d’un peuple comme une décoration de théâtre ; qu’il faut que la transformation des idées générales précède celle des faits. […] Toute théorie sociale qui procède trop radicalement est une théorie sans utilité immédiate, sans profit positif pour le présent. […] Nous prierions en conséquence l’extrême gauche de proportionner ses moyens thérapeutiques au tempérament actuel de la société, et d’abandonner provisoirement l’idéal, pour circonscrire ses efforts dans les limites du possible [15].

Il souhaite surtout intervenir « sur le terrain neutre de la charité »

Là […], l’esprit d’exclusion ne doit point trouver place, et quelle que soit la main qui nous offre le remède, nous devons le saisir avec empressement s’il est propre à fermer une des plaies du paupérisme [16].

Crèches et salles d’asile

Il compte beaucoup sur les associations philanthropiques, qu’il aimerait voir coordonnées par un « comité supérieur » afin de les rendre plus efficaces. Il s’intéresse en particulier aux institutions et aux associations qui concernent la petite enfance, « à ces nouvelles forteresses de la civilisation qu’on appelle les crèches et les salles d’asile » [17].

En 1849, il s’en prend à « l’incurie de l’autorité municipale » de Savenay, sa ville natale, qui n’a pris aucune mesure au profit des pauvres :

chef-lieu de l’un des arrondissements de France les plus considérables, […] elle ne possède ni crèche, ni salle d’asile, ni ouvroir, rien en un mot qui puisse aider les classes nécessiteuses dans leur rude labeur et leur ouvrir les voies de l’émancipation [18].

Un membre de la municipalité de Savenay ayant protesté contre cet article et mis en avant la modicité des ressources communales, Masseron oppose l’inaction dans le domaine social de la Ville de Savenay – qui préfère consacrer ses ressources à l’achèvement de son église – aux initiatives prises par Édouard Benoît, le maire du Croisic, qui a ouvert une salle d’asile dans sa commune [19].

Il rédige aussi des articles sur d’autres sujets : par exemple le commerce du sucre et la concurrence entre le sucre importé des colonies et le sucre de betterave produit en France [20] ; il fait la critique de plusieurs ouvrages, dont Philosophie du socialisme d’Ange Guépin] [21] ; à l’issue du compte rendu, Masseron affirme que « Guépin est phalanstérien », au moins « en ce qui concerne les principes et les procédés d’organisation » de la société [22].

S’il est collaborateur régulier du Courrier de Nantes, il place aussi un long article dans Le Breton, où il rend compte d’une brochure de Lechalas concernant Malthus. Il partage les critiques de son condisciple envers l’économiste anglais ; mais il l’encourage à aller plus loin :

Nous attendons maintenant de cet écrivain [Lechalas] qu’il prenne corps à corps, dans ce qu’elle a de fondamental, la fausse science du laissez faire et du laissez aller, et qu’il démontre les dangers de la thérapeutique sociale préconisée par les économistes [23].

Au début des années 1850, Isidore Masseron fait partie du monde savant et des milieux philanthropiques nantais : il est admis au sein de la Société académique de Nantes en 1852 [24] ; il est le secrétaire de la Société des crèches de Nantes – fonction précédemment occupée par Clément Médéric Lechalas –, une œuvre en faveur de la petite enfance [25]. Sa femme participe aussi à des actions philanthropiques ; elle s’occupe de la crèche du quartier Saint-Similien, ouverte en 1851 [26] ; elle collabore en 1853 à l’organisation d’un « bazar en faveur des trois œuvres réunies de la Maternité, des Salles d’asile et des Crèches » [27].

En 1853, le Courrier de Nantes annonce « le changement de résidence de notre ami et collaborateur Isid. Masseron, appelé pour cause d’avancement, de la douane de Nantes à celle de Valenciennes » [28]. Masseron est en effet nommé commis dans le Nord [29]. Un second enfant naît en 1854 à Valenciennes. À la différence de ses condisciples nantais Allard et Lechalas, Masseron n’apparaît pas parmi les actionnaires de l’Union agricole d’Afrique, une société fondée en 1845-1846 par des fouriéristes lyonnais pour exploiter des terres en Algérie ; cependant il lui prête de l’argent (100 francs) en 1856, à un moment où elle connaît de graves difficultés financières [30]. La même année, il est muté à Paris, dans l’administration centrale des contributions indirectes, en tant que commis principal, puis comme sous-chef de bureau, avant d’être promu chef de bureau en 1862. Début 1866, il retrouve Nantes, avec le poste de directeur des douanes [31]. Il reçoit la Légion d’honneur en 1868. En 1880, il est nommé au Havre [32]. Il prend sa retraite le 1er janvier 1885. Depuis la Seconde République, il ne semble plus entretenir de relations avec le mouvement fouriériste, ni avec le groupe phalanstérien nantais qui se réunit encore dans les années 1870.

Association et socialisme

S’il s’est éloigné de l’École sociétaire, il continue à soutenir le socialisme associationniste qui lui paraît constituer un barrage et une alternative au socialisme révolutionnaire et collectiviste dont il envisage les progrès avec crainte. Il expose cette thèse en 1885 dans un copieux ouvrage, Danger et nécessité du socialisme. L’auteur y effectue un panorama des idées du XIXe siècle, ou plutôt de la première partie du siècle, avec principalement Saint-Simon, Owen, Leroux, Louis Blanc, Proudhon et surtout Fourier et l’École sociétaire ; il présente plus brièvement Sismondi, Le Play et quelques autres, avant de revenir à Fourier :

On peut lui reprocher des aperçus hasardés, des hypothèses téméraires, et si l’on veut des arrangements artificiels. Les générations futures feront le choix dans sa riche moisson. La nôtre doit y recueillir précieusement un principe souverain : celui de l’association libre et volontaire [33].

Masseron considère que le monde est entré dans une phase de « décomposition » ; « la cohésion sociale se dissout sous l’influence grandissante de l’individualisme » [34]. Il veut répondre à ces changements en proposant à ses contemporains « un programme nouveau », « un idéal » qui les rassemble.

Où pourrait-on trouver cet idéal, sinon dans la poursuite du relèvement de ceux qui souffrent, dans une religieuse conjuration contre la misère, partage encore du plus grand nombre et source principale de nos discordes et des vices qui déshonorent l’humanité [35].

« Le seul moyen » est l’association, dont Masseron vante l’intérêt d’abord en milieu rural ; il propose la création dans chaque localité d’un « comptoir communal » qui remplirait plusieurs fonctions : il posséderait des machines et des outils modernes loués aux exploitants incapables de se les procurer individuellement ; il serait aussi « un centre d’échanges » collectant les produits des agriculteurs et approvisionnant les populations rurales. Il installerait « des boucheries et des boulangeries communales » qui établiraient « une concurrence ‘’véridique’’ » ; il inciterait les paysans à se rassembler en association afin de constituer des exploitations de taille suffisante pour y pratiquer une agriculture moderne. Enfin, il créerait une ferme-modèle, afin de diffuser les méthodes les plus rationnelles. Bientôt, il s’agirait « de combiner l’agriculture avec l’industrie manufacturière, d’introduire ainsi dans la campagne une partie des avantages réservés aux villes et d’arrêter l’émigration de la population agricole » [36].
Il envisage ensuite l’application du principe associatif aux activités industrielles et au monde urbain ; l’ouvrier associé, et donc directement intéressé aux résultats de l’entreprise, fabriquerait des produits de meilleure qualité et à meilleur marché, résistant mieux à la concurrence internationale ; ses revenus augmenteraient ce qui accroîtrait la consommation et diminuerait les sources de mécontentement et de conflit [37].
Masseron est évidemment hostile aux « communistes-collectivistes-anarchistes », qu’il accuse de trahir le principe de l’association, mise au « service du désordre » [38]. Il leur oppose la participation des ouvriers aux bénéfices de l’association, telle qu’elle a été mise en place par Jean Leclaire, dont l’entreprise de peinture est présentée comme un modèle social, de même que le Familistère de Guise fondé par Jean-Baptiste Godin [39]. Pour qu’elles réussissent, il faudrait qu’elles soient accompagnées et protégées par un système de « patronage » adapté « à l’esprit moderne » [40]. Il prendrait la forme d’un « comité d’impulsion et de direction » constitué d’une part « des plus honorables notabilités scientifiques, financières, agricoles, industrielles, commerciales et politiques », d’autre part de « délégués des chambres syndicales ». Ce comité encouragerait la constitution d’associations ouvrières – mais aussi d’« associations mixtes entre patrons et ouvriers » –, « leur procurerait des projets éprouvés par l’expérience », les guiderait et les coordonnerait [41].
Olivier Pontet propose un compte rendu plutôt favorable de ce livre dans la Revue du mouvement social, le périodique dirigé par Charles Limousin ; l’ouvrage « est un cours attrayant de science sociologique, dans lequel les personnes et les idées sont jugées avec une très grande impartialité et une haute raison ». Il conclut son analyse par :

À l’œuvre donc, homme de bonne volonté, imitons M. Masseron, prêchons l’association, et poussons-y en tout et partout [42].