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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Jeanneney, Paul (Marie Joseph)
Article mis en ligne le 5 septembre 2015
dernière modification le 18 octobre 2015

par Desmars, Bernard

Né le 7 avril 1812, à Besançon (Doubs), décédé le 17 octobre 1862 à Strasbourg (Bas-Rhin). Ingénieur civil et industriel, spécialiste de la fabrication du gaz d’éclairage. Abonné à La Phalange, actionnaire de la Société de colonisation européo-américaine.

Fils d’un architecte-voyer de Besançon, Paul Jeanneney fait partie des premières promotions de l’Ecole centrale des arts et manufactures. Il en sort en 1833 avec le titre d’ingénieur mécanicien et un certificat de capacité en construction. Son activité professionnelle se tourne d’abord du côté des chemins de fer et de la métallurgie – il commence sa carrière dans l’entreprise d’Eugène Flachat – puis se tourne vers les machines à vapeur et les moulins. A partir des années 1850, il s’intéresse surtout à la production de gaz et à l’éclairage [1].

Au début des années 1840, il demeure à Bitschwiller (Haut-Rhin) ; il lit La Phalange et correspond avec l’École sociétaire. En 1842, il adresse à Victor Considerant un article pour La Phalange  ; le texte concerne « un moyen [qu’il a] inventé pour rendre solidaires tous les accidents de mouvement d’une ligne de chemin de fer » ; la locomotive emmagasinerait de l’énergie dans les descentes qu’elle pourrait restituer dans les montées. Ce système

est fidèle […] aux deux principes d’économie de ressorts et de justice distributive que toute œuvre doit révéler dans son ensemble. Quant à l’unité de système, elle existe dans cette analogie remarquable que l’on rencontre entre les différentes parties et fonctions de la machine avec les parties concordantes d’un animal […]. En un mot, qu’il nous soit permis d’ajouter, sans plus grands développements, que nous voyons dans toute cette machine et dans le génie qui l’a créé une révélation de l’unité de l’homme avec le créateur, par l’accord de la science et des attributs de Dieu avec l’œuvre produite, et de l’unité de l’homme avec l’univers, par la concordance que l’application de la science est arrivée à produire entre l’œuvre et les autres créations.

Ces idées, puisées dans les principes de l’école sociétaire, nous conduisent à admettre que la machine locomotive, offrant tous les indices d’une œuvre parfaite, ne peut plus être susceptible dans l’avenir que de quelques perfectionnements tendant à un meilleur emploi de la force motrice et à rendre plus stables les différentes parties [2].

Cependant, le mécanisme inventé par Jeanneney ne semble guère séduire les milieux ferroviaires.

Il s’est trouvé que ma découverte ainsi que toutes celles qu’on peut faire maintenant, rentrait dans la science immense de notre maître. Je me suis adressé à plusieurs personnes pour tirer parti de mon idée suivant les usages ordinaires ; mais on m’a tellement découragé par les lenteurs que j’ai eu peur d’être devancé et que j’ai préféré prendre l’initiative par une publication détaillée qui ne laisse plus de prise sur la même idée [3].

En 1844, il est admis au sein de la Société industrielle de Mulhouse [4]. L’année suivante, il se marie avec Antoinette Desaintmartin (parfois écrit de Saint-Martin), fille d’un « peintre en décor ». Il est alors domicilié à Thann (Haut-Rhin).

République, Texas et industrie du gaz

Au lendemain de la révolution de février 1848, il exprime ses divergences avec « Messieurs les membres de la direction de l’Ecole sociétaire ». Il regrette l’engagement des dirigeants phalanstériens dans les luttes politiques : il comprend certes que l’Ecole se rallie à la République, car ce régime peut rassembler tout le monde et ainsi éviter la guerre civile ;

cependant, il ne faut pas que cela aille trop loin et que l’on puisse croire que nous avons renoncé au principe tant de fois défendu de faire marcher les réformes sociales avant les réformes politiques.

Je pense qu’on ne peut pas appliquer à une période sociale le gouvernement qui doit résulter d’une période plus avancée, et je crois que nous aurons encore après les élections [à l’assemblée constituante, en avril 1848] un gouvernement de bourgeois qui se monteront égoïstes autant qu’ils le pourront. Le seul avantage que nous aurons conquis sera d’avoir plus de chances d’arriver à un essai et de voir les questions d’organisation du travail à l’ordre du jour.

Le moyen de réformer la société consiste dans l’organisation du travail qu’il faut établir dans une commune. Lorsque cette organisation du travail étendue de proche en proche aura détruit les chances de révolution, lorsqu’elle aura développé les facultés des classes grossières, lorsque le crédit sra (sera) sorti des mains des banquiers pour entrer dans celle des communes, on pourra seulement dire que l’ère annoncée par A. de Lamartine, dans son manifeste, est arrivée, mais aujourd’hui nous n’en sommes pas encore là [5].

Paul Jeanneney s’établit à Mulhouse (Haut-Rhin) où il continue ses travaux sur le gaz. Il devient alors l’un des spécialistes de la production du gaz d’éclairage issu de la houille. Il obtient plusieurs brevets d’invention à partir de 1847 [6]. Ayant fondé sa propre société et créé plusieurs usines, il intervient non seulement en France, mais aussi en Suisse, à Neuchâtel et à Zurich [7].

Au milieu des années 1850, il est toujours en relation avec les fouriéristes : en 1854, à l’occasion d’un voyage à Dresde, et devant passer par Bruxelles, il écrit au Centre sociétaire parisien afin de connaître l’adresse de Victor Considerant à qui il souhaite rendre visite. Il prévoit de se rendre ensuite à Paris pour y rencontrer ses condisciples [8]. Il devient actionnaire de la Société européo-américaine du Texas et souscrit des parts pour plus de 20 000 francs [9]. Dans une lettre datant de juin 1854, il explique qu’il est marié mais sans enfant et que travaillant depuis dix ans à son compte, il a « amassé environ 250 mille francs, qui sont engagés dans divers placements, dont une petite partie seulement sont des biens fonds ». Pourtant, il ne veut pas quitter l’Alsace pour le Texas :

Je puis dire que j’ai monté une maison et que je suis entouré d’employés et de monteurs qui me sont tellement attachés et avec lesquels mon affaire marche si convenablement que je ne puis pas songer pour le moment à abandonner une telle position. Je ne suis entouré d’aucune relation familiale et tous mes attachements sont portés envers mes braves compagnons qui ne voudraient pas plus me quitter que je ne voudrais les abandonner.

Qui sait si malgré cela, nous ne nous trouverons pas attirés un jour dans le courant d’aspiration de la pompe qui fait monter du fond de l’Europe des hommes en Amérique.

Quoi qu’il en soit, je voudrais déjà être arrivé au jour prochain, je l’espère, où nous serons renseignés périodiquement par un journal sur les progrès que fait la colonisation au Texas.

Maintenant que vous connaissez ma position et mes intentions, je n’ai pas besoin de vous dire jusqu’à quel point je m’engagerai plus tard pécuniairement dans l’affaire du Texas. Cela dépendra […] de vos besoins, des plus ou moins bonnes affaires que je ferai. Dans tous les cas, je n’ai aucune objection à placer mes économies au Texas plutôt qu’ailleurs, au contraire.

Je vous ai dit qu’il me semblait que votre entreprise devait être une bonne affaire plutôt qu’une bonne action. Si ce pronostic est réalisé, il est bien évident que vous pourrez compter pour la suite sur la majeure partie de ce que je possède.

En attendant, je vous invite à me faire connaître quand je dois envoyer à Paris 5 000 francs que je tiens à votre disposition pour être employés comme vous l’entendrez, dans l’intérêt de la réussite de l’entreprise et dans le mien propre [10].

Peu de temps après, Jeanneney s’installe à Strasbourg. Sa situation familiale est alors assez compliquée : lors du recensement de 1861, son épouse ne vit plus avec lui ; mais il a à son domicile trois enfants, nommés Humbert-Jeanneney : « son fils » Charles, âgé d’un an, « sa fille » Marie, deux ans, et « sa fille » Jeanne, quatre ans. La mère, Rosalie Humbert n’est pas mentionnée dans le recensement.

Jeanneney poursuit ses travaux pour trouver la houille la plus riche en gaz. En 1861, il déclare, dans une revue spécialisée, faire des essais sur une nouvelle variété de charbon écossais [11]. Au lendemain de son décès, la Société des ingénieurs civils souligne l’importance de ses recherches tandis que la revue Le Gaz déplore la disparition, « après une courte maladie » de « l’un de nos ingénieurs les plus distingués de l’industrie du gaz […] auquel ses nombreux travaux avaient acquis une célébrité justement méritée » [12].

Après sa mort, Rosalie Humbert, associée à un ingénieur, Charles Riegel, poursuit l’exploitation de l’entreprise, spécialisée dans « la fabrication, le commerce et l’installation des appareils à gaz » [13]. En 1866, elle se marie avec Joseph Loewenguth ; elle est alors désignée comme « fabricante de gaz pour l’éclairage ». Son mari légitime ses enfants.