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Site internet de l’Association d’études fouriéristes et des Cahiers Charles Fourier

Barral, Jean-Augustin
Article mis en ligne le 30 août 2014
dernière modification le 10 novembre 2014

par Desmars, Bernard, Fornasiero, Jean

Né à Metz (Moselle) le 30 janvier 1819, décédé à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) le 10 septembre 1884. Ingénieur des tabacs, chimiste, publiciste, spécialiste des questions agricoles. Rédacteur de La Démocratie pacifique, convive du banquet phalanstérien en 1865.

Jean-Augustin Barral est le fils d’un ancien officier des armées napoléoniennes, tandis que sa mère est fille et sœur de directeurs d’établissement scolaire. Il fait ses études au lycée (alors appelé collège royal) de Metz, puis entre à l’Ecole polytechnique en 1838.

(Panthéon scientifique de la Tour Eiffel, 1892)

Les sciences et le mouvement sociétaire

A sa sortie, il rejoint l’administration des tabacs à la manufacture de Paris ; chimiste, il effectue des travaux sur la composition de la nicotine et présente dès 1842 ses premiers résultats à l’Académie des sciences, qu’il complète dans un second mémoire en 1845. Il fait ensuite des recherches sur les dorures au mercure et les dorures électro-chimiques, sur la faïence appliquée aux poêles et aux panneaux de cheminée, sur les électro-aimants, etc. Tout en réalisant ces travaux scientifiques, Barral enseigne la physique et la chimie au collège Sainte-Barbe à partir de 1841 ; il est aussi répétiteur de chimie à l’École polytechnique (à partir de 1845). Il réalise également diverses expertises judiciaires pour des affaires de contrefaçons. Il se marie vers 1840 avec Fanny Léonie Janot, fille d’un officier ; trois garçons et une fille naissent de cette union.

Parallèlement à ses recherches scientifiques et à ses activités d’enseignement, Jean-Augustin Barral participe aux activités du mouvement fouriériste. S’il n’apparaît dans la liste des collaborateurs réguliers de La Phalange (1836-1843), il figure dans la « liste alphabétique des personnes qui ont concouru à la rédaction du tome I » (août-décembre 1843) de La Démocratie pacifique et fait désormais partie des collaborateurs réguliers du quotidien jusqu’en 1848 ; il intervient sur des questions où il utilise ses compétences scientifiques et techniques : la mauvaise qualité du pain de munition, les falsifications des huiles, l’éclairage, les brevets d’invention (lors de la discussion de la loi, en 1844), les chemins de fer, etc. Il contribue aussi à la rédaction de l’Almanach phalanstérien [1]. Il est l’un des orateurs du banquet organisé à Genève, pour célébrer l’anniversaire de la naissance de Fourier, en avril 1847 [2].

Il accueille avec enthousiasme le renversement de la monarchie et l’installation de la République, comme le montre une brève lettre écrite le 26 février 1848 et adressée à sa famille, à Metz :

Ma chère mère et mes chères sœurs,
Nous avons balayé la dynastie d’Orléans – assez de royauté – la république ! – le peuple s’est admirablement bien conduit – tout va bien [3].

Il fait partie des quinze membres formant le « comité de direction de la Démocratie pacifique constitué en Comité électoral central » après Février 1848 [4]. Il préside le Comité électoral démocratique du 11e arrondissement, constitué en mars [5]. Il envisage un moment de présenter sa candidature à l’Assemblée constituante dans le département de la Moselle au printemps 1848, mais y renonce [6]. Il est membre de la Société centrale démocratique, fondée en mai 1848 [7]. Il entre dans l’encadrement des Ateliers nationaux, étant selon les cas désigné comme l’un des « sous-directeurs » ou « chef du secrétariat de la deuxième direction des ateliers nationaux » [8]. Lors du banquet organisé en octobre 1848, à l’issue du « Congrès phalanstérien », il prononce un toast : « Aux proscrits de toutes les nations ! A l’anéantissement des guerres civiles » [9].

Cependant, ses convictions fouriéristes lui valent quelques ennuis quand la république prend une orientation conservatrice. En juillet 1848, il passe quelques jours en prison, à la suite, semble-t-il, d’une dénonciation calomnieuse concernant son rôle lors de l’insurrection de juin, et surtout, écrit La Démocratie pacifique, parce qu’il est « un ardent ami du peuple » qui « expie […] dans les prisons préventives de la République le crime de ses convictions républicaines » [10]. Il est libéré vers le 12 juillet [11]. Peut-être est-il arrêté une seconde fois, au lendemain du 13 juin 1849 et de la manifestation de protestation contre la politique romaine du président de la République ; d’après des témoignages tardifs, il fait l’objet d’un mandat d’amener devant la justice. Se constituant prisonnier, il est interrogé par un juge d’instruction, mais rapidement relâché [12]. A moins qu’il ne s’agisse d’une confusion avec les événements de juin 1848 [13]. Dans tous les cas, les poursuites sont rapidement abandonnées. Cependant, il perd son poste de répétiteur à l’Ecole polytechnique et bientôt ses cours à Sainte-Barbe.

Bénéficiant de l’appui et de la protection de François Arago, il peut toutefois continuer ses activités scientifiques ; avec le soutien de l’astronome, en compagnie de son ami Alexandre Bixio, et muni de nombreux instruments de mesure physique et météorologiques, il fait deux voyages aérostatiques en 1850. Le premier est interrompu par une déchirure du ballon, qui provoque une chute spectaculaire de l’engin, mais finalement sans conséquence dramatique pour les deux passagers. Le second mène les deux hommes à une altitude de plus de 7 000 mètres et à une température proche de moins 40°C. Arago souligne l’intérêt scientifique des observations des deux hommes à l’Académie des sciences [14]. Dans les années 1860, Barral participe à la naissance de la Société de navigation aérienne avec Nadar, qui le décrit comme son maître. En 1863, il accepte la présidence de cette société [15]. Jean-Augustin Barral et son fils Georges ont d’excellents rapports avec Nadar, rapports dont on retrouve la trace dans des lettres de 1864, où Nadar parle des affaires de la Société, tout en offrant sa « poignée de main la plus déférentielle et hélicoptéroïdale » [16].

Barral, au début des années 1850, travaille à l’Observatoire de Paris aux côtés d’Arago. Il fait des analyses de l’eau de pluie afin d’en déterminer la composition chimique ; il aide son maître, dont la santé décline et qui perd la vue, à faire ses recherches en physique et en astronomie et à rédiger ses ouvrages. Il l’assiste dans ses derniers moments et, chargé de faire un discours lors de ses obsèques, il ne peut « prononcer que quelques paroles entrecoupées par des sanglots » [17]. Après la mort du savant, c’est lui qui est chargé de la publication posthume de ses œuvres.

Cependant, l’orientation des activités de Barral est en train de changer. En 1849 ou 1850, il prend la direction du Journal d’agriculture pratique, un organe fondé en 1837 par Bixio, auquel il collabore déjà depuis 1845. Désormais, sans renoncer complètement à ses travaux de chimie et de physique, et plus généralement aux sciences, il se consacre davantage aux questions agricoles et agronomiques, dont il est l’un des principaux spécialistes en France jusqu’aux années 1880.

Agriculture et promotion des sciences

Nommé à la tête du Journal d’agriculture pratique, Barral en rend plus fréquente la parution, qui, de mensuelle, devient bimensuelle. Il s’efforce de développer un réseau de correspondants locaux et d’accroître la place accordée aux comices agricoles et aux sociétés de province pour obtenir des informations. Il accorde également une plus grande importance aux éléments de la conjoncture économique et de l’actualité politique qui peuvent avoir des conséquences sur la situation de l’agriculture et notamment sur les cours des produits agricoles [18]. Il tient une rubrique sur la météorologie, alimentée par les observations des lecteurs. Cette question lui paraît d’ailleurs très importante, notamment en raison des effets qu’elle a sur l’agriculture. Aussi contribue-t-il, avec Gasparin et quelques autres, à la création de la Société météorologique de France en 1853.

Barral ne limite pas son travail journalistique au Journal d’agriculture pratique. Il crée en 1857 un Cercle de la presse scientifique qui organise des réunions lors desquelles sont discutées des questions scientifiques et sont parfois présentées des inventions ; puis, il fonde une revue de vulgarisation scientifique, La Presse scientifique des deux mondes, qui paraît de 1860 à 1867, et à la direction de laquelle contribuent très tôt deux de ses fils, Jacques et surtout Georges. Jean-Augustin Barral collabore aussi à de nombreux autres périodiques, les uns scientifiques (les Annales de chimie et de physique), les autres généralistes, comme L’Opinion nationale, quotidien fondé par l’ancien saint-simonien Guéroult, auquel participent aussi des (ex-)fouriéristes comme Charles Sauvestre ; il fournit également des notices pour des ouvrages collectifs, comme le Dictionnaire des arts et manufactures. Il est membre de plusieurs sociétés savantes et professionnelles, telles la Société d’encouragement à l’industrie nationale, la Société internationale d’études sociales fondée par Frédéric Le Play [19] et la Société des Agriculteurs de France. Il continue par ailleurs à intervenir dans des affaires judiciaires et à rédiger des rapports d’expertise ; en 1857-1858, il intervient par exemple dans un procès concernant les procédés de distillation de l’alcool de betterave impliquant le chimiste Dubrunfaut [20].

En juillet 1866, ayant dû quitter le Journal d’agriculture pratique, quelques mois après la mort de Bixio et en raison semble-t-il de différends avec les héritiers, Barral fonde un nouvel organe, le Journal de l’agriculture. De façon générale, dans ces différentes entreprises, il s’agit d’utiliser la presse pour diffuser les progrès scientifiques, techniques, mais aussi économiques, sociaux... Il poursuit les mêmes objectifs en participant aux Entretiens populaires, des conférences de vulgarisation scientifique où il traite de l’agriculture, de chimie et de physique.

Son activité dans différents périodiques, ses travaux de laboratoire, complétés par des études de terrain, et ses publications sur le drainage, sur l’irrigation et plus généralement sur la fertilisation des sols, puis sur la vigne et le phylloxera, lui confèrent une notoriété et une autorité scientifiques qui se traduisent par des récompenses ainsi que par de nombreuses sollicitations : il reçoit en 1863 le prix de Morogues pour les efforts qu’il a déployés en faveur de la science agronomique ; il est appelé lors des manifestations organisées par les comices agricoles ; les autorités lui attribuent des missions et l’invitent à siéger dans les jurys des concours agricoles et des expositions universelles (en 1855 et 1867 à Paris ; en 1862 à Londres). Il rédige de nombreux rapports, nourris de considérations topographiques et géologiques, d’analyses chimiques et de statistiques portant aussi bien sur les températures que sur les coûts et les prix de vente, et d’études de cas avec des monographies d’exploitations. Il est admis dans de nombreuses sociétés savantes et reçoit plusieurs récompenses et décorations : en 1852, il reçoit une médaille de la Société nationale d’agriculture qui l’accueille dans sa section des sciences physico-chimiques en 1857. Chevalier de la Légion d’honneur en 1855, il est promu officier en 1863. Il semble assez proche des cercles du pouvoir, et notamment du prince Jérôme Napoléon, cousin de l’empereur Napoléon III et figure du « bonapartisme de gauche » ou du « bonapartisme social » qui s’exprime notamment dans L’Opinion nationale et à l’intérieur du groupe du Palais-Royal. En tout cas, quand sa fille Fanny se marie en février 1866 avec un officier des dragons, le prince Napoléon est l’un des témoins de l’épouse (il est toutefois absent lors de la cérémonie et il se fait représenter par son aide de camp).

Quelques mois plus tard, le 4 juin, un double mariage est célébré à la mairie du Xe arrondissement : celui de Jean-Augustin Barral, veuf de sa première épouse, et de Marie-Thérèse Van Engelen, originaire de Belgique et elle-même veuve d’un ingénieur civil, et celui qui unit le fils du premier, Georges, à la fille de la seconde, Mathilde Savalle ; les témoins sont les mêmes pour les deux couples ; on y reconnaît les fouriéristes César Daly et Charles Pellarin.

Fouriérisme et politique

Au milieu des années 1860, Barral renoue avec le mouvement sociétaire, alors en cours de réorganisation sous la direction de François Barrier. Il participe avec son fils Georges au banquet du 7 avril 1865, qui réunit un grand nombre de fouriéristes. Le compte rendu de la fête est d’ailleurs publié dans La Presse scientifique. L’année suivante, un Barral figure sur la liste des convives du banquet phalanstérien, mais on ignore s’il s’agit de Jean-Augustin ou de l’un de ses fils [21]. Dans le Journal d’agriculture pratique, puis dans le Journal de l’agriculture, il donne un écho à la proposition de Granday, qui souhaite réunir des capitaux et des énergies afin de créer une association agricole. Barral reste en relation épistolaire avec plusieurs de ses condisciples [22]. Son investissement dans le mouvement sociétaire reste cependant modeste ; il n’apparaît pas parmi les souscripteurs de la Librairie des sciences sociales, ni sur les listes de ceux qui soutiennent la Société de Beauregard (à Vienne, en Isère) ou la Maison rurale de Ry (près de Rouen).

Il s’engage davantage sur le terrain politique, en Moselle, son département natal. Il est candidat pour la première fois lors de l’élection législative de 1863 dans la circonscription de Metz, avec le soutien de l’organe des républicains modérés, le Courrier de la Moselle ; il se présente comme « libéral démocratique », mais il se déclare hostile à une « opposition systématique » envers le régime ; arrivé en tête dans la ville de Metz, il est largement distancé pour l’ensemble de la circonscription par le candidat officiel, qui est le député sortant.

« Ses opinions politiques sont très libérales, mais il ne serait nullement hostile au Gouvernement impérial », estime le préfet de police de Paris en 1865 [23]. En 1867, il est élu au conseil général dans l’un des cantons messins, mais l’élection est annulée ; lors du nouveau scrutin, en 1868, ses affiches portent la mention « candidat démocrate libéral, non-clérical » ; il bat le candidat officiel, conservateur et clérical. Il se représente aux élections législatives de 1869, mais il doit affronter plusieurs rivaux libéraux, outre le candidat officiel qui l’emporte. Lors de ces différents scrutins, Barral se heurte aux réticences d’une partie des républicains, qui lui reprochent d’avoir régulièrement fréquenté et servi le pouvoir bonapartiste. Lors du plébiscite de 1870, certains d’entre eux se détachent franchement de lui, quand, dans le Journal de l’agriculture, il appelle à répondre « oui » et donc à approuver les réformes libérales du régime impérial, ce qui, aux yeux des républicains, revient à soutenir Napoléon III [24]. Plusieurs membres de son comité électoral de 1868 et de 1869 expriment leur désapprobation dans la presse locale [25]. L’Indépendant de la Moselle dénonce avec virulence l’opportunisme de Barral :

M. Barral [est] devenu aujourd’hui olliviériste. Avant d’être candidat de l’opposition à Metz, n’avait-il point accepté les faveurs du pouvoir et ne les recherche-t-il point encore en ce moment ? Mais ces accommodements, ces chassez-croisez [sic] ne satisfont nullement les électeurs du 3e canton qui attendent de M. Barral sa démission de conseiller général [26].

A la suite de la reddition de l’armée française enfermée à Metz, en octobre 1870, il publie un texte très critique à l’égard de Bazaine, à qui il reproche d’avoir préféré la défaite et le maintien des Bonaparte au pouvoir, à la victoire accompagnée de l’installation de la République. Mais l’annexion de l’Alsace-Moselle à l’Empire allemand en mai 1871 entraîne sa rupture d’avec sa ville natale. En même temps, il abandonne la modeste carrière politique commencée au début des années 1860.

Dans les années 1870, il continue ses activités de publiciste. Il effectue encore des expertises devant les tribunaux, notamment dans une affaire qui concerne Jean-Baptiste Godin, le fondateur du Familistère de Guise [27]. Mais il consacre l’essentiel de son temps aux questions agricoles et agronomiques. Élu secrétaire perpétuel de la Société nationale d’agriculture de France en 1871, il devient commandeur de la Légion d’honneur en 1880. Toujours à la tête du Journal de l’agriculture ; il commence la rédaction d’un ambitieux Dictionnaire d’agriculture, achevé et publié après sa mort par son collaborateur Henry Sagnier. Il prononce des conférences, continue à participer aux concours et aux expositions. C’est lors de son retour de l’exposition d’Amsterdam, à laquelle il s’est rendu bien qu’il soit gravement malade depuis plusieurs mois, qu’il décède à Fontenay-sous-Bois.

Quelques années plus tard, son nom est gravé en lettres d’or sur une frise du premier étage de la tour Eiffel, où l’on trouve les noms des soixante-douze savants qui ont fait faire depuis 1789 le plus de progrès à l’agriculture et à l’industrie [28].